Critiques de notre temps

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Les mythes à l’origine de l’humanité

Les mythes à l’origine de l’humanité
A partir des travaux de Jean-Loic Le Quellec

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, samedi 7 janvier 2023

 

C’est un sujet de Science & Vie de janvier 2023 intitulé : «On a retrouvé le mythe originel - La nouvelle théorie issue de l’art pariétal», qui m’a conduit à prendre connaissance d’une partie des théories de Jean-Loic Le Quellec, contenues dans son livre «L’origine de l’humanité selon les mythes - Variations sur l’histoire de l’humanité».

 

M. Le Quellec s’est intéressé, aux côtés d’autres chercheurs en anthropologie, en archéologie et en linguistique, à recenser les différents mythes sur l’origine de l’humanité et à les analyser avec les outils de la linguistique et de la biologie. 

 

https://www.researchgate.net/publication/327670818_2018_-_L'Origine_de_l'humanite_selon_les_mythes_Variations_sur_l'histoire_de_l'humanite_Preface_Yves_Coppens_Paris_La_Ville_Brule_p_13-37

 

https://www.researchgate.net/publication/302499087_Peut-on_retrouver_les_mythes_prehistoriques_L%27exemple_des_recits_anthropogoniques


Ce n’est bien sûr pas la première fois que certains nous parlent de certaines de ces théories. Je pense notamment à certaines présentations des mythes de l’origine de l’humanité à partir d’une cucurbitacée qui nous avaient été présentées sur ZINFOS, mais que je n’ai pas retrouvées dans les courriers des lecteurs. Impossible de rendre à Caesar ce qui est à Caesar. Mais il s’agissait certainement soit de M. Maugis, soit de l’association Energie Environnement.

 

Les recherches de Jean-Loic Le Quellec permettent notamment de démontrer que cette théorie de l’origine végétale de l’humanité est extrêmement peu développée, selon les analyses de M. Jean-Loic Le Quellec, et qu’elle ne s’est diffusée que dans quelques rares régions du monde, essentiellement en Asie du Sud-Est dans la région de la Thaïlande, et sporadiquement en Afrique ou en Amérique du Sud.

 
Le mythe originel de l’émergence primordiale

Par contre, dans les études réalisées par M. Jean-Loic Le Quellec, je trouve beaucoup plus intéressant son analyse du mythe originel de l’émergence primordiale, dont il note la très forte diffusion sur l’ensemble des continents. Il en note près de 700 occurrences dans les mythes d’un très grand nombre de peuples, distribués à peu près partout, sauf en Europe où ce mythe aurait, toujours selon lui, été remplacé par le mythe du corps souillé.

 

Qu’est-ce donc que le mythe de l’émergence primordiale ? Ci-dessus le mythe des indiens Hopi.

 

«Au début, les Hopi vivaient sous terre, de même que les Paiute et les Pueblo. Un jour, ils entendent des bruits de pas au-dessus d’eux. Ils envoient trois oiseaux qui reviennent exténués sans avoir rien trouvé, mais le quatrième trouve un passage conduisant vers le monde supérieur. Il y rencontre Masau’u (« Squelette » — la divinité de la mort) qui dit vivre là pauvrement et déclare qu’il accepterait volontiers de cohabiter avec des nouveaux-venus. Le chef du village sort d’abord, en montant le long d’un roseau, et il est suivi d’un grand nombre d’habitants du monde inférieur. Ayant peur qu’ils soient trop nombreux à le suivre, le chef retira le roseau, et beaucoup de gens retombèrent en bas.»

