Critiques de notre temps

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L'affaire Société Générale vs Kerviel

 

Réflexion quatre (4 juin 2011)
Procès en appel de Jérôme Kerviel

Il y a un peu moins de deux ans, Jérôme Kerviel avait été condamné dans le procès l'opposant à son ancien employeur, qui avait été dédouané de toute forme de responsabilité dans cette affaire et dans la perte de 4,9 milliards d'euros qui est reprochée au trader de la Société Générale.

 

Le procès en appel a commencé à Paris ce lundi 4 juin 2012.

http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/06/04/ouverture-du-proces-en-appel-du-proces-de-jerome-kerviel_1712048_3224.html

http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/10/21/doit-on-plaindre-kerviel_1428963_3232.html

 

Je ne commenterais pas ce procès pour l'instant mais je vais essayer d'exposer un certain nombre de réflexions sur cette affaire extrêmement médiatique. La défense de la banque française, comme celle de toutes les banques qui ont perdu des millions ou des milliards d'euros ou de dollars du fait des agissements de traders désignés comme fous, consiste à déclamer que l'encadrement n'a jamais connu leurs agissements ni le fait que ces traders dépassaient les limites qui leur sont fixés.

 

Ce que je regrette dans l'enquête à charge qui a été menée par le procureur de la république dans cette affaire Kerviel, c'est que la réalité des pressions pesant sur les équipes de traders et sur l'encadrement de la banque n'ait pas été conduite dans le but de découvrir une vérité dérangeante.

 

L'encadrement de la Société Générale veut nous faire croire que toute la chaîne d'encadrement ignorait que des traders parmi lesquels Jérôme Kerviel dépassaient les limites d'engagement ! En fait, dans le métier du trading et de la banque, il n'est en aucun demander aux banquiers de contourner les règles mais il leur est demandé des résultats financiers. Et il est inutile lorsque l'on vous reproche de ne pas avoir atteint vos objectifs, de rappeler les limites d'engagements qui vous sont imposées. Cela ne concerne pas votre chef, ni les chefs auxquels lui-même devra rendre compte des résultats de son équipe. Le plus important est de respecter les objectifs assignés ; quelque soit la méthode que vous emploierez pour cela ... Mais attention à ne pas vous faire prendre à contourner les règles ! Les contrôles sont justes ce qu'il faut de suffisamment limités pour vous permettre de tricher sans vous faire prendre. Et un voile pudique sera jeté sur vos excellents résultats, sur lesquels personne n'ira s'interroger.

 

La Société Générale veut nous faire croire que le trading ne ressemble pas à cela, qu'ils sont persuadés que tout le monde respecte les règles de sécurité de limitation des engagements, et que seuls des traders fous contournent les règles.

 

En fait, c'est faux. Le fait de demander des résultats aux équipes de trading extrêmement importantes, tout en édictant des règles de sécurité très limitatives que les traders et leurs équipes d'encadrement sont appelées à transgresser pour atteindre les résultats fixés a un nom : il s'agit d'une méthode de management basée sur la shizophrènie. Le ministère public aurait dû vérifier l'existence de méthodes de management shizophrène dans les années et les mois précédant l'affaire Kerviel, puisqu'il est impossible de s'assurer du nombre de traders qui étaient en dépassement de limites avant les faits reprochés à Jérôme Kerviel. Quels messages étaient passés par les managers aux traders sur le respect des résultats ? Combien de traders ont été remerciés dans les équipes de la Société Générale les mois et les années précédents ?

