Critiques de notre temps

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Sur l’octroi de mer

> Une taxe d’ancien régime


Le débat réunionnais sur l’octroi de mer est intéressant pour de multiples raisons. Cette taxe est l’une des dernières survivances de ces anciennes taxes d’ancien régime que l’on appelait octrois. Sous l’ancien régime (terme générique qui n’est plus très usité qui parle du régime monarchique existant avant la République et avant la Révolution française … l’arrivée de Macron au pouvoir l’a incité à considérer le monde d’avant 2017 comme l’ancien monde ou l’ancien régime), il existait une multitude d’octrois pour faire rentrer des marchandises dans des villes, pour passer des rivières, des fleuves ou des ponts. 

L’octroi de mer est ainsi une survivance de ces taxes. Et son objet semble être resté le même que les anciens octrois aux portes des villes. Permettre d’enrichir le seigneur de la ville avec le produit de cet octroi sur les marchandises y entrant, et avantager les corporations d’artisans installés dans cette ville en faisant en sorte que les produits de ces artisans soient protégés et qu’ils puissent les vendre plus chers en renchérissant la concurrence.

 

Dit de cette manière, l’octroi de mer pourrait sembler être une survivance dépassée. Les artisans des villes françaises ne sont plus protégés par des octrois et ils ont appris à faire face à la concurrence intérieure. Dans les faits ces multitudes de corporations d’artisans ont disparu avec le développement du capitalisme et de l’industrie. Et la protection se trouve désormais instaurée aux frontières avec l’instauration de droits de douane sur les produits étrangers. Mais cela ne vaut que pour un État comme la France. Pas pour une simple région française.

> Mais qui garde tout son sens outre-mer

 

L’existence de l’octroi de mer conserve ainsi tout son sens pour un département d’outre-mer comme la Réunion. Impossible de considérer que des industries nationales seraient absolument légitimes à écouler sans contraintes ni taxes leur production à la Réunion, puisque cela voudrait dire que la Réunion ne serait plus qu’une vaste zone de consommation dépendant de la solidarité nationale. Parce qu’il y a peu de chance qu’une entreprise installée sur notre caillou puisse être concurrentielle au plan national ou mondial, ou bien, dit autrement, il y a peu de chances qu’une industrie nationale décide de s’installer à la Reunion pour produire, avec un marché intérieur aussi petit, des coûts de main d’oeuvre aussi faible dans les îles environnantes, et des coûts d’approche aussi important pour envoyer sa production ou grevant ces intrants.

 

La production et la fabrication à la Réunion présentant des surcoûts manifestes, il est légitime qu’il existe une taxe différentielle, comme un droit de douane, portant sur les produits provenant de l’extérieur et concurrençant ou non la production locale. L’existence d’accords régissant les relations entre les pays ACP ou en développement qui nous entourent et l’Union européenne est un deuxième argument validant l’existence de cet octroi de mer. Ces accords permettant aux produits des pays ACP de rentrer sans aucune taxe sur notre géographie concurrencent frontalement et de manière inéquitable nos propres productions et nos propres industries. Il est ainsi normal que l’octroi de mer existe !

 
> Un impact sur les prix comme observé avec la TVA

 

L’octroi de mer renchérit forcément les prix à la Réunion. Bien évidemment. Tout comme la TVA, même avec des taux minorés comme elle existe à la Reunion. Et comme en France, si on supprimait la TVA, les prix des produits baisseraient, mais l’Etat disparaitrait par la même occasion.

 
La suppression de l’octroi de mer et son remplacement par la TVA aux taux métropolitains renchérirait également les prix à la Réunion. Pas forcément tous les prix évidemment. Les prix des voitures diminueraient probablement, ainsi que celui des alcools de luxe. Mais tous les produits consommés par les ménages les plus fragiles seraient fortement renchéris. Notamment les produits de première nécessité comme par exemple le riz. Et tous les services verraient également leur taux de TVA faire plus que doubler de 9,6% à 20%. 
 
Ceux qui militent pour la suppression de l’octroi de mer et son remplacement par la TVA n’ont pas de bonnes intentions ! Ne vous y trompez pas ! Au mieux ce sont des imbéciles qui veulent avoir tout comme la France, quelqu’en soit le coût humain et social. Au pire ce sont des incendiaires qui se réjouiraient de voir la misère frapper les réunionnais. 

 
> Deux hypothèses opposées sur les conséquences d’une disparition potentielle de l’octroi de mer, correspondant à deux visions opposées  
 
Ceci étant démontré (CQFD), il existe plusieurs interprétations d’une situation où l’octroi de mer viendrait à disparaître. Une première interprétation, ou une première hypothèse, voudrait que la disparition de cet octroi de mer, et son remplacement ou non par la TVA aux taux métropolitains, entrainerait la disparition de toute l’industrie d’import-export dans notre département.
 
La disparition de ce tissu industriel entraînerait aussi selon cette interprétation la disparition d’une grande partie des agriculteurs et des éleveurs dont cette industrie constitue l’un des principal débouché. Il devrait demeurer les agriculteurs fournissant les ménages (enfin ceux qui garderont leur travail après les faillites des entreprises du secteur d’import-substitution et toutes les entreprises qui en dépendaient - commissaires aux comptes, experts-comptables, fournisseurs …) et ceux travaillant pour l’exportation. Au final, après de nombreuses années et de nombreuses faillites, on en reviendrait à un nouvel équilibre où la masse des emplois disponibles et donc des revenus distribués aurait très fortement diminué par rapport à aujourd’hui, avec des prix qui se seraient soit renchéris soit auraient baissé en fonction du nouveau niveau de taxation retenu.

