Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Considérations sur l'organisation des sociétés humaines


Les sociétés primitives et le Pouvoir

Violence privée contre monopole de la violence légitime dans les sociétés primitives

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, mercredi 29 novembre 2023

 

Pour en revenir à mon auteur préféré sur les sociétés primitives, Pierre Clastres, il écrit les choses suivantes dans un chapitre des ‘Recherches d’anthropologie politique’ dans le chapitre ‘La question du pouvoir dans les sociétés primitives’ :

 

«On retiendra qu’une propriété commune fait s’opposer en bloc les sociétés à État aux sociétés primitives. Les premières présentent toute cette dimension de division inconnue chez les autres, toutes les sociétés à État sont divisées, en leur Être, en dominants et dominés, tandis que les sociétés sans État ignorent cette division : déterminer les societes primitives comme sociétés sans État, c’est énoncer qu’elles sont, en leur Être, homogènes parce qu’elles sont indivisées. Et l’on retrouve ici la définition ethnologique de ces sociétés : elles n’ont pas d’organe séparé du pouvoir, le pouvoir n’est pas séparé de la société.»

 

Il écrit aussi :

 

«On sait que, dès son aurore grecque, la pensée politique de l’Occident a su déceler dans le politique l’essence du social humain (l’homme est un animal politique), tout en saisissant l’essence du politique dans la division sociale entre dominants et dominés, entre ceux qui savent et donc commandent et ceux qui ne savent pas et donc obéissent. Le social c’est le politique, le politique c’est l’exercice du pouvoir (légitime ou non, peu importe ici) par un ou quelques uns sur le reste de la société (pour son bien ou son mal, peu importe ici) : pour Heraclite, comme pour Platon et Aristote, il n’est de société que sous l’égide des rois, la société n’est pas pensable sans sa division entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent et là où fait défaut l’exercice du pouvoir, on se trouve dans l’infra-social, dans la non-société.»

 

Et voilà comment Pierre Clastres interprète l’absence de pouvoir de coercition du chef dans les sociétés primitives qu’il étudie, c’est-à-dire les sociétés amérindiennes :

 

«La politique des Sauvages, c’est bien en effet de faire sans cesse obstacle à l’apparition d’un organe séparé du pouvoir, d’empêcher la rencontre d’avance fatale entre institution de la chefferie et exercice du pouvoir. Dans la société primitive, il n’y a pas d’organe séparé du pouvoir parce que le pouvoir n’est pas séparé de la société, parce que c’est elle qui le détient, comme totalité une, en vue de maintenir son être indivisé, en vue de conjurer l’apparition en son sein de l’inégalité entre maîtres et sujets, entre le chef et la tribu. Détenir le pouvoir, c’est l’exercer ; l’exercer c’est dominer ceux sur qui il s’exerce : voilà très précisément ce dont ils ne veulent pas (ne voulurent pas) les sociétés primitives, voilà pourquoi les chefs y sont sans pouvoir, pourquoi le pouvoir ne se détache pas du corps un de la société. Refus de l’inégalité, refus du pouvoir séparé : même et constant souci des sociétés primitives. Elles savaient fort bien qu’à renoncer à cette lutte, qu’à cesser d’endiguer ces forces souterraines qui se nomment désir de pouvoir et désir de soumission et sans libération desquelles ne saurait se comprendre l’irruption de la domination et de la servitude, elles savaient qu’elles y perdraient leur liberté.»

 

Ce questionnement sur le refus de l’inégalité est central selon moi dans une réflexion sur l’origine de l’Etat. Je lui ai longtemps donné une explication naturelle pour ma part. Le maintien de sociétés primitives s’expliquait selon moi par le milieu naturel dans lequel avaient réussi à subsister les dernières sociétés dites primitives de notre planète, c’est-à-dire les forêts primaires amazoniennes, les zones de jungles africaines et de Papouasie-Nouvelle-Guinée et d’Irian-Jaya. C’était grâce à des milieux naturels particulièrement hostiles que des groupes humains avaient pu tenir à distance la division entre dominants et dominés, parce qu’il y était impossible de survivre seul, en dehors de la protection d’un groupe, et même un grand chasseur, un grand guerrier ne pouvait y survivre si le groupe l’excluait de son village, de son peuple.

 

Cette explication, au fond strictement mécaniste, liée au milieu naturel, me semblait correspondre à l’idée exprimée par Pierre Clastres dans ses différents écrits. D’autres milieux naturels semblaient également avoir un impact favorable sur la préservation du pouvoir coercitif, à savoir les déserts et les milieux désertiques, en pensant au Kalahari des Bushmens ou à l’Australie des Aborigènes. Mais cela ne collait pas particulièrement avec le désert du Sahara ou d’Arabie et les tribus bédouines et touaregs qui y survivent et qui pourtant connaissent la division sociale entre maîtres et esclaves.

 

Et au fond, je sais parfaitement que cette explication mécaniste et évolutionniste ne satisferait en aucun cas Pierre Clastres lui-même. 

 

La lecture des diverses œuvres d’Alain Testard offre une autre grille de lecture quant à l’apparition du pouvoir coercitif, même si j’ai l’impression que l’œuvre de Testard ne s’intéresse pas particulièrement à ce concept de pouvoir. Testard explique les différences entre les sociétés par une lecture fonctionnaliste de leur organisation. L’existence ou non de l’esclavage pour dettes, les diverses formes de prestations matrimoniales en vigueur chez les peuples, en séparant :

 

• les peuples qui pratiquent la dot, à savoir nos sociétés occidentales anciennes ou modernes

 

• les peuples qui pratiquent l’institution du prix de la fiancée, où, à l’inverse de la dot, c’est le mari qui achète une femme

 

• les peuples qui pratiquent l’institution du service de la fiancée, où le futur gendre doit se mettre au service du père (ou du groupe paternel ou maternel), pour une durée donnée, pour obtenir une femme à l’issue de cette période de service

 

• et enfin, les peuples, ou plutôt le peuple, à savoir les aborigènes australiens, qui pratiquent une forme unique de prestations matrimoniales, où le produit de la chasse d’un homme appartient à vie à sa belle-mère et à son beau-père.

 

Testard utilise également d’autres types d’institutions pour différencier les sociétés, ou expliquer les différences entre ces sociétés, et notamment la propriété des produits de la chasse, et la forme que prend la distribution du gibier. 


• chez certains peuples indiens d’Amérique, le gibier était partagé entre celui qui avait vu le premier la proie, ceux qui l’avaient tué ou qui avaient participé à sa capture. Dans beaucoup de sociétés primitives, ou dans de nombreux peuples premiers, la répartition du produit de la chasse est une activité codifiée, obéissant à des règles, et laissant plus ou moins de liberté au chasseur pour manger et partager le produit de sa chasse.

 

• chez les indiens Guyakis, et d’autres peuples amazoniens, Pierre Clastres nous indique que le chasseur ne peut manger le gibier qu’il a chassé sous peine de tabou, et de ne plus pouvoir chasser dans le cas inverse. Le chasseur ne peut ainsi consommer le produit de sa propre chasse mais ne pourra consommer que le produit de la chasse des autres chasseurs.

 

• chez les Bushmens, c’est le propriétaire de la flèche qui sert à tuer la proie qui est proprietaire du gibier tué. Et chaque chasseur Bushmen à dans son carquois des flèches ne lui appartenant pas et appartenant à plein de proprietaires différents, et c’est le chasseur qui choisit librement la flèche qu’il utilisera et qui tuera peut-être un animal et profitera alors à celui qui lui avait donné cette flèche. Au fond, l’habilité et le prestige du chasseur lui confère le droit de choisir celui qui recevra le butin de sa chasse, à égalité avec l’habileté du fabricant de flèches.   

• rien de tout cela donc, chez les Aborigènes australiens, où le chasseur n’est en aucun propriétaire du gibier tué, à moins qu’il ne le consomme pendant la chasse, dans la brousse. Mais s’il le rapporte à son village, il appartiendra immédiatement à un membre de sa belle-famille. Et s’il part à la chasse avec ses beaux-frères, ils lui confisqueront immédiatement le produit de sa chasse. Et contrairement à toutes les autres formes de distribution du produit de la chasse, le chasseur australien ne peut en aucun cas tirer prestige de sa capacité de chasseur, parce que son gibier ne lui appartient en aucun cas et qu’il ne peut en tirer aucun bénéfice d’aucune sorte.

 

Pour Testard, ainsi, ces différentes formes d’institutions permettent d’expliquer des différences d’organisations sociales entre les sociétés. Même nos sociétés occidentales modernes peuvent y être intégrées, même si nous n’y chassons plus et que les institutions matrimoniales y ont disparu, pour la majeure partie des groupes sociaux (hormis pour les plus hautes classes sociales nobiliaires où le principe de la dote existe toujours). 

Les spécificités des peuples Bushmens ou Aborigènes s’expliquent ainsi par leurs institutions matrimoniales ou de répartition des produits de la chasse particulières. Toutes les sociétés où existent l’institution du service de la fiancée (comme chez les Bushmens également) ne connaissent pas l’institution de l’esclavage pour dettes, parce que le service de la fiancée a une durée de temps limité et que tout le monde peut travailler pour acquérir des droits sur une épouse. Accessoirement, Pierre Clastres ne détaille pas particulièrement les prestations matrimoniales dues dans le cadre de l’échange de femmes. Le mariage y est une forme d’échange matrimonial et permet de nouer des relations d’échanges avec d’autres tribus amies. Dans un de ses essais, Clastres signale simplement que l’ensemble des femmes dans un village sont tabous pour les jeunes hommes de ce village et qu’ils ne peuvent obtenir des femmes que du village, ou du peuple de sa belle-famille (tout en étant  cependant aussi ennemi acharné de ce village, pouvant être tué par tous les hommes de ce village … cf. «Le dernier cercle» de Pierre Clastres dans «Recherches d’anthropologie politique»). L’une des autres manières d’acquérir des femmes signalée par Clastres, c’est la guerre et le rapt des femmes dans les villages ennemis. 


Chez les peuples qui pratiquent l’institution du prix de la fiancée, c’est-à-dire dans laquelle, l’homme, ou la famille de l’homme, doit fournir un ensemble de biens de prestige pour pouvoir acheter une femme, l’ensemble de ces peuples connaissent l’institution de l’esclavage pour dettes (ceux qui doivent à d’autres ou qui n’ont pu payer ou rembourser le prix demandé pour la femme achetée) et également l’esclavage de guerriers ennemis. Ces sociétés sont divisées entre puissants et pauvres, dominants et dominés. Dans ces sociétés, l’une des solutions pour obtenir une femme est de se mettre dans la clientèle d’un homme riche et puissant, qui en échange, vous donnera ou achètera pour vous une femme. En échange, vous n’êtes pas son esclave mais son obligé indéfiniment. Dans ces sociétés, si vous ne pouvez rembourser vos dettes, vous pouvez vous mettre en esclavage ou mettre en esclavage vos enfants. Ce sont aussi des sociétés qui valorisent l’activité de la chasse et le prestige du chasseur, et dans lesquels le chasseur est le propriétaire du gibier qu’il a tué. Nombre de royautés africaines ont pour origine un ancêtre chasseur étranger auquel un groupe de villageois avaient confié la charge de la royauté sur leur groupe (lire Alfred Adler ou Luc de Heusch).

Les sociétés indiennes d’Amérique du Nord, comme les Inuits, organisent ou réglementent strictement le partage du gibier tué et constituent des peuples qui ne connaissent pas véritablement le pouvoir coercitif (par exemple pour la Ligue des Iroquois, de leur vrai nom les Haudenosaunee). Mais on y trouve aussi d’autres sociétés fortement hiérarchisées, entre riches et pauvres, entre patrons et dépendants, entre maîtres et esclaves, comme dans les peuples indiens de la Cote Nord-Ouest, qui y représentent ce que l’on appelle des peuples de chasseurs-cueilleurs stockeurs (gland et saumons) et qui pratiquent notamment le potlatch (dans lequel le principe est de devoir rendre toujours plus qu’on a reçu sous peine de déchéance et de prendre son prestige).

 

https://www.medarus.org/NM/NMTextes/nm_06_01_auto_8_cote_nordouest.htm

 
Dans les sociétés occidentales anciennes ou modernes, l’institution du prix de la fiancée a été remplacée par l’institution de la dote, et évidemment nos sociétés ont de tout temps été divisées entre riches et pauvres, patriciens et plébéiens, la noblesse et le tiers état, les nobles et les serfs, et ainsi de suite. 
 
Le Pouvoir, dès lors que les sociétés l’acceptent en leur sein, ne disparaît apparemment plus jamais. La société occidentale est toujours traversée par le Pouvoir, aujourd’hui le pouvoir de l’Argent, de l’influence, de la Terre, des diplômes, dont la seule unité de mesure commune est l’Argent, toujours l’Argent. Plus d’esclavage, mais une domination générale et définitive par ceux qui ont l’Argent. Même si les dominants, les puissants, ne se sentent plus du tout responsables de ceux qui dépendent d’eux, de ceux qui se placent sous leur dépendance.

 
L’absence de pouvoir coercitif étatique a pour conséquence une violence exacerbée entre ses membres

  

Cette question du Pouvoir que j’ai tenté ci-dessus de traduire relativement précisément, à l’aide d’un maximum d’exemples piochés dans la littérature anthropologique (ou ethnologique) comporte une facette plus sombre. L’absence de pouvoir coercitif de la part d’un État, de la part d’une classe de dominants, de la part d’un groupe exerçant le pouvoir coercitif au nom de l’Etat, le monopole étatique de la violence légitime comme certains le disent, tout ceci ne signifie pas que ces sociétés ne sont pas violentes.

 

Bien au contraire, ces sociétés archaïques, sans pouvoir, sont les plus violentes des sociétés vis-à-vis de leurs propres membres que l’on puisse imaginer.

 

• Violence des cérémonies d’initiation, dont l’objectif est de marquer violemment et durablement les corps des membres de la société pour rappeler à tous l’égalité de tous devant la douleur, devant les rites d’initiation. Que ce soit chez les peuples amérindiens d’Amérique du Sud, en Australie ou en Afrique.

 

• Violence entre les membres, entre tribus, chaque tribu étant en guerre contre ses voisines même si elles peuvent échanger des femmes, sans que cela ne remette en question qu’elles sont ennemies. En Australie, immobiliser et voler les reins et la graisse des reins d’un vieil homme puissant pour récupérer son pouvoir magique est normal, ce à quoi je doute qu’il puisse survivre. 
 
• Violence au sein même de la tribu dès lors qu’un chamane, ou que le groupe lui-même, estimerait que telle ou telle personne est à l’origine de telle ou telle faute, de telle ou telle erreur, comme par exemple d’avoir des relations sexuelles avec une personne de la mauvaise moitié (Australie) etc …

 

• Violence au sein même de la tribu en lien avec les processus de vengeance pour les morts ou pour les offenses, comme en Afrique dans les sociétés lignagères (comme chez les Nuers étudiés par l’anthropologue britannique Evans-Pritchard), mais aussi comme en Australie, en Amérique du Sud voire dans les plaines d’Amérique du Nord.

 

En quelque sorte, le passage d’une société sans État, à une société étatique, avec un monopole de la violence dite légitime, permet de voir refluer la violence privée s’exerçant par le groupe, par les autres groupes, sur les personnes privées individuelles. Ce monopole de violence légitime donnée à l’Etat, à un homme au sein de l’Etat, à un petit groupe agissant pour le compte de l’Etat ou pour le compte d’un homme, fait à la fois apparaître un risque de violences de la part de cet homme ou de ce groupe pour leur bénéfice personnel, mais aussi et surtout permet une diminution collective de la violence entre les membres eux-mêmes.

 

Au fond, la recherche en anthropologie et en ethnologie à permis de trancher entre les positions contradictoires de Hobbes et de Rousseau. Les sociétés sans État chères à La Boétie, à Montaigne et à Clastres ne sont pas ces sociétés idylliques que l’on nous a peint. Le monde idéal de Rousseau n’existe pas. Ce sont des sociétés d’une sauvagerie sans nom. La préservation d’une absence de pouvoir coercitif étatique, la préservation d’une société sans dominant, sans maître, sans roi, sans chef, n’est possible qu’en laissant s’exercer sans contrainte dans la société une violence de presque tous contre presque tous. 
 

Et l’histoire nous apprend que cette violence généralisée ne disparaît que lorsque apparaît un maître. En Australie, l’arrivée des colons britanniques met fin aux conflits incessants et aux guerres tribales au  fur et à mesure de l’avancée des colons britanniques. C’est la même chose avec la colonisation occidentale en Afrique ; violence qui réapparaît d’ailleurs aujourd’hui des décennies après les indépendances. 
 