 

La Société Générale était en première ligne sur les marchés des options et des produits dérivés pour gagner le plus possible ; elle communiquait sur les résultats exceptionnels de son activité de marché dans les années précédant la crise, résultats qui dépassaient largement la rentabilité de son activité de banque de détail. Mais ces résultats financiers mirobolants étaient le résultat d'un risque extrêmement important pris par la banque. Comme le rappelle Joseph E. Stiglitz dans «Le triomphe de la cupidité», ces résultats financiers mirobolants ne s'expliquent que par l'absence de prise en compte des possibilités de risques, de pertes, exceptionnelles, que le système financier essaie de faire prendre en charge par la collectivité. Un principe fondamental de banque est que l'excès de rentabilité financière n'est possible qu'en échange d'une plus grande prise de risques. En maintenant des services de trading pour compte propre, en imposant une rentabilité financière très supérieure aux taux du marché (actuellement 1% l'an des encours manipulés en l'absence de risques), l'encadrement de la Société Générale ne pouvait manifestement pas prétendre ignorer qu'ils imposaient une prise de risques plus importante à leur équipe, à leurs traders et leurs managers. Ou alors ils étaient incompétents, ce qu'ils ne devraient pas être eu égard à leurs rémunérations.

 

Plus largement, il faut rappeler que les grandes banques occidentales (dont la Société Générale) défendent becs et ongles l'absence de réglementation sur les marchés dérivés et sur les marchés non réglementés. Et ce ne sont pas les diverses affaires de trading pourri qui ont affecté leurs résultats ces dernières années qui leur font changer d'avis, comme celles qui ont touché la Barings (Nick Leeson) il y a quelques années (1995), la Société Générale (Jérôme Kerviel) en janvier 2008, UBS (Kweku Adoboli) en septembre 2011 et enfin JP Morgan (Bruno Michel Iksil) en mai 2012.

http://www.lemonde.fr/crise-financiere/article/2012/01/30/rogue-trading-des-garde-fous-peu-efficaces-face-a-l-absence-de-regulation_1636325_1581613.html

http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/06/06/le-trading-illicite-devant-la-justice-combien-ca-coute_1712084_3234.html

 

Evidemment, Jérôme Kerviel a pu leur échapper, en misant sur 50 milliards d'euros, affecté par leur méthode de management shizophrène. Mais leurs systèmes de contrôle étaient du coup totalement et volontairement inefficaces s'ils n'ont pas su être alertés par de tels niveaux d'engagements. Et c'est une autre aberration de cette histoire.

 

Car une banque qui n'est pas capable de découvrir qu'elle peut être engagée à hauteur de 50 milliards d'euros, soit près de 2,5% du PIB français (l'ensemble des richesses produites en France), il y a de quoi s'inquiéter ! Lorsque la Société Générale ne sait pas découvrir un bénéfice de plus d'un milliard d'euros sur les opérations de Jérôme Kerviel à la fin de l'année précédente, il y a également des questions à se poser. Il y a là nécessité de se poser des questions sur le principe même de la financiarisation de l'économie et la complexification des établissements bancaires.

http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/06/06/proces-kerviel-evidemment-qu-on-est-la-pour-gagner-de-l-argent_1713103_3234.html

 

Se dédouaner de toute responsabilité du côté de la Société Générale en donnant en exemple les mesures prises depuis l'affaire Kerviel en matière de formation du management et en matière de contrôles ne me semble pas suffisant. C'est ce qui a existé avant qui doit être mis en lumière par la partie civile et par le ministère public, qui doit défendre la société fraçaise dans son ensemble et non pas la seule Société Générale, sa rentabilité et ses méthodes de management shizophrène !

 

Mais évidemment, tout cela n'intéressera pas la justice française et la présidente de la cour d'appel Mireille Filippini, qui ne va s'intéresser qu'à mettre Jérôme Kerviel en prison et non à faire le procès d'un système pourri et pervers ! Les puissants de notre terre peuvent dormir tranquillement sur leurs deux oreilles ! 

http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/2012/06/04/proces-kerviel-loffensive-eclair-de-la-presidente/

 

 

Réflexion trois (7 octobre 2010)
Une condamnation foncièrement inique

Trois ans de prison ferme, deux ans de prison avec sursis, 4,9 milliards d'euros d'indemnisation du préjudice à verser à la Société Générale : voilà le jugement rendu dans le procès Kerviel / Société générale ... Ce jugement exonère complètement la Société Générale de toute responsabilité dans cette affaire ; Jérôme Kerviel étant présenté comme un horrible trader fou, comme un escroc patenté ayant volé son entreprise sans que personne ne puisse rien voir.