 

 Ou bien celui des Xhosa 

 

«Vers l’Est se trouve une caverne appelée Ilhanga, de laquelle l’humanité et les animaux sont sortis : leurs traces se voient encore sur les rochers des alentours. Le bétail émergea d’abord, puis l’humanité, et enfin les autres animaux et les oiseaux …»

  
On trouve aussi le mythe Chthonien des Mandans

 

«Toute la nation résidait dans un grand village sous le sol près d'un lac souterrain. Une vigne étendait ses racines jusque chez eux, et ils voyaient un peu de lumière en sa direction. Quelques aventureux grimpèrent le long de la racine, furent ravis de voir la lumière à la surface, et furent heureux de voir que la Terre était couverte de bisons et de toute sorte de fruits. Ils redescendirent avec les raisins qu'ils avaient cueillis, les firent goûter à leurs compagnons d'en bas et toute la nation décida de quitter l'obscurité souterraine. Hommes, femmes et enfants grimpèrent le long de la racine et environ la moitié avait atteint la surface quand le poids d'une femme corpulente causa la rupture de la racine, ce qui ferma l'accès du reste de la nation à la lumière du soleil.» (Lewis & Clark, 1902: 148-149)

 

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Figure 1. Il s’agit de la carte de répartition géographique des mythes d’émergence primordiale élaborée par M. Le Quellec. L’utilisation de cette forme de planisphère, centrée sur le pôle nord, permet de visualiser plus facilement les lieux de passage ou de diffusion de ces mythes. Dans ses cartes récentes, M. Le Quellec utilise une autre forme de dessin des côtes représentant les niveaux des mers et des océans lors de la dernière glaciation, époque à laquelle ces mythes ont émergé et se sont diffusés.

 

Comment en arrive-t-on à comparer et à classer des mythes ? En décomposant les mythes en unités narratives appelées ‘mythèmes’, «c’est-à-dire la plus petite partie insécable d’un mythe», on peut utiliser les outils de la phylogénétique pour découvrir l’arbre évolutif du récit lui-même.

 

Pour reprendre les termes de l’article de Science & Vie mais également de M. Le Quellec, «le mythe de l’émergence primordiale serait né en Afrique du Sud (les mythes khoïsan) il y a au moins 100.000 ans. Il aurait ensuite suivi les voies migratoires récemment mises au jour : sorti d’Afrique via la Corne, il se serait répandu en Eurasie, puis en Australie, et il aurait même atteint l’Amérique du Sud via le détroit de Béring il y a entre 16.000 et 30.000 ans, avant que ce pont naturel entre continents ne disparaisse. Sa présence parmi les cultures amérindiennes l’attesté : ce mythe était narré au Paléolithique.»

 

Que l’on puisse par le biais de la phylogénétique estimer si précisément l’ancienneté d’un mythe et son origine en pleine Afrique australe, au sein du peuple Khoisan, me semble extraordinaire. Que ce mythe puisse être également aussi généralisé, aussi répandu sur l’ensemble des continents me semble également extraordinaire. 

 

Reste bien sûr enfin à expliquer comment l’ensemble des peuples concerné peuvent se raconter que l’humanité et les animaux ont pu sortir, naitre d’une caverne, à l’origine de la vie, à l’origine des temps, il y a à peu près 100.000 ans, est par contre un peu difficile à comprendre. 100.000 ans, c’est aussi le goulet d’étranglement de la population génétique humaine, cette époque où l’humanité est passée tout près de l’extinction, époque à laquelle la population humaine est passée par un minimum de quelques milliers d’individus.

 

Si un jour le monde était victime d’un apocalypse nucléaire, si une partie de l’humanité devait se réfugier dans des abris antiatomiques souterrains pendant plusieurs siècles, et qu’ils en sortaient un jour, je pense que c’est ce même genre de mythes que leurs descendants se raconteraient plusieurs générations plus tard, et c’est aussi ce qui resterait de ce mythe, de cette histoire, 100.000 ans plus tard.

 

Mais faut-il donner une explication littérale à des mythes d’origine de l’humanité ? Ces mythes signifient-ils réellement quelque chose de tangible ou ne sont-ils que des tentatives mythiques d’expliquer l’origine de l’homme ? Les mythes du déluge nous parlent-ils vraiment d’un déluge ? Ou bien ne sont-ce que des allégories de quelques esprits à peine éveillés, et les déluges et cavernes ne serait-ils que des tentatives d’explication psychologique des épisodes de la naissance et de l’enfance. 