N’y a-t-il nul autre choix qu’entre la violence généralisée de tous contre tous et la violence légitime des États et des maîtres dominants ? 
 

 

Saucratès

 

 

Nota : mes quelques autres écrits précédents sur le même sujet

 
https://saucrates.blog4ever.com/nouvelles-reflexions-sur-le-pouvoir

  

https://saucrates.blog4ever.com/considerations-sur-l-organisation-des-societes-humaines-2

 

https://saucrates.blog4ever.com/considerations-sur-l-organisation-des-societes-humaines-1

 
https://saucrates.blog4ever.com/evolution-des-societes-la-violence-comme-principe-explicatif

 

https://saucrates.blog4ever.com/de-levolution-des-societes-retour-1

 

Bibliographie :

Liste des quelques livres sur le sujet évoqué dans ces articles

  

Alfred Adler - Là mort est le masque du roi

Pierre Clastres - La société contre l’Etat - Recherches d’anthropologie politique - 1974 - Les éditions de Minuit - Collection Critique

 

Pierre Clastres - Recherches d’anthropologie politique

  

Etienne de La Boétie - Discours de la servitude volontaire - 1576 - Collection Mille et une nuits n°76

 
Lewis Henry Morgan - La société archaïque - 1971 - Éditions Anthropos, Paris … Titre original : Ancient Society - 1877

 

Alain Testart – Le communisme primitif - Economie et idéologie - 1985 - Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris

 

Alain Testart – Eléments de classification des sociétés - 2005 - Editions Errance, Paris

 

Alain Testart – Avant l’histoire – L’évolution des sociétés de Lascaux à Carnac – 2012 – Editions Gallimard NRF – Bibliothèque des sciences humaines, Paris


29/11/2023
0 Poster un commentaire

La société contre la violence

La société contre la violence

 

Par Saucratès 

 

Rome, samedi 8 octobre 2022


La lutte contre la violence est-elle un invariant culturel de l’organisation de toutes les sociétés humaines, depuis l’origine de l’humanité ? C’est en tout cas la thèse qui ressort de nombreux livres. Et notamment du livre de Jacqueline de Romilly, intitulé «La Grèce antique contre la violence», datant de septembre 2000, ou bien celui de Douglas C. Bortch, John Joseph Wallis et Barry R. Weingast, intitulé «Violence et ordres sociaux», datant de 2010 pour la version française. Et c’est également aussi la thèse d’un livre comme «La société contre l’Etat» de Pierre Clastres.

 
Ainsi je pourrais parfaitement écrire ce que Jacqueline de Romilly disait de la violence en 2000 :

 

«Vivons-nous donc à une époque particulièrement violente ? Le soutenir peut paraître surprenant, et peut-être contestable. Dans notre temps de droits de l’homme, d’Etats policés et organisés, comment serait-ce possible ? On peut en effet se demander si l’excès de l’information n’est pas seul en cause. Peut-être y a-t-il eu autant de violence, ou même plus, à d’autres époques. Simplement, on ignorait ce qui se passait ailleurs ; il n’y avait ni journaux, ni radio, ni télévision, pour porter à la connaissance de tous les actes de barbarie qui surgissaient à travers le monde, à plus forte raison pour les faire voir, dans toute leur horreur, jour après jour. Peut-être, par conséquent, ne vivons-nous pas des temps pires que d’autres. Et lorsque l’on pense aux grandes invasions, aux guerres de religion, aux conflits interminables, aux brigandages célèbres, on se sent à cet égard plutôt rassuré.

 

Il reste cependant que notre époque semble avoir donné à cette violence, qui n’a cessé de hanter le monde, quelques raisons de s’amplifier.

 

Des guerres, il y en a toujours eu ; notre siècle en a connu plusieurs. On peut seulement remarquer qu’elles ont tendance à devenir mondiales, et que les progrès dans les armes employées les rendent plus meurtrières que jamais. Hiroshima en a donné le signal et la preuve. De plus, ces guerres se sont accompagnées de phénomènes jusqu’alors inconnus ou exceptionnels. Il y a eu les déportations massives ; il y a eu les camps de concentration, d’extermination. Et cela n’a pas été le seul fait d’Hitler : le goulag en Russie a présenté les mêmes caractères d’horreur, et, actuellement encore, pendant que j’écris ces lignes, les déportations dans la région du Kosovo rappellent fâcheusement les pires exemples que nous ayons connus. Il faut ajouter que dans le cas de la Deuxième Guerre mondiale, et encore dans le dernier exemple cité, ces déportations ont été liées à un désir d’épuration raciale inconnu jusqu’alors. Le fait est que l’on trouve, ou retrouve à une plus grande échelle, dans notre monde actuel, les graves oppositions de race ou de religion qui déchaînent la violence un peu partout. On voit renaître le temps des guerres de religion avec des heurts comme ceux de l’Irlande ou bien de l’Inde et de plusieurs pays du Sud-est asiatique. On voit se manifester, année après année, des destructions et des luttes sans merci entre une race et une autre habitant pourtant le même sol : le massacre des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale est reste l’exemple inoubliable. Il faut ajouter qu’aujourd’hui on voit aussi les peuples de l’Afrique noire s’entre-déchirer au nom des mêmes oppositions raciales et recourir à une violence dont les informations nous offrent jour après jour la preuve monstrueuse et sans cesse renouvelée. »

 
Douglas C. Bortch, John Joseph Wallis et Barry R. Weingast disaient aussi des choses similaires sur notre société : 

 

Ainsi en pages 13-14

 

«Le présent ouvrage propose un appareil conceptuel montant comment, au cours des dix derniers millénaires, les sociétés ont exercé leur contrôle sur les activités politiques, économiques, religieuses et éducatives en vue d’endiguer la violence. Dans la plupart des societes, le pouvoir, qu’il soit politique, économique, religieux ou militaire, est fondé sur des institutions qui structurent les organisations et les relations humaines. Ces institutions confèrent à quelques individus le monopole des ressources et des fonctions sociales et limitent ainsi le recours à la violence en canalisant les perspectives de gain des individus et des groupes potentiellement violents. Ces schémas d’organisation sociale, nous les appelons ordres sociaux.»

 

En page 18

 

(…) «Les ordres sociaux se définissent par la manière dont les sociétés façonnent des institutions favorisant telle ou telle forme d’organisation humaine, par la façon dont elles restreignent ou ouvrent l’accès à ces organisations et par les incitations qu’induit le modele organisationnel. Ces caractéristiques des ordres sociaux dépendent des moyens mis en œuvre par les sociétés pour limiter et contrôler la violence. Du fait que les ordres sociaux induisent différents types de comportement, les membres des différents ordres sociaux n’élaborent pas les mêmes croyances quant au comportement de leur entourage. Violence, organisations, institutions et croyances seront les principaux éléments de notre cadre conceptuel.»

 

La société humaine a-t-elle donc été créée pour faire refluer la violence à l’intérieur des groupes ou bien pour les protéger de la violence des groupes étrangers ou des membres extérieurs ? Ce serait donc pour l’une et l’autre raison si on suit le raisonnement de ces deux livres, même si, selon Mme Romilly, la culture grecque et la période antique étaient des époques extrêmement guerrières et violentes et la culture grecque a trouvé dans l’art de la tragédie une façon de condamner cette violence, et plus largement de la faire reculer pour la première fois dans l’histoire de l’humanité.

 

Mais en lisant cela, je m’interroge. Comment peut-on dire une chose pareille pour les temps actuels ? Croit-on vraiment que la violence reflue dans nos sociétés organisées modernes ? Il suffit de regarder les flux de messages et de commentaires qui se déchaînent sur les réseaux sociaux, sur FaceBook, sur les médias en ligne qui proposent des courriers des lecteurs, pour découvrir que des flots de haine s’y déchaînent sans arrêt. Violence qui n’est pas que virtuelle lorsqu’elle vise des personnes nommément, comme la jeune lycéenne Lila.

 

Comment peut-on dire cela lorsque l’on voit les phénomènes de bandes de jeunes dans nos cités, dans nos villes, dans nos campagnes, où ils s’entretuent pour quelques notions de haine. Notre société occidentale a failli. Certains veulent nous faire croire que l’objet de la société est de faire reculer les violences, mais l’humain, l’homme est un animal territorial qui défend son territoire. D’où les phénomènes de bandes de jeunes, que ce soit en interne où l’un de ces jeunes va chercher à imposer sa domination au reste du groupe, à écraser le précédent leader, le précédent chef, comme dans une harde de cerfs ou dans une meute de loups ou de macaques. Sauf que chez nous, il n’existe pas de mécanismes d’intimidation ataviques. Pas de soumission possible à un nouveau mâle alpha. Ces affaires de bandes de jeunes sont aussi vieilles que le monde. Je les ai connu de mon temps entre membres de différents quartiers de Saint-Denis. Cité cow-boy contre jeunes du Moufia ou jeunes du Chaudron. Mais on le retrouve aussi dans la littérature avec la Guerre des boutons. Ce n’était rien d’autres que cette même histoire de territoires et de bandes de jeunes, cherchant à défier et à affronter la bande du village d’à côté. 

Le monde actuel, c’est aussi celui de la violence islamique. Des tueurs fous qui tuent sans distinction au nom d’Allah, qui égorgent, qui assassinent (Bataclan, Charlie Hebdo …), qui posent des bombes.  Mais tout cela n’est rien. Le monde d’aujourd’hui, c’est une violence islamique qui ne se cache plus en Afrique, entre AQMI et l’Etat Islamique. Comment croire que notre époque soit basée autour de la lutte contre la violence alors que la violence se déchaîne sans entrave sur la majeure partie de la planète, dans notre société française et qu’elle soit instrumentalisée par un gouvernement Macron qui répond à la contestation populaire par une violence policière toujours plus grande, comme s’il mourrait de peur d‘être renversé par la rue, comme un simple dictateur régnant par la peur. 

En clair, si l’organisation sociale a bien aidé à la pacification des sociétés humaines par le passé et jusqu’à une époque récente, ne peut-on pas aujourd’hui penser que la violence du monde actuel déchire la trame de nos organisations sociales modernes et les déborde. Cette violence moderne que l’on voit se déchaîner en Afrique noire ou subsaharienne, en Asie, dans nos banlieues, dans les banlieues américaines ou en Amérique centrale n’est-elle pas en train de détruire tous les cadres des sociétés modernes ou archaïques humaines d’aujourd’hui.

 

Mon sentiment ? Le monde actuel se déchire. Nous sommes devenus trop nombreux sur Terre. Nous ne sommes plus capables de vivre en paix et la médiatisation à outrance de notre époque fait que toutes ses violences sont désormais connues. L’ordre né de 1945 a réussi à figer toutes les frontières. Mais le temps des grandes invasions est revenu, il s’approche à nouveau. Nous revivrons bientôt les invasions des Almoravides et des conquérants islamiques. Les barbares sont à nos portes. L’islam se répandra sur Terre comme le catholicisme s’est autrefois répandu comme la peste sur tous les continents, imposant à tous les indigènes la conversion ou la mort. Et même avant cela, nos sociétés risqueront d’avoir implosé sous leur propre violence, sous nos propres contradictions. 

 

Saucratès

 

 

Sources :

 

«La Grèce antique contre la violence», Jacqueline de Romilly,  septembre 2000

 

«Violence et ordres sociaux», Douglas C. Bortch, John Joseph Wallis et Barry R. Weingast, 2010


08/10/2022
0 Poster un commentaire

L'origine de l'Etat

1) Introduction

 

L'origine de l'Etat - L'Etat peut sembler une réalité inébranlable/indépassable/ininterrogeable à des occidentaux comme nous, une réalité qu'il n'est pas concevable de vouloir remettre en cause ou de simplement interroger. Comment pourrait-on imaginer se passer de l'Etat, vivre sans un État au dessus de nos têtes, au dessus de nos existences ? Comment pourrait-on croire que l'Etat n'est pas indispensable, imaginer nos vies et nos existences sans la protection d´un État ?

 

Peut-on vivre sans État ou bien a-t-on autrefois pu vivre sans État ? A-t-il existé des sociétés humaines sans État ? Voilà une série de questions qui me paraissent particulièrement pertinentes et intéressantes. Il existe une réponse  cette question. On sait que l'Etat n'a pas dû toujours exister, à un moment au moins de l'histoire de l'humanité. On le sait parce que les anthropologues ont découvert par le passé certaines sociétés humaines fonctionnant plus ou moins sans État, des sociétés pratiquement égalitaires. Ces sociétés existaient et pour certaines existent encore plus ou moins bien conservées, protégées de l'influence occidentale, dans les endroits les plus isolés et les moins favorables de la planète, dans les déserts sud-africains (les Bushmen dans le Kalahari), dans la forêt vierge ameridienne (les Guayakis d'Amazonie), africaine (les Pygmées) ou indonésienne ou encore en Australie (les Aborigènes australiens).

 

De nombreux livres d'anthropologie ont décrit ces peuples, certains de leurs usages et leur croyance. Pierre Clastres disait que ces sociétés, que l'on peut décrire comme primitives, n'étaient pas des sociétés sans État, mais plutôt des sociétés contre l'Etat. Selon lui, et je partage son analyse, d'après ses écrits datant des années 1970, ces sociétés disposent de règles de fonctionnement visant à empêcher l'émergence du pouvoir d'un État au bénéfice de certaines personnes du groupe. Les institutions de ces sociétés fonctionnent pour empêcher que quelqu'un ou un groupe s'imaginent pouvoir être au-dessus des autres. Ces institutions permettent à l'ensemble du groupe de leur dire : «tu es comme nous, tu as souffert comme nous dans ta chair lors de l'initiation, tu n'es pas plus que nous !».

 

Au delà de ce qu'a pu écrire Pierre Clastres, il me paraît évident que dans un passé très ancien, remontant vraisemblablement entre -100.000 et -10.000 ans, toutes les sociétés humaines fonctionnaient plus ou moins de cette manière, de manière pseudo-égalitaire, sans État à proprement parler. Ce n'est que plus récemment que des États ont pu apparaître, de plus en plus structurés, de plus en plus inégalitaires ! Sans cela, je n'imagine pas comment ces peuples primitifs auraient pu inventer leurs institutions si celles-ci ne relevaient pas de leurs traditions. 

 

Il n'y a rien de jugeant, de clivant ou d'offensant dans cette idée. Non pas qu'un peuple primitif ne puisse inventer une forme de société particulière. Mais je me pose la même question pour la cité démocratique grecque ; a-t-elle pu apparaître ex-nihilo, être inventé à un moment donné par les athéniens à partir de rien, sans que cette démocratie ne soit inscrit dans leur culture et dans leur histoire ? Il ne faut pas non plus oublier que les tribus germaines et franques fonctionnaient également de manière égalitaires, beaucoup plus tardivement, lorsqu'ils rencontrèrent  l'empire romain. Etienne de La Boetie écrivait d'ailleurs que lorsque l'Etat et le pouvoir de l'un sur la multitude est inventé, il n'y a pas de retour en arrière possible.

 

Des institutions contre l'Etat ne peuvent avoir été inventées en remplacement de l'Etat. Elles sont forcément primordiales, et elles sont suffisamment largement répandues dans les dernières zones inaccessibles de la planète, et si extrêmement éloignées les unes des autres, qu'elles constituent forcément les restes des institutions primordiales de l'humanité. Il est même presque miraculeux que l'on ait pu trouver à notre époque  des restes de sociétés humaines ayant sauvegardé/conservé cette forme primordiale d'institutions.

 

Evidemment, rien ne nous permet d'indiquer que ces formes d'institutions sociales et humaines sont celles des premières sociétés humaines. Les sociétés primitives que les anthropologues ont rencontrées et décrites, ont évidemment pu évoluer et muter par rapport à la forme des premières sociétés humaines primordiales ! Il n'existe probablement pas de formes sociales primordiales pures, de même qu'il n'existe pas une langue primordiales pure. Toutes ont forcément évolué et muté au fil des siècles, des millénaires et des dizaines de millénaires. 

 

Quelle origine commune peuvent avoir ces différentes civilisations/sociétés humaines ? Les aborigènes australiens ont vécu isolés du reste du monde pendant 40.000 ans si mes souvenirs sont exacts. De la même manière, de combien de dizaines de millénaires peuvent être séparés les tribus primitives amérindiennes des tribus primitives des jungles de Malaisie ou d'Afrique noire ? Sachant que les Amériques ont été occupées par des tribus passées par le détroit de Béring il y a au moins 20.000 ans ... Tout ceci fait remonter à il y a bien longtemps l'existence d'un peuple primordial commun disposant de ces institutions organisées contre l'apparition de l'Etat. Et laisse imaginer la date minimale où les premiers prémices de l'Etat ont pu apparaître au sein d'une société humaine ... pour donner naissance, quelques milliers ou dizaines de milliers d'années plus tard, au Monde tel que nous le connaissons !

