Critiques de notre temps

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Livres & Lectures


Dune - Débat

Je ne peux pas ne pas vous parler du film Dune, de Denis Villeneuve, dont la deuxième partie sort dans les salles obscures ces jours-ci. 

https://podcasts.lemonde.fr/lheure-du-monde/202109150000-dune-le-classique-maudit-de-la-science-fiction

 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/02/27/dune-deuxieme-partie-la-fabrique-d-un-messie_6218783_3246.html

 

Il me semble ici important de relever un certain nombre d’approximations, de contre-vérités ânonnées  par les deux journalistes du Monde dans ce podcast de ‘l’heure du monde’.


Premièrement, qu’est-ce donc que ‘Dune’, cet objet littéraire non identifié (OLNI). À la différence de la Guerre des Étoiles, de Starwars, auquel les journalistes du Monde tentent de le rapprocher, ce n’est ni une trilogie, ni une double ou triple trilogie, mais un univers entier qui comportent des dizaines de tomes et d’histoires emboîtées, s’étendant sur des dizaines de millénaires. C’est un univers désormais bien plus étendu que l’univers ‘Fondation’ d’Isaac Asimov. L’auteur de Dune est Frank Herbert, un des auteurs majeurs de la science-fiction mondiale, dont l’univers a été repris par son fils Brian Herbert, et par Kevin J. Anderson, un conteur de science-fiction également d’exception.


Deuxièmement, le podcast du Monde s'étend longuement sur la tentative avortée d’adaptation cinématographique de Alejandro Jodorowsky dans les années 1970, sans s’intéresser véritablement aux deux chefs d’œuvre réalisés par la suite.

 

  • Il y a d’abord le film Dune de David Lynch de 1984 qui est loin d’être un ratage, avec le chanteur Sting dans le rôle du neveu Feyd-Rautha du baron Vladimir Harkonnen (neveu et non pas fils comme l’indique le journaliste du Monde). Film merveilleux, présenté comme «le plus grand film de science-fiction depuis La guerre des étoiles» dans la pochette de présentation, et musique introductive extraordinaire, tout particulièrement dans sa version anglaise que je préfère à la version française.

 

 

  • Il y a ensuite l’adaptation en mini-séries réalisée et diffusée à partir de décembre 2000, par John Harrison, plus récente, et visuellement très léchée. Cette version, en trois parties de près de 5 heures chacune, est ainsi composée de trois des premiers tomes de Dune, à savoir Dune, le messie de Dune, et enfin les enfants de Dune, jusqu’à la naissance, l’apparition de Leto II, le futur empereur-dieu de Dune.

 

https://www.ecranlarge.com/series/dossier/1396948-dune-la-serie-et-si-la-meilleure-adaptation-etait-aussi-la-plus-cheap

 

Deux chefs d’œuvre cinématographiques que l’on peut encore prendre un plaisir invraisemblable à regarder, comme beaucoup de très grands films. 

 

Et puis désormais, il y a donc les deux nouvelles premières parties du film Dune réalisé par Denis Villeneuve, la première sortie en septembre 2021, et la seconde qui sort donc en cette fin du mois de février 2024.

 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/09/15/denis-villeneuve-releve-brillamment-le-defi-de-dune_6094692_3246.html

 

En écoutant le podcast du Monde, quelques affirmations gratuites me semblent particulièrement péremptoires et stupides.

 

1. Féminisme - Le fait que Dune n’est pas féministe parce que le Bene Gesserit prépare l’avènement d’un sur-homme, et donc que des féministes ne pourraient pas avoir un tel projet. En quoi une telle affirmation est-elle stupide ? Parce qu’elle poserait donc par principe que le féminisme doit être en soi une guerre contre les hommes. Que si l’objectif ultime d’un projet mené par des féministe devrait avantager un homme, ce projet devrait forcément être abandonné par de vraies féministes. Même si cela doit sauver l’espèce humaine ... En somme, cela renseigne bien plus sur la fermeture d’esprit de la journaliste ayant fait le podcast que sur le féminisme lui-même. 

 

Dans les faits, la situation est plus compliquée. Les révérendes mères Bene Gesserit n’accèdent qu’à leurs ancêtres féminines, et aucun homme n’a réussi à survivre à l’initiation de l’eau-de-vie pour accéder à ses ancêtres masculins. Seul, leur Kwisatz Haderach, ce sur-homme, en sera capable et devrait également normalement être capable de voir l’avenir du genre humain et doté de prescience. Mais le projet feministe en cela des révérendes-mères est de contrôler ce Kwistaz Haderach, ce en quoi elles échoueront dans l’univers de Dune, puisqu’à la fois Paul Atréides et son fils Leto II, l’empereur Dieu de Dune, échapperont à leur emprise et règneront sur l’empire galactique. Et Leto II fera en sorte, en mourant après un règne de plus de 3.000 ans, qu’une perle de sa conscience survive dans chaque ver des sables d’Arakis, bloquant à jamais le destin de l’univers. 

Dire ainsi que l’ordre des Bene Gesserit ne serait pas féministe parce qu’il prépare l’avènement d’un sur-homme est ainsi très stupide, puisque le projet du Bene Gesserit est de contrôler ses pouvoirs et de l’utiliser. Ce qui au fond est bien ultra-féministe. 

 

2. Il y a bien sûr le fait de considérer que Feyd-Rautha est le fils du baron Vladimir Harkonnen dont j’ai déjà parlé, ou de noter avec délectation que l’horrible baron Harkonnen se prénomme Vladimir ! Comme si chacun d’entre nous est tenu à chaque instant de prouver, de démontrer sa bonne manière de penser en critiquant la Russie de Poutine (et également l’école privée). L’absence de toute forme de tolérance intellectuelle dans le paysage médiatique français ou plutôt parisien est un véritable et gravissime problème.

 

3. Le djihâd et la référence à l’islam - Selon les deux journalistes, il n’y a pas de lien avec l’islam ; le djihâd dans Dune étant selon eux simplement une révolte contre les machines. Mais il y a deux djihâd dans Dune : le djihâd butlérien dont l’objet est la destruction des machines, à l’initiative de Serena Butler. Et le djihâd lui-même des combattants fremens de Paul Muad’Dib, qui ressemble par contre au Djihâd musulman, comme toute l’idéologie entourant son Adoration par les ferments, comme par exemple le nom de ‘Mahdi’ qui lui est donné par les fremens (Mahdi signifiant en arabe le bien guidé, dont la venue est attendue par l’ensemble des musulmans). Sa garde d’élite, les Feydakins, se répandront à travers l’ensemble de l’empire galactique. Mais ce terme signifie en arabe ‘ceux qui sont prêts à se sacrifier’. Et il existe de nombreux termes arabes ou musulmans dans Dune (le nom de Naib donné aux chefs des villages des Sietch, qui signifie ‘deputé’ ou ‘vice-roi’ en arabe).

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Termes_arabes_dans_Dune

 

Après tout cela, vous ai-je donné l’envie de regarder l’une des trois versions cinématographiques de Dune qui existe ? Je l’espère. 
 
 
Saucratès


29/02/2024
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Lecture de François Ruffin : Sur le sens du travail

Je voudrais vous parler ici d’un tout petit bouquin, de François Ruffin, «Je vous écris du front de la Somme», et plus largement, de la politique et de ce qui ne va plus dans les politiques de la Gauche. Il est facile de mettre en cause un vote potentiel pour l’extrême-droite, mais que nous propose-t-on en face ? Que propose-t-on face à Macron et à l’extrême-droite ? Face «à une sociale-démocratie à l’âme morte, qui n’était plus sociale ni démocrate». Je rajouterai à cette phrase de Francois Ruffin que les députés de la Macronie dans leur ensemble est constituée à plus de 50% de ces anciens socialistes sociologues-démocrates, et que ceux qui sont restés chez les socialistes sont souvent simplement ceux qui ont été battus aux législatives en 2017. 

Il est important de rappeler l’importance du travail, de sa qualité et de sa rémunération et de pointer le double discours du gouvernement et de Macron. Il est important de chercher comment combattre la dégradation du travail tout comme de chercher commentaire  on pourrait construire un programme social-démocrate sur ce sujet du travail. 

Tout est dit dans cette introduction de François Ruffin à l’édition de poche. Je vous le livre comme il l’a écrit.

 

« J’ai entendu dans les manifestations une volonté de retrouver du sens dans son travail, d’en améliorer les conditions, d’avoir des carrières qui permettent de progresser dans la vie. » C’était du Emmanuel Macron, en plein conflit sur les retraites. Et son porte-voix, Gabriel Attal, se disait soudain fort préoccupé par « le bien-être au travail ». Même Bruno Le Maire donnait dans le trémolo : il comprenait « la colère des Français qui se questionnent sur la finalité de leur travail ».

 

Du coup, tout le gouvernement s’activerait, c’était promis juré, à un « pacte de la vie au travail ». Pour « améliorer les revenus », « faire progresser les carrières », « mieux partager les richesses », « aider à la reconversion », « améliorer les conditions de travail », « trouver des solutions à l’usure professionnelle » … Rien que ça.

 
Bien sûr, c’était pour eux un subterfuge : déplacer du combat, ici et maintenant, sur le passage à 64 ans, vers un débat, plus tard, sur la qualité de vie au travail.