 
Existence d’autres mythes recensés et présentés par M. Le Quellec

L’article de Science & Vie se limite à ce seul mythe explicatif et cet article se focalise sur l’explication de l’art pariétal, à savoir expliquer les raisons pour lesquelles les hommes préhistoriques s’enfonçaient dans des cavernes pour y dessiner des animaux et des signes. On oublie évidemment que ce mythe de l’émergence primordiale a été effacé en Europe, remplacé par le mythe de la souillure originelle ou celui du plongeon créateur. Ce mythe y existait-il donc à l’époque des grottes ornées d’Europe ? Pourquoi l’absence d’êtres humains dans ces dessins alors que ce mythe est sensée raconter l’origine de l’humanité et des animaux? Tout ceci n’est pas si simple. Tout ceci n’est pas encore si évident à comprendre.

 

Les mythes du corps souillé

Un premier de ces autres mythes présentés par M. Le Quellec est donc celui du corps souillé ou de la souillure originelle. C’est en gros celui du serpent de la Bible alias le Diable qui contamine Adam et Ève. Ce mythe «raconte que le créateur a formé les premiers humains - un homme et une femme - à partir d’argile. Mais alors que le créateur avait le dos tourné, le diable en a profité pour cracher sur les deux statuettes - une souillure à l’origine des maladies et de notre mortalité.» (d’après Science & Vie)

 
Ainsi le récit Tatar de création des hommes :

 

«Quand le grand Pajana forma les premiers hommes, il ne put leur procurer l’esprit vivifiant, ce qui l'obligea à aller chercher l'âme au ciel. Pendant son absence, il laissa un chien pour protéger l'homme. Entre temps, survint Erlik qui dit au chien encore nu à ce moment : Tu n'as pas de poils, mais je te donnerai une toison en or si tu m'abandonnes ces hommes sans âme. La proposition d'Erlik agréa au chien qui lui remit les créatures confiées à sa garde. Quand Erlik se fut emparé des hommes, il les souilla de sa salive, puis il prit la fuite au moment ou le dieu revenait pour les animer. Quand le dieu vit qu'Erlik avait souillé le corps des hommes, il tourna leur extérieur sali vers l'intérieur. C'est pourquoi les intestins humains contiennent encore aujourd'hui de la salive et de la saleté.» (Harva, 1959: p.83)

 

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Répartition mondiale des mythes du corps souillé. Tiré de ‘L’origine de l’humanité selon les mythes’ de Jean-Loic Le Quellec.

 

Les mythes de l’origine céleste de l’humanité

Les mythes traitant d’une origine céleste de l’humanité sont très proches des mythes de l’origine chthonienne de cette même humanité. Simplement, au lieu d’émerger d’une grotte, les humains seraient descendus d’un monde supérieur, ils auraient découvert un passage vers un nouveau monde, et ils y seraient descendus également à l’aide d’une racine ou d’une corde.

 

Ainsi le mythe des indiens Warao de Guyane 

 

«Les ancêtres vivaient au ciel. Là-haut, l'un d'eux, nommé Okonoroté, était un fameux chasseur. Une fois, il poursuivit un oiseau pendant plusieurs jours sans pouvoir trouver l'occasion de le flécher. À la fin, il réussit, et sa flèche perça bien l'oiseau, mais celui-ci tomba dans un trou profond, et il était apparemment perdu. Okonoroté, regardant dans ce trou, vit qu'il y avait de la lumière au fond, et bientôt il discerna tout en bas un pays sur lequel marchaient de nombreux animaux. Avec l'aide des autres membres de sa tribu, il fit pendre une longue corde végétale par cet orifice, et l'utilisa pour descendre. En bas, il chassa beaucoup de gibier, puis grimpa à la corde pour retourner chez lui, riche d'une abondante venaison. Les Warao qui étaient restés au ciel, n'ayant jamais connu de viande aussi goûteuse, l'apprécièrent tellement qu'ils se décidèrent à descendre eux aussi au pays d'en bas. Un grand nombre d'entre eux réussit à le faire, mais une femme-enceinte selon les uns, obèse selon les autres -resta bloquée dans le trou du ciel, et malgré que ceux du bas la tiraient pendant que ceux du haut la poussaient, il fut impossible de la sortir de là. C'est pourquoi les Warao qui étaient déjà sur Terre y sont restés, et que ceux qui étaient encore au ciel y demeurent encore.» (Thurn, 1883 : page 377) 
 
 
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Répartition mondiale des mythes d’origine céleste de l’humanité. Tiré de ‘L’origine de l’humanité selon les mythes’ de Jean-Loic Le Quellec. 

