Critiques de notre temps

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Évolution des sociétés - La violence comme principe explicatif

Évolution des sociétés

La violence comme principe explicatif

Par Saucratès 

Saint-Denis de La Réunion, samedi 4 mars 2023


Après tous ces préparatifs (lire mes précédents articles ayant le même objet), on en arrive enfin au cœur du sujet.

https://saucrates.blog4ever.com/de-levolution-des-societes-retour-1

 

Comment peut-on expliquer les différentes formes de sociétés que l’on observe de part le monde et comment peut-on expliquer que si nous descendons tous de groupes d’homo sapiens sortis d’Afrique il y a quelques dizaines de milliers d’annees, ces groupes aient pu donner naissance à toutes ces sociétés qui se sont succédées ou qui continuent de cohabiter à l’échelle de la planète et au fil des siècles et des millénaires ? C’est forcément que quelque part, il existe un processus d’évolution qui a conduit à l’apparition de toutes les formes de sociétés qui existent aujourd’hui ou qui ont existé d’hier. Et nous sommes forcément passés d’une forme à l’autre.

 

On sera peut-être conduit à parler de certaines formes de sociétés humaines comme des impasses évolutives, comme on le dit pour la lignée des Homo sapiens, ou bien dirons-nous peut-être exactement le contraire, et ce sera peut-être notre société occidentale, en perpétuel déséquilibre, en perpétuelle transformation, qui s’avérera être une impasse évolutive ou un cul de sac évolutif. Mais ce sera dans un deuxième temps.

 

La violence comme seule réponse à un nouveau contact 

Ma première hypothèse portera sur la forme privilégiée des contacts noués entre peuples lors d’un premier contact. On lit souvent que les archéologues s’interrogent sur la forme qu’à pu prendre les contacts entre les Homo sapiens nouvellement arrivés en Europe et les Néandertaliens anciennement installés. Contacts pacifiques, échanges de techniques ou premier génocide de l’histoire ?

 

Toutes les expériences de contacts entre bandes inconnues d’humains se sont toujours produites de la même manière, par la violence, par le rapt et par la mort.

 

Quand les espagnols débarquent dans le nouveau monde et découvrent les civilisations des indiens, leur richesse en or et en argent, et leurs légendes, ils les soumettent militairement et ils tentent de leur apporter la lumière de leur foi, de leur religion. Erreur magistrale ; les indiens n’épargnent Christophe Colomb et ses soldats qu’uniquement parce qu’ils les prennent pour des envoyés des Dieux, en raison de leurs propres légendes sur Quetzalcóatl. L’histoire leur donnera tord.

 

L’expansion de l’Islam au cours des premiers siècles de son histoire se fait par la guerre qui les conduit jusqu’au cœur de l’Europe, en Espagne et jusqu’en France. 

 

Idem pour l’expansion européenne à partir du seizième siècle sur l’ensemble des continents ; on ne négocie et on ne ruse que lorsque l’adversaire est suffisamment fort et puissant. Seul le Japon se refermera et échappera à cette emprise, et se modernisera pour concurrencer militairement l’Occident et l’Europe.

 

Lorsque Pierre Clastres décrit les indiens Guayakis, il explique qu’ils ne croisent que très rarement d’autres tribus indiennes dans la forêt amazonienne pratiquement inaccessible, mais que lorsque cela arrive, ils font systématiquement la guerre à ces tribus croisées dans leur pérégrination, qu’ils tuent les hommes et capturent les femmes et les filles et qu’ils continuent leur périple. Le terme de Guayakis signifie pour eux ‘hommes’ et les autres peuples qu’ils rencontrent ne sont pas humains.

 

Les enquêtes des ethnologues disent exactement la même chose de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, où les tribus les plus reculées, qui n’ont jamais vus la civilisation, sont des tribus de cannibales et de mœurs guerrières. Les habitants des îles Sentinelles, dernier peuple supposément à rester à l’écart de la civilisation, agissent exactement de la manière et ils ont criblé de flèches un jeune idéaliste qui voulait venir à leur rencontre.