 
Il existe une autre interprétation de cette potentielle disparition de l’octroi de mer. La transformation de la Réunion en une sorte de Suisse de l’Océan indien ou de Japon indien-océanien est pronostiqué ou espéré par d’autres. La suppression de l’octroi de mer selon certains pourraient non pas faire disparaître toutes les industries et les emplois, mais permettre une hausse des salaires et des prix et le maintien de toutes ces industries. 
 
D’une certaine manière, il existe donc deux visions opposées possibles chez les décideurs et les acteurs économiques et politiques sur les conséquences de la disparition de l’octroi de mer et son possible remplacement par la TVA aux taux métropolitains. Une vision pessimiste et une vision optimiste. La réalité n’est probablement pas au milieu de ces deux hypothèses. 

Je ne pense pas que cette vision optimiste ait la moindre possibilité de réalisation dans notre cas. Ce serait possible si tous les prix étaient affectés de la même manière et si, comme en Suisse ou au Japon, les produits étrangers pouvaient être frappés de droits de douane élevés, et si nous disposions aussi d’une industrie puissante (horlogère ou financière comme en Suisse et industrielle et robotique comme au Japon). Ce qui n’est pas le cas de la Réunion où nous ne disposons d’aucun avantage concurrentiel industriel. 
 
> Conséquence probable : une crise économique et sociale durable et un nouvel équilibre sous-optimal
 
Dans le cas de la Réunion, la suppression de l’octroi de mer, son remplacement par la TVA ou la suppression du différentiel de taxation entre les produits fabriqués localement et les produits importés, n’affectera pratiquement pas les produits importés mais uniquement les produits fabriqués localement. On ne se trouvera pas ainsi face à une évolution affectant tous les prix uniformément. Les entreprises réunionnaises produisant localement seront forcément confrontées à une baisse de leur marge potentielle en comparaison du prix des produits importés concurrents. La suppression du différentiel de taxation impliquera probablement une baisse de la demande de produits fabriqués localement. Les produits équivalents importés   devraient devenir plus concurrentiels au détriment de la population locale. Une partie de la population réunionnaise continuera probablement à privilégier des produits locaux de telle sorte que la théorie pessimiste extrémiste de l’effondrement total du secteur de l’import-substitution ne se produira pas. La demande et les marges des producteurs locaux baisseront tandis que les marges des importateurs auront probablement aussi tendance à s’accroître. Une baisse de l’emploi local s’observera vraisemblablement, pas très différemment de ce qui avait pu être observé par le passé lors des précédentes crises.

 
La suppression éventuelle de l’octroi de mer que certains appellent de leurs vœux, qu’ils soient à Paris, dans la bureaucratie parisienne, dans les ministères, ou bien localement, parce qu’ils pourraient avoir à y gagner en tant qu’importateurs, ou en tant qu’adorateurs du «tout comme en France», ou en tant que contempteurs de la misère humaine, ou bien simplement par souci court-termiste de gains de pouvoir d’achat, se traduirait probablement par une nouvelle crise économique durable et par une nouvelle montée du chômage, jusqu'à ce qu’un nouveau processus de croissance endogène ou exogène ne vienne se substituer à lui. Nouveau processus de croissance qui peut tout autant se produire sans remise en cause de l’octroi de mer, avec un potentiel de croissance plus important puisqu’on partira d’une situation économique plus haute.

 

> Crise économique et sociale amplifiée par la perte des ressources fiscales de l’octroi de mer et la baisse des dépenses publiques des collectivités locales, Région et communes.

 

Dans toute cette analyse, je n’ai parlé que de l’économie. J’ai totalement évité de penser emplois et dépenses publiques des collectivités locales sur la base des recettes fiscales de l’octroi de mer, et de leurs effets d’entraînement sur l’activité économique. Ce que l’on appelle le multiplicateur keynésien ! Il est peu probable que les recettes de la nouvelle TVA en remplacement de l’octroi de mer    soient exactement affectées à nos collectivités territoriales doriennes dans les mêmes montants, et avec les mêmes potentiels d’évolution. Je doute même que dans la situation budgétaire actuelle, les moyens affectés aux Régions et communes domiennes puissent progresser, et notre nouvelle TVA servira juste à éponger le déficit fiscal de la France, se traduisant par des pertes de 400 millions d’euros pour notre département (proche d’un milliard pour l’ensemble des DOM).
 
Les impacts économiques de l’affaiblissement du secteur d’activité de l’import-substitution se verront ainsi amplifier par la baisse des dépenses publiques territoriales de plusieurs centaines de millions d’euros, en terme de salaires et de dépenses publiques en moins. Loin d’une évolution optimiste à la Suisse ou à la japonaise, avec des prix et des revenus en hausse, c’est un cercle vicieux de baisses des dépenses publiques, des emplois industriels et des marges auquel  nous serons très probablement confrontés. Un nouvel équilibre économique très inférieur à l’équilibre actuel, beaucoup moins satisfaisant, même si nombre de personnes trouvent déjà l’équilibre atteint actuellement comme très insatisfaisant, avec des prix trop chers et des revenus trop faibles.
 
Ce sera juste bien pire dans ce futur hypothétique si l’alliance des bureaucrates parisiens, de l’Europe, des insatisfaits et des court-termistes réussissaient à faire disparaître l’octroi de mer. Ai-je réussi à le démontrer ? N’hésitez pas en tout cas à lire les publications du CESER de la Réunion sur le sujet de l’octroi de mer.
 
 
Saucratès



20/08/2025
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