Il n’empêche. Le travail, ce mal-être au travail, ce mal-faire son travail, ce mal-vivre de son travail, l’an dernier déjà, nous le placions au cœur de notre petit essai, et au cœur d’un malaise des classes populaires. Le travail écrasé, humilié, depuis quarante ans. Le travail, aux statuts minés, aux revenus élimés. Le travail qui, malgré les légendes de la start-up nation, s’est durci, intensifié. Et le travail pourtant central, toujours, pour les Français, capital par le salaire, bien sûr, mais par la fierté qu’on en tire, aussi, par l’utilité qu’on éprouve. Ce malaise dans le travail, le conflit sur les retraites l’a fait éclater au grand jour, comme une fracture aux plaies ouvertes.

 

« C’est la première fois que je sors, en 33 ans d’hôpital. » Ce jeudi 19 janvier, premier jour de grève, 5h30 du matin, on est sur le rond-point à l’entrée de l’autoroute A16. De sa lampe de poche, un monsieur à chasuble FO de chez Valéo balaie la voie, pour inviter les voitures, les camions à ralentir, à prendre le tract pour la manif. Et sa lueur éclaire mon cahier, pour que je gribouille des notes dans mon cahier. C’est sa femme, elle, « aide-soignante au service traumatologie ». Pas en pleine forme, déjà : « Je souffre de poly-arthrologie. Je travaille sous morphine.

– A cause de votre métier ?

– Bah oui, à force de porter. Deux ans de plus, c’est pas possible… Ils se rendent compte ? » 

 

Mais aujourd’hui, elle vient pour autre chose, au-delà d’elle, au-delà de la retraite : « C’est le ras-le-bol : ils nous poussent à bout, ils détruisent l’hôpital. On ne parle plus de soin, mais d’« acte« . A la limite, ma cadre, que le patient soit lavé ou pas lavé, elle s’en fiche… »

 

Et son mari ? « Chez Valéo, j’ai commencé par cinq ans d’intérim, mais haché, avec du chômage entre les missions. Je suis sur les embrayages de camion, mais le pire, c’est que Macron, il a éliminé de la pénibilité le port des charges lourdes. Qu’il vienne se trimbaler les embrayages de camion ! Du coup, entre ces deux réformes, je prends trois années de plus. Jusque 65 ans. »

 
Le rond-point de l’Oncle Sam est bien bloqué, avec des barricades de pneus sur la chaussée, des barnums sur la pelouse pour le café.  « La médecine du travail, nous-mêmes, on conseille aux gars de rien dire, me raconte un syndicaliste Force Ouvrière chez Goodyear-Dunlop.

– Pourquoi ?

– Eh bien, s’il leur dit qu’il souffre du dos, comme moi, ou des épaules, ou des genoux, ou de n’importe, le médecin il fait quoi ?

 

Il recommande un poste adapté. C’est son boulot. Le gars revient avec son papier, sauf que la direction répond : « Des postes adaptés, il n’y en a plus… » Et du coup, ils le licencient pour inaptitude. On en a au moins un ou deux par mois, des comme ça, de tous les âges. C’est la double peine : le boulot les fait souffrir, et on les vire à cause de ça. Faut souffrir en silence. Moi, je me suis fait opérer quatre fois du dos, mais je ne le dis pas dedans. 

– Moi, j’attends la retraite pour passer sur le billard. »

 

« Avant, compare un délégué Airbus, les maladies, ça venait vers 50-55 ans. Désormais, c’est descendu à 40-45. Et on a Dédé, 31 ans, il a les épaules flinguées, sept ans au rivetage, avec son pistolet multi-frappe, il est foutu. Parce qu’avec la « moving line », comme ils appellent ça, ils ont accéléré les cadences. Auparavant, le gars avait sa perceuse à quatre mètres, ça lui faisait une respiration. Aujourd’hui, avec le « lean manufacturing », elle lui pend devant lui, tout est optimisé, il ne perd plus une seconde. Mais résultat, il n’y a plus aucun temps de relâchement.

 

C’est pareil pour nous, enchaîne un délégué d’Auchan : il n’y a plus de temps mort. Ils appellent ça le « modèle organisationnel ». Avant, tu gérais un rayon, tu faisais du remplissage, tu gérais les stocks, tu changeais les prix. C’était varié, et tu avais ton territoire : le gars de la crémerie était fier de bien tenir sa partie. Maintenant, tu ne fais plus que du remplissage, dans tous les rayons, de tout le magasin. Tu bourres tu bourres tu bourres. Et un autre passe le soir qui met des étiquettes partout. Ils nous ont dit, à la présentation, « c’est la fin des temps morts ». C’est ça qui m’a le plus marqué. »

 
Je cite souvent une note de la Dares, du ministère du Travail. En 1984, 12% des salariés subissaient une triple contrainte physique : se baisser, porter des charges, répéter le même geste, etc. On pourrait croire que, avec quarante années de numérique, d’informatique, de mécanique, tout cela s’est allégé ? C’est la start-up nation, non ? Eh bien, au contraire : de 12%, ce taux est passé à 34%. Il a presque triplé. Et il s’élève à 60% chez les ouvriers (contre 23% auparavant). Quant aux « contraintes psychiques », elles ont bondi, multiplié par six : de 6% à 34%. C’est contre-intuitif, ça ne colle pas au « progrès ». Même moi, j’étais surpris. Mais pas Christine Erhel, économiste : « Tous les chercheurs, tous les sociologues du travail le savent, le disent : le travail s’est intensifié, des centres d’appels aux ateliers de logistique, on ne laisse plus les salariés respirer. »

 
Je participais à un colloque, organisé par mon collègue député Benjamin Lucas, « travailler moins, travailler mieux, travailler tous. » Très clairement, pour ma part, l’accent doit être mis sur le « travailler mieux. »

 

Voilà le socle de ma gauche : les Français, tous les habitants de ce pays, doivent vivre de leur travail. Bien en vivre, et pas en survivre. Et bien le vivre.

 

Un « pacte de la vie au travail » : telle était donc la promesse. Mais bon, finalement, en ce mois de juin, les macronistes n’ont pas lancé les « Etats Généraux du travail ». Non, à la place, ils ont préféré les « Assises de la dépense publique ». Avec cette bonne nouvelle à la clé : « Ouvrir un chantier pour limiter les arrêts maladie. » Qui ont grimpé, en effet, en dix ans, de six à huit millions. Elisabeth Borne et Bruno Le Maire prenaient des airs sévères : les travailleurs tire-au-flanc étaient dans leur viseur, ils allaient mater tout ça. Le patron du Medef applaudissait : « Il y a trop d’arrêts de travail de complaisance en France. Surtout chez les jeunes. »

 

De la faute des malades, bien sûr. Des travailleurs. Et des jeunes. Des petites natures, tous ces feignants. Les causes, elles, ne seraient pas traitées.

 

Que cherchent-ils ? Des petites économies, certes, sans doute. Mais surtout, des gains politiques, cyniques. Durant les retraites, nous avons retrouvé une « bipartition de l’espace social » : nous, contre eux. Nous, les travailleurs, nous, le bas, nous rassemblés, deux tiers des Français, quatre cinquième des salariés, tous les syndicats unis, des millions dans la rue, contre eux, eux en haut, eux à Paris, et en vérité : nous tous contre Macron, presque seul.

 
Il leur fallait, à la macronie, à la droite, le plus vite possible, casser cette unité. Retrouver 
« la tripartition de l’espace social » : nous, eux, ils. Retrouvez le « ils » en bas. Les cas sociaux. Les immigrés. Les fraudeurs. D’où, très vite, Le Maire qui s’en prend aux mandats envoyés à l’étranger. D’où Ciotti-Retailleau-Marleix et leur une-tribune sur l’immigration. D’où Attal sur la fraude sociale. D’où le RSA dans le collimateur de France Travail. D’où, enfin, les arrêts maladie. 
 
Que les regards de la France du milieu se tournent vers le bas. Qu’on stimule la petite jalousie. Et qu’on oublie à nouveau le haut.

 
Je voudrais citer ici un article qu’on m’a remis, juste avant la sortie de ce livre, qui illustrait à merveille mon propos, mais que j’ai découvert trop tard pour l’ajouter à mon manuscrit : « La conscience sociale des Gilets jaunes : étude sociologique de représentations en lutte », paru dans la revue Mots en 2022. C’est un jeune docteur en sociologie, Samuel Legris, qui a mené une étude sur les ronds-points dans son coin, le Berry. Y domine une « vision tripartite du monde social » : « ceux d’en bas/nous/ceux d’en haut ». Comme il l’écrit, « la banalisation de la conscience sociale triangulaire dans les strates situées à la frontière des classes populaires et des classes moyennes, où se sont essentiellement recrutés les Gilets jaunes, est constatée depuis une quinzaine d’années par les chercheurs en sciences sociales. » Elle constitue, pour lui, « le principal obstacle à l’unification d’un bloc populaire. »

 
Comment cette « conscience sociale triangulaire » se traduit-elle dans les discours ? Il y a ce « nous » des Gilets jaunes, ce « nous » des travailleurs modestes. Qui s’opposent au « ils » d’en haut, au gouvernement, aux élites, qui les taxent, qui les étouffent. Mais qui s’en prennent, aussi, aux « assistés », aux « immigrés ». Et recréent une frontière sociale, morale même, entre ce « nous » qui « bosse », « paie », « se prive », « préserve », « respecte », « joue le jeu » et un « eux » qui « glande », « dépense », « profite », « détruit », « méprise », « triche ».

