Débat sur l’usage des algorithmes en matière de fraude sociale
Il y a quelques mois ou années, en décembre 2023, j’avais écris sur le sujet de l’usage des algorithmes dans les services publics pour y détecter et pour combattre la fraude aux prestations sociales.
Il y a évidemment un point que je ne contesterais pas ; le fait que la fraude fiscale et sociale ne concerne pas uniquement la fraude aux cotisations sociales mais également (et selon certains beaucoup plus largement) l’échappement à l’impôt de la part des contribuables les plus aisés. Les moins riches cherchent également à échapper à l’impôt et à bénéficier de manière indue de prestations sociales auxquelles ils ne devraient pas avoir droit, mais les plus riches qui peuvent échapper à l’impôt ne s’en privent pas non plus. Je m’intéressais alors, en décembre 2023, aux raisons conduisant Le Monde à remettre en cause l’usage d’algorithmes pour traquer la fraude aux prestations sociales.
Evidemment, aujourd’hui, un mouvement inverse a été relaté par ce même journal Le Monde aux Pays-Bas, où des bénéficiaires controlés et privés d’allocations familiales à tord se voient reconnaître une indemnisation, qu’ils contestent systématiquement et qui viennent encombrer les tribunaux du royaume.
Le scandale avait déjà fait l’objet d’articles de presse en 2020 et en 2021, après la chute du gouvernement de Mark Rotte. On parlait alors de 26.000 ménages concernés par ce scandale mais Le Monde cite désormais, en 2025, un nombre de 68.000 ménages concernés. Évidemment. Soit le nombre de ménages concernés a été sous-estimé en 2020, soit de nombreux profiteurs ont cherché à s’infiltrer parmi les victimes (ou supposés victimes).
Les mêmes poursuites pourraient-elles se produire en France dans le cadre de l’usage d’algorithmes pour détecter la fraude au bénéfice des prestations sociales ou familiales ? Et plus largement, existe-t-il un besoin de détection des fraudes ? Dans un monde où les tricheurs sont les plus véhéments pour contester les contrôles, pour refuser de se reconnaître en faute, comme tricheurs, préférant se positionner en victimes. Exactement comme partout, sur la route où les contrevenants préfèrent mettre en cause les forces de l’ordre et un État qui cherche à les rançonner. Principe de tous les fraudeurs et toutes les fraudeuses : ne jamais reconnaître la triche, toujours la contester …
«Les traitements automatisés des données se multiplient dans les services publics, et les garde-fous restent rares. Qu’il soit rudimentaire ou sophistiqué, le but tout à fait transparent d’un algorithme est de fournir un résultat à partir d’une commande bien définie. Son utilisation, en revanche, se fait la plupart du temps en toute opacité, y compris dans la sphère publique.»
Voilà ce qu’écrivait le média Le Monde en introduction à sa traque des algorithmes. Au fond, nous sommes de plus en plus entourés d’algorithmes dans notre vie de tous les jours. Les algorithmes sont partout, depuis ParcoursSup jusque sur la route ou aux impôts. Faut-il s’en émouvoir ?
Nous sommes habitués à être traqués par des algorithmes sur internet, en regardant Netflix pendant nos temps libres, même en lisant Le Monde avec la publicité ciblée. Pourquoi cela serait-il plus problématique dans le cadre des services publics et des administrations françaises ?
Si on s’intéresse plus précisément au centre d’intérêt du Monde, aux algorithmes utilisés par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) pour ficher ses allocataires et cibler les contrôles sur les prestations versées à tord, on peut se poser la question : est-il normal ou anormal pour la CNAF de faire des contrôles sur les prestations versées à tord ?
«Le fonctionnement d’un tel système (les algorithmes utilisés par la CNAF), qui brasse les données d’environ 33 millions de citoyens, devrait être rendu public et faire l’objet d’un débat démocratique. Cette opacité a pour but de masquer les pratiques de la CNAF et son objectif réel : récupérer le plus d’argent possible, considère Alex, qui suit ce dossier au sein de l’association.»
La question est donc bien celle-ci. Est-il normal que la CNAF se soit donnée pour objectif de «récupérer le plus d’argent possible» de la part de fraudeurs aux allocations et aides versées par la CNAF ? Parce que l’on parle bien de cela. De récupération de fraudes aux allocations familiales ou sociales afin d’en limiter leur poids au sein des dépenses publiques françaises, et de rien d’autre.
Le Monde a évidemment choisi son côté, du côté des fraudeurs, des familles ou des ménages injustement contrôlés et surveillés par des algorithmes fous. Contre un système qui aide à mieux contrôler les dérives et les abus du versement des aides et allocations. Alors évidemment, ces ménages peuvent être dans de grandes difficultés lorsqu’il s’agit de rembourser les sommes fraudées à la CNAF, basculant encore plus dans la misère. On peut aussi estimer que ces ménages restent misérables malgré le bénéfice de ces aides indues.
Mais là, on parle d’une position politique ou philosophique d’obédience socialiste ou communiste. On rejoint les situationnistes des années 1960-1970 qui estimaient anormal de travailler pour gagner de l’argent et qui préféraient vivre des aides sociales. On part du principe que les aides sociales sont dues aux pauvres, et que l’existence même de contrôles est une hérésie.
Au fond, comme tout bon militant gauchiste, Le Monde remet en cause l’idée d’un contrôle des allocataires en fonction des risques de fraude. C’est exactement pour les mêmes raisons qu’ils remettent en cause les contrôles au faciès de la police nationale. Contrôler les personnes qui accumulent les risques de fraude, de vol ou de recel de drogue est une honte pour Le Monde ; un bon contrôle est un contrôle aléatoire qui viserait prioritairement les gens qui n’ont rien fait selon eux.
Pour les contrôles policiers, est-il utile de contrôler des petites vieilles avec un cabas ou des petits vieux grabataires en déambulateur ? Non bien évidemment. Sauf si demain, les agressions, les vols et les viols étaient le fait de réseaux de petites vieilles et de petits vieux, et ceux-ci deviendraient alors brutale ment les cibles privilégiés de contrôles au faciès … ou plutôt au déambulateur. Mais en attendant, les agressions et les vols sont plutôt commis par d’autres profils de criminels et ce sont ceux-ci qui sont privilégiés dans les contrôles.
Pour les risques de détournement d’allocations, faut-il donc plutôt contrôler des allocataires qui ne reçoivent pratiquement aucune aide ou bien des allocataires qui abusent des dispositifs d’aide et font partie des populations risquées ? Au fond, devant le faible nombre de temps et d’effectif disponibles pour les contrôles, il faut bien des outils pour aider à déterminer les ménages et allocataires les plus susceptibles de frauder.
Bizarrement, Le Monde s’offusque des contrôles algorithmiques de la CNAF, des contrôles d’identité au faciès visant les jeunes d’origine étrangère, mais par contre, ils ne s’offusqueraient pas de contrôles routiers visant les principaux délinquants routiers, pour autant que ces contrôles visent les riches et les possesseurs de grosses berlines.
Viendrait-il à quelqu’un de s’offusquer que les contrôles routiers pour excès de vitesse visent principalement les Porsches, Tesla, Ferrari, Lamborghini ou autres grosses berlines allemandes, plutôt que d’humbles Citroën deux chevaux, Diane ou Ami 6 ?
Saucratès
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