Critiques de notre temps

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Retour sur la réforme du Baccalauréat - Des objectifs cachés ?

Saint-Denis de la Réunion, mercredi 28 avril 2021

 

Mes deux prochains posts sur ce blog aborderont quelques réflexions éparses sur deux sujets qui m’interpellent.

 

Le premier sujet concerne la réforme du lycée et du baccalauréat menée par le ministre Blanquer du gouvernement Macron. On peut faire remonter l’origine de ce mouvement de réformes à la suppression sous le président Chirac, il y a assez longtemps, des cours à l’école le samedi matin. Belle reforme pour nombre de parents d’élèves, mais cette réforme est à l’origine d’une vieille contestation, d’une vieille rancoeur des pédagogues socialistes, selon lesquels on doit étaler les enseignements pour les enfants plutôt que de les concentrer sur quatre jours. Evidemment, chaque gouvernement a à cœur de proposer une réforme du monde de l’enseignement. Réforme de l’université en 1986 avec la réforme Devaquet, finalement abandonnée sous la pression des manifestations estudiantines, déjà à l’époque de Chirac premier ministre. Reforme du collège unique dans les années 1975-1977, qui conduira à la disparition de l’examen du BEPC en 1980, puis une réforme du lycée en 1981 avec la création de la seconde indifférenciée, puis de la première S l’année suivante. Là aussi, une génération d’enfants avait subi les unes après les autres ses réformes successives ; celle des enfants nés au cours des années 1966-1967. 

Mais revenons-en aux réformes qui nous intéressent. En 2012, sous le président Hollande, on a donc d’abord eu le rétablissement au choix des cours le mercredi matin ou le samedi matin, et une réforme des rythmes scolaires à l’école élémentaire. Puis dans la foulée, on a eu droit à une deuxième réforme socialiste, du collège cette fois-ci, frappant toujours la même classe d’âge, les enfants nés en 2003-2004. Cette réforme visait cette fois-ci supposément à offrir à tous les élèves les mêmes chances. Mais la vision socialiste de cette égalité des chances, c’est d’interdire à tout enfant d’avoir plus que les autres. Suppression donc des options classes bilangues qui offraient dans certains collèges (trop élitistes au goût des socialistes) la possibilité d’apprendre deux langues vivantes (anglais-allemand-chinois-espagnol) aux collégiens de sixième. Interdiction donc des classes bilangue. Suppression également de l’enseignement du latin également au collège, vraisemblablement parce que c’est un enseignement trop élitiste, réservé selon les socialistes aux enfants de certains milieux sociaux, ou bien parce que Mme le ministre de l’éducation Vallot-Belkacem n’aimait pas le latin. Des enseignements qui ne bénéficient qu’à une fraction des élèves, ce n’est pas tres socialo-compatible ! Si en plus, cela donne des connaissances historiques aux élèves sur les racines latines du français, c’est extrêmement mauvais. Trop passéiste pour les socialistes, trop élitistes, trop europeano-centriste ...

 

L’arrivée du libéral socialo-centriste ni de droite ni de gauche Emmanuel Macron mis fin à ces deux expérimentations à l’école et au collège mais il lança une nouvelle réforme du lycée et du baccalauréat des son arrivée, dont les premières victimes sont toujours cette même génération des enfants nés en 2003-2004.

 

Si les réformes socialistes visaient à casser les privilèges accordés à certains enfants issus de certains milieux sociaux, ayant seuls les clefs leur permettant de comprendre le fonctionnement du système scolaire, aux yeux des socialistes, quels pouvaient bien être les objectifs des réformes Blanquer ? Macron et Blanquer ont évidemment également lancé les enseignements en demi-classe en CP en zone difficile de façon à permettre de meilleurs apprentissages. C’eut été une réforme socialiste, ils auraient plutôt imposé une mesure désavantageant les enfants honnis des classes privilégiées. 

Accessoirement, ces classes privilégiées qui connaissent si bien le fonctionnement du système scolaire sont surtout les enseignants et leurs enfants, et ce sont aussi les principaux électeurs historiques du parti socialiste. Ils étaient également, en tant qu’enseignants au primaire, les premières victimes de la réforme des rythmes scolaires. Y a-t-il d’ailleurs un lien avec le score des socialistes à la présidentielle ? Sanction idiote d’ailleurs, puisque les concepteurs de ces réformes, Vallot-Belkacem, Hollande, Valls, Macron et consorts avaient fui ailleurs, à LREM.