 

2) Parle-t-on de l'apparition de l'État, des inégalités ou du pouvoir de coercition ?

 

Quel est le mécanisme, la survenue que nous recherchons ? Est-ce que nous souhaitons retracer l'apparition de l'Etat, l'apparition des inégalités ou bien l'apparition du pouvoir de coercition et de la violence étatique ? Ou bien recherchons-nous quelque chose d'encore différent ?

 

L'existence même de l'Etat est une construction forcément tardive, dès lors que l'on pense à l'institution telle que nous la connaissons, telle que nous l'imaginons aujourd´hui. Mais même si on prend une acceptation très large d'un État, forcément, on recherche l'émergence tardive d'une organisation politique bien postérieure aux autres formes d'organimation des sociétés humaines. L'apparition de l'Etat est forcément très tardive, postérieure à l'apparition des premières inégalités et premieres formes de pouvoir coercitif. Sinon, il faudrait imaginer l'existence d'un État égalitaire loin dans le passé, une sorte de cité parfaite, ce qui n'est pas impossible mais qui ne semble guère probable. 

 

L'apparition des premières formes d'inégalités sera par contre plus ancienne, et je m'appuierais pour cela sur la lecture de Brian Hayden et notamment son livre intitulé «L'homme et l'inégalité» et sous-titré «L'invention de la hiérarchie durant la Préhistoire». Enfin, la recherche des premières formes d'apparition du pouvoir de coercition pourrait offrir un découpage temporel encore different, la violence coercitive du groupe étant selon moi inhérente à toutes les formes d'organisations sociales, même les plus égalitaristes.

 

Je commencerais donc par m'intéresser à l'apparition des premières formes d'inégalités à travers le livre de Brian Hayden qui permet de poser un certain nombre de bases à cette analyse. Brian Hayden est un archéologue canadien, professeur à l'université Simon Fraser, en Colombie Britannique (Canada). Pour Hayden, l'apparition des inégalités pouvait être déduite de la présence de biens de prestige dans les tombes préhistoriques découvertes par les archéologues, et que l'on en observait de plus en plus au Néolithique, notamment des perles, sur des bracelets, sur des tuniques trouvés dans des tombes, forcément de personnages importants. C'est une partie des thèses décrites par Hayden. 

https://www.scienceshumaines.com/la-revolution-neolithique_fr_27231.html

 

Mais Hayden décrivait aussi les différents modèles explicatifs d'apparition des inégalités sociales, selon un certain nombre d'auteurs, d'archéologues ou d´anthropologues. 1) Il décrit ainsi les modèles cognitifs, sociaux, culturels et relativistes. Ces modèles s'opposent aux théories qui privilégient les facteurs matériels ou écologiques. Ce serait les valeurs culturelles ou personnelles qui mèneraient aux inégalités (Chauvin, Harrison, Isabelle, Cook, Legros).

 

2) Il décrit ensuite les modèles dits «fonctionnalistes». Les fonctionnalistes défendraient l'idée que l'apparition de la fonction des élites apporte quelque chose de positif aux sociétés humaines. On y trouve des modèles mettant en avant l'efficacité dans le traitement de l'information par les élites, d'autres qu'elles permettent une meilleure adaptation à la pénurie et aux fluctuations de nourriture ... 

 

3) Selon Hayden, on trouve ensuite des modèles démographiques, dans lesquels c'est la pression démographique, la concentration, la sédentarisation et la territorialité qui expliqueraient la survenue des inégalités sociales (Rosenberg, Carneiro). Hayden a néanmoins éliminé très vite les modèles reposant sur la pression démographique, au contraire de Pierre Clastres qui en faisait un critère probable d'organisation sociale étatique. 

 

4) Quatrième type de modèles, les modèles reposant sur le contrôle des échanges ou des ressources : contrôle du produit stocké, des biens ou des réseaux d'échange, des terres fertiles ou sur d'autres moyens de production (Testart, Bishop, Wason).

 

5) Dernier type de modèles, les modèles politiques qui reposent sur le contrôle du travail par des individus qui recherchent leur propre interet dans des contextes particuliers, en utilisant une grande diversité de stratégies, comme le prix de la mariée, l'échange, l'extorsion, la guerre, les rituels, les fêtes. C'est évidemment notamment Hayden qui utilise ce genre de modèle explicatif pour l'apparition des inégalités. 

 

Selon Hayden, des individus avec des personnalités triple A seraient à l'origine de ces apparitions des inégalités. Des individus capables d'utiliser toutes sortes de stratégies pour faire accepter par leurs concitoyens des inégalités sociales grandissantes. Et selon lui, l'apparition d'objets de prestige, c'est-à-dire des objets difficiles à fabriquer, rares, demandant un temps de travail très important pour les créer, et sans aucune utilité réelle, serait un signe d'apparition de telles inégalités. 

 

Je suis particulierement sceptique à l'égard des théories de Hayden, que ce soit les personnalités triple A, ou les biens de prestige. Les anthropologues qui ont étudié les biens de type Kula ne seraient certainement pas non plus très satisfaits de son analyse sur les biens de prestige.

 

3) Une théorie de l'origine des inégalités et de l'Etat - la société contre l'Etat

 

Puisque les analyses de Hayden ne me convainquent pas totalement, je vais donc devoir expliquer d'une autre manière l'apparition des inégalités et de l'Etat. Pour rester sur les traces de Clastres, je dirais qu'à la plus extrême limite, on trouve des sociétés de chasseurs cueilleurs vivant dans les forêts vierges les plus inaccessibles, les plus inexpugnables. Ces sociétés constituent le point 0 des sociétés étatiques humaines. Clastres avait décrit la société des Guayakis, qui au sein de la forêt amazonienne, avaient toujours vécu à l'écart du reste de l'humanité, jusqu'à croire qu'ils étaient les seuls et uniques représentants des êtres humains, des hommes. Ceux des autres tribus qu'ils avaient parfois pu croiser n'étaient pas des hommes, pas des Guayakis. Rares sont les sociétés humaines ayant vécu autant à l'écart du reste du monde, jusqu'à n'avoir jamais rencontré d'autres humains au delà de leur petit groupe.

 

Les Guayakis décrits par Clastres n'étaient pas très nombreux, quelques dizaines environ. Ils constituaient une société plus ou moins égalitaire, même si ces sociétés amérindiennes étudiées par Clastres avait un chef, et parfois un chef de guerre choisi parmi les guerriers. Ces sociétés n'étaient pas sans hiérarchie. Elles étaient simplement organisées pour empêcher que l'un d'entre ses membres en devienne le roi, pour empêcher la survenance de l'Etat, du pouvoir d'un sur les autres. Ainsi le chef avait seul le droit de parler au reste du groupe, mais aussi l'obligation. Il devait parler en certaines occasions ! Quant au chef de guerre, malheur à lui si le reste du groupe ne voulait plus faire la guerre ; le guerrier chef de guerre risquait alors d'être rejeté hors du groupe, hors du Monde, et ses chances de survie seul dans la forêt vierge étaient alors proches de zéro. Autre institution décrite par Clastres et permettant d'empêcher la survenance des inégalités, du pouvoir de l'un sur les autres, ce sont les rites d'initiation. Marquer les corps au fer rouge pour que jamais les membres du groupe n'oublient qu'ils sont tous égaux, qu'ils ont tous souffert de la même manière, et qu'ils sont tous marqués de la même façon. La violence des rites d'initiation est indispensable pour que tous les hommes se sachent égaux. Voilà ce que Clastres avait étudié en Amérique du Sud et qu'il avait dénommé des« sociétés contre l'Etat».

 

Evidemment, on ne peut trouver de telles sociétés humaines que dans des milieux extrêmement hostiles/difficiles, comme la forêt amazonienne, les forêts vierges africaines ou indonésiennes, et peut être dans certains déserts comme le Kalahari. En Amérique du Sud, Clastres avait noté que des tribus beaucoup plus nombreuses risquaient de basculer dans le pouvoir de l'un sur les autres, sur des premières formes d'Etat. Il semblait ainsi défendre une sorte de modèle démographique où c'est le nombre de membres d'une société qui expliciterait la survenue des premières formes d'Etat.

 

De façon assez clair, c'est l'impossibilité de survivre hors du groupe, à l'abri du groupe, grâce aux dangers de la forêt vierge, qui permet au groupe de se protéger des éventuels penchants dictatoriaux de certains de leurs membres. Si à l'extérieur du groupe, ce membre ne court aucun danger et peut survivre seul très facilement, il est alors beaucoup moins marquant, utile et dangereux d'exclure un de ses membres intéressés par la recherche du pouvoir.

 

On en revient aux analyses de Hayden sur les liens entre croissance démographique et montée des inégalités, ou plutôt à l'absence de liens. Selon lui, si la croissance démographique expliquait l'apparition des inégalités et de l'Etat, les peuples africains auraient développé des inégalités sociales et des États des centaines de milliers d'années avant les peuples européens, asiatiques ou américains. Puisque ce n'est pas le cas, c'est donc selon Hayden qu'il n'y a aucun lien entre croissance démographique et l'apparition des inégalités sociales. «Maintenir que la croissance démographique est un facteur constant auquel les sociétés sont inexorablement confrontées et qu'elle entraîne la domestication et l'inégalité n'est tout simplement pas tenable étant donné les données empiriques de la préhistoire». Hayden estime que «l'origine de l'accélération exponentielle du développement au cours des trente derniers millénaires fut la capacité de produire, stocker et transformer des surplus de nourriture et l'introduction concomitante d'une compétition basée sur l'économie» ainsi que l'apparition «d'aptitude de certains individus à exercer sur les autres membres de leur communauté un pouvoir politique et économique». Mais rien n'explique que cela se produise justement pendant ces trente mille dernières années et pas au cours des millions d'années précédentes, comme Hayden le juge pour la croissance démographique.

 

Expliciter cette apparition des inégalités sociales, trouver les mécanismes qui ont conduit, qui expliquent cette évolution est ainsi extrêmement complexes. «Comment de simples chasseurs-cueilleurs, démunis de tout surplus, se sont-ils transformés en chasseurs-cueilleurs complexes, disposant de surplus abondants» ?

 

Le stade des sociétés de chasseurs-cueilleurs stockeurs, pouvant pratiquement devenir sédentaires en consommant des ressources importantes, sont en effet l'un des derniers stades des sociétés pré-étatiques fortement inégalitaires selon Hayden. Parmi ces sociétés, on trouve notamment les communautés de la côte nord-américaine, basées sur le stockage des glands de chêne, ressource abondante et que l'on peut facilement stocker et consommer ultérieurement.

 

Mais avant ce stade ultime, on trouve d´autres formes de sociétés humaines. 

 

4) L'institution du service de la fiancée

 

Parmi les autres formes de sociétés humaines dans l'échelle des inégalités et du pouvoir, on trouve en effet les aborigènes australiens, les Bushmens aussi appelés peuple San, mais aussi les inuits. Ce n'est pas tant que ces sociétés aborigène, san ou inuit seraient une sorte de point 1, post 0, dans l'échelle des organisations des sociétés humaines, mais plutôt parce qu'il s'agit plus ou moins aussi de sociétés pseudo égalitaires, mais également parce qu'elle contient une institution remarquable plus ou moins tombé en désuétude : le service de la fiancée (ou service de la belle-mère dans le cas des aborigènes australiens) en lieu et place du prix de la fiancée ou de la dot de la fiancée. Le service de la fiancée est-elle une forme plus ancienne du prix de la fiancée, et la dote de la fiancée la version la plus développée ? Les aborigènes sont donc rester isolés du reste du monde pendant environ 40.000 ou 50.000 ans. Sachant que les tribus amérindiennes sont passées par le détroit de Béring pour occuper l'Amérique du Sud, ce qui représente des millénaires de déplacement pour traverser l'Asie puis les deux Amériques, les plus anciens ancêtres communs à ces peuples doivent remonter à des dizaines ou des centaines de millénaires. L'Afrique possède également parfois cette institution du service de la fiancée en lieu et place du prix de la fiancée, ce qui repousse également à une époque très reculée l'invention de cette institution, si l'on suppose qu'elle est unique et qu'elle provient d'un legs primordial. 

 

Quelle est la la différence entre le prix de la fiancée et le service de la fiancée ? Pour le prix de la fiancée, l'homme doit régler le prix convenu pour pouvoir épouser une fille ou une femme. Il s'agit d'un prix coutumier, en nourriture, en animaux domestiques ou en métaux précieux. Quant au service de la fiancée, le mari n'apporte pas des biens pour obtenir une femme, mais s'engage à servir le père ou la mère de sa femme, pendant des mois ou des années, pour pouvoir l'épouser. De quelle manière le futur mari a-t-il pu faire évoluer cette histoire de services en un paiement en une fois de sa femme, et comment ce paiement dû par le mari a-t-il pu évoluer en Occident en un paiement du père vers son gendre pour doter sa fille, au lieu de se faire acheter sa fille ?

 

Signe de son ancienneté, on trouve mention du service de la fiancée dans l'Ancien Testament ! Signe qu'il était le mode normal de prestations matrimoniales dans les temps anciens dans les tribus juives et arabes d'Arabie et de Judée, selon où on situe le lieu d'élaboration de la Bible et de l'Ancien Testament. 

 

A noter néanmoins que les prestations matrimoniales en Australie sont particulièrement compliquées et diffèrent des autres formes du service de la fiancée, tel qu'on l'observe en Afrique. Il s'agit plutôt d'un service de la belle-mère, et qu'à la différence du service de la fiancée, il n'est pas limité dans le temps. 

 

C'est l'anthropologue Alain Testart qui a longuement étudié ces mécanismes institutionnels et qui estime que ce sont ceux-ci qui expliquent l'absence de développement ou de dénaturation de la société aborigène vers une société étatique et fortement inégalitaire, comme les autres communautés humaines, au premier rang desquelles la société occidentale. C'est le maintien du service de la fiancée (ou une forme approchant ou ressemblant), chez les chasseurs-cueilleurs aborigènes comme chez les chasseurs-cueilleurs du désert du Kalahari, qui explique que ces sociétés ne se soient pas transformées en sociétés hiérarchisées à outrance, fortement inégalitaires avec l'apparition de chefs, de notables et de rois.

 

Selon Alain Testart également, l'institution du prix de la fiancée contient également en germe l'institution de l'esclavage. Parce que le prix de la fiancée peut introduire l'endettement puis l'insolvabilité de la famille du marié si celui-ci est incapable d'honorer le paiement ou le remboursement du prix de la fiancée dû à la famille de la fiancée, ou à la famille qui leur a prêté les biens demandés. Et parce que l'esclavage de la famille du marié insolvable n'est possible que parce que les familles acceptent de vendre leurs filles contre un paiement.

 

 

Saucratès


28/08/2018
0 Poster un commentaire

Considérations sur l'organisation des sociétés humaines (2)


Réflexion quinze (9 février 2011)
L'existence encore aujourd'hui de tribus totalement coupées du reste du monde ...

Une tribu amazonienne isolée vient d'être filmée pour la première fois à la frontière entre le Brésil et le Pérou. Ils fuient des forestiers illégaux péruviens.

(cf. l'article du Monde :

http://www.lemonde.fr/planete/article/2011/02/05/une-tribue-amazonienne-isolee-filmee-pour-la-premiere-fois_1475831_3244.html).

 

Cette tribu d'indiens Mashco-Piro me rappelle la découverte par Pierre Clastres des indiens Guayakis au Paraguay dans les années 1970 (ethnologue français qui a relaté cette découverte dans plusieurs livres paru notamment chez Plon). Nous nous trouvons face à un peuple qui à vécu isolé du reste du monde pendant quelques siècles, dans un milieu totalement préservé et hostile à l'homme, loin des bruits de nos villes et de nos véhicules automobiles. Les Guayakis se croyaient les seuls humains de la planète (la signification du terme 'aché' par lequel ils s'appelaient est justement 'homme') ... Les rares étrangers à leur tribu qu'ils rencontraient de temps à autre, et avec lesquels ils étaient en guerre régulièrement, étaient considérés comme des non-hommes.

 

Quelles légendes ont-ils conservé du monde qui les entoure, des contacts de leurs ancêtres remontant apparemment au dix-neuvième siècle ? Quelles images ont-ils du monde qui les entourent ? Connaissent-ils nos villes, nos routes ? Qu'ont-ils pensé en voyant des hélicoptères ou des avions les survoler pour les filmer ? Que savent-ils de notre monde et de sa violence ?

Toutes explications que nous ne pourrons avoir que très difficilement, étant donné que tout contact avec eux pourrait leur transmettre nos nombreuses maladies, desquelles nous sommes immunisés, mais qui aurait pour effet de les éradiquer immédiatement ... comme la pétite vérole au temps des conquistadors ...



