Critiques de notre temps

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De l'expérimentation en médecine et en sciences économiques

Saint-Denis de La Réunion, dimanche 6 octobre 2019

 

Le principe de l'expérimentation en médecine ou en économie pose forcément un problème moral. Mais il n'est pas sûr du tout que ce principe pose également un problème de morale et d'éthique aux expérimentateurs eux-mêmes, aux médecins, ou aux économistes qui y recourent !

 

Quelques puissent être les règles et les méthodologies mises en œuvre par les facultés et par les commissions de déontologue pour entourer ces pratiques, celles-ci continuent forcément d'interpeller moralement. En médecine, même en se reposant sur le hasard (randomisation en double aveugle), le simple fait de donner à une personne un médicament qui pourrait le soigner et une autre personne un placébo qui n'a intrinsèquement aucune capacité de soigner cette personne est éthiquement et moralement indéfendable, selon moi. C'est jouer à Dieu, ou plutôt à l'apprenti-sorcier. C'est évidemment éthiquement encore pire si vous choisissez personnellement les personnes qui recevront le médicament, et ceux qui ne le recevront pas, parce que ce ne sont pas des amis. En médecine, il me semble impossible de nommer un spécialiste de ces expériences, parce que tous les médicaments, toutes les innovations médicamenteuses ou de traitement, toutes les nouvelles molécules brevetées reposent sur ce principe, sur ce système. On propose ainsi, parfois ou le plus souvent, à des personnes dont le pronostic vital est engagé, de participer à un test dans lequel ils ont une chance sur deux d'être bénéficiaires d'un nouveau traitement révolutionnaire, et une chance sur deux de se voir prescrire un peu de sucre comme placébo. Cela a même conduit à inventer de nouvelles théories sur l'effet placébo, dans le cas à un patient s'étant vu prescrire un placébo enregistre les mêmes améliorations de sa santé parce qu'il est persuadé de recevoir le médicament expérimental. Et à l'inverse il existe l'effet nocébo, dans lequel un patient bénéficiant du bon médicament, est tellement persuadé qu'on lui remet le placébo que le médicament ne lui fait aucun effet bénéfique. Et il est évident que si je devais me retrouver dans cette situation, à essayer un nouveau traitement dans un groupe expérimental, je serais moi aussi tellement persuadé avoir le placébo que le traitement ne pourrait me faire aucun effet bénéfique. Cette terreur qui vous envahit au plus profond de la nuit, face à la maladie, et au cours de laquelle vous imaginez les pires choses, les pires peurs, dont celle de bénéficier d'un placébo en lieu et place d'un vrai médicament. Cette angoisse sourde qui vous dévore dans la nuit, qui vous laisse plus réveillé que vous ne l'avez jamais été, plus incapable de trouver le sommeil. Et ces expérimentateurs fous n'en ont absolument rien à faire. 

 

À se demander même pour quelles raisons on continue à pratiquer ce genre d'expérimentation en médecine, malgré l'importance de ces effets placébo et nocébo qui viennent en altérer les résultats et qui ne permettent absolument pas de déterminer si un traitement marche ou non, entre les optimistes qui seront persuadés d'avoir la bonne molécule, et les pessimistes qui seront persuadés du contraire. 

 

https://www.allodocteurs.fr/se-soigner/medicaments/l-effet-nocebo-le-cote-obscur-de-l-effet-placebo_9942.html

 

 

En économie, le principe de l'expérimentation est un peu plus récent et un peu moins développé, de telle sorte que l'on peut plus facilement citer les économistes qui s'essaient, qui sont les spécialistes de l'économie expérimentale. L'économie a longtemps été d'abord une science théorique, molle, avant de devenir une science pure, une science dure, en se reposant sur des modèles mathématiques pour énoncer ses lois. Maintenant, certains veulent faire d'elle une science expérimentale. Selon moi, c'est une idée particulièrement idiote. Une science expérimentale signifie qu'une expérience puisse être répétée et reproduite par n'importe qui et donner les mêmes résultats. C'est improbable s'agissant de l'économie, parce que l'économie repose avant tout, non pas des interactions de molécules ou d'atomes, mais sur des interactions humaines, qui ne sont ni reconductibles, ni reproductibles. Une même personne dans une même situation à deux moments différents pourra prendre deux décisions tellement différentes, qu'il s'agisse de rendre la justice, qu'il s'agisse d'un acte de consommation, ou d'un acte financier. 

