Critiques de notre temps

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Les fonds souverains, un débat oublié

Aujourd’hui, les médias ne parlent plus véritablement de finances. On ne parle plus du tout de l’influence des fonds de pension, des fonds souverains, et de leur possibilité d’influence sur l’économie et les grandes multinationales occidentales. Leur influence a-t-elle disparu depuis les années 2007-2009, dernières années où les médias français publiaient des informations sur ces derniers ?

 

Le problème du Monde, c’est qu’à tout vouloir expliquer par le biais du politique et par une vision dichotomique du Bien et du Mal, ils ne savent plus rien expliquer dans le monde actuel. Quelle est l’influence réelle des fonds de pension et des fonds souverains dans le système financier occidental à l’heure actuelle ? Quelle est leur puissance réelle ? Et pourquoi les médias actuels comme Le Monde se taisent sur leur influence réelle actuelle, n’en rendent pas compte ? Ne comprennent-ils rien au monde actuel dans lequel nous vivons ? Le fait que l’idéologie plutôt que la réalité règne dans la description de la situation économique et politique mondiale nous aveugle autant qu’elle aveugle Le Monde et ses journalistes.
 
Reprenons donc. En 2007-2008, les fonds souverains font l’objet d’un champ de réflexion médiatique important. Leur importance et leur multiplication interpellent à cette époque-là : la revue Futurible en dénombrait 40 en 2008 représentant 3.000 milliards de dollars d’actifs. Surtout, on plongeait en pleine recession financière, l’une des pires crises que le monde avait connu depuis 1929, voire pire que 1929, et les bourses occidentales comme celles de toute la planète se sont effondrées, avant et après ce recensement.

 

Les autres principaux acteurs recensés de la finance mondiale étaient les fonds de pension, les hedge funds et les fonds d’investissement, ou private equity. Toujours fin 2007, on dénombrait 10.000 hedge funds dans le monde gérant environ 1.700 milliards de dollars d’actifs.

 
1 - Déjà en 2008, le système financier français paraissait perdu devant la puissance financière organisée du reste du monde

 

Les acteurs financiers organisés dans la finance mondiale étaient constitués d’une part aux Etats-Unis d’un grand nombre de fonds de pension et de hedge funds qui constituaient une sorte de bras armés de la finance américaine. De l’autre, de grands pays émergents disposaient de puissants fonds souverains capables de racheter et de relocaliser de puissantes entreprises françaises ou européennes.

 
Et au milieu de tout cela, la France n’avait pas à l’époque de bras armé suffisamment puissants pour protéger son industrie. La CDC et la Banque de France ne pouvaient rivaliser ou bien ne pouvaient racheter les fleurons industriels français, et les banques françaises, les compagnies d’assurance et les SICAV et FCP se focalisaient sur les fonds obligataires et le financement de la dette de l’Etat français.

 
Aujourd’hui, la situation n’a pas vraiment changé même si il a existé un fonds stratégique susceptible d’intervenir pour sécuriser l’actionnariat d’un fleuron industriel. Celui-ci a fusionné depuis pour donner naissance à BpiFrance. Mais les moyens de la France ne sont toujours pas à la hauteur de la puissance des autres fonds souverains étrangers. Et les grands capitalistes français ne seront pas intéressés à prendre le contrôle de fleurons industriels si leur contrôle était menacé.

 
Évidemment, les expériences de certaines prises de contrôle hostiles ces derniers temps ont montré que les États occidentaux pouvaient les bloquer en refusant des rachats considérés comme hostiles, en imposant aux vendeurs ou aux acheteurs de sélectionner un autre acheteur ou en découpant ces entreprises en préservant certaines activités stratégiques.
 
La situation de contrôle financier de notre économie s’est-elle malgré tout améliorée depuis 2008 ? La puissance financière et l’influence des fonds souverains et hedge funds étrangers ne représentent-ils plus une menace pour l’indépendance et l’autonomie de l’industrie française et européenne ? Ou bien nos médias ont-ils cessé de s’intéresser aux enjeux financiers et économiques actuels pour ne plus se focaliser que sur des enjeux idéologiques dichotomiques, le BIEN contre le MAL ?

 

2 - Qu’est-ce que les fonds souverains et quels sont les plus puissants ?