 
Sauf que, parfois, sur des ronds-points, des gens de gauche, ou des « assistés » se pointent, s’installent. Et refusent cette « vision tripartite de l’espace social ». Ainsi de Martine, secrétaire dans un garage agricole, qui lance à ses collègues : « Moi, je suis plus pour qu’on fasse descendre ceux d’en haut ! ». Et qui rappelle à l’ordre les camarades qui traitent « ceux d’en bas » de « cas soc’ » ou de « branleurs ». Alors, soit par censure, soit par humanisme, par compréhension, le « nous » se reforme, s’élargit, le milieu cesse de blâmer le bas. Et tous deux s’unissent, dans leurs critiques, contre le haut.

 
C’est ce rôle que nous devons jouer dans le pays tout entier. Unifier. Unifier le bloc populaire. Unifier le milieu et le bas, et même le haut, pour celles et ceux que la vie a servis et qui veulent servir en retour, servir un idéal de justice pour tous, nation sans exclusion. Unifier la France des bourgs et celle des tours. Unifier, contre toutes les forces centrifuges, de division, d’éclatement.

 
Unifier par les discours, il le faut, mais aussi par du commun, par le « faire-ensemble » : les Français, les habitants de ce pays, doivent vivre de leur travail. De leur travail selon leurs moyens, pas forcément à temps plein, pas seulement sur un « marché du travail » qui trie, qui éreinte, qui rejette, qui fragilise les fragiles, mais aussi par des emplois aidés, par des territoires zéro chômeurs, par un accompagnement qui, dans le grand changement qu’il nous faut, ne néglige aucun talent : bricoler, cuisiner, jardiner, creuser, s’occuper de nos enfants ou de nos aînés. Chaque geste, chaque plaisir, à chaque instant, repose sur le travail des autres, sur la masse colossale du travail des autres, et c’est ainsi que nous faisons société : un verre d’eau, rien qu’un verre d’eau que je bois, combien de travail pour extraire la matière, pour la fondre dans les fours, plus l’eau qu’il a fallu pomper, filtrer, dans des canalisations (qui fuient, à réparer) pour arriver jusqu’à nos robinets… Il se trouve que, par hasard, je suis en train de lire les Mémoires de Jean Monnet. Dans l’immédiate après-guerre, fin 1945, alors qu’il fonde le Plan, lui prévient le général de Gaulle : « Je ne sais pas encore exactement ce qu’il faut faire, mais je suis sûr d’une chose, c’est qu’on ne pourra pas transformer l’économie française sans que le peuple français participe à cette transformation. » Et plus loin : « Toute la nation doit être associée à cet effort. »

 
Ma conviction, c’est que la bataille écologique, la sauvegarde de notre planète, le défi du réchauffement, réclament le même effort. Cette transformation de notre agriculture, de notre industrie, de nos logements, de nos déplacements, réclame du travail, une masse de travail, haies à planter, passoires thermiques à isoler, et que chacun doit y prendre sa part : du haut avec ses capitaux au bas avec sa main d’œuvre, le peuple français tout entier doit y participer. De quoi chasser le sentiment d’injustice qui, aujourd’hui, sinon pourrit, du moins assombrit le cœur des travailleurs.

 

L’étau se resserre, enfin. 24 mai 2023. Avec pas mal d’élus de gauche, une panoplie d’insoumis, je suis monté dans le train pour Saint-Brévin. On y allait pour soutenir le maire, certes, Yannick Morez, démissionnaire, harcelé par les zemmouriens ou assimilés, sa voiture et sa maison brûlées. Son tort ? Avoir accueilli sur sa commune un centre de réfugiés. On y allait pour la République en danger, c’est vrai, qui file un mauvais coton. Mais on y allait aussi pour nous, pour – je dirais – nous désenclaver.

 
C’est que, au fil de l’année parlementaire, le rejet en germe décrit dans le bouquin ne s’est pas arrangé. Au Rassemblement national, les macronistes ont accordé deux vice-présidences et des bons points :
« Sébastien Chenu (RN) n’est pas un bon mais un très bon vice-président de l’Assemblée », le félicitait sa présidente, Yaël Braun-Pivet. Tandis que de notre côté, on pue. On fait du bruit. On manque de respect. On a des mauvaises manières. Et s’installe plus qu’une petite musique, un véritable concert :  d’abord, que, « extrême droite et extrême gauche se valent ». Et puis, pire : que nous serions pires. Que nous n’appartiendrions plus à « l’arc républicain » … Nous qui l’avons fondée, la République, en 1792, nous qui l’avons défendue, toujours, nous qui sommes les fils de Danton et de Robespierre, de Gambetta et de Jaurès, de Clémenceau et de Blum ! Alors, Saint-Brévin, c’était pour réintégrer dans les images, dans les esprits, « l’arc républicain ». Pour refiler le stigmate à l’extrême droite.

 
Mais voilà que patatras. A la tribune, sur la place, c’est le président de l’Association des Maires de France du 44, de Loire-Atlantique, qui jette un froid. Au détour d’une phrase, je ne sais plus trop la formule, il sermonne « l’attitude indigne », ou le « comportement déplacé », des députés de la Nupes. Dans la foule, il est hué, pas tout le monde mais des sifflets. « Ça vous plait pas, mais je vous le dis, c’est comme ça. » Ouh ! On n’est pas venu pour se faire engueuler !

 

Le cortège fait un bout de défilé. Devant sa mairie, Yannick Morez prend la parole. A son tour, à demi-mots, il s’attaque à la gauche, aux insoumis et aux écolos, qui veulent le zéro artificialisation nette, ajoutant qu’on ne peut plus construire, que ça amène de la tension avec les administrés. Dans ce goût-là, en gros. Bref, on partait pour effacer la tache, la marque de honte, et on s’en revient de Saint-Brévin avec tout le contraire…

 

« Ce sont des cons. » Dans le TGV du retour, avec un peu d’amertume, la conclusion est vite tirée par les camarades : « Ce sont des cons. » Soit, peut-être. Mais la connerie est un fait politique majeur, éternel, parfois majoritaire, on doit bien faire avec ! « Le souci, confie un collègue, avec un peu de bouteille, c’est que si la diabolisation tombe sur nous, on en prend pour vingt ans. On doit tout faire pour se sortir du piège. »

 

Ce piège, être marginalisé, ostracisé, pas seulement à l’Assemblée et dans la bonne société, qu’importe, mais chez nos voisins, chez les électeurs moyens, ce risque, être perçu non pas comme une voie de décence et de bon sens, mais comme des excités, des azimutés, je l’avais senti très vite, dès ma campagne législative, et je l’avais posé dans cet essai. Depuis, avons-nous œuvré pour éviter ce risque ? Pour échapper à ce piège ? J’en doute. Avons-nous établi, pour la « dédiabolisation », une stratégie ? Ce n’est pas une question de fond, je pense, mais davantage d’expression, de style – qui fait l’homme et la femme politiques.

 

On sourira : « Quoi ? C’est le réalisateur de Merci patron !, c’est le député du maillot de foot à la tribune, c’est le brandisseur de carnet de chèque, c’est le multi-sanctionné qui vient donner des leçons ? Qui prône la sagesse et la raison ? » Oui, parce que la situation a changé. En face, au Rassemblement national, le groupe compte désormais 88 députés, et leur leader apparait, pour de bon, comme une option vers l’Elysée. Voilà qui peut susciter une certaine gravité. Et nous, nous ne sommes plus dix-sept, mais soixante-quinze, et nous devrions être la locomotive d’une gauche unie. Voilà qui, comme dirait Spiderman, impose une grande responsabilité. Alors, même si je dois œuvrer contre moi-même, contre mon tempérament et mes coups de sang, j’essaie.

 

J’essaie, parce que ce sondage vient de tomber. On fait quoi ? On hausse les épaules ? On affirme qu’« on ne croit pas aux sondages » ? On fait assaut de « radicalité », notre mot clé, comme s’il s’agissait d’endiabler des étudiants de socio en AG, et pas de convaincre un pays tout entier ? Ou ça nous fait un électro-choc et on s’interroge, vraiment, sur le pourquoi du comment ? Le Rassemblement national vote, avec les macronistes, contre l’augmentation du SMIC, contre l’indexation des salaires sur l’inflation, contre le gel des loyers, contre l’encadrement des écarts de revenus dans les entreprises, contre le rétablissement de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune, contre le conditionnement des aides publiques aux grandes entreprises, contre la taxation des yachts et des jets privés, ils protestent sans bruit contre la réforme des retraites, ne se mobilisent aucunement, et pourtant, pourtant, c’est Marine Le Pen qui marque des points, qui effraie moins, qui pourrait recueillir le torrent du ressentiment. Et jusqu’ici, pas nous…
 

Ces lignes, je les avais écrites avant le meurtre de Nahel à Nanterre, et les révoltes en banlieue. Qui n’ont rien arrangé : l’étau de l’« arc républicain » s’est encore resserré. La gauche est cornérisée, tandis que le Rassemblement national se place au centre du jeu. 
 
Nous devons affronter cet enjeu, droit dans les yeux. 
Je l’énonce, mais sans fatalité. La crise de 1929 a engendré le nazisme en Allemagne, mais le New Deal aux Etats-Unis, et le Front populaire en France. Il n’y a pas de fatalité. Jamais, dans notre pays, l’extrême droite n’est arrivée au pouvoir par les urnes, seulement par la défaite, en 1940, et pas pour écrire une page pleine de gloire. Il n’y a pas de fatalité.

 
L’histoire demeure ce que les hommes et les femmes en font. Elle sera ce que nous en ferons. Il n’y a pas de fatalité. Jamais.