 

Pour en revenir au sujet qui m’interpelle, pourquoi donc Macron et Blanquer voulaient-ils réformer le Baccalauréat et les enseignements au lycée ? Etait-ce dans le but de casser la suprématie des filières scientifiques ? Objectif raté puisqu’avec cette réforme, plus de 70% des lycéens choisissent les spécialités scientifiques (Mathématiques-Physiques-SVT). Mais dans quel autre but alors ...

 

Le fait de généraliser la notation continue pour la plus grande partie des appréciations des matières et des examens du Baccalauréat met en lumière l’impossibilité de conserver un diplôme national qui aura une même valeur au plan national. Fini le rêve d’une épreuve nationale par laquelle tous les bacheliers étaient passés de la même manière, avec les mêmes angoisses, forts ou faibles. C’est un nouveau rite de passage qui disparaît, après le service militaire. Un rite de passage qui frappait tout le monde dans une génération, qui marquait toute une génération. 

Cette réforme butte sur un impensé de la réflexion pédagogique sur la réussite scolaire et sur les réformes du baccalauréat, du lycée, du collège et de l’école : l’impossibilité de noter tous les lycéens de la même manière, de manière égalitaire, et l’existence de différences de niveau scolaire et de niveau de notation entre les lycées et entre les élèves et/ou les enseignants.

Pour les examens du Baccalauréat, l’éducation nationale avait organisé au fil des années un système extrêmement complexe pour permettre que les évaluations des copies des élèves soient à peu près identiques au niveau de l’ensemble de la France et que l’ensemble des élèves se trouvent dans les mêmes conditions pour passer cet examen. Organisation militaire pour éviter que les sujets d’examen ne soient découverts et qu’ils puissent arriver le même jour dans chaque centre d’examen. Double notation de chaque copie et mise au point d’une grille d’évaluation pour que chaque enseignant note plus ou moins de manière comparable. Et anonymisation des copies afin que nul notateur ne sache quelle copie celui-ci notait, son identité, son lycée d’origine ... afin d’éviter tout a priori. Evidemment, toute cette machinerie ne permettait pas d’avoir une notation strictement équivalente dans la France entière. Mais cette machinerie extrêmement complexe et coûteuse permettait de s’en approcher. Evidemment, elle n’était pas parfaite. Deux notateurs ne suffisent pas à s’assurer de la véracité de la note attribuée. Un troisième notateur aurait certainement mis une note divergente, et un échantillonnage n’est considéré comme gaussien, ou respectant une loi normale, qu’au delà de 15 observations. Il eusse fallu 15 notations de chaque copie pour obtenir une note la plus objective possible. La seule autre manière d’avoir une notation uniforme, et donc une évaluation objective de la qualité de chaque copie, eusse été de faire noter toutes les copies par un seul et unique programme informatique, qui seul aurait été capable de noter toutes les copies et de les apprécier objectivement, de la même manière, quelque soit son état d’esprit, ses problèmes, ou la copie que l’évaluateur venait de noter.

 

Il existe évidemment des centaines de raison expliquant que les évaluateurs ne sont pas des robots et qu’ils vont forcément noter et évaluer une copie de manière différente. Passer derrière une copie excellentissime, ou derrière une copie minable, n’est évidemment pas sans conséquence. La machinerie mise en place par l’éducation nationale permettait malgré tout de limiter ce risque d’inobjectivité (ou de subjectivité) des notations. Il s’agissait du meilleur des systèmes possibles, au sens de Pangloss.

 

Mais la réforme du Baccalaureat de Blanquer oublie complètement tout ce souci d’une évaluation objectivement comparable pour le baccalauréat. Le recours au contrôle continu pour évaluer pour partie l’élève oublie complètement qu’aucun enseignant ne note de la même manière et ne donne les mêmes contrôles. Un même élève noté dans une classe d’excellence de Louis Le Grand ou dans un lycée public de banlieue ne sera pas apprécié de la même manière, n’aura pas les mêmes notes en contrôle continu. Il n’aura pas non plus le même niveau d’enseignement, me direz-vous. Il en va exactement de même de l’autre partie de la note du baccalauréat, les évaluations communes, dont les sujets doivent être recherchés dans une base de sujet commune. Là aussi, pas de système de notation pour permettre une objectivité des notations. C’est un autre enseignant du même lycée qui va noter ces évaluations. Avec là aussi forcément des niveaux d’attente différents selon que vous soyez dans un lycée de banlieue ou dans un lycée élitiste de la capitale ou dans une boite à bac.