Certains pourront faire valoir qu'il est invraisemblable que la Société Générale ait choisi de laisser Kerviel prendre autant de risques, qu'il n'était qu'un trader moyen (et non une star) et que ce dernier avait une tout aussi invraisemblable soif de reconnaissance de la part de son employeur ... soif de reconnaissance qui l'ont conduit à jouer à la roulette russe avec de l'argent qui ne lui appartenait pas ... une forme d'addiction comme une autre qui conduise également certains autres à perdre des dizaines de milliers d'euros au casino ...
http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2010/10/05/le-debile-et-la-speculation_1420416_3232.html

Mais leur argumentation ne tient pas sur plusieurs points ... Kerviel a gagné à un moment plus d'un milliard d'euros, ce qui en faisait véritablement l'as des traders de la Société Générale (et du monde) ... et la vente n'a pas eu lieu au pire moment qu'il soit ; c'est le débouclage de la position spéculative de la Société Générale du fait de Kerviel qui a conduit à cette panique boursière ... Le même schéma se serait produit quelque soit le jour retenu ... 

Il y a surtout le fait que plein de choses n'ont pu être démontrées. On ignore si de nombreux traders de la Société Générale étaient incités par leur hiérarchie à dépasser les limites, ou si l'absence de contrôles véritables à la Société Générale était une façon de les inciter à prendre des risques. On n'ignore également absolument si de telles erreurs et manquements ne peuvent pas se reproduire dans les prochains mois ou prochaines années ...
http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/10/07/proces-kerviel-une-telle-affaire-peut-encore-arriver_1422008_3224.html

Ce qui est le plus atroce dans cette histoire, c'est qu'il s'agisse de la plus importante condamnation financière jamais prononcée par la justice française, et cela de manière totalement injuste, à l'encontre d'une personne qui est pourtant avant tout une victime de la Société Générale. Loin d'être un génial escroc, Jérôme Kerviel fut d'abord un bon trader qui gagnât beaucoup d'argent pour la Société Générale avant d'en perdre énormément ...

Les patrons français peuvent tuer leurs salariés sans encourir aucune condamnation, les entreprises françaises peuvent assassiner leurs salariés, détruire la nature, souiller les mers ou les montagnes, faire fonctionner leurs usines meurtrières ou leurs poubelles voguantes ou volantes, aucune condamnation sérieuse n'a jamais été prononcée à leur encontre et les dommages et intérêts, les amendes auxquelles ils sont condamnés ne dépassent que rarement quelques milliers d'euros ... Mais qu'un seul salarié leur fasse perdre un peu d'argent, leur fasse courir quelques risques financiers ... car l'affaire Jérôme Kerviel, c'est surtout un risque plus qu'une perte ... les 4,9 milliards d'euros auxquels il a été condamné sont nés du débouclage d'opérations financières, qui auraient même pu être bénéficiaires débouclées d'une autre manière, quelques heures plus tard ... et ce salarié est condamné à rembourser la totalité du préjudice, même la partie due à l'incompétence de la Banque, de la méthode retenue pour déboucler l'opération ...

Il y a une énorme déception à l'encontre de la justice de mon pays, à l'encontre du président de ce tribunal, Dominique Pauthe (le président du tribunal ayant précédemment jugé l'affaire Clearstream/Sarkozy/Villepin), qui rend un jugement inique, absurde. On parle souvent de la banalité du mal. On a fait un escroc d'une victime d'un système, Jérôme Kerviel, d'un système inhumain et totalement pervers, celui des marchés financiers ... Et ce système sort blanchi de cette justice partisane et autiste, dépassée par les enjeux et par la technique ... Une machinerie où les loups, les tueurs, les incompétents, se sont acharnés à se présenter comme des victimes, comme des agneaux, comme des bons samaritains ...