 

https://francoisruffin.fr/je-vous-lavais-bien-ecrit/

 
Au fond, il y a une seule question primordiale. Comment en est-on arrivé là ? À cette dégradation du travail, à ce mal du travail ? Et comment se fait-il que la seule réponse que l’on trouve cohérente, ou qui soit possible à cette dégradation-là, à ce mal-vivre, passe désormais par un refuge dans un vote Rassemblement National ? 

Ce qui est évident dans ce texte, c’est bien la montée d’un mal de vivre au travail. Des salariés qui sortent de la médecine du travail avec des avis d’inaptitude totale ou partielle et que les employeurs licencient sans état d’âme, il y en a énormément. Partout, dans toutes les entreprises. Comme l’écrit Francois Ruffin, comme l’indiquent les syndicalistes qu’il cite. On en connaît tous beaucoup trop. Des proches. Des amis et des amies. Le travail abîme physiquement et psychologiquement. Comment peut-on être aussi mal dans le travail ? 

De la même manière, et là, je ne serais pas en accord avec François Ruffin, mais j’ai cette impression que le sujet de préoccupation première de LFI, c’est la défense de tous ces étrangers, des sans-papiers, des immigrés, des agresseurs et des délinquants, cette petite délinquance que l’on peut considérer naître de la misère et de l’abandon de frange de la population, mais ce n’est pas vrai. On ne peut pas défendre à la fois les travailleurs et les délinquants qui se nourrissent des petites gens.

 
LFI, c’est un rassemblement sans queue ni tête d’extrémistes et de féministes de toute sorte et tout crin. Ou se côtoient à la fois des connards qui préfèrent les droits des animaux aux droits des humains, des spécistes haineux et agressifs, et des ultraféministes qui vouent une haine féroce à tout ce qui porte pantalon et ceinture. 

C’est l’extrémisme de ces gens-là, étrangers, nés ailleurs, aigris contre la République, haineux, vindicatifs, âpres au gain, à tous les droits qu’ils estiment avoir, et qui ne se reconnaissent aucun devoir vis à vis de la République et de la France, qui nourrit cette tripartition que François Ruffin ne comprend pas. 

 
Parce que dans sa démonstration, il oublie une chose : l’amour de la République, l’amour de la France, que cette partie de la population, que tous ces gens-là, ne connaissent probablement pas. Leur France à eux leur doit de l’argent, leur doit une reconnaissance qu’elle ne leur donne pas, leur doit un boulot, leur doit des allocations, des aides, ne doit pas contrôler ou interroger leur identité … Or, s’il y a une chose que François Ruffin fait semblant d’ignorer, c’est que les travailleurs de la classe moyenne, trop riches pour avoir droit à des aides, pour être aidés, et trop pauvres pour pouvoir vivre décemment, pour pouvoir se payer des vacances, ont une fascination pour la République, même si elle ne leur donne rien, mais s’ils ne font que payer. Eux aiment la France.

 
Et c’est bien pour cela qu’ils voteront pour le Rassemblement national, même s’ils savent forcément qu’ils risquent d’être amèrement déçus. Que vaut-il mieux ? Voter pour des gens dont la moindre politique vous insupporte ? Soit parce que cette politique est trop libérale. Ou bien trop favorable à ceux que l’on suppose haïr la France et les français, qui estiment que ceux qui ont quelque chose doivent tout leur donner ?

 
Mais il y a effectivement un diagnostic à poser sur notre société, et sur le travail dans notre société, et sur les puissants dont François Ruffin et moi-même faisons aussi partie. Même si nous ne sommes pas de ces puissants qui écrasent les autres, qui pourrissent le travail des autres. Du moins faut-il l’espérer.

 

 

Saucratès

 


28/02/2024
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Nouvelle lecture d’Hannah Arendt

Les origines du totalitarisme - Eichmann à Jérusalem

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, mercredi 31 janvier 2024

 
Toujours plongé dans la lecture du pavé d’Hannah Arendt, ‘Les origines du totalitarisme - Eichmann à Jérusalem’, je trouve dans ce pavé littéraire une réflexion formidable sur tout ce que notre monde est devenu. Publié entre 1966 et 1971, il s’agit d’un regard sans compromission de la part d’une grande philosophe juive sur l’Europe tout au long des derniers siècles, qui trouva son épilogue dans la Solution finale nazie au cours de la seconde guerre mondiale. Elle y parle d’antisémitisme, de racisme et d’impérialisme, de nationalisme et du totalitarisme. 


La généralisation du racisme et de l’antisémitisme dans toute l’Europe : aucun peuple européen ne fut épargné par cette gangrène au dix-neuvième et au vingtième siècle.

À cette lecture des écrits de cette philosophe, je pense qu’il faut sortir de la vision simpliste actuelle qui veut nous faire croire que ces événements abominables furent uniquement causés par la montée de partis d’extrême-droite, de chemises brunes et d’idéologies de la haine et du rejet des autres véhiculées par ces partis extrémistes. À lire Hannah Arendt, bien au contraire, l’ensemble de l’Europe fut, tout du long du dix-neuvième et du vingtième siècle, foncièrement antisémite et raciste. De l’Allemagne à la France et jusqu’à l’Angleterre, sans oublier l’Afrique du Sud des Boers et des Afrikaners. Nul pays européen ne fut épargné par les mouvements antisémites et par le racisme. L’antisémitisme, le racisme et la bureaucratie furent inventés pour favoriser la naissance des empires coloniaux et des nations. Et ce n’est pas l’abolition de l’esclavage, au mitant du dix-neuvième siècle, qui fit disparaître le racisme envers les peuples indigènes. Le racisme a survécu jusqu’aux indépendances africaines voire jusqu’à nos jours. Mais il ne devint une institution politique que dans les pays disposant d’une forte population noire, comme les Etats-Unis et l’Afrique du Sud avec la ségrégation ou l’apartheid. 

 

«Là, à la barbe de tous, se trouvaient maints éléments qui, une fois réunis, seraient capables de créer un gouvernement totalitaire fondé sur le racisme. Des massacres administratifs étaient proposés par des bureaucrates aux Indes, tandis que les fonctionnaires en Afrique déclaraient qu’aucune considération éthique telle que les droits de l’homme ne sera autorisée à barrer la route à la domination blanche. 
 

Par bonheur, et bien que la domination britannique se mit à sombrer dans une certaine vulgarité, la cruauté joua entre les deux guerres un rôle moins important que jamais par le passé, et un minimum de droits humanitaires furent constamment sauvegardés. C’est cette modération, au cœur de la folie pure et simple, qui a préparé la voie à ce que Churchill a appelé la liquidation de l’Empire de sa Majesté, et qui pourrait un jour signifier la transformation de la nation anglaise en un Commonwealth de peuples anglais.»

 

Hannah Arendt, L’impérialisme, Quarto Gallimard - page 499

 

Plus de cinquante année plus tard, on ne peut que reconnaître à Hannah Arendt une grande clairvoyance à l’égard de l’ancien empire britannique et de la survivance du Commonwealth. Mais celui-ci survivra-t-il néanmoins au décès de la Reine Elizabeth et au règne de ses successeurs mâles ? Mais Hannah Arendt pouvait-elle imaginer que la jeune Reine de son temps règnerait encore cinquante ans plus tard ?

 

Le racisme et l’antisémitisme ne furent donc pas l’apanage de partis d’extrême-droite en Allemagne et en France comme l’histoire actuellement voudrait nous le faire croire. C’était un mal qui a rongé l’ensemble de la société européenne et surtout de l’establishment européen, même jusqu’en Angleterre. Hannah Arendt cite ainsi un vice-roi d’Egypte qui s’étonne que les ouvriers anglais se baignant lors de la première guerre mondiale soit si blancs de peau. Et la haine que vouent les communistes et les socialistes au monde de la Finance et de la Banque n’est qu’une survivance d’un antisémitisme séculaire qui ne veut pas dire son nom.

 

Certes, les programmes nazis d’extermination des Juifs et d’autres victimes du nazisme furent portés par des partis d’extrême-droite, et bénéficièrent du soutien ou de la participation en Europe de partis d’extrême-droite (ou venus de l’extrême-gauche). Mais peut-être est-il trompeur de faire croire en l’existence d’une cause unique, en la désignation d’une unique victime expiatoire, l’extrême-droite, lorsque les causes de cette catastrophe furent générales et concernèrent pratiquement tous les partis politiques. Tout le monde n’était pas Clemenceau, l’un des premiers à croire en et à vouloir défendre l’innocence du capitaine Dreyfus.

 
On trouve sous la plume d’Hannah Arendt de très nombreux passages visionnaires et marquants sur la généralisation du racisme et de l’antisémitisme 

 

« Toute dignité humaine est balayée si l’individu doit sa valeur au seul fait qu’il est né allemand ou russe ; à sa place, on trouve une nouvelle cohérence, un sens de la confiance mutuelle, parmi tous les membres de ce peuple, qui apaise les justes craintes des hommes modernes inquiets de devenir des individus isolés dans une société atomisée, et qui ne seraient plus protégés par leur nombre ou par la cohérence d’une uniformité imposée. De la même manière, la ceinture de populations mêlés, plus exposée que d’autres parties de l’Europe aux tempêtes de l’histoire et moins enracinée dans la tradition occidentale, ressentit plus tôt que les autres peuples européens la terreur de l’idéal d’humanité et de la foi judéo-chrétienne en l’origine commune de l’homme. Ces populations ne nourrissaient aucune illusion à propos du bon sauvage, parce qu’elles n’avaient nul besoin d’étudier les coutumes des cannibales pour connaître les potentialités du mal. Plus les peuples en savent les uns sur les autres, moins ils acceptent de reconnaître d’autres peuples pour leurs égaux, et plus ils se défendent contre l’idéal d’humanité.» (page 518)

 
Ces passages soulignent à la fois que le racisme instauré par l’Europe au dix-huitième, dix-neuvième et jusqu’en plein vingtième siècle, venait remettre en cause l’idéal chrétien de l’origine commune de l’homme. En défendant l’idée que les esclaves noirs n’étaient pas humains, en leur déniant leur part d’humanité, les racistes européens violaient les idéaux chrétiens. 

