Critiques de notre temps

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Dette et financement, raison de l’échec des politiques de développement en Afrique

Dette et financement, raison de l’échec des politiques de développement en Afrique

 

Par Saucratès

 

Saint-Denis de la Réunion, mercredi 25 mai 2022

 

Il n’y a qu’un seul responsable au sous-développement industriel et économique de l’Afrique ; et ce responsable est l’Occident pour aujourd’hui et hier, et ce responsable sera la Chine demain.

 

Ce n’est pas une déclaration politique ou identitaire ; c’est une affirmation économique que l’on peut démontrer. Et la raison pour laquelle on peut dire que l’Occident, et demain la Chine, sont responsables du sous-développement industriel et économique de l’Afrique, se résume en un mot : le problème du financement et de la dette.

 

Au dix-neuvième siècle, l’Europe puis les Etats-Unis se sont eux-aussi trouvés confrontés à un processus de révolution industrielle. Ils étaient les premiers à s’engager dans ce processus d’industrialisation, ou du moins, à copier les premiers Etats s’étant engagés dans cette voie (à savoir le Royaume-Uni). On sait comment expliquer la première révolution industrielle anglaise puis européenne, les mécanismes sur lesquels se sont appuyés ces Etats, les politiques publiques qui ont été mises en œuvre.

 

- Réforme foncière avec le mouvement des enclosures en Angleterre,

- Révolution des pratiques agricoles permettant un accroissement des productions agricoles et une baisse des prix des céréales

- Déplacement massif de populations agricoles vers les grandes villes industrielles permettant la création d’un lumpenprolétariat apte à travailler dans les nouvelles usines,

- Révolution technologique avec l’invention de la machine à vapeur et des métiers à tisser

- Création de réseaux ferrés et de réseaux routiers fluidifiant les échanges marchands … etc … etc …

 

D’autres Etats par la suite se sont eux aussi engagés dans la voie de l’industrialisation et du développement économique, comme d’abord les divers Etats du Commonwealth, puis la Russie, le Japon, puis les Etats du G20 (Brésil, Chine, Inde …), puis les dragons asiatiques, et enfin les tigres asiatiques. Leurs réussites furent plus ou moins bonnes, plus ou moins parfaites. La Russie, l’Inde ou la Chine demeurent des Etats dont le développement industriel présente des faiblesses, des zones de grande pauvreté ou des pans vétustes de leurs industries. Par ailleurs, la crise des monnaies asiatiques de 1997 faillit mettre à mal l’économie de l’ensemble des dragons et des tigres asiatiques, démontrant que ces derniers demeuraient extrêmement dépendants des mouvements financiers des grands Etats occidentaux et de la spéculation financière que ces derniers abritaient.

 

Le processus de développement industriel et de développement économique semble ainsi être un processus dans lequel il y a beaucoup de candidats mais peu d’élus ! C’est aussi un processus dans lequel il semble qu’il faille des perdants et des gagnants, où les emplois industriels qui sont créés à un endroit sont des emplois industriels qui sont détruits ailleurs ! C’est une vision certes pessimiste du développement industriel, mais elle a une forme de vérité. Cette vision ne concerne pas seulement l’Occident, mais tous les Etats. Lorsque une usine quitte un pays à faible coût de main d’œuvre pour un nouveau à plus faible coût de main d’œuvre, il y a aussi de l’emploi détruit. Certes, de nouveaux emplois sont souvent créés à la place des emplois industriels détruits. Des emplois de service en Occident et de nouveaux emplois industriels ailleurs, mais cette théorie du développement fait totalement l’impasse sur le coût d’adaptation nécessaire pour les salariés, et leur souffrance. Cette même souffrance, ce même coût d’adaptation que l’on voit indistinctement à l’œuvre en Occident ou ailleurs, et que l’on a vu dans les campagnes européennes au dix-neuvième siècle au moment de la première révolution industrielle.

 

Il existait un argument, un présupposé, pouvant permettre de croire que le développement industriel de l’Afrique, et des derniers Etats à se lancer dans le développement économique, était possible. Ce présupposé, cette idée, étaient que ces nouveaux Etats pouvaient faire l’économie de toutes les tentatives, de toutes les erreurs de développement traversés par leurs prédécesseurs dans le processus de développement. L’idée que ces nouveaux Etats pourraient bénéficier et mettre en œuvre uniquement les dernières technologies les plus efficientes, les méthodes les plus efficaces, les outils industriels les plus modernes.

 

Mais il n’en est apparemment rien. Il ne sert à rien de mettre en œuvre des gigafactorys Tesla s’il n’existe pas de marché domestique pour écouler leurs productions. On a également construit des éléphants blancs en Afrique, des méga-projets sur-dimensionnés qui n’avaient aucune utilité, si ce n’est d’enrichir les entreprises occidentales qui les avaient construites, et d’appauvrir les générations d’africains obligés de rembourser les prêts ayant servi à les construire !