Réflexion quatorze (12 octobre 2009)
L'organisation sociale des peuples Papous de Nouvelle-Guinée ...

Les peuples Papous représentent un autre des principaux peuples archaïques, longtemps préservés des contacts avec d'autres peuples puis avec les occidentaux en raison de l'innaccessibilité de leur habitat, au coeur des forêts équatoriales de la Papouasie Nouvelle Guinée (appelée précédemment Irian Jaya).


On isole normalement deux groupes de peuplement en Papouasie Nouvelle Guinée, composant deux groupes linguistiques, d'un côté des groupes de langue papoue, arrivés dès il y a 40.000 ans, à une époque où les glaciations maintenaient un niveau des mers plus bas d'une centaine de mètres ; d'une autre côté des groupes de langue austronésienne, arrivés ultérieurement, il y a environ 3 500 ans, par voie maritime. La nature et le relief, ainsi qu'une culture sociale reposant sur un strict territorialisme ; chaque village papou étant maître d'un territoire interdit aux tribus voisines, toute violation de frontière entraînant une guerre coutumière ; a entraîné une fragmentation des cultures et des langues ... On dénombre ainsi aujourd'hui près de 1 000 groupes différents parlant presque autant de langues distinctes répartis en deux familles ...

L'habitat des groupes papous a été influencé par les guerres fréquentes entre groupes territoriaux. Il est ainsi caractérisé par un habitat pour les hommes adultes séparé de ces maisons familiales réservées aux femmes et aux enfants, pour permettre de se protéger contre les autres groupes. Par ailleurs, l'échange de cochons entre groupes et les fêtes reposant sur le cochon sont un thème que les Papous partagent avec de nombreuses autres populations d'Asie du Sud-Est et d'Océanie. De même, la plupart des sociétés papoues pratiquent l'agriculture, complétée par de la chasse et de la cueillette. On estime ainsi que les Papous ont commencé à pratiquer l'agriculture vers -7.000 ans avant J.-C (domestication de la canne à sucre et des racines, ainsi que vraisemblablement du porc à la même époque, et qu'ils ont maîtrisé l'irrigation vers -3.000 ans avant J.-C.

Enfin, comme les autres sociétés mélanésiennes mais aussi indiennes, les sociétés papoues sont des sociétés à «big men», ou hommes riches. Toutefois, le big-man austronésien se distingue du modèle d'accumulation occidentale par son obligation de procéder à d'importantes dépenses somptuaires au bénéfice de ses concitoyens pour conserver son statut de big-man. Il ne peut par ailleurs compter le plus souvent que sur son seul travail pour accumuler les richesses dont il fera bénéficier ses concitoyens.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Papous
http://www.ninoumic.net/oceanie/oceanie1.htm
http://artmelanesien.blogspot.com/

 

 

Réflexion treize (6 septembre 2009)
L'organisation sociale des Tetela-Hamba (Nkutshu a Membele) du Congo ...

Les Tetela-Hamba font partie des peuples bantous, originaires du bassin du Congo belge. Ils ont été étudiés notamment par Luc de Heusch dans son livre récent «Du pouvoir. Anthropologie politique des sociétés d'Afrique centrale» (2002). Ces peuples Bantous ne peuvent pas être comparés aux peuples archaïques que nous avons décrit jusqu'à présent. Ils ne vivaient pas dans des milieux hostiles à l'écart des autres peuples, et ne se considèrent pas comme les seuls hommes au monde. Ils connaissent notamment les métaux et leurs forgerons (qui disposent d'un statut particulier) savent les travailler. Les Tetela-Hamba ne constituent pas ainsi un peuple archaïque.


Pourtant, leur organisation sociale n'était pas constituée, jusqu'à la conquête européenne, autour d'un état ni d'un pouvoir central. Les Tetela-Hamba, comme de nombreux autres peuples bantous du Congo, sont des sociétés lignagères, c'est-à-dire organisées autour des descendants d'ancêtres communs constituant des lignages. Les Tetela-Hamba reconnaissent également un statut particulier à leurs membres suffisamment riches pour organiser des potlatchs et atteindre le statut de 'nkùmi' (maîtres de la forêt) ou de 'nkùmù' (chef sacré). L'autorité des chefs de lignage et des maîtres de la forêt sur ces peuples leur permet notamment de prélever une partie des bêtes tuées à la chasse, et de rendre la justice au sein de leur peuple. Mais cette autorité les oblige également à offrir régulièrement de grandes fêtes (potlachts) pour leurs peuples.

Les Maîtres de la forêt, ou assemblée d'hommes riches, ne correspondent pas à une organisation magico-religieuse de la société Telela-Hamba. Par contre, la société Tetela-Hamba, comme la majorité des autres peuples africains, craignent l'existence des sorciers, dont les 'nkùmù' et les guérisseurs ('wèecì') doivent protéger la société et ses membres.

De très nombreux autres peuples Bantous du Congo (Djonga, Yenge ...) disposent d'institutions comparables, reposant autour de 'nkùmù' représentant une sorte de 'big man' dans le pouvoir sur le groupe repose et dépend de sa générosité à l'égard des autres membres du peuple. Des systèmes sociaux comparables sont également observés chez de nombreux autres peuples africains, que ce soit au Cameroun, au Burkina Faso, au Tchad, etc ... avec des chefs de tribus choisis en raison de leur générosité à l'égard des autres membres du groupe. Chez certains de ces peuples Bantous, ces chefs de tribus ont les attributs d'un roi sacré, dont dépend l'ordonnancement du monde et de la tribu et la bonne santé de la nature, ce qui implique leur remplacement (ou leur mise à mort) régulière.


Réflexion douze (31 août 2009)
L'organisation sociale des Pygmées (ou Bayaka) ...

Les tribus Pygmées (Bayaka) d'Afrique représentent un autre des peuples dit 'archaïques'. Ces tribus subsistent dans les forêts équatoriales d'Afrique Centrale (Congo, Cameroun, Gabon, CentreAfrique) mais également en Asie du Sud-Est. Les pygmées sont de petite taille, entre 1,20 mètre et 1,50 mètre pour les plus grands. Le terme Pygmée est dérivé du grec ancien πυγμαιος ou pygmaios (haut d'une coudée).

http://fr.wikipedia.org/wiki/Pygmée

Les noms des principales tribus connues ou étudiées de peuples Pygmées (Bayaka) sont les Mbuti de la forêt d'Ituri au Congo, les Tumandwa, les Batwa, les Bakunda, les Bazimba, les Aka, les Babenzi, les Binga, les Efé et les Twa ainsi que les Baka, les Bakola, les Bagyeliles et les Medzam du Cameroun. Les pygmées (bayaka) et les bantous auraient une origine commune ancienne de 70.000 ans selon l'étude de l'ADN mitochondrial ou 60 000 ans d'après une autre étude basée sur l'ADN nucléaire.
http://www.lemonde.fr/sciences-et-environnement/article/2008/02/12/bantous-et-pygmees-se-sont-separes-il-y-a-70-000-ans_1010284_3244.html

Les différents groupes de pygmées africains se seraient eux-mêmes différenciés il y a environ 20.000 ans, vraisemblablement suite à la fragmentation de leur habitat forestier lors du dernier maximum glaciaire, lequel a asséché le climat africain et a entraîné une régression des forêts pluviales.

Les Pygmées (Bayaka), dont la population totale est estimée entre autour de 50.000 et 200.000 membres, ont conservé un mode de vie nomade à base de cueillette et de chasse comme à la fin du paléolithique ; ils ne pratiquent ni la culture ni l'élevage. Ils appartiennent comme les Bochiman (Kua/San) aux civilisations de l'arc (par opposition aux autres civilisations africaines nommées par les anthropologues appelées civilisations des clairières, des greniers, de la lance et des cités). 

Les différents groupes pygmées vivent dans des campements comprenant trente à soixante-dix personnes, constitués d’une dizaine de huttes hémisphériques. Ces huttes sont appelées 'lobembes' lorsqu'il s'agit d'un habitat temporaire pour des bivouacs provisoires, et 'mongulus' pour une occupation plus longue. Conçu pour une famille, chaque campement comprend des logis pour les ménages et d'autres destinés aux célibataires. Jeunes gens et jeunes filles vivent séparés. Œuvres des femmes, les huttes tiennent leur rigidité d'un treillis de branchettes ancré en terre et arqué de force en forme de tonnelle. Cet assemblage élastique peut supporter le poids de la femme qui pose des feuilles de marantacées comme des tuiles, agrafées par leurs pétioles incisés. Des lames d'écorce servent de matelas. La fumée stagnante de feux maintenus allumés de manière permanente préserve les hommes des insectes et les vivres et les objets usuels du pourrissement.

Ces unités socio-économiques n’ont traditionnellement pas de chef ou de gouvernement formel même si trois personnalités ont une grande influence sur la vie du groupe : l’aîné du lignage, le maître de chasse et le devin guérisseur. Chaque individu est indépendant. Il existe cependant une grande coopération pour la chasse, la musique ou les gardes d’enfants. Les pygmées jouent de la musique avec un instrument ressemblant à un peigne à vibrations que l'on retrouve sous des noms variés, dans diverses régions d'Afrique.

L'influence de l'aîné du lignage se retrouve dans de nombreux peuples africains, notamment bantous, sur lesquels on reviendra ultérieurement. Le maître de chasse (tùmà chez les pygmées Aka) est un chasseur qui allie des qualités personnelles de force et de courage, une connaissance de la nature et des comportements animaux, à des savoirs magiques et à une initiation aux forces surnaturelles qu'il détient d'un de ses aînés. Il est le responsable des chasses à la sagaie des gros gibiers comme l'éléphant (indispensable pour obtenir le statut de tùmà). C'est le tùmà qui préside les rituels précédant le départ à la chasse, qui dirige la troupe des hommes allant s'installer dans le camp de chasse en forêt (sans femmes), qui procure aux chasseurs les charmes de chasse et les remèdes d'invisibilité pour approcher les hordes d'éléphants, qui régit les stratégies d'approche du gibier, qui règle l'encerclement et l'attaque de la proie, qui porte le premier coup ou fait charger l'animal sur l'épieu (technique du pal) ...

Les pygmées représentent dans cette région le dernier peuple encore animiste. Ezengué, l’esprit de la forêt constituait autrefois leur seule croyance avant leur conversion croissante au christianisme.

Il doit également être remarqué, comme pour le peuple Bochiman, la relation d'esclavage reliant encore aujourd'hui les peuples pygmées et les peuples bantous, qui les considèrent comme des sous-hommes et qu'ils sont chargés d'éduquer lorsqu'ils vivent en dehors des forêts équatoriales inexpugnables.
http://www.teddyseguin.com/dotclear/index.php?2008/08/11/3-la-communaute-pygmee-aka-dafrique-centrale-une-difficile-transition-vers-la-culture-globale

 

Réflexion onze (12 août 2009)
Quelques éléments de réflexion sur la division des rôles sociaux entre les sexes dans les sociétés archaïques ...

Je me référerais à un article très intéressant de Catherine Vincent paru dans le Monde du 7 août 2009 , dont l'apport me semble suffisamment intéressant pour être repris ci-dessous, tel quel (simple 'copié collé') ... Une excellente analyse du problème de la division sexuelle du travail dans les sociétés archaïques, et des raisons pour lesquelles «les femmes ne sont pas chasseresses» ... Un sujet passionnant ... Pour ceux que le sujet passionne ...

http://www.lemonde.fr/aujourd-hui/article/2009/08/07/science-du-sexe-et-sexe-des-sciences_1226553_3238.html
http://www.lemonde.fr/aujourd-hui/article/2009/08/07/science-du-sexe-et-sexe-des-sciences_1226553_3238_1.html

En effet, les sociétés humaines, et tout particulièrement les sociétés archaïques dont j'ai commencé à faire état, appliquent une spécialisation particulièrement marquée entre les tâches relevant des femmes et celles relevant des hommes. La majeure partie de ces cultures impose par ailleurs cette spécialisation sous risque de tabou (ou pané chez les guayakis ou tout autre terme ayant la même signification). En gros ... aux hommes la chasse aux animaux ainsi que la guerre, aux femmes la récolte des végétaux, des oeufs ou des insectes ... On retrouve une trace de cette spécialisation évidemment jusqu'à une époque récente (moyen-âge occidentale au minimum). La majeure partie des sociétés humaines (au-delà même des sociétés archaïques) appliquent également des règles extrêmement précises pour se préserver du sang menstruel des femmes ou du sang et du placenta de l'accouchement (sans parler des règles encore plus draconienne visant à se protéger des jumeaux, considérés soit comme une signe céleste, soit comme une malédiction). Y a-t-il un lien entre ces deux éléments ? Ce qu'il faut bien noter, c'est que les sociétés humaines (et encore plus les sociétés archaïques) ont une position extrêmement ambigüe sur tout ce qui a trait à la féminité (comme notre propre société occidentale ou encore les sociétés musulmanes) et surtout aux excès de féminité (comme le sang menstruel ou le sang de l'accouchement). En même temps, la nature y est le plus souvent considérée comme féminine, et l'équilibre de la nature (absence de sécheresse ou de famine) dépend d'un équilibre au sein de cette féminité. C'est cette équilibre de la nature (sécheresse, famine, malchance à la chasse) que la société tente de préserver en maintenant les femmes à l'écart, tout particulièrement dans leur période d'excès de féminité.

Mais il ne faut pas oublier que l'on retrouve également le même enjeu dans les rites masculins de circonscision, censé permettre d'arracher le jeune mâle à sa mère, et de lui enlever sa part de féminité ... (pour ceux qui seraient intéressés, ci-dessous cet autre lien vers un chapitre d'un bouquin d'anthropologie consacré à la question ...)
http://www.anthropologieenligne.com/pages/02/2.01.html

L'explication par le sang proposé par l'anthropologue Alain Testart exposée ci-après offre un éclairage intéressant d'un sujet que je trouve passionnant, notamment par ses prolongations actuelles dans nos sociétés occidentales supposées égalitaires ou au sein de l'islam ... sans préjuger toutefois de la véracité de l'explication apportée ... 

 

« (...) D'après les données de la préhistoire et l'étude des sociétés traditionnelles, la répartition des tâches chez les peuples chasseurs-cueilleurs a toujours été la même : aux hommes la chasse aux gros animaux, aux femmes la récolte d'aliments végétaux, d'oeufs et d'insectes. Pendant longtemps, l'explication d'une telle constante alla de soi : les femmes ne participaient pas à la chasse du fait de leurs grossesses et de leurs enfants en bas âge. Comme il allait de soi que l'invention de la chasse avait été une source importante d'innovations adaptatives (techniques, sociales, alimentaires) pour le genre Homo - innovations dont les mérites étaient donc attribués aux hommes.

 

Cette dernière assertion fut remise en cause, au début des années 1980, par plusieurs chercheuses américaines. Pour l'anthropologue Nancy Tanner et la primatologue Adrienne Zihlman notamment, ce ne sont pas les hommes chasseurs, mais les femmes cueilleuses qui furent le moteur de l'évolution humaine. S'appuyant sur l'observation des sociétés traditionnelles et sur celle des grands primates, elles proposèrent le modèle suivant : les femelles auraient été les premières chez les hominidés à se servir régulièrement d'outils, avec lesquels elles déterraient ou capturaient les aliments qu'elles mettaient ensuite à l'abri des prédateurs. L'efficacité de cette collecte féminine aurait ainsi permis aux hommes de s'adonner à la chasse, activité au rendement plus aléatoire.

 
Dans le même temps, l'explication selon laquelle les femmes n'allaient pas à la chasse parce qu'elles étaient moins mobiles que les hommes commença sérieusement à se fissurer. Alain Testart, chercheur au laboratoire d'anthropologie sociale du Collège de France, est l'un de ceux qui ont le plus travaillé sur ce sujet. Auteur, en 1986, d'un ouvrage sur Les Fondements de la division sexuelle du travail chez les chasseurs-cueilleurs, il soutient que cette division du travail se fonde, non pas sur la maternité, mais sur une idéologie liée à la symbolique du sang. Hypothèse qu'il n'a cessé d'étayer depuis lors.

 

A y regarder de plus près, en effet, les femmes ne sont pas systématiquement exclues de la chasse. Chez les Inuits par exemple, elles peuvent, l'été, s'approcher des phoques endormis et les abattre à coups de gourdin. Chez les Aïnous, population d'origine de l'île d'Hokkaido, au nord du Japon, elles pratiquent la chasse aux cervidés, avec chiens, cordes et filets. Chez les Aborigènes australiens, elles traquent des animaux fouisseurs en les enfumant dans leur terrier. Pour elles, donner la mort est donc possible. Mais jamais avec des flèches, des sagaies ou des harpons.
 