 

«Le racisme comme moyen de domination avait été exploité dans cette société de blancs et de noirs avant que l’impérialisme n’en fasse son idée politique principale. Son fondement et sa justification étaient toujours l’expérience elle-même, la terrifiante expérience d’une différence défiant l’imagination ou toute compréhension ; à la vérité, il était bien tentant de déclarer tout simplement que ces créatures n’étaient pas des êtres humains. (…) C’était la seule conclusion logique si l’on voulait dénier radicalement une communauté de liens quelconques avec les sauvages ; dans la pratique, cela signifiait que le christianisme perdait pour la première fois son pouvoir décisif de garde-fou contre les dangereuses perversions de la conscience humaine, laissant ainsi présager son inefficacité fondamentale dans certaines sociétés raciales plus récentes.» (page 464)

 

Cette lecture souligne également que ce sont selon Hannah Arendt dans les parties de l’Europe la plus exposée aux tempêtes de l’histoire que ce racisme et cet antisémitisme se développèrent en premier. Comment ne pas faire le parallèle avec la montée de l’extrême-droite dans les pays exposés en premier à l’afflux migratoire sub-saharien ? C’est dans ces pays, en Italie mais aussi en France, que la montée de la xénophobie est plus perceptible. Même si les procédures européennes de répartition des migrants dans toute l’Europe peuvent permettre de mieux absorber cette pression et cette montée des extrêmes. 
 
Et il est assez brillant d’avoir vu dès les années 1960-1970 que la violence que l’on prête aux immigrés, aux étrangers, aux sans-papiers dont nos médias nous informent jour après jour, s’explique aisément. «Ces populations ne nourrissaient aucune illusion à propos du bon sauvage, parce qu’elles n’avaient nul besoin d’étudier les coutumes des cannibales pour connaître les potentialités du mal». L’étrangeté du sans-papier agressant des femmes, jogueuses, passantes, en France, en Suède ou en Allemagne nourrit la xénophobie et le rejet des autres et des sans-papiers parce qu’il est simplement conforme à ce que l’on pense préalablement d’eux et de la nature humaine sauvage. Si tous les médias donnaient la même couverture médiatique à toutes les agressions sexuelles visant des femmes en Europe, nos médias en seraient saturés. 

 

Un nouveau regard sur le capitalisme

Hannah Arendt ne pense pas que l’histoire européenne et capitaliste puisse être dissociée de l’antisémitisme sur lequel ou contre lequel elle s’est construite, tout au long du dix-neuvième et du vingtième siècle. Qu’elle parle par exemple du conglomérat du diamant de Beers, contrôlé à l’origine par des financiers juifs qui furent rachetés et remplacés par Cecil Rhodes, qu’elle parle de l’histoire des financiers juifs et de la Banque juive qui étaient les principaux soutiens de l’Etat en Europe jusqu’à ce que la grande bourgeoisie européenne trouve enfin un intérêt à investir dans les entreprises étatiques dans le cadre de l’impérialisme qui lança l’Europe à l’assaut du monde entier, l’histoire des juifs, de l’antisémitisme et du racisme et de l’impérialisme est selon elle indissociable de l’avènement du règne du capitalisme.

 

Vu de notre époque où la mention de la judéité d’une personne semble d’une autre époque, même si de nombreux crimes antisémites continuent d’être commis dans nos pays, le plus souvent au nom d’Allah le miséricordieux, où le fait de prononcer même le vocable, le terme, de ‘juif’ vous expose au risque d’accusations d’antisémitisme, cette importance attribuée à l’histoire juive européenne, des grandes familles de notables juifs, et à l’antisémitisme, peut paraître surprenant et anachronique. Tout ce qu’elle écrit sur le judaïsme et l’antisémitisme la ferait aujourd’hui condamnée selon moi, comme le démontre les accusations qui furent portees contre elle après la publication de son livre phare ‘Eichmann à Jérusalem’. Livre phare aujourd’hui sur la banalité du Mal.
 

Le capitalisme selon Hannah Arendt ne s’explique ainsi ni par les manufactures d’Etat à l’époque des physiocrates, mais par la recherche immodérée du pouvoir pour l’accumulation du pouvoir, par l’impérialisme.

 

«Ce processus d’accumulation indéfinie du pouvoir nécessaire à la protection d’une accumulation indéfinie du capital a suscité l’idéologie progressiste de la fin du XIXè siècle et préfiguré la montée de l’impérialisme. Ce n’est pas l’illusion naïve d’une croissance illimitée de la propriété, mais bien la claire conscience que seule l’accumulation du pouvoir pouvait garantir la stabilité des prétendues lois économiques, qui ont rendu le progrès inéluctable. 
 

(…) Quand l’accumulation du capital eut atteint eut atteint ses limites naturelles, nationales, la bourgeoisie comprit que ce serait seulement avec une idéologie selon laquelle ‘l’expansion, tout est là’ et seulement avec un processus d’accumulation du pouvoir correspondant que l’on pourrait remettre le vieux moteur en marche. Néanmoins, au moment même où il semblait que le véritable principe du mouvement perpétuel venait d’être découvert, l’esprit explicitement optimiste de l’idéologie du progrès se voyait ébranlé. Non que quiconque commençât à douter du caractère inéluctable du processus lui-même ; mais beaucoup commençaient à voir ce qui avait effrayé Cecil Rhodes, à savoir que la condition humaine et les limitations du globe opposaient un sérieux obstacle à un processus qui ne pouvait ni cesser ni se stabiliser, mais seulement déclencher les unes après les autres toute une série de catastrophes destructrices une fois ces limites atteintes.» (pages 395-396)

 

«Lorsque l’impérialisme fit son entrée sur la scène politique, à l’occasion de la mêlée pour l’Afrique des années 1880, ce fut à l’instigation des hommes d’affaires, contre l’opposition sans merci des gouvernements en place, et avec le soutien d’une partie étonnamment importante des classes cultivées. Pour ces dernières, il paraissait un don de Dieu, un remède à tous les maux, une panacée facile pour tous les conflits. Et il est vrai que, en un sens, l’impérialisme ne déçut point ces espérances. Il donna un nouveau souffle à des structures politiques et sociales que menaçaient très clairement les nouvelles forces sociales et politiques et qui, en d’autres circonstances, sans l’interférence des développements impérialistes, n’auraient guère eu besoin de deux guerres mondiales pour disparaître.» (page 400).

 

Administration de l’Etat et gouvernement par le biais de décrets au lieu de lois

Hannah Arendt fait aussi l’histoire de la bureaucratie et de l’administration. Aujourd’hui, à nous français autant qu’européens, il ne nous paraît plus concevable de penser nos démocraties, nos États, sans penser administration et bureaucratie. Mais Hannah Arendt fait remonter leur création aux dix-huitième et dix-neuvième siècles dans les colonies éloignées, et leur survenue au remplacement de la Loi par des Décrets.  

 

«Autant que par leur domination sur des territoires multi-nationaux, ils (les deux despotismes russe et austro-hongrois) se distinguaient des autres gouvernements par le fait qu’ils gouvernaient (et pas seulement exploitaient) directement les peuples par le biais de leur bureaucratie ; les partis jouaient un rôle insignifiant, et les Parlements n’avaient aucune fonction législative ; l’Etat gouvernait par l’intermédiaire d’une administration qui appliquait ses décrets.

 

(…) Juridiquement, un gouvernement bureaucratique gouverne par décrets ; son pouvoir qui, dans un gouvernement constitutionnel n’est là que pour promulguer la loi, devient la source directe de toute législation.» (page 529)

 

Arrivé à ce point de la démonstration d’Hannah Arendt, en comparaison de nos temps actuels, comment ne pas se demander si notre régime gouvernement est encore un régime constitutionnel, ou s’il ne correspond pas plutôt à ses régimes bureaucratiques qu’elle a décrit, un régime où l’administration est toute puissante, où le gouvernement écrit les lois à la place du parlement, où le parlement est une simple chambre d’enregistrement ?

 

«Il est vrai qu’en période de crise, tous les gouvernements usent de décrets, mais la crise elle-même justifie alors et limite leur action. Dans les gouvernements bureaucratiques, les décrets apparaissent dans leur pureté toute nue comme s’ils n’étaient plus le fait d’hommes puissants, mais l’incarnation du pouvoir lui-même, et l’administrateur, seulement l’agent fortuit de celui-ci. (…) Les peuples gouvernés par décrets ne savent jamais ce qui les gouverne, parce que les décrets en eux-mêmes sont incompréhensibles, et à cause de l’ignorance soigneusement étudiée dans laquelle tous les administrateurs tiennent leurs sujets quant à leurs circonstances précises et à leur signification pratique. (…) C’est seulement - ainsi en Russie et en Autriche - là où des dirigeants indigènes et une bureaucratie indigène étaient reconnus comme le gouvernement légitime, pouvaient diriger par décrets que cela créait l’atmosphère d’arbitraire et de dissimulation qui cachait, de fait, le pur opportunisme de ce régime.» (page 530)

 

Là encore, peut-on parler de la bureaucratie française ou de l’Europe, et de l’inflation des normes qui est mise en cause par les manifestants agriculteurs français notamment ? Mais il est marquant qu’à aucun moment, ce ne soit en aucun cas la bureaucratie elle-même qui ne soit remise en cause par les manifestants. L’administration française et la bureaucratie européenne et son activité incessante de fabrication de normes n’est plus aucunement contestée.