 

Selon moi, il n’y a pratiquement pas de premiers contacts entre deux peuples qui ne se soient pas produits de manière agressive. A l’exemple des Guayakis, et de manière plus générale, chez la majorité des peuples, seuls les membres de la tribu sont reconnus comme des ‘hommes’ et les autres n’ont pas droit à cette reconnaissance d’humanité, même s’il s’agit de tribus apparentées. Les Homo sapiens ont très certainement exterminé les Néandertaliens lorsqu’ils les ont rencontré, et ce n’est que grâce à l’immensité du territoire européen, aux très faibles populations d’Homo sapiens, et aux zones extrêmement inhospitalières de l’Europe au delà des zones méditerranéennes, que les Néandertaliens ont pu survivre une dizaine de milliers d’années à la rencontre avec Homo sapiens.

 

L’histoire se répétera-t-elle avec les migrations actuelles venant d’Afrique ou du Moyen-Orient débarquant en Europe, comme aux temps des Néandertaliens ? Ma vision est pessimiste, comme s’il n’y avait aucun espoir avec l’humanité. La guerre est son seul avenir et son seul passé. De même que le génocide. 


La violence comme principe explicatif de l’évolution des sociétés humaines

La violence et la guerre ne sont pas nées avec les sociétés européennes ou occidentales modernes, comme legs ou inventions des occidentaux. La violence et la guerre existent dans toutes les sociétés humaines depuis que l’histoire existe, ou que l’homme se rappelle son histoire. On la trouve au plus profond des tribus amazoniennes ou au fin fond de l’Irian Jaya. On la trouvait en Australie avant l’arrivée des européens. On la trouve dans l’histoire de la Rome antique ou de la Grèce antique. On la trouve dans les épopées égyptiennes, assyriennes ou mésopotamiennes. Et de manière pratiquement évidente, elle n’est pas née avec l’homme moderne, historique, mais date forcément au minimum de l’histoire de l’homo sapiens, de cet homme de Cro Magnon qui découvrit dans son périple mondial d’autres branches de l’humanité comme l’homme de Neandertal ou l’homme de Denisova.

 

Cette violence, cette capacité à faire la guerre à ses voisins, à la cité voisine, est également le principe explicatif majeure de l’histoire des peuples et des civilisations, que l’on parle des Hans en Chine, de l’Islam au Maghreb et en Afrique sub-saharienne, des tribus barbares en Europe ou des invasions Mongol. Mais l’expansion de chacun de ses peuples était contrarié par les limites des moyens de télécommunications de l’époque et des moyens de transports pour approvisionner des armées ou maintenir la main mise sur des sujets éloignés. Jusqu’à la survenue des occidentaux qui ont été capables de coloniser toutes les terres habitées ou émergées. 

Les seules limites à l’expansion des empires étaient des contraintes géographiques ou physiques. Des oceans, des déserts apparemment impraticables, des forêts vierges apparemment impraticables et leur faune inquiétante, ou des montagnes inaccessibles. Ce n’est que dans ces niches géographiques ou écologiques que des peuples premiers ont pu subsister face aux peuples envahisseurs, que leurs tribus ont pu survivre à l’écart des grandes civilisations. Dans les fortes vierges d’Afrique, d’Amazonie ou de l’Irian Jaya, dans les déserts d’Afrique ou d’Australie, dans les massifs montagneux de l’Himalaya et du Tibet. 

La distance joue aussi un rôle crucial dans l’effondrement des empires. Impossible pour l’empire d’Alexandre de rester uni après son décès. Idem pour l’empire Romain avant qu’il ne se décompose. Idem pour l’empire Égyptien, pour les Phéniciens ou pour les Almoravides. Ou l’empire du Songhai. Jusqu’à la venue des européens. Même si leurs empires se sont aussi tous effondrés et que l’on trouve désormais une multitude d’Etats indépendants (Australie, Afrique du Sud, États-Unis d’Amérique, Canada, Brésil, Argentine, Indochine …).

 
Ces contraintes physiques (forêts vierges, déserts, montagnes) permettent aussi, ou gênent aussi, le développement de ses peuplades, et permettent le maintien de leurs coutumes ancestrales. En disant cela, je me place à la fois dans la suite de la réflexion de Pierre Clastres sur les indiens Guayakis et plus largement d’Amazonie, mais aussi dans les traces de Heide Goettner-Abendroth dans sa réflexion sur la survivance des sociétés matriarcales. Parce qu’aux marges des grandes aires des grandes civilisations, on trouve une multitude de sociétés qui ont réussi à faire perdurer leurs coutumes ancestrales et leurs organisations tribales., soit en se réfugiant dans des contrées inaccessibles, soit par la ruse et la dissimulation. 