 

Un fond souverain est un fond créé le plus souvent par un Etat émergent ou non, qui l’alimente le plus souvent à partir de ses réserves et de ses excédents en devises. Leur but est avant tout de placer et de gérer de manière rentable des liquidités publiques qui ne font ou ne peuvent pas faire l’objet d’investissement dans leur pays d’origine. Ce sont ainsi des véhicules financiers publics qui possèdent, gèrent ou administrent des fonds publics et qui les investissent librement dans un grand nombre d’actifs.

 
On estime que deux événements financiers notamment ont conduit les pays émergents à créer des fonds souverains : le premier choc pétrolier de 1973, en faisant apparaître des excédents importants de pétrodollars détenus par les pays exportateurs de pétrole. Le deuxième événement est la crise financière de 1997 des pays asiatiques, qui les a poussé à accumuler par la suite des réserves de change importantes pour éviter de se retrouver à nouveau dans la situation qu’ils ont connu en 1997, sous la coupe des plans d’ajustement structurels du Fonds monétaire international (FMI).

 
En 2007,

 

  1. Le premier fonds souverain au monde était le «Abu Dhabi  Investment Authority» (ADIA) des Émirats Arabes unis, créé en 1976, dont le montant des actifs détenus s‘élevait à 875 milliards de dollars.
  2. Le second fonds souverain était le «Gouvernment of Singapour Investment Corporation» (GIC) de Singapour créé en 1981 dont les actifs s’élevaient à 330 milliards de dollars.
  3. Le troisième fonds était norvégien, le «Gouvernment Pension Fund Global» (GPFG), créé en 1990 et dont les actifs s’élevaient à 322 milliards de dollars.
  4. Le quatrième fonds était d’Arabie Saoudite avec des actifs détenus à hauteur de 300 milliards de dollars.
  5. Le quatrième fonds était koweïtien (KIA-Kuwait Investment Authority), créé en 1953, avec des actifs de 250 milliards de dollars.
  6. Enfin, à la sixième place, on trouvait la Chine, avec un fonds souverain créé en 2007 avec 200 milliards de dollars.

 

Aujourd’hui, dix-sept ou dix-huit ans plus tard, pourquoi ce sujet ne paraît-il plus représenter un sujet d’importance ? N’est-ce qu’en période de crise financière majeure que les médias s’intéressent à ces questions financières ? Le reste du temps, évitent-ils de s’y intéresser ou d’y intéresser leurs lecteurs parce qu’il serait problématique d’inquiéter leur lectorat, leur public ou la population ? Les premiers à se plaindre de la pauvreté des débats entre les hommes ou femmes politiques sont-ils les premiers à enfouir les sujets problématiques sous les tapis ?

 

«On estime au début des années 2020 qu’il existe désormais une centaine de fonds souverains dans le monde. Le Sovereign Wealth Fund Institute estime le montant global des actifs gérés par les fonds souverains à plus de 8.200 milliards de dollars. Les cinq plus gros pèsent plus de 4.000 milliards. À titre de comparaison, cela représente un encours global plus important que celui des hedge funds (autour de 3.000 milliards aujourd’hui). Cependant, c’est bien plus faible que les investissements des fonds de pension (32.000 milliards de dollars à fin 2019, source OCDE).»

 

https://www.epargnant30.fr/fonds-souverains/

 

Le fonds souverain le plus puissant au monde serait désormais le fonds souverain norvégien qui pèserait 1.200 à 1.300 milliards de dollars d’actifs. On trouverait à la deuxième place le fonds souverain chinois (le VIC) avec 1.000 milliards de dollars d’actifs.

 

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À la troisième place, on trouve le fonds souverain de Hong Kong, qui gère 586 milliards de dollars alors que celui-ci pointait à la septième place fin 2007 avec des actifs détenus de 140 milliards de dollars. À la quatrième place, on retrouve ADIA, le fonds souverain d’Abu Dhabi, qui pèserait 580 milliards de dollars. Pour rappel, fin 2007, il trustait la première place avec des actifs de 875 milliards de dollars. Mais selon le Sovereign Wealth Fund Institute, le fonds gérerait en 2024 un montant de 998 milliards de dollars d'actifs.