 

«Il ne faut pas confondre le gouvernement bureaucratique avec le simple débordement et la déformation de l’administration qui ont fréquemment accompagné le déclin de l’Etat-nation, comme ce fut en particulier le cas en France. L’administration y a survécu à tous les changements de régime depuis la Révolution et elle s’est lovée comme un parasite dans le corps politique, défendant ses propres intérêts de classe, pour devenir finalement un organisme inutile dont le seul but semble être de chicaner et d’empêcher un développement économique et politique normal. (…) Cependant, si le peuple français a commis la très grave erreur d’accepter son administration comme un mal nécessaire, il n’a jamais commis l’erreur fatale de lui permettre de gouverner le pays - même si la conséquence en est qu’il n’est pas gouverné du tout. Le climat gouvernemental français se compose désormais d’incapacité et de brimades ; mais il n’a pas créé une aura de pseudo-mysticisme.» (page 531)

 

Au fond, la survenue de la cinquième République n’a-t-elle pas remis en cause ce diagnostic d’Hannah Arendt en donnant à cette bureaucratie, à cette classe parasite, comme l’appelait Hannah Arendt, le pouvoir de gouverner la France ? Quand est-ce arrivé ?

 
Quand sommes-nous tombés sous son pouvoir de la bureaucratie ?  Le général de Gaulle qui souhaitait un gouvernement fort a aussi transformé le parlement en simple chambre d’enregistrement, permettant au gouvernement de gouverner par décrets ou ordonnances et en lui offrant la possibilité de faire la loi. Mais au fond, est-ce que cela change réellement de savoir qui fait la Loi ? Depuis bien longtemps, le peuple s’est effacé derrière les intérêts privés.

 

 

Saucratès


31/01/2024
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Quelques pensées sur le totalitarisme

 
2023 se termine aujourd’hui ! Tous mes vœux à mes quelques rares et précieux lecteurs. Que 2024 vous apporte tout ce que vous souhaitez et que vous aimez. Meilleurs vœux à tous. Bonheur et Santé bien évidemment.

 
Pensées nées de la lecture des «Origines du Totalitarisme» d’Hannah Arendt

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, dimanche 31 décembre 2023

 

La lecture d’Hannah Arendt me permet de découvrir une géante de la pensée, de la philosophie, et une visionnaire. Se rendre compte que dans les préfaces à «Les origines du totalitarisme», rédigées en juillet 1967, elle imagine déjà le rôle important que sera amené à jouer cinquante ans plus tard la Chine :

 

«On est tenté rétrospectivement d’identifier les vingt dernières années à la période qui a vu une lutte pour la suprématie s’instaurer entre les deux pays les plus puissants de la terre, chacun manœuvrant pour l’emporter sur l’autre dans des régions qui étaient à peu de choses près celles que les nations européennes avaient auparavant colonisées. Dans le même esprit, on est tenté de voir dans les nouveaux rapports de détente qui s’instaurent difficilement entre la Russie et l’Amerique le résultat de l’émergence d’une possible troisième puissance mondiale, la Chine, plutôt que la conséquence saine et naturelle de l’abandon du totalitarisme par la Russie à la mort de Staline.»

 

Cette idée qu’en 1967, quelques années avant qu’Alain Peyrefitte n’écrive sur la Chine qui s’éveille, Hannah Arendt avait pensé en la Chine comme l’émergence d’une troisième puissance mondiale. Non pas la Communauté européenne en construction à l’époque, non pas le Japon qui est peut-être encore en reconstruction, non pas l’Inde qui vient d’obtenir son indépendance, mais la Chine, aujourd’hui devenue l’atelier du monde et la première puissance économique mondiale ainsi que le banquier des Etats-Unis et de la planète !

 
Le peuple allemand, victime de la propagande ou soutien des nazis

Cette capacité aussi de remettre en cause la cécité et la manipulation par la propagande des peuples sous des régimes totalitaires, que l’on nous a présenté comme ignorants les crimes de leurs dirigeants nazis … si nous avions su …

 

«Le fait que le gouvernement totalitaire, malgré l’évidence de ses crimes, s’appuie sur un substrat de masses, est profondément troublant. Aussi n’est-il guère surprenant de voir spécialistes et hommes d’Etat souvent refuser de reconnaître un tel fait. Les premiers croient aux vertus magiques de la propagande et du lavage de cerveau, les seconds, par exemple Adenauer à maintes reprises, en nient simplement l’existence. Une publication récente de rapports secrets sur l’opinion publique en Allemagne pendant la guerre (de 1939 à 1944), émanant du service de sécurité des SS (Meldungen aus dem Reich. Auswahl aus den Geheimen Lageberichten des Sichercheitsdienstes der SS 1939-1944, 1965) est très instructive à cet égard. Elle montre d’abord que la population était remarquablement bien informée de tous les prétendus secrets (massacre de juifs en Pologne, préparation de l’attaque contre la Russie, etc), et ensuite dans quelle mesure les victimes de la propagande étaient restées capables de concevoir des opinions indépendantes. Quoi qu’il en soit, l’important est que cela n’a nullement affaibli le soutien général dont bénéficiait le régime hitlérien. Il est bien évident que le soutien de masse apporté au totalitarisme ne s’explique ni par l’ignorance ni par le lavage de cerveau.»

 

Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme - Quarto Gallimard - page 195

 

Communisme et totalitarisme

Ce livre présente aussi l’intérêt de ne plus assimiler automatiquement le totalitarisme et le communisme, et d’interdire le fait de mélanger trop facilement toute forme de contrôle et le concept de totalitarisme, comme par exemple de chercher à démontrer que le noyautage de la démocratie française par une caste organisée autour d’Emannuel Macron serait une forme de totalitarisme en devenir. Les principaux exemples de totalitarisme selon Hannah Arendt sont le régime nazi d’Adolf Hitler, de 1933 à 1945, et le régime communiste stalinien de 1929 à 1953 sous Joseph Staline.

 

«Le peuple de l’Union soviétique est sorti du cauchemar du règne totalitaire pour connaître les rigueurs, les dangers et les injustices multiples de la dictature du parti unique ; et s’il est entièrement vrai que cette forme moderne de tyrannie n’offre aucune des garanties du gouvernement constitutionnel, que même en acceptant les présupposés de l’idéologie communiste, tout pouvoir en URSS est illégitime en dernière analyse, et que d’un jour à l’autre le pays peut donc retomber dans le totalitarisme sans bouleversements majeurs, il est également vrai que la plus horrible de toutes les nouvelles formes de régime, dont j’ai entrepris d’analyser les éléments et les origines historiques, n’a pas moins connu sa fin en Russie avec la mort de Staline, qu’en Allemagne avec la mort de Hitler.» (page 213)

 

Phénoménale visionnaire qu’Hannah Arendt qui peut la conduire à prévoir avec plus de cinquante ans d’avance que la Russie de Poutine est peut-être une nouvelle fois en train de basculer dans un régime qui peut être à nouveau appelé totalitaire.

 

Aide au développement et impérialisme

Toute aussi intéressante est son interprétation de l’aide au développement comme déperdition gigantesque de richesse entrainée par l’impérialisme :

 

«L’aide extérieure, quand bien même elle serait dispensée pour des raisons humanitaires, est, quant à elle, politique par nature, justement parce qu’elle n’est pas motivée par la recherche du profit. On a dépensé des milliards de dollars dans des régions politiquement et économiquement incultes où ils ont disparu en raison de l’incompétence et de la corruption, avant qu’on ait pu mettre sur pied une entreprise productive. Et cet argent n’est plus le capital superflu qu’on ne pouvait pas investir d’une manière rentable et lucrative en métropole, mais le trop-plein miraculeux né de la seule abondance que les pays riches, les nantis, peuvent se permettre de perdre, contrairement aux pays déshérités. En d’autres termes, le mobile du profit dont on a souvent surestimé, même par le passé, le rôle joué dans les politiques impérialistes, a désormais complètement disparu ; seuls des pays très riches et très puissants peuvent se permettre d’assumer les pertes immenses qu’entraîne l’impérialisme.» (pages 190-191)

 
Il ne faut point ici parler de vision restrictive de l’aide au développement qui constitue une sorte d’alpha et d’omega de la politique étrangère occidentale, une sorte de prix à payer pour faire oublier le colonialisme des siècles précédents, mais bien une tentation de perpétuer un impérialisme dont la France n’a plus aujourd’hui pourtant les moyens. Évidemment, certaines de ces régions que Hannah Arendt considère comme inculte, comme déshéritée, fait peut-être partie aujourd’hui des pays dits développés … ou très probablement pas. N’oublions pas que seuls quelques pays d’Asie du Sud-Est ont réussi à s’extraire du sous-développement économique et démographique. Nulle part ailleurs, hormis au Moyen-Orient dont le sous-sol regorge de pétrole, où des familles bédouines régnantes ont su profiter de leur rente pétrolière, nulle part ailleurs l’aide au développement n’a servi au développement des États en voie de développement, n’a servi à autre chose qu’à l’enrichissement d’élites corrompues ici ou là-bas. 
 
