Critiques de notre temps

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Retour à la théorie monétaire

Saint-Denis de La Réunion, jeudi 13 juin 2019

 

Je vais en revenir à la base de ma réflexion sur l'économie, à savoir la politique monétaire. Les dernières décennies des théories monétaires ont été relativement sans intérêt, avec la victoire absolue de la théorie monétariste sur les théories divergentes, essentiellement néo-keynésiennes. La plus grande partie des banques centrales des grands pays occidentaux et la plus grande partie des grands états occidentaux mettent en œuvre depuis le milieu des années 1980 les présupposés monétaristes. Des banques centrales indépendantes des pouvoirs politiques, une uniformisation des marchés financiers pour qu'ils répondent tous, du plus court terme jusqu'au plus long terme, à un même taux indexé in fine sur le taux directeur de la banque centrale, des indicateurs de politique monétaire basés les évolutions attendues de l'inflation anticipée, reposant sur l'idée que si les agents économiques nationaux sont certains que la banque centrale ne déviera pas de ses objectifs, ils anticiperont convenablement eux-mêmes l'évolution anticipée des prix. Ce dogme monétariste, sur la base des travaux de Milton Friedmann, s'est répandu à l'ensemble de la planète finance, matinée de la theorie des anticipations rationnelles et autres théories néolibérales ou néoclassiques. 

 

Mais cela, c'était avant la crise financière des années 2007-2009. La théorie monétariste classique, telle qu'elle était mise en œuvre par le Système de Réserve Fédérale americaine (dénommée FOMC) ou par le système de Banque centrale Européenne (BCE), préconisait des baisses des taux directeurs à mesure que la croissance économique ralentissait et que les tentations inflationnistes diminuaient, et inversement des hausses des taux directeurs à mesure que la croissance économique accélérait et que les risques inflationnistes s'amplifiaient. La théorie des anticipations rationnelles rajoutait un principe à ce schéma. Les banques centrales ne doivent pas surprendre les marchés ; les banques centrales ont ainsi eu tendance à informer les marchés à l'avance de leurs décisions, de telle façon que les marchés financiers anticipent convenablement les décisions de politique monétaire à venir. On a ainsi vu les banques centrales développer un langage codé compris par les marchés financiers. On a également vu les banques centrales prévenir à l'avance de leurs futurs programmes de relèvements ou de rabaissements de leurs taux directeurs. Cette parfaite anticipation par les marchés financiers renforçait ainsi les effets des politiques monétaires, rendant pratiquement inutile les interventions elles-mêmes des banques centrales. Par contre, si pour une raison ou une autre, les banques centrales n'appliquaient pas ce qu'elles avaient prévu de faire, on pouvait se trouver face à des chocs ou à des paniques financières. La non intervention imprévue d'une Banque centrale avait ainsi le même effet que ce qui était craint jusqu'à présent : une intervention imprévue de la Banque centrale. À noter neanmoins que les marchés financiers sont aussi émetteurs de communications vers les banques centrales, et qu'il peut arriver que les marchés financiers arrivent à faire remonter aux banques centrales l'information qu'une modification des taux directeurs même prévue et sur laquelle une Banque centrale a préalablement communiqué ne serait pas nécessaire voire serait contre-productive.

 

Les banques centrales étaient ainsi devenues dans les années 2000 des émetteurs de communications sur les marchés financiers mais également des récepteurs. La véritable réussite de la théorie monétariste était ainsi cette existence de marchés financiers source d'informations, et particulierement liquides, non segmentés. Un marché presque parfait, répondant pratiquement aux préceptes de la concurrence pure et parfaite. Transparence, atomisation des acteurs.

 

Presque parfait ... Mais loin d'être parfait ... La crise financière de 2007-2009 à d'abord fait voler en éclat cet idéal d'un marché où l'information circulait de manière idéale, de manière transparente. L'existence des crédits subprimes américains et leur diffusion à l'ensemble des compartiments du marché mondial, les faillites retentissantes de quelques établissements de tailles systémiques, parce que quelques autres établissements financiers cherchaient à s'enrichir, le gel de toutes les transactions sur certains compartiments du marché financier, parce que les établissements financiers n'avaient plus confiance les uns dans les autres, les uns soupçonnant les autres de pouvoir faire faillite ; tout ceci démontra la faillite de ce marché financier presque parfait. Et cela démontra aussi la faillite de l'idéal ultraliberal d'un marché capable de s'autoreguler librement.

 

2007-2009 marque en fait la ruine du principe de la théorie monétariste, parce que la véritable réussite du monétarisme, c'était ce marché financier mondial qui était supposé capable d'autorégulation, et dans lequel les banques centrales des grands états occidentaux n'étaient sensés être que des guides et des gendarmes.

 

À partir de 2009, les grandes banques centrales des États occidentaux ont mis en œuvre de nouveaux outils de politique monétaire, dès lors que pour relancer l'activité économique et relancer les échanges sur les marchés monétaires entre banques, des taux directeurs proche de zéro n'avaient malgré tout aucun effet, et qu'une crise de l'endettement public menaçait d'éclater en Europe mais egalement aux États-Unis. Les banques centrales ont ainsi inventé les outils de politiques monétaires non conventionnels, essentiellement des achats massifs de titres d'état directement sur les marchés financiers et des prêts massifs au système financier (que l'on dénommera QE pour «Quantitative Easing».