La femme ne chasse pas si le sang animal doit couler, tandis qu'elle chasse dans le cas inverse, résume Alain Testart. Rappelant les très nombreuses croyances, interdits et tabous variés et hauts en couleur qui entourent le sang des femmes - que ce soit celui de la parturition ou de la virginité, ou surtout le sang menstruel - dans la quasi-totalité des sociétés primitives, il souligne le parallèle entre le sang des femmes et celui des animaux. Tout se passe comme si la femme ne pouvait mettre celui-ci en jeu, dans la mesure où il est question, en elle, de son propre sang. Conséquence : les femmes se seraient retrouvées presque partout exclues de la guerre - donc du politique -, ainsi que des rites sacrificiels - donc de la religion (...)»

Catherine Vincent, Le Monde

 

 

Saucratès


Ecrit précédent sur le sujet :
1.https://saucrates.blog4ever.com/blog/lire-article-447196-2033261-considerations_sur_l_organisation_des_societes_hum.html


13/12/2010
0 Poster un commentaire

Considérations sur l'organisation des sociétés humaines (1)

Réflexion dix (21 juillet 2009)
Sur quelques éléments de réflexion sur l'organisation des sociétés humaines ...

Dire, comme je l'ai écrit, que les sociétés organisées contre la survenue de l'Etat constituent le point zéro, l'origine, de toutes les sociétés humaines et de l'organisation sociale humaine, est-il choquant et cela heurte-t-il les opinions des uns ou des autres ? Il ne semble pas au vu du faible nombre de commentaires à ces quelques réflexions. Cela ne semble pas non plus poser problème à la recherche anthropologique et archéologique, comme en témoigne les recherches menées par Marylène Patou-Mathis, préhistorienne, directrice de recherche au CNRS, qui a publié récemment un livre intitulé «Mangeurs de viande» chez Perrin, où elle défend une position relativement conforme à cette opinion.

Cette situation diffère de celle vécu par Pierre Clastres, à la fin des années 1970, à l'époque de ses recherches sur les sociétés archaïques amérindiennes et de la parution de son livre «La société contre l'Etat», lorsque cette théorie était encore balbutiante, et où ses théories soulevèrent des débats violents. Trente ans plus tard, la situation a changé ...

Dans un entretien publié dans le Nouvel Observateur, elle explique ainsi que « pendant des millions d'années, jusqu'à dix mille ans avant notre ère, le seul mode de comportement est celui du chasseur-cueilleur. On se sert dans la nature. Ensuite certaines de ces sociétés jusque-là nomades vont se sédentariser, domestiquer les plantes puis l'animal : leurs membres vont alors devenir des producteurs et plus seulement des prédateurs. Un changement radical. C'est le début de la fin. Les humains vont commencer à avoir des biens, des surplus, des silos. Ils vont creuser des fossés, construire des murs pour se protéger. On trouve là les premières traces de conflit, le début de la hiérarchisation, de la propriété, probablement le début de l'esclavage. La société telle que nous la connaissons s'installe. Ce qui est intéressant, c'est que d'autres vont choisir de rester des chasseurs-cueilleurs. Les San du Kalahari ont côtoyé les éleveurs bantous pendant des millénaires sans pour autant devenir des producteurs. »
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2326/articles/a402805-marylène_patoumathis_de_la_chasse_à_lhomme.html

Un certain nombre de peuples (tribus amérindiennes, bochimans/Kua/San du Kalahari, pygmées des forêts africaines, aborigènes australiens, papous de Nouvelle-Guinée ...) sont restés au stade de sociétés de chasseurs-cueilleurs, avec la seule organisation sociale de type égalitaire qui correspond aux sociétés sans Etat ou contre l'Etat. « A la différence de celui des mangeurs de végétaux, le système économique des chasseurs-cueilleurs, qui sont des prédateurs, repose sur le partage. Ce partage de la proie renforce la cohésion du groupe. Les stratégies de chasse développent aussi la coopération et la division du travail. Tout cela se met en place et structure une forme de société. »

Pour rappel, on a trouvé cette même stratégie de coopération dans la chasse et de partage des proies dans les sociétés de primates chimpanzés, et non pas seulement dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs. Et pourtant, contrairement à la position que défend Marylène Patou-Mathis, ces stratégies n'ont pas amené ces sociétés chimpanzés au même processus d'humanisation au cours des derniers millions d'années, même si nous leur sommes vraisemblablement très fortement apparentés.

La parenté de ces formes d'organisation sociales 'archaïques' avec nos sociétés développées ne fait donc pas l'ombre d'un doute. Elles sont une trace du processus d'hominisation qui nous a amené du stade de primate au stade industriel. Elles correspondent effectivement au stade 'zéro' de l'organisation sociale humaine, un stade d'équilibre qui a dû durer des centaines de milliers d'années, si ce n'est quelques millions d'années, stade au cours desquels l'humanité a vraisemblablement dû passer plusieurs fois à quelques doigts de l'extinction (la dernière fois il y a à peu près 100.000 ans selon les recherches sur les données génétiques), comme tant d'autres espèces animales ou végétales sur Terre ...

Je vais continuer de présenter quelques autres peuples que l'on considère comme 'archaïques' dans les prochains articles de cette note, avant de passer à la présentation de quelques autres formes d'organisations sociales humaines stratifiées, pour continuer de présenter ma réflexion et ma théorie sur l'évolution des sociétés humaines ... (Nota : en parlant d'archaïsme, il ne faut pas voir un jugement sur un niveau de développement ou de retard, mais une observation sur des traits ... un même problème se pose en archéologie sur certains animaux considérés comme archaïques ... ces animaux comme ces sociétés humaines ont malgré tout également évolué par rapport au modèle original ou à leur situation d'origine ...).


Réflexion neuf (29 mai 2009)
L'organisation sociale d'un peuple africain : les Bochiman (ou Kua/San)

Les Bochimans (Kua/San) occupaient autrefois l'ensemble de l'Afrique Australe. Ils regroupaient notamment deux peuples, les San, habitant les terres et les Khoi-Khoi (que l'on pourrait traduire par 'les hommes des hommes') habitant sur le littoral. Le terme 'Bochiman' (ou 'Bushman' en anglais) est un terme impropre, qui leur fut donné par les hollandais à leur arrivée.

Les Bochimans (Kua/San) sont aujourd'hui relégués sur des terres parmi les plus ingrates du monde ; le désert du Kalahari, en Afrique australe. Leur population est aujourd'hui estimée entre 60.000 et 100.000 individus dans l'ensemble de l'Afrique Australe. De petite taille, leur langue et leur culture étaient demeurées isolées très longuement du reste de la planète ; ce n'est que quelques siècles avant l'arrivée des européens que des tribus bantous, peuple d'agriculteurs sédentaires africains, puis des tribus hottentots, se sont déplacés vers le sud de l'Afrique australe. Les San et les Khoi-Khoi n'ont pas été touchés par les découvertes du travail des métaux (âge du fer et âge du bronze). Ils n’ont ainsi pas eu d’instruments en métal ; leurs armes de chasse étant restées en bois, en os ou en pierre. La langue bochimane appartient à la famille des langues khoïsane, qui incorpore des 'clicks' (consonnes inspirées) traduits dans l'écriture par les signes '!'.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Bochimans

Carlos Valiente-Noailles, dans son livre «The Kua. Life and Soul of the Central Kalahari Bushmen» (1993). , offre une description intéressante de ce peuple, dont les caractéristiques sociales sont proches des tribus amérindiennes les plus longtemps abritées de la civilisation occidentale. Du même auteur, on trouve également le livre «Les Bochiman: peuples oubliés de l'Afrique australe» (1983) ...
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0399-0346_1994_num_64_2_2409_t1_0155_0000_2


« (...) Vraisemblablement présents en Afrique dès l'aube de l'humanité, encore répandus sur la plus grande partie du continent il y a trois mille ans, ils furent ensuite au cours des siècles victimes de massacres tant de la part des Bantous qui descendaient du Nord que des Hottentots qui venaient de l'Ouest, avant de rencontrer plus tard les Blancs qui montaient du Sud. Ainsi refoulés petit à petit, en furent-ils réduits à se refugier en ces régions d'Afrique les moins hospitalières, et, en ce qui concerne la réserve centrale du Kalahari, l'habitat humain peut-être le plus ingrats de la terre.

(...) Dans le chapitre 'de la naissance à la mort', la différentiation sexuelle dans les règles de conduite et dans la répartition des tâches est bien analysée, et on nous fournit une description détaillée du rite de l'initiation des jeunes filles au moment de leur puberté.

Lorsqu'il entreprend de nous décrire l'organisation sociale des Bochiman, l'auteur centre ses réflexions sur ce feu autour duquel tout se passe, tant sur la place publique que dans chaque maisonnée où la femme l'alimente avec constance et économie après que l'homme l'eut démarré en mettant en oeuvre cette extraordinaire invention des deux batonnets, qui, manipulés avec astuce et force, font jaillir la flamme.

Le mode de vie des Bochiman a conditionné leur forme d'organisation sociale, laquelle est basée sur le groupe, composé de quelques familles étroitement reliées entre elles. Chaque groupe considère comme sien un territoire bien délimité et ses membres aiment à se retrouver régulièrement autour d'un même chef-lieu. Durant la période de l'année où la nourriture se fait rare, ils se dispersent en bandes plus petites pour errer au loin d'une façon indépendante à la quête de leur survie. Le groupe n'a pas de chef ayant une autorité réelle sur lui. Tout s'y traite par palabre et les anciens n'ont qu'une autorité rituelle. Chaque groupe est relié politiquement à l'état par l'intermédiaire d'un chef d'une ethnie non bochiman, à l'égard duquel il est pour ainsi dire comme un vassal. Dans le désert du Kalahari, chaque groupe Bochiman est vassal d'un chef Kgalagadi. Les Kgalagadi auraient été les premiers Bantous à arriver dans cette partie de l'Afrique. »
Jacques Bilodeau, dans le journal des Africanistes n°64, pages 155-158


Les Bochimans (Kua/San) appartiennent à ce que les anthropologues ont appelé la 'Civilisation de l'arc', civilisation des chasseurs pygmées et bochiman, qui tirent tout juste leur subsistance de la nature et vivent en parfaite symbiose avec elle (Jacques Macquet). Par opposition, les anthropologues dénombrent également cinq autres civilisations en Afrique : les civilisations des clairières, des greniers, de la lance, des cités et enfin de l'acier (l'Afrique moderne).
 
Lire aussi l'article suivant publié dans le journal L'Humanité.
http://www.humanite.fr/2001-07-25_International_Les-Bushmen-hommes-des-hommes


Réflexion huit (24 mai 2009)
Quelques caractéristiques communes aux tribus amérindiennes

Les caractéristiques de la société des indiens Aché peuvent être généralisées à la majeure partie des sociétés amérindiennes, que ce soit en Amérique du Sud ou du Nord. Comme l'a écrit Pierre Clastres, les sociétés amérindiennes ne sont pas des sociétés sans Etat organisé ; ce sont des sociétés organisées contre la survenue de l'Etat, contre l'Etat. On observe également d'autres formes d'organisations sociales ressemblantes sur d'autres continents, au sein des sociétés les plus archaïques, les plus retirées loin de la civilisation, que ce soit en Papouasie-Nouvelle Guinée, dans le Kalahari en Afrique du Sud, ou en Australie ...

Des sociétés construites autour d'un chef coutûmier dont les seuls attributs du pouvoir sont le droit et le devoir de parole au profit du groupe. Des sociétés construites autour de rites d'initiation d'une violence sans équivalence, violence qui vise, selon Pierre Clastres, à inscrire sur le corps des participants de manière indélébile le texte de loi de la société, loi disant que tous les hommes de la tribu sont égaux et ont subi les mêmes rites d'initiation, de la même manière, avec les mêmes difficultés, avec la même douleur, avec les mêmes marques résiduelles. Loi disant que tous sont égaux et qu'aucun ne pourra se considérer comme étant supérieur aux autres.

On retrouve dans les écrits de Pierre Clastres une référence au «Discours de la servitude volontaire» (ou «Le Contr'Un») d'Etienne de la Boétie, texte écrit autour des années 1545-1555. Dans ce texte majeur de la philosophie politique, Etienne de la Boétie remet en cause la légitimité des gouvernants, qu'il appelle «maîtres» ou «tyrans». Selon lui, plus que la peur de la sanction, c'est d'abord l'habitude qu'a le peuple de la servitude qui explique que la domination du maître perdure. Le «secret de toute domination» : faire participer les dominés à leur domination en jettant des miettes du pouvoir aux courtisans. Ces derniers choisissent volontairement la servitude. Ainsi s'instaure une pyramide du pouvoir : le tyran en domine cinq, qui en dominent cent, qui eux-mêmes en dominent mille... Cette pyramide s'effondre dès lors que les courtisans cessent de se donner corps et âme au tyran.
http://fr.wikisource.org/wiki/Discours_de_la_servitude_volontaire

Pour écrire cet essai, Etienne de La Boétie s'était notamment intéressé aux récits des aventuriers ayant découverts les Amériques et sur les récits décrivant la vie et l'organisation sociale des amérindiens. Il désignait la survenue du pouvoir du nom de «malencontre».


« (...) Quel malencontre a esté cela, qui a peu tant de naturer l'homme, seul né de vrai pour vivre franchement ; et lui faire perdre la souvenance de son premier estre, et le désir de le reprendre ? »
Pierre Clastres, «Liberté, Malencontre, Innommable», conclusion au Discours de la servitude volontaire, page 230


Ce qui est extraordinaire, c'est que de telles formes d'organisation sociale aient pu perdurer des siècles durant et peut-être des millénaires durant sans interruption ... que ces sociétés aient pu se perpétuer sans que des hommes ne confisquent le pouvoir au sein du groupe et ne forment des classes divergentes, maîtres d'un côté, esclaves de l'autre ...


« (...) Nous savons simplement que, par nécessité naturelle, la première figure de la société a dû s'instituer selon la liberté, selon l'absence de division entre tyran oppresseur et peuple amoureux de sa servitude. Survient alors la malencontre : tout se renverse. Il résulte de ce partage entre société de liberté et société de servitude que toute société divisée est une société de servitude (...)

(...) Or, il n'y a pas de glissement progresif de la liberté à la servitude ... Mais la brutale malencontre qui fait s'effondrer l'avant de la liberté dans l'après de la soumission ... C'est que toute relation de pouvoir est oppressive, que toute société divisée est habitée d'un mal absolu en ce qu'elle est, comme anti-nature, la négation de la liberté. »

Pierre Clastres, «Liberté, Malencontre, Innommable», conclusion au Discours de la servitude volontaire, page 232


« (...) Aussi le discours de la servitude volontaire formule-t-il explicitement deux questions : pourquoi d'abord la dénaturation de l'homme a-t-elle eu lieu, pourquoi la division s'est-elle installée dans la société, pourquoi la malencontre est-elle advenue ? Ensuite, comment les hommes persévèrent-ils dans leur être dénaturé, comment l'inégalité se reproduit-elle constamment, comment la malencontre se perpétue-t-elle au point d'en paraître éternelle. »
Pierre Clastres, «Liberté, Malencontre, Innommable», conclusion au Discours de la servitude volontaire, page 235


C'est l'histoire et l'origine du pouvoir qui sont interrogés par l'organisation sociale des sociétés amérindiennes, ainsi que par les autres sociétés archaïques de par le monde ... Ces sociétés représentent-elles la première forme d'organisation sociale que l'humanité ait connue, l'organisation sociale primordiale, initiale, celle des premiers hominidés, mais enrichie par l'apparition du langage, l'invention des rites d'initiation, la formalisation des rapports sociaux ?... Cette hypothèse pose alors des questions sans réponses. Comment des sociétés humaines ont-elles pu permettre la perpétuation de cette organisation au cours de milliers de générations ? Ou bien comment ces sociétés humaines ont-elles pu en revenir au modèle original si elles ont connu à certaines périodes des accidents d'apparition du pouvoir ? Alors que comme le pense Etienne de La Boétie, le retour de l'Etat vers l'absence d'Etat est impossible ...