Je savais qu'il n'y avait pas de justice en France. Triste démonstration. Patrons assassins et pollueurs, vous pouvez dormir en paix, la justice vous protégera ...
http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/10/06/affaire-kerviel-on-ne-peut-pas-laisser-passer-un-prejudice-de-cette-ampleur_1421218_3224.html
http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/10/06/affaire-kerviel-la-victoire-de-l-hypocrisie-en-col-blanc_1420894_3224.html

 

 

Réflexion deux (11 juin 2010)
Quelques dernières nouvelles et aberrations ...


(...) L'ancien trader de la Société générale sera seul poursuivi dans l'affaire Société générale. Poursuivi pour abus de confiance, faux et usage de faux et introduction frauduleuse de données dans un système informatique, M. Kerviel encourt cinq ans de prison, 375.000 euros d'amende et 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts que lui réclame la Société générale.

Il est tellement simple pour cette banque de tout rejeter sur les épaules d'un vilain mouton noir, alors qu'il semble impossible que la banque est tout ignoré de ses prises de risque et de ses dépassements des procédures de sécurité. Si en plus le mouton noir pouvait rembourser les 4,9 milliards d'euros que le débouclage intempestif de ses positions ont coûté à la banque, ce serait merveilleux (comme quoi même les méchants banquiers croient au petit papa noël). Il a été démontré au cours de l'enquête que la Société générale avait négligé plus de soixante-dix alertes internes et externes sur le comportement de Jérôme Kerviel.

Néanmoins, pour mémoire, les 4,9 milliards d'euros de pertes sont nées de positions spéculatives de 50 milliards d'euros prises par le trader, alors que le desk (salle de plusieurs traders) sur lequel Jérôme Kerviel travaillait, ne devait pas dépasser une position cumulée de 125 millions d'euros ... Alors, soit sa hiérarchie jusqu'au sommet était au courant ... Soit vraiment, il ne faut plus seulement parler d'incompétence de toute la hiérarchie de la banque, mais d'une criminelle inutilité ... Et dans ce cas-là, il faut malgré tout s'interroger si l'absence de contrôle à ce niveau de risques n'est pas une volonté de la banque, une incitation à la prise de risques pour les traders, pour réaliser des bénéfices exorbitants tout en pouvant jurer en cas de problèmes avérés que le trader est seul responsable ... Ce qui est observé avec l'affaire Kerviel ... Un bon trader, c'est simplement celui qui est capable de prendre suffisamment de risques pour être rentable (celui qui n'en prend pas n'est pas conservé), mais pas excessivement pour ne pas perdre d'argent. Jérôme Kerviel, qui ne provenait pas de la noblesse de la banque ni n'avait fait les grandes écoles, ne connaissait peut-être pas toutes les ficelles du métier de trader, comme le fait de ne pas gagner trop d'argent pour ne pas être trop visible.

Si le procès ne se traduisait pas par la reconnaissance de l'innocence de Jérôme Kerviel, ce serait la preuve que la finance est un milieu injuste de requins. Ce qu'elle est ; dommage pour Jérôme Kerviel. Le président du tribunal est néanmoins Dominique Pauthe, le président ayant jugé l'affaire Clearstream/Sarkozy/Villepin.
http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/06/08/l-ex-trader-jerome-kerviel-devant-la-justice_1369228_3224.html


Réflexion une (6 janvier 2010)
Quelques aberrations en ce début de décennie ...

(...) Enfin, dernier article du Monde traitant des clients remerciés par leurs établissements bancaires sous prétexte qu'ils ne consomment pas assez de produits financiers ou qu'ils contestent les frais de gestion de leurs comptes ... Le capitalisme à l'état pur ... avec un risque assez important à terme de prise en otage des clients avec la volonté croissante des banques de se positionner en matière d'assurance dommage, automobile ou immobilière. Il n'y a pas très longtemps, ma chargée de compte (Crédit agricole) a mentionné que j'étais un client 'presque' fidèle (depuis plus de 20 ans) sous prétexte que je n'avais pas mes contrats d'assurance chez elle ...
http://www.lemonde.fr/aujourd-hui/article/2010/01/04/ces-bons-clients-remercies-par-leur-banque_1287244_3238.html


Saucratès



16/02/2011
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