 

Les économistes qui à tord veulent démontrer que l'économie est une science expérimentale se trompent et nous trompent. Le Monde et l'économie n'est pas reproductible. Ils ne sont même pas modélisables avec une probabilité suffisante de réalisation. Une crise financière est-elle aujourd'hui en devenir ? Pourra-t-elle être éviter ? En 2007, les économistes nous prédisaient des décennies de croissance ininterrompues, et il y eut la crise financière de 2007 qui mit la planète finance à genoux !  

 

Apres, il me faut mieux spécifier ce que j'entends par économie expérimentale, ce que d'autres appellent «économie expérimentale aléatoire». J'entends par là les principes théoriques définit par les économistes Esther Duflo, Mickael Kremer ou Abhijit Banerje. Des principes qui théorisent et qui ont réussi à imposer le principe de l'expérimentation et de l'évaluation en matière d'économie du développement et de politiques publiques.

 

https://journals.openedition.org/regulation/13148

 

Il n'est pas dans mon objectif de développer une critique de l'economie experimentale d'Esther Duflo. Lire pour cela l'article d'Agnes Labrousse A. (2010), « Nouvelle économie du développement et essais cliniques randomisés : une mise en perspective d’un outil de preuve et de gouvernement ». Revue de la régulation, vol. , no 7, p. 2‑32.

 

https://journals.openedition.org/regulation/7818

 

J'ai entendu parler d'Esther Duflo à l'origine de la création de la chaire d'économie du développement de l'Agence Française de Développement au collège de France, à l'époque où son directeur général en était l'énarque Jean Michel Sévérino. Et dès cette époque, la seule idée de lancer une expérimentation aléatoire en économie me semblait être éthiquement inacceptable. De la même manière qu'en médecine, on mesurait les différences de résultat entre un groupe qui bénéficiait d'une politique publique, d'une politique d'aide, et d'un ou des groupes test qui n'en bénéficiaient pas. Mais toujours la même question : comment peut-on jouer à Dieu. Dans la simple idée de mesurer l'améliorer des conditions de vie et de développement d'une population donnée, on décide qu'un groupe bénéficiera d'une politique d'aide, et qu'un autre groupe n'en bénéficiera pas. Il ne s'agit pas ici d'une génération de souris de laboratoire qui sert de cobayes. Il s'agit d'êtres humains, de véritables êtres humains, pour lesquels les champs de l'expérience représentent plusieurs années de vie, l'enfance de centaines d'enfants ! Comment des économistes peuvent-ils lancer ce genre d'expérience en jouant avec la vie de milliers et de centaines de milliers de personnes, juste pour expérimenter et évaluer l'apport de politiques publiques ?

 

Certaines personnes défendent cette méthodologie en argumentant qu'il faut bien faire avancer la science, que c'est le prix à payer, que l'expérimentation permet de faire avancer la connaissance. A ma connaissance, le même genre d'arguments pourrait permettre de légitimiser les expériences des nazis dans les camps de concentration des années 1941-1945 ! Les savants nazis firent également avancer la médecine avec leurs expériences médicales extrêmes menées sur les hommes et femmes internés juifs ou tziganes sur lesquels ils procédèrent aux pires expériences qu'il a été possible d'imaginer à l'homme (ou presque ... j'ignore les expériences menées par les savants européens sur les peuples africains, ou ceux menés dans les camps de travail communistes ou chinois). Si l'expérimentation à la Duflo semble moralement acceptable aux bonnes âmes occidentales modernes, pour permettre à la science économique de progresser, cela signifie-t-il que ces mêmes bonnes âmes auraient validé les expériences nazies pour permettre la progression de la science médicale ? Les bonnes âmes me diront certainement non ? Mais qu'elle est la différence lorsque l'on joue à Dieu, lorsqu'on décide de qui vit et qui meurt, et de qui vit et de quelle manière ? Il n'y en a aucune selon moi. Il n'y a selon moi aucune différence fondamentale entre l'expérimentation nazie dans les camps de concentration et l'expérimentation à la Duflo en économie !

 

 

Saucratès



06/10/2019
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