 

Les mythes de création de l’humanité à partir de squames divins (ou par coroplastie).

Une très grande partie des mythes de création de l’humanité recensés par M. Le Quellec font ainsi remonter l’origine du monde ou celle des humains à des squames ou déchets du corps divin du créateur. 

Ainsi le mythe des Blaans des Philippines 
 
«Melu, un être si grand que rien ne peut lui être comparé; il était blanc, avec des dents d'or, se tenait assis sur les nuages et occupait tout l'espace au-dessus de ceux-ci; il était obsédé par sa propreté et se frottait sans cesse le corps avec les mains pour assurer la blancheur de sa peau, déposant à côté de lui les squames de peau morte qui, en s'accumulant, finirent par faire un tel amas qu'il en fut gêné; pour s'en débarrasser, il en fit la Terre et, comme il était content du résultat, il décida d'utiliser le reste pour créer deux petits êtres lui ressemblant, mais beaucoup plus petits: c'était le premier couple humain.» (Cole 1913 : p.135)
   

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Répartition mondiale des mythes de création de l’humanité par coroplastie. Tiré de ‘L’origine de l’humanité selon les mythes’ de Jean-Loic Le Quellec.

 

Les mythes d’origine végétale de l’humanité (ou née d’une cucurbitacé)

On en arrive ainsi aux mythes donnant une origine de l’humanité à travers une cucurbitacé. Certains de ces mythes nous ont ainsi déjà été présentés par quelques Zinfonautes. 

 

«Selon d'autres récits, les premiers humains sont issus de végétaux. Ainsi, un mythe noté en Afrique australe, chez les Sandawe, veut que l'ancêtre de ces derniers, dénommé Matunda, soit issu de l'arbre à pain: en l'ouvrant, Matunda permit à la hyène de sortir, suivie des moutons, puis d'une femme avec deux enfants, et enfin de Wangu, l'homme qui épousa la sœur de Matunda, alors que ce dernier épousait celle de Wangu (Baumann 1936: 144).

 

Ou bien, chez les Apinaye du Plateau brésilien, Soleil et Lune, premiers occupants de la Terre, firent une plantation de courges, et, lorsqu'elles furent mûres, ils les mirent dans l'eau sous le petit pont qui franchissait le plus proche cours d'eau, et là elles se changèrent en êtres humains (Nimuendaju, 1939: 163).»

  

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Répartition mondiale des mythes d’origine végétale de l’humanité (et non pas uniquement issue d’une cucurbitacé). Tiré de ‘L’origine de l’humanité selon les mythes’ de Jean-Loic Le Quellec. 

 

Les mythes du plongeon créateur

Toujours selon M. Le Quellec, les mythes du plongeon créateur, extrêmement présents dans toute la moitié nord de l’Eurasie et en Amérique du Nord, auraient remplacé l’ancienne mythologie de l’Emergence primordiale dans le contexte de la reconquête des territoires septentrionaux après le dernier maximum glaciaire.

 

Dans ces mythes, l’origine de l’humanité et des terres s’explique par le plongeon d’un être ou d’un animal primordial qui ramène du fond de l’océan ou de la mer de la boue à partir de laquelle le créateur compose les continents et l’homme.

  
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Répartition géographique des mythes du plongeon créatif. Tirée de ‘Peut-on retrouver les mythes préhistoriques? L'exemple des récits anthropogoniques’ de Jean-Loic Le Quellec


(Nota : consulter les versions des articles de M. Le Quellec pour observer les schémas originels de la répartition géographique de ces divers mythes sur l’ensemble des continents. M. Le Quellec utilise des cartes géographiques centrées sur le pôle Nord permettant de mieux comprendre les phénomènes de diffusion spatiale des mythes. Dans ces travaux récents, et dans Science & Vie, M. Le Quellec utilise des planisphères datant de la dernière période glaciaire, permettant d’observer les côtes telles qu’elles étaient à l’époque du paléolithique).
 
 

Saucratès



08/01/2023
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