 

Le nouveau baccalauréat de Blanquer ne permet plus de donner à chaque élève un baccalauréat reflétant le plus fidèlement possible une mesure de son excellence, de son niveau, de son travail. Une mesure qui était sensé être la plus objective possible, la plus régulière au niveau de l’ensemble de la France.

 

Non, ce nouveau Baccalauréat vient sanctionner l’élève par un diplôme dont le niveau sera différent d’une classe à l’autre, d’un enseignant à l’autre, d’un lycée à l’autre.

 

Au fond, l’aberration du baccalauréat uniforme sur l’ensemble de la France disparaît. C’était le seul diplôme à fonctionner de cette manière, l’ensemble des diplômes universitaires, jusqu’aux doctorats de troisième cycle, sont des diplomes délivrés par une université. On sanctionne un nombre d’années d’enseignement. On ne donne pas un diplôme équivalent, même si toutes les universités reconnaissent la validité de tous les diplômes de leurs consœurs, voire des universités étrangères.

 

Il y a deux conséquences possibles à ce projet de nouveau de Baccalauréat de Blanquer. La première conséquence voudrait que la valeur des diplômes de baccalauréat de chaque lycée soit différent. Il devrait y avoir de bons diplômes de baccalauréat qui seraient recherchés, venant de bons lycées, et d’autres qui ne vaudraient presque rien, quelque soit les mentions obtenues. Une mention assez bien obtenu à Louis Le Grand est bien plus difficile à obtenir qu’une mention très bien dans un lycée de banlieue où une moitié des élèves sont des cancres. Ce n’est pas 1 ou 2 points de moyenne générale qu’un élève perd en passant d’un lycée public à un lycée privé, mais plutôt 4 ou 5 points de moyenne générale. 

Mais je ne crois pas à cette conséquence. Je ne pense pas que ce soit le projet de Macron et de Blanquer. Parcours Sup apprécie à peu près tous les dossiers de la même manière, ne s’intéressant qu’aux moyennes obtenues, quelque soit les lycées fréquentés. Sinon, si Parcours Sup rajoutait entre 5 et 10 points aux moyennes générales des élèves des meilleurs lycées, ce serait une énorme levée de boucliers.

 

Et puis, aujourd’hui, que va-t-on appeler un meilleur lycée ? Celui qui a les meilleurs résultats au Baccalauréat, la plus grande proportion de diplômés, le meilleur taux de mention ? Autant les lycées élitistes avaient une chance dans le précédent système de notation du Baccalauréat, autant ils n’ont plus aucune chance dans ce nouveau régime !

 

Aujourd’hui, un élève bon ou moyen doit vraiment se poser la question de savoir s’il ne vaut mieux pas rejoindre un lycée public dans lequel le niveau est plus faible, plutôt que de rejoindre un lycée élitiste privé dans lequel il ne sera qu’un élève moyen et dans lequel il n’obtiendra que des notes moyennes, dans le milieu de sa classe. Est-ce cela le projet de Macron et de Blanquer ? Faire disparaître l’enseignement elitiste et privé, de la même manière qu’il veut désormais faire disparaître l’ENA ?

 

Oh evidemment, ces lycées élitistes privés continueront à préparer parfaitement leurs élèves pour les études supérieures et les classes préparatoires aux grandes écoles, à la différence des lycées publics normaux, ou de banlieue, comme aujourd’hui, même si ces derniers vont très vite devenir les lycées ayant les meilleurs taux de réussite au baccalauréat. Il faut juste que leurs élèves réussissent à rejoindre les classes préparatoires et les grandes écoles malgré le filtre de Parcours.Sup et de ce nouveau baccalauréat.

 

Il s’agit vraiment d’une drôle de réforme que cette réforme du Baccalauréat. À la différence des réformes des socialistes dont on comprenait parfaitement les tenants et les aboutissants, notamment l’égalitarisme le plus complet, qu’aucun élève n’obtienne plus que les autres, cette réforme Blanquer du lycée et du Baccalauréat est plus complexe, même si ce souci de l’égalitarisme républicain semble la piste la plus probable. Égaliser les chances de tous les élèves, quelque soit le lycée où ils étudient. 

Techniquement, ce système devrait conduire tous les lycées à noter plus souplement leurs élèves pour leur permettre d’avoir de meilleures mentions au Baccalauréat et une meilleure orientation derrière dans le cadre de Parcours Sup. Mais peut-être qu’au fond, c’est la focalisation sur la mention obtenue au Baccalauréat qui ne va plus avoir aucun sens ? La fin d’une époque ?

 

 

Saucratès



28/04/2021
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