 

Et c’est au niveau de cette dette que réside la faute de l’Occident. Les différents Etats que j’ai cité se sont lancés dans un processus d’endo-développement, autofinancé, autoconstruit. Au dix-neuvième siècle, nul n’était capable de financer les Etats occidentaux, si ce n’est leur propre peuple, leurs propres banques, et l’argent et l’or volé dans leurs empires coloniaux. Il serait intéressant de rappeler l’apport de l’or des Aztèques dans le développement industriel européen à partir du seizième siècle. En rappelant que ce ne sera point l’Empire espagnol ou portugais qui en profitera, mais l’Angleterre et la France puis l’Allemagne.

 

De son côté, le Japon comme la Russie se sont lancés dans un processus d’industrialisation militaire, en ayant fermé leurs frontières aux influences de l’Occident, à deux époques certes différentes. Il en ira de même pour la Chine, pour les dragons et les tigres asiatiques, qui développeront une voie différente vers l’industrialisation, pilotée par l’Etat.

 

L’Afrique s’est vue conseiller, proposer, un autre processus de développement économique dont on peut voir désormais les échecs. Sous l’impulsion des prêteurs internationaux, des agences de développement des pays occidentaux, l’Afrique et les Etats d’amérique du Sud se sont vus imposer la voie du commerce international, des ajustements structurels, des effacements de dettes, et de l’implantation des grandes multinationales, occidentales hier, chinoises demain, pour l’extraction de leurs ressources naturelles ou minières.

 

Dans le cadre d’un endo-développement, au dix-neuvième ou au vingtième siècle, le problème du remboursement des dettes et des paiements des intérêts ne se pose pas. Ce qui est remboursé aux créanciers nationaux permet à ces derniers de financer éventuellement d’autres projets. Rien de tel dans le mécanisme de développement assigné aux pays d’Afrique ou d’Amérique du Sud. Ces devises étrangères qui doivent servir à rembourser les emprunts auprès des banques occidentales ou les prêteurs internationaux viennent appauvrir ces États. Et nulle classe d’emprunteurs nationaux aptes à financer de prochains projets ; à chaque fois, il faut se rabattre sur des agences multilatérales ou bilatérales de financement, comme la Banque Mondiale, l’Agence française de développement ou la KFW.

 

Evidemment, on peut penser que les projets que l’on cherche à financer excèdent largement les moyens des créanciers nationaux, d’où les besoins des financiers internationaux. Mais c’est une fausse solution, une fausse bonne idée. Ces financements et la dette qui en ressort sont la raison principale de l’échec des essais de développement industriel et économique de l’Afrique. Seul un endo-développement autofinancé peut permettre de débuter leur industrialisation.

 

Depuis les années 1970, les Etats africains n’ont jamais cessé de devoir rembourser une dette pratiquement perpétuelle, au lieu de pouvoir se focaliser sur leur développement. C’est un peu comme si ces États devaient verser cinquante années durant, la compensation française de 1870 en or à Allemagne, suite à la guerre franco-prussienne, ou bien les compensations que les allemands ont été condamnés à régler après la capitulation à Versailles. 

L’histoire de ces deux dettes a marqué d’une empreinte indélébile l’Europe et le monde, et pourtant, les États occidentaux, et leurs agences bilatérales de financement, condamnent ces mêmes États africains au même règlement léonin d’une dette perpétuelle et injuste.

 

Si on veut réellement aider l’Afrique à se développer, il faut :

 

- lui permettre de développer un marché financier intérieur lui permettant de financer ses propres projets de développement,

- privilégier un endo-développement économique et industriel à sa mesure, un peu comme les fours et aciéries de Mao Tse Toung en son temps

- cesser de décider pour eux des principales décisions les concernant ou la main mise sur la direction des principaux organismes et entreprises

- les financer à des taux bonifiés, soit-disant extrêmement bas ne suffit plus … seules des subventions sans aucun remboursement sont acceptable … si les États occidentaux veulent remplir leur obligation d’aide au développement à hauteur de 0,7%, qu’ils versent des subventions au lieu de comptabiliser dans cette aide au développement les prêts qu’ils consentent et qu’il faudra leur rembourser

- enfin et surtout, il ne suffit pas d’annuler l’ensemble des dettes des États africains, il faut aussi penser à leur rembourser les annuités que ces derniers ont payé depuis des décennies, se saignant et saignant leur population aux quatre veines. 

 

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/05/06/a-quand-une-revolution-industrielle-pour-l-afrique_6125077_3212.html

 

Effectivement, il n’existe pas de chemin simple vers le développement économique et industriel, mais plutôt autant de chemins différents qu’il n’y a eu d’Etats ayant réussi à se développer. Il y aura également un coût pour les organismes chargés de distribuer l’aide au développement comme l’Agence française de développement. Si l’Occident devait rembourser une fraction des sommes perçues au cours des dernières décennies par les Etats en développement africains ou sud-américains, ce serait alors la fin de ces organismes qui seraient immédiatement mis en faillite. Et pourtant, il s’agit de sortir de la spirale de sous-développement dans laquelle la spirale de la dette, du paiement des intérêts et du remboursement de la dette, dans laquelle l’Occident a plongé les États africains ou sud-américains. 

Et si l’Occident accompagnait véritablement l’Afrique dans la voie du développement ?

 

 

Saucratès



24/05/2022
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