 

Il reste néanmoins un outil non conventionnel que les banques centrales n'ont pas mis en œuvre : la monnaie hélicoptère, c'est-à-dire l'émission directement dans la rue, auprès du public, de billets de banque centrale. Après tout, la BCE ou la FED, pour ne citer que ces deux institutions, ont déversé des sommes mirobolantes à taux zéro auprès des plus grandes banques. Sommes que ces banques pouvaient ensuite prêter à vous ou moi, aux Etats ou aux entreprises, mais pas à taux zéro ! Ce que ces banques centrales ont fait vis-à-vis des grandes institutions financières, pourquoi n'auraient-elles pas pu le faire directement auprès des ménages, auprès des consommateurs ou des emprunteurs ?

 

Arrivé à ce point-là de mon raisonnement, on peut tenter de faire un point. Premièrement, la crise financière de 2007-2009 a démontré l'erreur du modèle et des principes monétaristes, même si les banques centrales americaines et européennes continuent de défendre ce modèle et ces principes, tout ayant développé des mécanismes non conventionnels de politique monétaire en total décalage avec les principes du monétarisme. Deuxièmement, cette même crise financière de 2007-2009 a aussi démontré l'importance des interventions des Etats pour réguler le fonctionnement des marchés financiers et pour empecher la survenue d'une crise financière systémique qui aurait pu être aussi violente que la crise financière de 1929 et les années de depression économique qui suivirent. Cette importance de l'intervention des États est egalement en contradiction avec la théorie monétariste et les théories neo-classiques.

 

A ce point-là, tout le monde imagine qu'on peut faire comme s'il ne s'était rien passé. On laisse repartir la machine à fric et on attend la prochaine crise financière. Et en attendant, on oblige les États à se désinvestir de l'économie, jusqu'à ce que les plus riches aient encore besoin de lui pour sauver leurs fortunes. On peut même essayer de démontrer que la crise n'est venue qu'en raison d'une insuffisante libéralisation des marchés financiers et de production.

 

Mais troisièmement, il existe une incohérence. Les masses astronomiques de liquidités émises par les banques centrales dans le cadre des outils non conventionnels de politique monétaire ne cadrent pas avec la théorie monétariste. Une telle masse de liquidités devrait être inflationniste voire hyperinflationniste.  L'absence de tendance inflationniste remet en cause la théorie monétariste. Pas de phénomène d'hyperinflation observé. Et on commence ainsi à parler d'une nouvelle théorie monétaire : La théorie monétaire moderne (TMM).

 

La TMM dont on commence à parler assez largement aux Etats-Unis reposent sur quelques principes : 

 

1. «La monnaie est une fonction sociale, et non pas une contingence à la rareté intrinsèque, contrairement ce qui raconte les théories monétarisme.»

 

2. «À ce titre, son usage doit concourir avant tout au bien public, et non pas être surdéterminé entièrement par les règles du secteur privé, et ce, d’autant plus lorsque ce dernier a si évidemment failli au rôle que la théorie dominante lui attribue.»

 

3. Tout État qui imprime sa propre monnaie ne peut, par définition, jamais faire faillite. Les États peuvent en créer autant que nécessaire pour générer de la croissance, au diable la dette et les déficits.

 

4. Si une telle baisse de la valeur de la monnaie devait d’aventure créer de l’inflation, il suffit d’augmenter les impôts et d’émettre de nouvelles obligations afin de retirer la monnaie excédentaire du circuit économique. Les impôts ne sont plus un véhicule de financement de l’État. Ils servent à gérer la masse monétaire afin d’obtenir la croissance et l’inflation voulue.

 

J'ai surtout trouvé des articles attaquant cette théorie. Mais l'idee elle-même qu'il puisse exister une autre théorie monétaire me remplit d'aise, parce qu'elle met en pièce cette fin de l'économie (de La même manière que l´on parle de la fin de l'histoire et de la victoire finale et définitive du libéralisme sur le socialisme et le communisme) que l'on nous a prédit et annoncé, démontré, certifiant que seul le monétarisme et le libéralisme ont un avenir en économie. 

 

https://insolentiae.com/la-theorie-monetaire-moderne-tmm-un-probleme-qui-va-venir-des-etats-unis-ledito-de-charles-sannat/

 

https://or-argent.eu/les-3-stades-de-la-theorie-monetaire-moderne/

 

https://www.courrierinternational.com/article/theorie-economique-cette-doctrine-peu-orthodoxe-que-wall-street-plebiscite

 

https://la-chronique-agora.com/sujet/theorie-monetaire-moderne/

 

On vit peut-être ainsi les dernières lueurs du monétarisme et de la théorie des anticipations rationnelles, voire des théories néo-classiques. J'essaierais dans un prochain post de fouiller plus avant les préceptes de cette «Théorie monétaire moderne».

 

 

Saucratès



13/06/2019
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