« (...) Il semble bien, au contraire, qu'il y ait là un point de non-retour sitôt qu'il est franchi, et qu'un tel passage se fasse seulement à sens unique : du non-Etat vers l'Etat, jamais dans l'autre sens ... L'Etat peut bien s'écrouler, se démultiplier ici en seigneuries féodales, se diviser ailleurs en chefferies locales, jamais ne s'abolit la relation de pouvoir, jamais ne se résorbe la division essentielle de la société, jamais ne s'accomplit le retour du moment pré-étatique (...) »
Pierre Clastres, «Liberté, Malencontre, Innommable», conclusion au Discours de la servitude volontaire, page 238


J'ai la certitude que ces sociétés contre l'Etat constituent le degré zéro de l'évolution de l'humanité (il n'y a dans cette affirmation aucun jugement de valeur de ma part, simplement un fait dans une optique évolutionniste, sans aucune preuve possible, et rejeté par la plupart des scientifiques, même par Pierre Clastres). Mais qu'elles représentent aussi la première forme d'organisation sociale que l'humanité ait connu dans un passé très ancien, forme d'organisation qui donna naissance à nos sociétés étatiques modernes et soit-disant démocratiques ... Le passé et le témoignage d'une histoire oubliée du pouvoir dans les sociétés humaines, telle qu'elle existait avant l'invention de l'agriculture, de l'élevage et de la séparation entre sédentaires et nomades, entre dominants et dominés, entre maîtres et esclaves ... Un passé idéalisé du fait de l'absence de preuves et de certitudes ... Avec cette autre certitude ; le hasard qui peut seul expliquer que ces sociétés aient pu se perpétuer jusqu'à nos jours, lorsque nos sociétés se sont transformées en Etats hiérarchisés depuis de nombreux millénaires, pour conquérir le monde entier. Le hasard et pour les Guayakis, un milieu tellement hostile qu'il était impossible d'y survivre seul et qu'un groupe pouvait s'y croire les seuls humains sur Terre.


« (...) Nous disons que les sociétés primitives, en tant que sociétés sans division, ferment au désir de pouvoir et au désir de soumission toute possibilité de se réaliser (...) Dans l'acte initiatique, le corps individuel, comme surface d'inscription de la Loi, est l'objet d'un investissement collectif voulu par la société toute entière afin d'empêcher qu'un jour le désir individuel, transgressant l'énoncé de la Loi, ne tente d'investir le champ social (...) »
Pierre Clastres, «Liberté, Malencontre, Innommable», conclusion au Discours de la servitude volontaire, pages 239-240



Réflexion sept (21 mai 2009)
L'organisation sociale d'une tribu amérindienne : les indiens Guayakis

Les indiens Guayakis (aussi appelés Aché) sont l'une des tribus amérindiennes restées le plus longtemps à l'écart de la société humaine et de la modernité. Ces tribus furent découvertes dans les années 1960-1970 et ont été notamment étudiées par l'anthropologue Pierre Clastres (mais aussi par Lucien Sebag ou précédemment par Jean Vellard). Jusqu'aux années 1960, les quelques tribus Guayakis vivaient à l'écart de toute influence extérieure dans la forêt vierge paraguayenne. Plusieurs livres autour de Pierre Clastres (décédé accidententellement en 1977) les décrivent : 'La société contre l'état' (Clastres), 'Chroniques des indiens Guayakis' (Clastres), 'L'esprit des lois sauvages' (sous la direction de Miguel Abensour) ...
http://increvablesanarchistes.org/articles/1968_81/clastre_pouvoirprimitif.htm
http://gradhiva.revues.org/index511.html

Présentation en quelques lignes du livre 'La société contre l'état' de Pierre Clastres ...


Le problème du pouvoir politique dans les sociétés primitives. S’appuyant sur les sociétés indiennes d’Amérique du Sud, l’auteur démontre les mécanismes qui règlent leur fonctionnement. Au terme de ce travail d’analyse, on est amené à découvrir que les sociétés primitives ne sont pas seulement des sociétés sans État, mais, bien plus, des sociétés contre l’État.

« Quand, dans la société primitive, l’économique se laisse repérer comme champ autonome et défini, quand l’activité de production devient travail aliéné, comptabilisé et imposé par ceux qui vont jouir des fruits de ce travail, c’est que la société n’est plus primitive, c’est qu’elle est devenue une société divisée en dominants et dominés, en maîtres et sujets, c’est qu’elle a cessé d’exorciser ce qui est destiné à la tuer : le pouvoir et le respect du pouvoir. La division majeure de la société, celle qui fonde toutes les autres, y compris sans doute la division du travail, c’est la nouvelle disposition verticale entre la base et le sommet, c’est la grande coupure politique entre détenteurs de la force, qu’elle soit guerrière ou religieuse, et assujettis à cette force. La relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique d’exploitation. Avant d’être économique, l’aliénation est politique, le pouvoir est avant le travail, l’économique est une dérive du politique, l’émergence de l’État détermine l’apparition des classes. »


Selon l'étude qu'en réalisa Pierre Clastres, l'organisation sociale des indiens Guayakis semble construite pour interdire l'apparition d'un pouvoir coercitif. D'autres peuples amérindiens présentaient également la même forme d'organisation sociale ; Pierre Clastres citant notamment les indiens Tupi-Guarani, représentant des populations beaucoup plus nombreuses, et confrontées beaucoup plus tôt à l'influence des occidentaux. De manière beaucoup plus large, on peut dire que l'ensemble des peuples amérindiens repose sur le même principe d'une construction sociale contre l'apparition de l'état, contre le pouvoir coercitif d'un seul ...

Il n'existait plus que quelques tribus d'indiens Guayakis de quelques dizaines d'individus dans les années 1960-1970 (les tribus des indiens Aché-Gaitu et Aché-Kwaré), qui ont aujourd'hui vraisemblablement totalement disparu en tant que tribus autonomes. L'organisation sociale des indiens Guayakis présentait un certain nombre de caractéristiques particulières, selon les écrits de Pierre Clastres :

a) Un mode de vie nomade, dans la forêt paragayenne.

b) Une séparation stricte des sexes ; les hommes et les femmes étant séparés en deux mondes, l'un symbolisé par l'arc, la jungle et un chant rituel nocturne et puissant, et l'autre par le panier, le campement et un chant diurne et triste. Certaines interactions entre les deux mondes peuvent amener le 'pané' (le malheur). Ainsi, une femme ne peut toucher un arc.

c) Un partage obligatoire de la nourriture obtenue par les chasseurs, qui ont interdiction (sous peine de 'pané') de consommer les animaux qu'ils ont eux-mêmes tués. Les chasseurs hommes ne peuvent ainsi consommer que les animaux tués par d'autres chasseurs. Cette forme d'organisation sociale implique ainsi une forte interdépendance entre les membres de la tribu.

d) Les Guayakis sont polyandriques, en raison d'un nombre deux fois plus important d'hommes que de femmes dans les tribus Aché. Ce déficit démographique des femmes adultes s'explique par des coutûmes de violence à l'encontre principalement des enfants filles (en raison de mouvements de colère masculine ou pour conjurer le 'pané').

e) Les Guayakis sont anthropophages et pratiquent notamment l'endo-cannibalisme (ils mangent leurs morts). Ils tuent également leurs vieux, lorsqu'ils les gênent dans leurs déplacements dans la forêt (un peuple somme toute charmant !).

f) Enfin, le chef de tribu n'a aucun pouvoir coercitif sur le reste de la communauté ; son seul droit, mais c'est également son devoir, étant de disposer du droit de parole. Il a seul le droit de parler, et les autres d'écouter ... mais il a aussi le devoir de parler ...

Cette caractéristique se retrouve chez pratiquement tous les peuples amérindiens, jusque chez les tribus indiennes d'Amérique du Nord. Selon l'analyse de Pierre Clastres, le pouvoir s'exerce dans ces sociétés amérindiennes en sens inverse de celui de l'État. C'est la société qui a tout pouvoir sur un chef mis à son service qui n'a que des devoirs, et un peu de prestige. Ce que la société refuse, c'est l'instauration d'un pouvoir séparé d'elle.

Mais il ne s'agit pas d'anarchie. Anarkhia signifie absence de chef. Chez les peuples amérindiens primitifs, il s’agit de se donner un chef de pacotille dépourvu de pouvoir, juste pour occuper la place et s’assurer qu’un despote ne viendra pas l’accaparer. Le chef fournit une image de ce despote à surveiller, permet ainsi de prendre conscience d’une menace qui serait inconcevable autrement. La société exerce un tel contrôle sur son chef qu’il lui est même impossible que lui vienne l’idée d’instaurer la division et de transformer son prestige en pouvoir. Toute parole du leader est une assurance donnée à la société que son pouvoir ne la menace point.

Pierre Clastres évoquera aussi deux autres points particuliers de l'organisation sociale des amérindiens, que l'on retrouve aussi dans toutes les tribus amérindiennes. Les rites d'initiations des jeunes indiens se caractérisent dans toute l'Amérique par une véritable torture. Le but des rites d'initiation est de laisser une marque indélébile sur les corps des adolescents ; la marque de la loi en sa forme primitive : tu n'es pas moins qu'un autre, tu n'es pas plus qu'un autre. Cette souffrance est supportée sans mot dire car l'on veut être l'égal des autres. Il s'agit d'un signe définitif d'appartenance à la tribu, qui n'a pas de pouvoir au-dessus d'elle. Nul ensuite ne pourrait imposer un pouvoir despotique et s'estimer supérieur aux autres, car les autres membres de la tribu pourraient alors lui rappeler les traces des marques d'initation portées par tous.

La deuxième caractéristique commune à de nombreuses tribus amérindiennes, c'est la faculté de désigner un chef de guerre choisi parmi les meilleurs guerriers en temps de guerre. Ce chef de guerre conduit ainsi la tribu dans la guerre, mais c'est la communauté dans son ensemble qui décide de la poursuite ou de l'arrêt de la guerre. Et malheur au chef de guerre qui voudrait poursuivre cette guerre malgré la volonté de la communauté d'arrêter la guerre. La société amérindienne n'hésiterait pas alors à abandonner ce guerrier dans la jungle, ce qui le condamnerait à la mort hors du groupe.



Réflexion six (24 février 2009)
Retour en arrière de quelques pas ...

Certains pourront avoir l'impression que je me suis perdu dans les méandres de mes réflexions sur les origines du contrat social, de la société et de l'état. Je devais m'intéresser essentiellement à une description de diverses formes d'organisations sociales observées par divers ethnologues, afin de donner une idée de la multitude de forme d'organisations possibles ... Les idées que je devais poursuivre devaient être au nombre de deux. La première était qu'il y avait un ordonnancement entre les différentes formes d'organisations étatiques qui ont être décrites dans les diverses peuplades humaines. Et deuxièmement, que s'il existait un ordonnancement, il existait forcément une origine à l'Etat, une première forme d'organisation humaine qui était généralisée dans toutes les populations humaines, en quelque sorte cette société du contrat social primordial, non pas un état de nature tel que décrit par tant de philosophes, mais un état de société primordial, que l'on a retrouvé chez les seuls peuples les plus arriérés et les plus isolés du monde, demeurés à l'état initial du fait de la difficulté de leur milieu de vie naturel.

Au lieu de cela, je me suis engagé dans une description des diverses formes de 'sociétés', d'organisations sociales, rencontrées chez nos cousins primates non humains, pour lesquels on estime désormais qu'ils vivent en sociétés organisées. Je me suis intéressé à certaines ressemblances entre ces formes d'organisation sociale de sociétés primates et quelques sociétés humaines archaïques. Je continuerais (ou commencerait) cette étude de plusieurs sociétés humaines archaïques et de quelques comparaisons avec des sociétés primates au cours de mes prochaines réflexions, non pas pour démontrer un quelconque caractère 'simiesque' des sociétés humaines archaïques, les plus éloignées de la culture occidentale, de notre culture moderne, mais plutôt pour tenter de rechercher des preuves, des certitudes, quant à l'existence indémontrable d'une première forme de société primordiale, quant à l'existence d'une première forme d'organisation sociale commune à l'ensemble de l'espèce humaine, remontant à la nuit des temps.

Ce sera ce que j'essaierais de démontrer au fil de mes prochaines réflexions, au cours des prochains jours et des prochaines semaines. Cette recherche, cette tentative de démonstration, peut aussi être lue comme un simple regard sur d'autres sociétés humaines, de la même manière qu'en quelques notes, il a été possible d'étudier les grands traits de quelques sociétés de primates. Un tel regard peut apporter quelques idées, ou une simple impression de dépaysement ... à mille lieux des préoccupations de nos sociétés modernes occidentales.


Réflexion cinq (24 février 2009)
Au-delà des sociétés des groupes primates ... Quelques formes d'organisations des sociétés humaines tirées de la littérature ethnographique et de l'anthropologie ...


On pourrait rester longuement sur les sociétés des groupes de primates que j'ai décrites succinctement précédemment. Mais il en existe de très nombreuses, et le lien de causalité entre ces sociétés et l'organisation sociale de l'humanité n'est pas non plus certain. Tout comme il existe de nombreuses formes sociales chez les espèces primates, il existe également de très nombreuses formes d'organisations sociales chez de nombreux peuples humains. En effet, contrairement à ce que nous pourrions croire, le seul mode d'organisation sociale n'est évidemment pas le système démocratique moderne de nos états occidentaux.

Au cours des derniers siècles, de nombreux explorateurs occidentaux ont observé les coutûmes et les modes d'organisation sociale qu'ils découvraient au contact d'autres peuples, inventant une méthode d'investigation et d'observation dénommée ethnographique. Cette connaissance peut aussi s'appuyer sur les observations d'écrivains anciens, grecs, romains, ou arabes.

Les diverses formes d'organisations sociales rencontrées chez les différents peuples connus présentent des modes différents d'organisation sociale, de partage du pouvoir et de distribution des richesses, d'organisation familliale ou de médiation en matière de conflit. Il est d'usage de classer ces formes d'organisations sociales en fonction de leur niveau de stratification étatique et de leur niveau de développement, des sociétés considérées comme les plus archaïques, sans forme étatique prouvée, aux sociétés considérées comme les plus développées, comme les plus complexes, avec un état puissant.

Je m'intéresserais essentiellement dans cette analyse à ces organisations sociales considérées comme étant les plus archaïques, observées chez des peuples résidant aux frontières de notre monde développé. Ces sociétés archaïques ont été généralement observées dans des milieux naturels les ayant coupé de tous contacts avec d'autres peuples, dans des déserts humains, que ce soit des jungles comme l'Amazonie (les guayakis), la Papouasie-Nouvelle-Guinée (les papous), ou les forêts équatoriales africaines (les pygmées) ... des déserts retirés comme le Kalahari (les bochimans) ou l'Australie (les aborigènes) ... ou les pays arctiques (eskimos, lapons ...) ...

Pour quelles raisons ne m'intéresserais-je qu'aux civilisations humaines considérées comme les plus archaïques ?
- D'une part parce que la littérature ethnographique à leur sujet est plus complète que sur nos sociétés développées, qui n'intéressent que peu l'ethnologie ou l'anthropologie,
- Parce que nos sociétés occidentales seraient mille fois trop complexes à étudier, du fait de l'importance de leur population,
- Parce que ces sociétés peuvent aussi nous renseigner sur le passé de l'organisation humaine primordiale, en raison de leur conservatisme ancestral, tandis que nos sociétés modernes se complaisent dans la nouveauté et l'immédiateté (il paraît à beaucoup nécessaire de changer une constitution politique comme celle de la France datant à peine d'un demi-siècle ...),
- Enfin et plus particulièrement, parce que ces sociétés 'archaïques' sont aussi dites 'égalitaristes'.

 

 

Réflexion quatre (22 février 2009)
Ce que l'on peut encore dire sur l'organisation des groupes primates et sur certaines ressemblances avec les sociétés humaines ...

Je reprendrais ci-dessous quelques 'conclusions' du livre de Aron et Passera ('Les sociétés animales') sur les structures sociales des primates non humains. Manifestement, ceux-ci se situent dans une approche de différenciation entre les groupes de primates et l'homme.

« Notre compréhension des mécanismes responsables de la diversité des structures sociales chez les primates est encore limitée. Plusieurs paramètres influencent le nombre et la proportion d'individus de chaque sexe dans les groupes : des contraintes phylogénétiques, des facteurs écologiques et certaines interactions sociales, notamment des conflits d'intérêts entre les mâles et les femelles pour optimiser leur succès reproductif. La difficulté consiste à déterminer la contribution respective de ces paramètres dans l'organisation des sociétés (...) Des espèces appartenant à un même taxon tendent en effet à posséder des caractéristiques identiques (homologues dues à la phylogénie, mais deux espèces très différentes peuvent aussi présenter un même type de structure sociale (analogues) pour des raisons dépendant des conditions de l'environnement. De même, plusieurs facteurs écologiques peuvent influencer simultanément la structure sociale et il est malaisé de déterminer leur rôle respectif.

(...) Parmi les facteurs écologiques, les risques de prédation d'une part, le régime alimentaire et la dispersion des sources de nourriture d'autre part, semblent constituer des pressions sélectives déterminantes.