 

Il en va de même pour le fonds souverain de Singapour, le GIC, à la sixième place en 2020 avec 453 milliards de dollars d’actifs, classé fin 2007 à la seconde place du classement avec des actifs de 330 milliards de dollars.

 
3 - La pauvreté des débats actuels autour des fonds souverains en France implique-t-il que ceux-ci ne font désormais plus peur ? Ou que leur capacité d’influence s’est affaiblie depuis 2007 ?

 

Quand je parle de pauvreté des débats, je ne pense pas qu’aux analyses du Monde mais aussi aux magazines financiers comme Les Échos que ne s’en émeuvent plus guère non plus. Nous sommes apparemment rentrés dans une époque où l’enjeu est de rechercher les investissements des fonds souverains étrangers comme les sommets «Choose France» de Macron où celui-ci les courtise et cherche à attirer les investisseurs étrangers.
 
Jusqu’à la prochaine crise financière de grande ampleur ou bien jusqu’au prochain danger touchant un de nos derniers grands fleurons industriels ? Mais en reste-t-il encore à défendre ? N’est-il pas surprenant d’observer l’alignement des médias sur la position gouvernementale ? Que Macron défende ses sommets «Choose France» c’est probablement normal pour un ancien banquier de chez Rothschild. Que Le Monde et les autres médias ne se posent plus de questions, c’est peut-être par contre plus inquiétant. 

 

Si les fonds souverains ne font plus peur, c’est peut-être d’ailleurs que leur influence a diminué. Il y a peut-être une acceptation du monde de la finance par une partie du champ politique libéral français et par les journalistes composant la sphère médiatique. C’est dans l’ordre de la finance qu’il y existe des fonds activistes, des hedge funds et des fonds souverains. Il est peut-être désormais accepté que les entreprises mal gérées ou défaillantes même françaises soient attaquées par ces fonds et que ceux-ci forcent leurs dirigeants à se réformer ou à partir. C’est probablement vrai pour des libéraux au gouvernement ou dans les médias. C’est aussi vrai tant que la France y trouve à y gagner. Le jour où les usines Peugeot ou Citroën de Stellantis basculeront sous actionnariat étranger et que des licenciements massifs seront décidés en France, on en reparlera. Et lorsqu‘un Donald Trump français se saisira de ce sujet, cela donnera des velléités protectionnistes comme on l’observe outre-Atlantique. 
 
La puissance relative des fonds souverains a probablement également diminué par rapport à 2007. Lorsque Nvidia, la première capitalisation boursière au monde atteint 4.000 milliards, elle demeure largement plus puissante que les plus puissants fonds souverains. Même si, pendant le même temps, la richesse de certains des plus gros fonds souverains a également quadruplé ou quintuplé. En 2007, on estimait que le fonds souverain d’Abu Dhabi aurait pu s’acheter Total, Axa, Bnp Paribas, Crédit Agricole, Bouygues, L’Oréal, Michelin, Danone et LVMH réunis. C’est peut-être encore plus ou moins le cas, chacune de ces entreprises françaises pesant environ une centaine de milliards d’euros de capitalisation boursière, à l’exception de L’Oréal et de LVMH dépassant désormais chacune 200 milliards d’euros. Mais les plus puissantes entreprises mondiales leur échappent comme Apple, FaceBook, Amazone et autres. 

 
4 - L’émergence d’un nouvel ennemi ?

 
Au fond, les fonds souverains et les fonds de pension ou autres hedge funds ne nous paraissent peut-être plus être les principales menaces pesant sur la finance mondiale et sur les bourses mondiales parce que le nouvel ennemi n’est plus ces fonds très puissants, dont la France est toujours dépourvu, mais les majors de la Technologie, à savoir Nvidia, FaceBook, Amazone, X et Tesla, et demain BYD. La finance mondiale a changé d’ennemis et de geants à combattre. Mais ce n’est pourtant pour cette raison que le comportement des fonds souverains ne demeure pas un danger en permettant à des états étrangers d’accaparer des ressources et de racheter des actifs et des entreprises pour asseoir leur puissance.

 

Ce sujet des fonds souverains ne devraient pas être oublié par nos politiques et par les médias. Les GAFAM ou les 7 merveillous ne sont pas les seuls risques risquant d’affecter la finance mondiale.

 
 
Saucratès



17/08/2025
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