Certes, des accords internationaux ont imposé l’idée que les pays occidentaux devaient consacrer 0,8% de leur PIB, des richesses produites dans une année, à l’aide au développement en faveur des pays pauvres. Mais c’est sans effet jusqu’à présent. Et derrière cet effort imposé consacré à l’aide au développement, c’est bien cette idée de prix à payer par l’Occident pour faire oublier les affres de la colonisation, en somme le fardeau de l’homme blanc … Et si on se rendait compte aujourd’hui que la France n’a plus les moyens financiers d’avoir une politique impérialiste, qu’elle est simplement devenue pauvre ou insuffisamment riche pour jouer ce rôle ? Que seule la Chine et les USA disposent de la richesse nécessaire pour se prêter à ce jeu de l’impérialisme ? Une sorte de message issu du passé de la part de cette grande visionnaire qu’était Hannah Arendt.

 
Terreur et totalitarisme

Je retiendrais cette analyse riche de la terreur à la base du totalitarisme et des dictatures. Mais la question que je me pose traite des autres régimes. La terreur est à la base de ce que nous célébrons sous le terme de ‘Révolution française’, le massacre et la dénonciation de milliers de français condamnés en tant qu’ennemis du peuple et de la glorieuse Révolution. Cette question également concernant notre propre démocratie, et ces premiers ministres ou ministres de l’intérieur qui n’aiment rien d’autre que de viser et poursuivre quelques innocentes victimes pour terrorisme ou antisémitisme. 

 
«Une différence fondamentale entre les dictatures modernes et toutes les autres tyrannie d’autrefois est que la terreur ne sert plus à exterminer et à épouvanter les adversaires, mais à gouverner des masses parfaitement dociles. La terreur telle que nous la connaissons aujourd’hui frappe sans qu’il y ait eu auparavant provocation, et ses victimes sont innocentes, même du point de vue de l’oppresseur. Ce fut le cas dans l’Allemagne nazie, où la terreur fut pleinement employée contre les Juifs … 

 

… Nous n’examinerons pas ici la conséquence extrême du gouvernement par la terreur, à savoir que personne, pas même les bourreaux, n’est jamais à l’abri de la peur ; ce qui nous occupe, c’est l’arbitraire dans le choix des victimes ; il est fondamental qu’elles soient objectivement innocentes et qu’elles soient choisies indépendamment de ce qu’elles peuvent avoir ou n’avoir pas fait.» (page 223)

 
Arendt & Platon vs Habermas & Apel

Hannah Arendt répond d’une certaine manière à l’avance à la théorie de l’éthique de la discussion de Jurgen Habermas, philosophe allemand, théorie qu’il commencera à défendre et à développer entre les années 1970 et le début des années 1990. Cette éthique de la discussion selon laquelle ‘des discussions réelles sont nécessaires à la justification des normes’.

  

«Dans sa lutte célèbre contre les sophistes, Platon découvrit que leur ‘art universel d’enchanter l’esprit par des arguments‘ (Phèdre, 261) n’avait rien à voir avec la vérité, mais avait pour but les opinions, changeantes par leur nature même, et valides uniquement ‘quand un accord se fait et aussi longtemps qu’il dure’ (Théétète, 172). Il découvrit aussi l’instabilité de la vérité dans le monde, car ‘c’est des opinions que procède la persuasion, mais non point de la verité’ (Phèdre, 260).»

 

Bien au-delà du thème du totalitarisme, j’avoue être gêné par l’idée qu’une discussion intersubjective soit nécessaire pour valider des normes ou des règles morales. Pour Habermas, «la question morale centrale n’est plus de savoir comment mener une vie bonne, mais à quelles conditions une norme peut être dite valide ; elle n’est plus tant celle du bien que celle du juste. En ce sens, il est nécessaire de distinguer les questions morales, sur lesquelles on peut argumenter rationnellement, des questions éthiques, qui relèvent de choix subjectifs et davantage circonstantiels, propres à chacun. Habermas suggère qu’un usage pragmatique, éthique et moral de la raison pratique permettrait d’élaborer un consensus dans la discussion intersubjective, et ouvrirait la porte à une opinion démocratique et publique.» 
 

Je vois dans cette affirmation d’Hannah Arendt une remise en cause de la réflexion habermassienne de la primauté de la discussion sur la validité de la règle morale.

 
 
Saucratès


01/01/2024
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Ancient Society de Lewis Henry Morgan

Une lecture moderne du livre «La société archaïque» («Ancient Society») de Lewis Henry Morgan

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, samedi 18 février 2023

 

On peut lire de deux manières différentes ce livre culte de Lewis H. Morgan. On peut soit noter les ‘archaïsmes’ et la manière datée de présenter les thèses et les notions qu’il y développe, on peut juger déplacés :

- ses commentaires sur l’âge sauvage et sur l’âge barbare,

- sur les différents stades que traversent ces différents âges,

- sur l’idée que les hommes de ces différents âges n’ont pas atteint le degré de qualité mentale et de qualité morale des hommes civilisés,

- ou bien sur l’idée que les différents stades d’organisation de la famille traduisent un état moral et éthique inférieur à ceux des hommes des âges civilisés.

 

«Nous avons jusqu’à maintenant expliqué l’origine de deux formes différentes de famille par deux systèmes parallèles de consanguinité. Les preuves apportées nous paraissent irréfutables. Elles montrent que l’émergence de l’humanité à partir d’une condition plus basse encore, et son entrée dans l’institution que constitue la famille consanguine, représentent le point de départ de la société humaine. Le passage de la première à la seconde forme est le résultat d’un processus naturel : une évolution d’une condition sociale inférieure à une condition sociale supérieure par l’observation et l’expérience. Il a été la conséquence de l’amélioration des qualités mentales et morales qu’a connue l’espèce humaine.»

 

Lewis H. Morgan, Ancient Society, page 512

 

Ou alors, on peut extraire de ce livre une somme considérable d’informations sur le monde tel qu’il était vu et connu vers la fin du dix-neuvième siècle. Il ne s’agit pas de croire tout ce qui y est indiqué, mais de récupérer une somme, un ensemble de connaissances qui, pour partie, ne sont plus connues que de certains spécialistes. Une partie de ces connaissances, comme celles concernant l’origine mythique d’Athènes et de Rome, ont peut-être évolué, ne sont plus considérées comme des réalités historiques mais comme de pures inventions, mais il demeure intéressant de les lire, de se faire sa propre opinion.

 

Ces ensembles de données disparues de la connaissance actuelle touchent aux sociétés amérindiennes dans Morgan était l’un des meilleurs spécialistes à son époque, et dont l’étude est désormais totalement tombée en déshérence. Elles touchent aussi aux sociétés des aborigènes australiens, en sachant que la présentation qu’en donne Morgan est antérieure de près d’un siècle aux données et aux exemples qu’un spécialiste comme Alain Testart en donnera dans les années 1970-1980. Enfin, elles touchent aussi à l’Antiquité grecque et romaine, avec une présentation en tribus, phratries et gentes que l’interprétation moderne de l’histoire a eu tendance à effacer. 

Je n’aborderai ci-après que les données concernant les tribus amérindiennes.

 

Les tribus amérindiennes 

La confédération iroquoise est l’une des tribus amérindiennes les plus longuement étudiée et présentée par Morgan. Son vrai nom était «Ho-de’-no-saute» qui signifie «Longue maison» et ses membres se nommaient eux-mêmes «Ho-de’-no-sau-nee» qui signifie «Peuple de la Longue Maison». 

 

Les Ho-de’-no-sau-nee (j’utiliserais leur vrai nom plutôt que celui d’iroquois par lequel l’histoire a conservé leur souvenir) étaient divisés en six tribus

 

1. Les Mohawk dont le qualificatif tribal était «Le Bouclier» (Da-gä-e-o’-dä). On les appelaient aussi «Receveurs du Tribut» (que versaient les tribus soumises). Ils disposaient de neuf sachems (de leur vraie appellation «Ho-yar-na-go’-war» pour «conseiller du peuple» - cf. page 166).

 

2. Les Onondaga, appelés «Porteurs de Nom» (Ho-de-san-no’ge-tä) parce qu’ils avaient été chargés de choisir les noms des cinquante premiers sachets et de les leur attribuer. On les appelaient aussi «Gardiens du Wampum et «Gardiens de la flamme du Conseil». Ils disposaient de quatorze sachems.

 

3. Les Seneca, appelés «Gardiens de la Porte de la Longue Maison» (Ho-nan-ne-ho’-onte) parce qu’ils étaient chargés de garder la porte ouest de la Longue Maison. Ils disposaient de huit sachems.

 

4. Les Oneida portaient le qualificatif de «Grand Arbre» (Ne-ar’-de-on-dar’-go-war). Ils disposaient de neuf sachems.

 

5. Les Cayuga portaient le qualificatif de «Grande Pipe» (Sonus’-ho-gwar-to-war). Ils disposaient de dix sachems.

 

6. Enfin, la sixième tribus des Tuscarora, qui s’était jointe tardivement à la Confédération, n’avait pas de qualificatif propre. Elle semblait disposer néanmoins de sachems.

 

(de chaque côté du feu du conseil, on trouvait d’un côté les sachems des tribus des Mohawk, des Onondaga et des Seneca, tribus sœurs entre elles et mères des trois autres tribus, et de l’autre côté, les sachems des tribus des Oneida, des Cayuga et des Tuscarora, qui étaient également sœurs entre elles et filles des trois tribus précitées.)