(...) Si la prédation affecte sans aucun doute le comportement des primates, les études actuelles indiquent toutefois qu'elle est loin d'être suffisante pour rendre compte de la diversité des structures sociales. Il existe en effet des différences notables d'organisation sociale entre des espèces pour lesquelles les risques de prédation sont estimés similaires Ces différences ont probablement pour origine la dispersion et/ou la disponibilité des ressources alimentaires (...) »

L'étude de l'organisation des sociétés primates (non humains) ou plus largement des mammifères réalisée par ces deux auteurs permet ainsi d'observer un certain nombre de faits ou de ressemblances avec l'organisation des sociétés humaines. L'humanité ne paraît plus alors si particulière, et un certain nombre d'évidences, véhiculées par de nombreux auteurs, ne paraissent plus distinctifs de la seule espèce humaine. Evidemment, les constructions gigantesques réalisées par l'homme et sa destruction de son environnement sont des traits distinctifs de l'espèce humaine, heureusement ou malheureusement pour nous ...

a) La prohibition de l'inceste

La prohibition de l'inceste a longtemps été perçue comme une invention de l'espèce humaine, comme un signe distinctif de son humanité, de sa culture, de sa supériorité sur les animaux et l'animalité, de même que l'invention du langage ou l'utilisation d'outils. Qu'est-ce que la prohibition de l'inceste ? Il s'agit des mécanismes sociaux et familiaux qui permettent d'éviter les relations sexuelles entre ascendants ou descendants, ou entre frères et soeurs. On parle d'évitement de l'inceste. Evidemment, l'inceste continue d'exister dans les sociétés humaines, même si des règles sociales (ou juridiques à notre niveau d'organisation occidentale) sont à l'oeuvre pour l'éviter ... Les jugements et les faits divers en attestent suffisamment, même dans nos sociétés modernes et malgré les condamnations encourues ...

Toutefois, l'étude des sociétés de primates permet de déterminer qu'il ne s'agit pas d'une spécificité humaine. La majeure partie des sociétés de primates sont organisées afin d'interdire l'inceste, notamment grâce au départ du groupe familial d'origine des juvéniles ou des subadultes mâles ou femelles ... Chez les gorilles, les juvéniles des deux sexes quittent leur groupe d'origine pour soit rejoindre un autre groupe passant à proximité (cas des femelles juvéniles) soit vivre en solitaire quelques années (cas des mâles juvéniles). Le cas le plus fréquent sinon dans les sociétés primates concerne la translocalisation des mâles juvéniles, qui émigrent alors de leur groupe d'origine pour vivre en bordure d'un autre groupe, en attendant d'être capable de contester la domination d'un autre mâle dominant ou d'attirer des femelles pour constituer un nouveau groupe (ou harem) ...

Ces règles peuvent nous paraître hautement barbares ou animales ... En même temps, de telles règles sont très proches des règles sociales qui étaient observées dans les sociétés humaines non occidentales que les européens ont découvertes au fil des siècles précédents, même si ces règles sociales anciennes ont tendance à disparaître actuellement au profit d'une standardisation holliwoodienne (ou bollywoodienne) véhiculée par les mass-médias ... Chez de nombreux peuples, parfois simplement au fond de nos campagnes françaises, en Bretagne ou ailleurs, il existait des règles sociales ancestrales, des coutûmes, qui voulaient que les jeunes du village devaient chercher femme (ou mari) dans les villages éloignés ... et cela s'observe encore régulièrement dans de nombreuses sociétés humaines, même pas archaïques, mais où simplement les coutûmes ancestrales continuent d'être appliquées.

b) L'organisation familiale monogame ou en harem

L'humanité n'a pas plus inventé la vie en couple, la monogamie ou la polygamie, qu'elle n'a inventé l'évitement de l'inceste. L'islam, qui défend ou autorise la polygamie (pour l'homme, forcément ... de même que la polyandrie concerne la femme) de même que la religion catholique défend la monogamie, n'ont rien inventé. Simplement, le harem est simplement apparemment la forme d'organisation sociale la plus représentée (et la moins évoluée) au sein des espèces animales. Elle repose accessoirement sur une vision passéiste de la place de la femme, ou plutôt sur une vision animale, reposant sur une reconnaissance de la supériorité de l'homme sur la femme. Dans la nature, dans les sociétés primates ou de mammifères, cette supériorité s'exprime dans des différences morphologiques entre mâles et femelles ... Différences morphologiques qui sont pratiquement effacées dans l'espèce humaine, où l'homme est simplement un peu plus grand et fort que la femme, éliminant du coup toute raison à l'existence de la polygamie (si ce n'est la satisfaction des besoins et des désirs du mâle).

c) Les relations hommes-femmes ou mâles-femelles

Les relations entre les hommes et les femmes constituent également une autre source de ressemblance entre l'espèce humaine et les primates. Dans de nombreuses espèces de mammifères et chez les primates, les nouveaux mâles dominants éliminent souvent les jeunes descendants du précédent mâle du harem pour rendre 'disponibles' les femelles du harem, à moins que la société primate ne soit organisée sous une forme de harem à plusieurs mâles ; les femelles du harem pouvant alors chercher protection auprès des autres mâles du harem. Il arrive aussi, chez les gorilles notamment, que les femelles s'allient entre elles, au sein du harem, pour protéger leurs petits.

Evidemment, me direz-vous, de telles pratiques ne s'observent pas dans l'espèce humaine. Dans la société occidentale, des actes semblables se retrouvent parfois dans des cours d'assise, lorsqu'un beau père a brutalisé ou tué l'enfant de sa compagne issu d'une autre relation. De manière plus générale, des pratiques approchantes ont pu être observées chez certains peuples de sociétés archaïques préservées, comme les nombreux décès de filles chez les indiens guayakis, en Amazonie, qui conduisait à un sexe ratio totalement déséquilibré chez ce peuple, étudié notamment par Pierre Clastres.

La culture et les interdits sociaux ont malgré tout, pour l'homme, pratiquement fait disparaître ces comportements de violence contre les enfants des autres mâles, ainsi que ceux impliquant des conflits entre mâles pour accéder aux femmes, même dans les sociétés où la polygamie est usuellement pratiquée, système qui a tendance forcément à maintenir des mâles en dehors des harems, dans l'incapacité de constituer un harem et de se reproduire (sauf sexe ratio très déséquilibré en défaveur des hommes ou procédure de vol des femmes dans des communautés extérieures ... comme chez les peuples touaregs par exemple ou chez les bédouins).

d) La guerre, la chasse, la coopération (et le rapt des femmes)

La guerre est une activité typiquement humaine. Et pourtant, certaines sociétés de primates entrent en conflit pour la défense de leur territoire (uniquement des espèces territoriales). Il a même été observé que nos plus proches cousins parmi les primates actuels, les chimpanzés, lançaient des expéditions à l'encontre de troupes voisines, expéditions au cours desquelles ils tuaient parfois quelques congénères mâles et enlever des femelles pour les ramener dans leur propre troupe. Ces 'guerres' (faudrait-il parler d'escarmouches) pouvaient avoir à terme pour conséquence la disparition de certaines troupes et l'annexion de leur territoire (et de leurs femelles) par une troupe plus importante.

La chasse en coopération est également une autre activité qui n'est pas réservée à l'homme. Quelques mammifères comme les lions ou les loups, mais également les chimpanzés, chassent leurs proies en coopération, accroissant de ce fait leur niveau de réussite.

Le fait que les chimpanzés puissent lancer des expéditions motivées par la volonté d'enlever des femelles à une autre troupe est cependant un signe éclairant. On se trouve là aux portes de l'histoire. Certaines des plus grands cycles épiques de l'humanité ont pris naissance dans le rapt d'une femme (ou de femmes), telle la Guerre de Troie, autour d'Hélène et de Pâris ...

Pour conclure (temporairement)

Que reste-t-il donc comme comportement typiquement humain ? Heureusement (ou malheureusement) pour notre planète, seules les sociétés humaines sont capables de détruire leur environnement au point de mettre en danger la perpétuation de leur propre espèce. C'est une exception dans la nature. Dans une vision plus optimiste, l'espèce humaine a également inventé l'écriture, les constitutions politiques, les langues articulées et la grammaire. Mais pour tout ce qui a trait à la vie en société, l'homme n'a pas inventé grand chose ... par rapport à ces cousins primates ...


Réflexion trois (30 janvier 2009)
Ce que les organisations sociales des groupes primates peuvent nous apprendre sur les premières formes d'organisations des premières sociétés humaines de la préhistoire ...


L'étude des organisations sociales observées dans des différents groupes primates (cf. ma réflexion n°2 ci-dessous), qu'ils appartiennent à la famille des platyrrhiniens (branche des primates la plus éloignée de l'espèce humaine, du continent sud et centre américain), des catarrhiniens (singes de l'ancien monde - Afrique et Asie), des pongidés (primates d'Asie proches de l'espèce humaine comme l'orang-outan ou le gibbon), des gorillinés (gorille africain) ou des paninés (branche des primates non humains les plus proches de l'espèce humaine), permet d'observer que pratiquement toutes les espèces de primates sont grégaires. La forme la plus fréquente d'organisation sociale rencontrée demeure le harem, à mâle dominant unique (ou mâle alpha). Mais on y observe aussi fréquemment une structuration de l'organisation sociale entre harems, clans et bandes (chimpanzés, bonobos, hamadryas ...) qui s'approche de certaines organisations sociales observées chez certains peuples humains (les nuers en Afrique) sur lesquels je reviendrais ultérieurement.

Toutes ces formes d'organisations sociales des groupes primates tolèrent cependant aussi la présence de mâles isolés vivant à l'extérieur des groupes (ou unités) sociaux constitués. Il s'agit souvent soit de jeunes mâles subadultes (gorilles, gibbons, orang-outans, cercopithèques ...) qui quittent leur groupe naissance et dont l'objectif demeurera de constituer à leur tour leur harem, soit de vieux mâles dominants ayant été battus et exclus de leur harem ... L'existence de ces mâles isolés extérieurs, commune à de nombreuses espèces de primates, sauf aux espèces les plus proches de l'humanité (chimpanzés et bonobos), représente une menace pour les groupes constitués (mâles dominants mais aussi jeunes et subadultes auxquels le nouveau dominant s'attaque ensuite souvent pour accaparer ou rendre disponibles sexuellement les femelles du harem).

Devant l'observation de ces modes d'organisation sociale, on se rend compte avec lassitude que les pires instincts observés chez l'homme trouvent facilement leurs racines, ou leurs pendants, dans les espèces animales qui nous sont les plus proches phylogénétiquement ... tout particulièrement pour tout ce qui tourne autour des rapports entre les hommes et les femmes (polygamisme, violences à l'égard des femmes, meurtre des enfants ...) ... Evidemment, cette situation est renforcée chez de nombreuses espèces de primates par le dimorphisme qui y existe entre le mâle et la femelle, avec une différence de morphologie et de poids qui peut varier du simple au double.

Mais il existe deux explications possibles à ces ressemblances. La première, qui a ma préférence, considèrera que ces caractères sociaux préexistaient à l'espèce simienne primordiale, qui donna naissance aux diverses familles de primates et de simiens qui existent aujourd'hui, et qui possèdent pratiquement tous une forme d'organisation sociale en harems et bandes, pas très éloignée de ce que l'on peut observer dans l'espèce humaine, et que l'homme continue d'organiser autour de lui, dans sa vie familiale ou dans son monde social. C'est cette explication que je retiendrais comme hypothèse de réflexion.

Mais il en existe une autre. Que chacune des espèces de simiens et de primates (ainsi que d'autres groupes taxinomiques tels les insectes sociaux) que l'on observe ait « évolué vers la socialité à des époques différentes et possède des caractéristiques uniques qui résultent d'une évolution propre. Ceci n'empêche pas d'y déceler des réponses parfois identiques à un même problème ; les phénomènes de convergence ou d'évolution parallèle n'étant pas réservés à l'anatomie mais existant aussi en matière de comportement. » Cette explication s'appuie sur la sélection naturelle chère à Darwin. Elle fait partie des hypothèses explicatives possibles. Elle signifierait que seul le hasard expliquerait que chacune des espèces de primates et de simiens aient évolué vers une forme d'organisation sociale, en réponse au milieu environnemental, mais que l'espèce protosimienne primordiale ne serait pas initialement sociale.

Cette explication ne me satisfait pas. Et pourtant, elle explique malgré tout que des espèces que tout sépare (et tout particulièrement des centaines de millions d'années d'évolution), comme les insectes sociaux et les primates et simiens, aient seuls, au sein de la création, développé des formes d'organisations sociales complexes et presque certainement sans aucun lien commun.


Réflexion deux (27 janvier 2009)
Quelques exemples d'organisations sociales de groupes primates ...


L'arbre phylogénétique de l'espèce humaine fait remonter la séparation entre l'espèce Homo et nos plus proches cousins primates aux environs d'une dizaine de millions d'années (on lit parfois sept millions d'années tandis que la divergence avec les gorillinés remonte à environ seize millions d'années), si on accepte la théorie de l'évolution des espèces de Darwin. On peut aussi observer que l'ensemble des espèces de primates, mais également quelques espèces de mammifaires (cervidés, canidés, félins ...) sont aujourd'hui organisés sous des formes sociales, certes disparates, mais prenant le plus souvent la forme de groupes, de harems ou de meutes, avec des interrelations entre les membres du même groupe.

Il est vraisemblable que des organisations sociales de même type, même si elles ont pu évoluer au cours de la période, régissaient les relations entre leurs divers ancêtres, il y a environ dix millions d'années. Et de la même façon, on peut également estimer vraisemblable qu'à cette époque préhistorique, les premiers représentants de l'espèce humaine étaient également organisés sous une forme analogue, approximativement parlant.

Je peux ainsi vraisemblablement affirmer que, quoi que recouvre cette notion philosophique d'état de nature, cet état de nature correspondait déjà, même il y a dix millions d'années, en une forme sociale où des interelations complexes régissaient les rapports entre membres d'un même groupe ou harem. Et que le contrat social dont il fait mention chez des philosophes comme Hobbes, Locke, Rousseau ou Rawls correspond simplement à la formalisation de règles sociales entre groupes humains déjà constitués.

Pour se faire, on peut s'appuyer sur les recherches réalisées par une branche des sciences humaines intitulée 'éthologie', science qui dans son sens moderne, s'intéresse à l'étude objective et scientifique des comportements animaux (mais également humains). Selon Konrad Lorenz qui en fut l'un des concepteurs, « il existe des comportements moteurs dont les similitudes ou les différences d'une espèce à l'autre se présentent exactement de la même manière que les caractères morphologiques, en dépit des différences environnementales ou des effets de la vie en captivité. Selon Konrad Lorenz, ces comportements moteurs constituent des caractères spécifiques d'une espèce et leurs similitudes ou différences ne peuvent être expliquées autrement que par leur descendance d'une forme ancestrale commune. » On distingue communément entre comportements innés (génétiques ou acquis dès la naissance) et comportements acquis (ou issus de l'apprentissage).