Pierre Clastres (mais aussi Etienne de la Boétie plusieurs siècles auparavant) développait aussi l’idée que l’isolement géographique et la dangerosité du milieu naturel permettait de se protéger de l’apparition du pouvoir, de l’UN. Un chef qui voulait continuer une guerre dont le reste de la tribu ne voulait pas, et qui s’entêtait, pouvait être exclu du groupe, de la tribu, et c’était pour lui la mort assurée. Idem pour les vieillards incapables de continuer à aider la tribu ou de suivre les déplacements. De la sorte, ces sociétés sans État, sans force autonome de coercition, purent survivre au fil des siècles, perdurer, sans basculer dans la civilisation, dans l’irruption du pouvoir de certains, du pouvoir de l’UN pour reprendre mon auteur fétiche, Etienne de la Boétie.

 

La violence explique tout

La violence et la guerre explique à la fois les expansions des grands peuples civilisateurs, ou éradicateurs, mais aussi la permanence de certaines sociétés premières qui échappèrent à la civilisation, à l’apparition du pouvoir, à l’apparition de la domination des uns sur les autres. Car c’est aussi la violence des rites d’initiation marquant les corps, et rappelant que tous sont égaux car ils ont tous été marqués de la même manière par les mêmes rites, la violence intrinsèque de ces sociétés premières à l’encontre de tous ceux qui voudraient chercher le pouvoir pour le pouvoir, la richesse pour la richesse, ou simplement ceux qui violent les coutumes ou les règles.

 

Et si on réfléchit bien, on se rend compte que c’est justement la grande évolution de notre société occidentale ou moderne. Jusqu’à présent, on avait l’impression que les jeunes étaient contraints par la société, par les usages, de se couler dans le moule social qu’avait conçu les anciens, les plus âgés. Et c’est cette évolution-là, à travers le jeunisme forcené de notre société, les multiples plaintes pour harcèlement moral, sexuel ou institutionnel qui se développent, qui gangrènent notre société, nos sociétés, que l’on aperçoit et dont on aperçoit le danger. Car une société qui se détruit à chaque génération ne pourra jamais survivre. 

(nota : évidemment on peut penser la même chose de mai 68 et des grandes avancées sociales, ou reculs, obtenus par des étudiants comme Cohn-Bendit).

 

 

Saucratès

 

 

Liste des quelques livres sur le sujet évoqué dans ces articles :

 

Johann Jakob Bachofen - Le droit maternel - Recherche sur la gynécocratie de l’Antiquité dans sa nature religieuse et juridique - 1996 - Éditions L’Age d’Homme, Lausanne … Titre original : Das Mutterrecht - 1861

 

Cornelius Castoriadis - La création humaine II - Ce qui fait la Grèce - 1. D’Homère à Héraclite - Séminaires 1982-1983 - Éditions La Couleur des Idées - Seuil, Paris

  

Bernard Chapais, Aux origines de la société humaine – Parenté et évolution - 2017 - Editions du Seuil, Paris

 

Pierre Clastres - La société contre l’Etat - Recherches d’anthropologie politique - 1974 - Les éditions de Minuit - Collection Critique

 

Richard Dawkins - Il était une fois nos ancêtres. Une histoire de l’évolution - 2007 - Éditions Robert Laffont, Paris

 

Heide Goettner-Abendroth - Les sociétés matriarcales - Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde - 2019 - Éditions Des femmes - Antoinette Fouque, Paris

 

Emmanuel Guy - Ce que l’art préhistorique dit de nos origines - 2017 - Éditions Flammarion - Au fil de l’histoire, Paris

 
Etienne de La Boétie - Discours de la servitude volontaire - 1576 - Collection Mille et une nuits n°76

 

Bronislaw Malinowski - Les Argonautes du Pacifique occidental - 1967 - Gallimard, Paris

 
Lewis Henry Morgan - La société archaïque - 1971 - Éditions Anthropos, Paris … Titre original : Ancient Society - 1877

 

Alain Testart – Le communisme primitif - Economie et idéologie - 1985 - Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris

 

Alain Testart – Eléments de classification des sociétés - 2005 - Editions Errance, Paris

 

Alain Testart – Avant l’histoire – L’évolution des sociétés de Lascaux à Carnac – 2012 – Editions Gallimard NRF – Bibliothèque des sciences humaines, Paris

 
Sources orientales - Tome 1 - La naissance du monde - 1959 - Éditions du Seuil, Paris



04/03/2023
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