 

A noter qu’à la mort d’un sachem, la gente de la tribu à laquelle il appartenait procédait à l’élection de son successeur, qui perdait son nom pour prendre le nom de sa fonction.

 

«Les noms donnés aux premiers sachems ont toujours été portés par leurs successeurs. Par exemple, à la mort de «Gä-ne-o-di’-yo», l’un des huit sachems Seneca, son successeur a été élu par la tribu de la Tortue de Mer, dans laquelle cette fonction était héréditaire. Quand il fut élevé, il reçut le nom de «Gä-ne-o-di’-yo» et abandonna le sien.»

 

Lewis H. Morgan, Ancient Society, page 152

 

Le conseil général de la Confédération ne comprenait néanmoins que 48 membres (et non 50 membres), deux des noms des sachems des Mohawks n’ayant jamais été reportés. Il s’agissait de «Hä-yo-went’-hä» (l’homme qui peigne, aussi nommé Hiawatha dans le poème de Longfellow) et de «Da-gä-no-we’-dä» (mais la légende indique que celui-ci était un sage Onondaga). Ces deux personnages sont à l’origine de la naissance de la Confédération selon Morgan, et sont soit des personnages mythiques ou légendaires, soit des personnages historiques.

 

Enfin on peut noter leur manière très originale de prendre des décisions collectives et dégager une unanimité au sein du conseil représentant leurs cinq (ou six) tribus qui constituaient leur Confédération.

 

Les Ho-de’-no-sau-nee «ignoraient totalement le principe de la majorité ou de la minorité dans les décisions du Conseil» de la Confédération. «L’accord unanime des sachets étaient exigé pour toutes les questions d’ordre public et constituait une condition essentielle pour la validité de tout acte officiel. (…) Au conseil, on votait par tribu et les sachems de chacune d’elles devaient tous avoir le même avis pour qu’une décision fût prise.»

 

Pour y parvenir, les sachems de chaque tribu étaient divisés en classes distinctes. Et «aucun sachem n’était autorisé à exprimer, par un vote, une opinion devant le conseil, sans s’être mis d’accord au préalable avec le ou les sachems de sa classe, sur l’avis à exprimer et sans avoir été désigné comme porte-parole. (…) De cette manière, les sachems d’une même classe devaient d’abord être d’accord entre eux. Les sachems designés comme porte-parole de ces classes se consultaient ensuite entre eux. S’ils étaient d’accord, ils désignaient l’un d’entre eux pour exprimer leur opinion commune, qui était alors considérée comme la réponse de la tribu. Lorsque, grâce à cette ingénieuse méthode, les sachems des diverses tribus étaient séparément parvenus à l’unanimité, on comparait leurs opinions. Si elles s’accordaient, la proposition était adoptée. Si elles divergeaient, la proposition était rejetée et la session du conseil prenait fin.»

 

Lewis H. Morgan, Ancient Society, pages 161-162

 

Morgan liste également les noms des gentes des Ho-de’-no-sau-nee :

 

1. Loup (Tor-yoh’-no)

2. Ours (Ne-e-ar-guy’-eee)

3. Tortue de mer ((Ga-ne-e-ar-teh-go’-wa)

4. Cerf (Na-o’-geh)

5. Bécassine (Doo-eese-doo-we’)

6. Faucon (Os-sweh-ga-da-ga’-ah)

7. Castor (Non-gar-ne’e-ar-goh)

8. Héron (Jo-as’-seh)

 

Les trois premières gentes sont communes aux cinq tribus. Ce sont aussi les seules gentes des tribus des Mohawk et des Oneida. Les trois gentes suivantes (cerf, bécassine et faucon) sont aussi communes aux tribus des Seneca, des Cayuga et des Onondaga. Le héron est aussi une gente de la tribu des Cayuga (qui dispose ainsi de sept gentes).

 

La description faite par Morgan permet d’observer qu’un certain nombre des noms de ces gentes se retrouvent dans la majeure partie des tribus indiennes de toute l’Amérique du Nord (pour ne pas dire la plupart). Mais seule la signification des noms pour les gentes restent les mêmes ou bien évoluent très peu. Les noms dans les langues de chacun de ces peuples ne sont par contre plus les mêmes.


… Comme si les langues variaient plus rapidement que la signification sociale, que l’institution elle-même. Comme si l’institution de ces divers gentes présentait moins de variations dues au temps qui passe, au temps qui s’écoule, que les langues de ces mêmes peuples.

 
Ainsi, on trouvera des listes des noms de gentes dans le livre «Ancient Society» de Lewis H. Morgan à partir de la page 178 jusqu’à la page 202 (cf. tableau ci-dessous).

 

Pour démontrer que les langues varient plus rapidement que la dénomination sociale des institutions comme l’organisation gentilice, on peut prendre un exemple parmi ceux cités par Morgan, notamment entre les indiens Iowa et les tribus Otoe et Missouri (qui appartiennent toutes deux au peuple des indiens Missouri. Ceux-ci ont gardé les mêmes significations pour les noms de leurs huit gentes (loup, ours, bisonne, élan, aigle, pigeon, serpent et hibou) mais les noms de plusieurs de ces gentes ont divergé : loup (Me-je’-ra-ja), bisonne (Ah’-ro-wha) et hibou (Ma’-kotch) n’ont pas bougé - mais ce n’est pas le cas de ‘ours’ (Moon’-cha au lieu de Too-num’pe), de ‘élan’ (Hoo’ma au lieu de Ho‘-dash), de ‘aigle’ (Kha’-a au lieu de Cheh’-he-ta), de ‘pigeon’ (Lute’ja au lieu de Lu’-chih) ou enfin de serpent (Wa’-ka au lieu de Wa-keeh).

 
Concernant cette idée que l’on retrouve parmi toutes les tribus indiennes d’Amérique du Nord un certain nombre de gentes désignant les mêmes noms d’animaux, malgré les milliers de kilomètres les séparant et les nombreux siècles qui s’étaient écoulés depuis leur probable origine commune. Et pourtant, on retrouve presque partout les mêmes noms de gentes. On retrouve ainsi la gente du ‘Loup’ chez : 

 

Les Ho-de’-no-sau-nee : Tor-yoh’-no

Les Iowa : Me-je’-ra-ja

Les Kaw : Sho’ma-koo-sa (Loup de prairie)

Les Winnebago : Shonk-chun-ga-da

Les Mandan du Haut Missouri : Ho-ra-ta-mu-make

Les Creek ou Muscokee : Ya-ha

Les Chikasa : Na-sho-la

Les Cherokee : Ah-ne-whi-ya

Les Ojibwa : My-een-gun

Les Potawattamie : Mo-ah

Les Miami : Mo-wha-wa

Les Shawnee : M’wa-wa

Les Sauk et les Fox : Mo-wha-vis-so-uk

Les Delaware : Took-seat

Les Mohicans : Took-se-tuk’

Les Abenaki : Mals-sum

Les Tlinket de l’Alaska : Kanu’kh

Les Shoshonee ou Comanches du Texas

 

On peut faire la même énumération pour d’autres noms de gentes que l’on retrouve aussi dans de nombreuses tribus, comme l’Ours, la Tortue de mer, l’Elan, l’Aigle ou le Cerf, le Bison, le Dindon ou le Serpent. On pourrait tirer du livre de Morgan des nombres d’occurrence de chaque nom de gente, et on découvrirait que les trois principales gentes communes aux tribus Ho-de’-no-sau-nee (les Iroquois), à savoir, l’Ours, le Loup et la Tortue de Mer, sont les plus communément observées dans la majorité des tribus indiennes d’Amérique du Nord. 

Je ne cherche bien sûr pas à théoriser une quelconque théorie sur la diffusion des langues ou des organisations sociales comme l’organisation gentilice. Je cherche plus à rappeler l’intérêt actuel d’une relecture de ce livre de Lewis H. Morgan, grand connaisseur des tribus indiennes d’Amérique du Nord. Que certaines de ces théories évolutionnistes n’aient plus de sens aujourd’hui n’est pas très important. Que certaines de ces observations ait été partiale, ignorant l’importance des femmes dans les sociétés indiennes d’Amérique du Nord n’est pas plus important. La majeure partie des anthropologues ont été concernés par cette déformation occidentale ; ils ne pouvaient admettre que des peuples primitifs à leurs yeux accordaient plus d’importance aux femmes que leurs sociétés modernes victoriennes ne leur en concédaient. Chez les sauvages, la force et la brutalité de l’homme devait lui donner encore plus l’avantage que dans la société occidentale.

 

Cette lecture de Morgan permet ainsi de rappeler cette règle d’or de l’anthropologue : observer en étant le plus neutre possible, en interprétant le moins possible, en intervenant le moins possible. Mais tout anthropologue ne peut entendre que ce que les témoins privilégiés qui les renseignent pensent que l’observateur veut entendre, seulement ce que le témoin a le droit de dire, seulement ce que le témoin comprend de la société dans laquelle il vit, ou ce qu’il veut que l’observateur voit de lui. L’anthropologue peut devenir malgré lui un outil de propagande politique dans le conflit opposant les hommes et les femmes, opposant la sagesse des uns (des femmes ou des anciens) contre la force et la puissance des autres …

 

En gros, en important sa grille de lecture des faits qui lui sont rapportés, par ses questions, l’anthropologue peut influer sur la société qu’il étudie, comme on peut penser que les savants du temps de Lewis H. Morgan ont pu influer sur la société amérindienne et sur les administrateurs coloniaux de leur époque, ainsi que sur les décisions masculinistes que ces derniers ont pu prendre.

 
 
Saucratès


18/02/2023
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