L'éthologie nous apprend ainsi que les trois espèces primates les plus proches phylogénétiquement de nous (les chimpanzés, les bonobos et les gorilles) sont toutes les trois organisées de manière assez proche, sous forme de harems dont le nombre d'individus le composant varie (2 à 120 membres) mais organisés autour d'un mâle dominant, qui a la responsabilité du maintien de la cohésion du groupe notamment vis-à-vis des mâles extérieurs. Je ne pourrais pas ici décrire précisément toutes les formes d'organisation sociale régissant les rapports entre membres d'une même espèce de primates. Mais on peut notamment se référer sur ce sujet à la littérature existante, par exemple 'Les sociétés animales' de Serge Aron et Luc Passera, chez De Boeck Université (2000). Parmi les exemples que l'on peut citer ...
(une histoire de l'idée d'évolution - conférence de Pascal Picq du 2 avril 2003)

Les chimpanzés (Pan troglodytes, qui appartiennent comme l'homme et les bonobos à la famille des homininés) sont ainsi des animaux sociaux qui vivent dans une communauté de 15 à 80 individus, menée par un mâle dominant, et divisée en sous-groupes dont la composition et la taille varient beaucoup. Leur espace vital est d’environ 7 km². La femelle chimpanzé a généralement un seul petit à la fois, tous les 5 à 6 ans. Celui-ci s’accroche au ventre de sa mère jusqu’à l’âge de 6 mois, puis sur son dos. Bien que le sevrage ait lieu entre 3 ans et demi et 4 ans et demi, le petit reste encore longtemps avec sa mère, parfois même jusqu’à ses 10 ans. Bien qu'ils soient principalement végétariens, les chimpanzés organisent parfois des parties de chasse en coopération à plusieurs individus, notamment pour capturer et tuer de petits singes arboricoles (Ciolobus badius). Autre comportement relativement 'humain', la compétition entre groupes différents se traduit parfois par des raids de mâles dans les bandes rivales, au cours desquelles des individus de la bande adverse peuvent être tués et leurs femelles être capturées. Il s'en ensuit parfois l'extinction des groupes les plus faibles et un accroissement de la taille du territoire des groupes les plus forts.
http://www.wwf.be/fr/?inc=page&pageid=293

Les bonobos (Pan paniscus, de la famille des homininés) sont des animaux très sociaux, qui vivent en communautés comptant entre 25 et 75, voire 120 individus, divisés en sous-groupes qui se forment et se déforment régulièrement. Contrairement aux chimpanzés, la communauté est de type matriarcal. Les bonobos recourent souvent aux rapports sexuels pour atténuer les tensions sociales ; ces rapports apaisent la concurrence pour les repas, facilitent les rapprochements après les affrontements, ont des fonctions conciliatrices. Ils occupent un territoire de 30 à 50 km². Ils se regroupent en fin de journée et construisent leur nid, chaque soir, dans les arbres.
http://www.wwf.be/fr/?inc=page&pageid=297

Les gorilles (Gorilla, de la famille des Hominidés) sont des animaux sociaux qui vivent en groupes composés d'une famille comptant généralement 5 à 10 membres (un mâle dominant, trois femelles adultes et quatre ou cinq jeunes) et s'étend sur un territoire de 5 à 30 km². Mais des groupes de familles comptant de 2 à 35 membres ne sont pas inhabituels. Il faut en moyenne 6 à 8 ans à une famille pour élever un jeune gorille. Le mâle dominant est également appelé 'cheveux gris' du fait de la présence de poils argentés sur son dos. Les groupes de gorilles sont très stables, fermés, sans fusion ou fission ; les mêmes individus circulant ensemble pendant plusieurs années. Le mâle dominant est l'unique reproducteur du groupe. Il défend l'intégrité de son harem contre les mâles extérieurs et exerce sa domination sur le groupe pendant plusieurs années (8 à 10 ans en moyenne). Du fait de la très forte compétition sexuelle liée à l'organisation sociale en harem, les jeunes mâles ne se reproduisent généralement pas avant l'âge de 15 à 20 ans (pour une maturité atteinte à 8 ans). Le gorille est l'une des seules espèces de primates où les mâles et les femelles émigrent de leur groupe natal à la puberté, ce qui leur permet d'éviter d'interagir avec leurs apparentés. Lorsqu'elles quittent leur groupe natal, les femelles intègrent rapidement un nouveau groupe ou se joignent à un mâle solitaire. Cette association aux mâles leur procure une protection contre la prédation et les agressions par d'autres gorilles. En outre, les infanticides perpétrés par des mâles non apparentés aux jeunes représentent 38% d'une mortalité infantile élevée (40% des jeunes meurent avant l'âge de 3 ans). Les femelles ne restent d'ailleurs pas avec le premier mâle qu'elles croisent ; le choix d'un mâle étant influencé par la qualité de son domaine vital et par son aptitude au combat. Les jeunes mâles subadultes peuvent aussi choisir d'émigrer à leur maturité sexuelle, et mener alors une existence solitaire pendant plusieurs années. On observe aussi des structures sociales multi-mâles avec un mâle dominant et des mâles subordonnés, donnant naissance à des groupes plus importants.
http://www.wwf.be/fr/?inc=page&pageid=301

Les gibbons (hylobatidae, de la famille des hominoïdes) sont à l'inverse monogames. Les unités sociales sont composées d'un mâle et d'une femelle et de un à quatre jeunes, sans rapport de dominance au sein de la famille.

Autres hominoïdes du sud-est asiatique, les orang-outans (Pongo pygmaeus) sont solitaires durant une grande partie de leur vie (les femelles accompagnent leurs petits jusqu'à l'âge de 3 ans et demi environ). Ils peuvent être férocement territoriaux. Les orangs-outans mâles gardent cependant une même femelle comme amoureuse pendant toute la vie.

Les cercopithèques (Cercopithecidae, branche des singes de l'ancien monde ou catarrhiniens), présentent pratiquement tous (à l'exception des hamadryas) une organisation sociale reposant sur une filiation matrilinéaire (par la mère), avec les mâles quittant leur troupe natal à l'adolescence. L'effectif des groupes est variable en fonction des disponibilités alimentaires. La structure sociale est souvent polygame (en harems), plus rarement polyginandre (plusieurs mâles et plusieurs femelles).

Les hamadryas (Papio hamadryas qui appartiennent à la famille des babouins) d'Afrique du Nord constituent des unités sociales polygames composées d'un seul mâle dominant et de une à dix femelles. Ils ne sont pas territoriaux. C'est la seule espèce de babouins à avoir une organisation sociale de type patrilinéaire ; ce sont les femelles qui quittent la troupe natale à l'adolescence et à être organisée en harems à un seul mâle (dominant). Les hamadryas sont également organisés en plusieurs niveaux (fait également relativement rare chez les primates non humains et ressemblant à certaines sociétés humaines) : les harems se regroupent en clans (qui correspondent au regroupement de 2 ou 3 harems issus d'une même famille), qui se regroupent en bandes (qui peuvent atteindre 70 individus), et l'ensemble des bandes constitue une troupe. Les membres d'un même clan se rassemblent pour passer la nuit. Les bandes sont stables dans le temps. Les mâles dominants déchus vivent seuls mais ils restent intégrés au clan et continuent à interagir avec leurs propres jeunes. La cohérence des harems chez les hamadryas repose essentiellement sur le comportement agressif des mâles à l'égard des femelles de leur harem. Au sein d'une même bande, les mâles ne subtilisent que très rarement les femelles d'autres mâles, même si ces derniers sont moins forts.

Les babouins cynocéphales (Papio cynocephalus) vivent en groupes multi-mâles et multi-femelles de 30 à 150 membres, sur des espaces vitaux qui peuvent atteindre 40 km². Les sociétés de babouins cynocéphales sont matrilinéaires, avec au sein de chaque lignée maternelle une hiérarchie où la mère est la femelle dominante, et où le statut des petits dépend fortement de celui de la mère. Les mâles peuvent rejoindre une nouvelle troupe s'ils s'associent à une femelle. Les combats entre mâles pour l'accès aux femelles sont courants et la hiérarchie entre les mâles au sein d'une troupe est beaucoup moins stable que la hiérarchie entre les femelles.

Les singes écureuils (Saimiri, branche des singes du nouveau monde ou platyrrhiniens) vivent au sein de groupes de dizaines à quelques centaines d'individus, dont le noyau de base est constitué par les femelles adultes, qui cimentent la structure sociale du groupe. Autour des mères évoluent les petits, puis les jeunes femelles, puis les juvéniles des deux sexes. Enfin viennent, un peu à l'écart en dehors de la saison de reproduction, les mâles. On observe dans un groupe environ 20% de jeunes, 13% de mâles sub-adultes, 6% de mâles adules et 29% de femelles. Il existe ensuite des troupes séparées de mâles célibataires, mâles sub-adultes qui à maturité sexuelle quittent le groupe, et vont chercher à s'intégrer à un autre groupe (échanges génétiques). Le singe écureuil est un animal grégaire : l'apprentissage de nombreux gestes et du comportement passe par le groupe. Il n'est pas territorial. Deux groupes peuvent évoluer sur le même terrain, se côtoyant à moins de 100 mètres. Les deux groupes se respectent ainsi sans cris ni menaces particulières (mais marquage odorant réalisé par utilisation d'urine).
(thèse de Laczny Caroline présentée à l'Université Claude Bernard de Lyon de Pharmacie)

Les capucins à front blanc (Cebus albifrons, de la famille des cébidés, branche des platyrrhiniens) vivent en groupes multimâles-multifemelles de quelques dizaines à quelques centaines d'individus. Les mâles adultes se coalisent et coopèrent pour la défense territoriale, le mâle alpha en tête, reconnaissable à sa plus grande taille, ses grandes canines, parfois à sa calvitie (du fait de l’âge) et à son air supérieur. Les femelles préfèrent évoluer séparément en évitant les autres adultes. Il existe un haut degré de tolérance entre tous les membres, mâles y compris, comportement influencé par le fait que cette espèce s’alimente dans de grands arbres où la nourriture ne peut être monopolisée. En revanche, les rencontres intergroupes sont carrément hostiles. Les tensions internes majeures se manifestent lors de la saison de reproduction avec le réveil des rivalités intermâles, mais restent de peu d’ampleur. La femelle est philopatrique, le mâle émigrant à la puberté.


Réflexion une (24 janvier 2009)
Théories de la justice et du contrat social ...


Je vais m'intéresser dans mes prochains posts à l'un des sujets les plus intéressants qui puisse être : l'origine des sociétés humaines et de l'Etat. Evidemment, ce sujet ne paraîtra vraisemblablement pas primordial à tous ceux qui estiment qu'il existe des problèmes bien plus importants dans l'actualité immédiate. C'est évident. Il peut aussi apparaître prétentieux de ma part de m'attaquer à ce sujet, où d'illustres philosophes ou anthropologues ont déjà essayé de trouver une réponse. Et enfin, mon dessein pourra aussi apparaître sans espoir à tous ceux qui, ayant lu ces nombreux penseurs, sont d'accord avec eux sur l'absence de réponses plausibles à cette interrogation.

Les théories philosophiques portant sur cette notion du contrat social, médiatisée par Jean-Jacques Rousseau (mais aussi par d'autres philosophes avant lui tels Hobbes ou Locke) ne sont cependant pas si anciennes qu'il n'y paraît, puisqu'un philosophe tel John Rawls est revenu dessus, en proposant une nouvelle position théorique.

Le contrat social, pour des philosophes comme Jean-Jacques Rousseau, constitue le fondement de la vie en société, le passage de l'état de nature, où l'homme vit seul, à l'état de société, où l'homme accepte la constitution d'une société humaine avec des droits et des devoirs. Les philosophes dits des Lumières diffèreront toutefois sur la façon dont les hommes vivent dans cet état de nature antérieur (hypothétique ou non). Pour certains, l'homme dans la nature est un loup pour l'homme (Thomas Hobbes) tandis que pour d'autres il y coule des jours paisibles - l'homme étant naturellement bon (Jean-Jacques Rousseau).

« Les théories du contrat social sont des théories de philosophie politique qui pensent l'origine de l'État dans une convention originaire entre les humains, par laquelle ceux-ci renoncent à une partie de leurs libertés, ou droits naturels, en échange de lois garantissant la perpétuation du corps social.

L'idée d'un contrat social pose déjà celle d'un état de nature, préexistant à toute société organisée. Cet état de nature ne correspond nullement à une réalité historique précédant l'instauration des lois, mais à l'état théorique de l'humanité lorsque elle est soustraite à toute loi. Le contrat (ou pacte) social est alors pensé comme un pacte librement établi par la communauté des humains dans le but d'établir une société organisée et hiérarchisée.

Le concept même d'un pacte social apparaît précocement chez Platon dans le cadre d'une pensée plus large sur la fondation d'une cité idéale. Hugo Grotius est cependant le premier, dans l'histoire de la philosophie politique, à consacrer une part importante de sa réflexion à la définition du contrat social. Les grands théoriciens de ce concept demeurent toutefois à ce jour Thomas Hobbes et John Locke, avant Jean-Jacques Rousseau. »

http://fr.wikipedia.org/wiki/Théories_du_contrat_social

John Rawls revient dans les années 1970 sur cette notion de contrat social pour proposer une nouvelle approche du contrat social, et donc de l'origine de la justice et de la distribution initiale des biens, en inventant les notions de 'position originelle' et de 'voile d'ignorance'. Il s'agit pour Rawls de reformuler la constitution initiale du contrat social primordial, pour y annuler l'influence que peuvent y avoir les hommes qui y disposent des plus grandes capacités. La position originelle constitue l'instant où le contrat social est négocié entre des hommes. Mais il imagine que ces hommes se trouvent dans un état d'ignorance sur leurs forces physiques respectives et sur son influence sur leur future vie en société, de telle sorte que ces contractants tenteront de trouver une forme d'organisation sociale qui minimisera les inconvénients de cette vie en société pour les personnes les plus faibles et les plus mal dotées naturellement (personnes handicapées par exemple), puisque ces personnes, placées derrière un voile d'ignorance, ignorent toutes qu'elle sera leur future place dans cette société en création. Proposer la mise en place de l'esclavage lorsque l'on peut être esclave est en effet peu rationnel.
http://www.les-bayards.com/nrub/positionoriginelle.htm

Le principe du contrat social et son étude aujourd'hui peuvent apparaître particulièrement peu importants et vains. En matière de critiques, il faut rappeler que nous (les différents homo qui se sont succédés depuis l'origine) vivons en groupe vraisemblablement depuis plusieurs millions d'années, et que les espèces simiesques dont nous nous sommes vraisemblablement les descendants vivent également pratiquement toutes en groupes ou sociétés. Dans ces conditions, cette position de l'état de nature à laquelle nous tentons de nous référer est vraisemblablement immensément ancienne. Mais en même temps, il arrive régulièrement que de nouvelles sociétés humaines soient créées de toutes pièces par des hommes qui créent ensemble une nouvelle société. C'est arrivé aux Etats-Unis au dix-huitième siècle, avec la création de la constitution américaine des pères fondateurs ; c'est arrivé encore plus récemment également en Israël en 1948, mais aussi en France lors de la Révolution française ... Et c'est vraisemblablement arrivé à de multiples autres reprises au début de l'histoire de la sédentarisation de l'espèce humaine, il y a quelques millénaires.

Evidemment, lors de la création de la constitution américaine, les pères fondateurs américains n'étaient pas placés derrière le voile d'ignorance de Rawls. Ils n'ignoraient pas leur position sociale prédominante dans la société américaine, de riches propriétaires fonciers et de possesseurs d'esclaves et de serviteurs blancs, lorsqu'ils bâtirent la constitution américaine, face aux armées britanniques. Le voile d'ignorance ne s'appliquait pas non plus aux révolutionnaires français lorsqu'ils mirent en place les divers régimes politiques qui se succèdèrent à l'époque de la Révolution française.

Pour cette raison, je ne partage pas l'approche de Rawls sur cette position originelle et sur le voile d'ignorance. La position originelle est à la fois trop antédéluvienne pour signifier quelque chose, et inadéquate pour correspondre aux diverses constitutions de nouvelles formes de sociétés qui ont pu se succéder pour l'humanité. Pour ma part, il me semble que chaque création d'un nouveau contrat social, d'une nouvelle organisation sociale, s'est réalisée sous la menace d'une autre force ; les anglais pour les pères fondateurs américains, le peuple et les armées royales étrangères pour les révolutionnaires français, des envahisseurs ou des barbares quelconques à chaque fois précédente ... Face à un envahisseur, et encore plus face à un peuple barbare non civilisé, les hommes les plus forts et les plus riches rentrent évidemment dans la négociation de ce nouveau contrat social en position de force, mais le plus souvent, ce sont également ceux qui ont le plus de choses à perdre dans la guerre qui s'approche. Il est dans ce cas inutile de prévoir un voile d'ignorance comme Rawls le propose ; la négociation est forcément équilibrée puisque ceux qui ont le plus besoin de la protection du groupe, de la société, ne sont pas forcément les plus faibles et les plus pauvres, mais justement également ceux qui possèdent le plus ou qui sont les plus forts. Evidemment, cela n'est pas possible dans des organisations humaines étendues comme les colonies américaines du dix-huitième siècle, où le principe de la délégation politique exclut de facto la majeure partie des citoyens de cette négociation, et où il est simple pour les négociateurs de se mettre d'accord sur un projet de société qui les avantagent uniquement et la classe possédante.

Voilà en quelques mots traité le problème du contrat social primordial et de la création de l'état de société. Dans les prochains posts, je m'intéresserais essentiellement à un descriptif de diverses formes d'organisation sociale qui ont pu être observées par divers ethnologues, qui nous donneront une idée de la multitude de forme d'organisations possibles ... Les idées que je poursuivrais seront au nombre de deux. La première est qu'il y a un ordonnancement entre les différentes formes d'organisations étatiques qui ont être décrites dans les diverses peuplades humaines. Et deuxièmement, que s'il existe un ordonnancement, il existe forcément une origine à l'Etat, une première forme d'organisation humaine qui était généralisée dans toutes les populations humaines, en quelque sorte cette société du contrat social primordial, non pas un état de nature tel que décrit par tant de philosophes, mais un état de société primordial, que l'on a retrouvé chez les seuls peuples les plus arriérés et les plus isolés du monde, demeurés à l'état initial du fait de la difficulté de leur milieu de vie naturel.


Saucratès


13/12/2010
0 Poster un commentaire