Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Critique théorique


De l'expérimentation scientifique en économie et en médecine (suite)

Saint-Denis de La Réunion, samedi 2 mai 2020

 

La crise du coronavirus met en lumière de manière éclatante les travers, les limites de la méthode expérimentale en sciences. Et pour la première fois depuis des décennies, voire des siècles, ce débat et cette remise en cause de la méthode expérimentale a été portée sur la place publique, elle a été largement médiatisée et tout un chacun d'entre nous en a pris connaissance grâce à l'épidémie du coronavirus. Il faut pour ces raisons remercier le professeur Raoult de Marseille et les débats autour d'un possible traitement à base de Chloroquine. 

 

D'un côté, on a donc un médecin hospitalier qui a compris et observé qu'il existait un traitement relativement efficace contre le Covid 19 s'il était pris dès l'apparition des premiers symptômes du coronavirus. En face, on a tous les grands pontes de la medecine et de la recherche qui conteste cette analyse sous le prétexte qu'elle n'a pas été testé scientifiquement. Selon ces pontes, il faut faire des tests avec des populations témoin auxquelles on ne propose pas le traitement. Et il faut mesurer les résultats en terme de mortalité (ou de disparition des symptômes, ne soyons pas outrageusement méchant, bien que ...) du traitement administré en comparaison des patients traités avec des placébos. Et on entend ce discours invraisemblable qui tend à remettre en cause les bons résultats de la chloroquine sous prétexte qu'elle n'a pas été testé en test aveugle contre placébo. Une étude au plan européen est en cours, pour cette molécule et plein d'autres, au plan européen, nous certifient ces grands pontes de la médecine ! Mais combien de morts faut-il pour qu'une molécule médicamenteuse soit considérée comme utile et efficace ? 

 

Cette crise épidémique est providentielle parce qu'elle met en lumière, aux yeux de tous, aux yeux de chacun, la méthode expérimentale, son argumentation et ses conséquences humaines. Car l'absence d'administration de la chloroquine aux malades infectés par le Covid 19 a un coût humain invraisemblable, horrible. Des milliers et des milliers des morts qui auraient pu être sauvés, ou qui auraient une chance de s'en sortir, si les grands pontes de la médecine n'avaient pas décidé qu'il faut une confirmation expérimentale pour recommander ce traitement médical ! Il reste à se poser la question de l'apparente exclusion providentielle des médicaments à base de chloroquine de la liste des médicaments librement prescriptibles, quelques semaines avant le déclenchement de l'épidémie de coronavirus. 

 

Jusqu'à present, cette méthode expérimentale était cachée, masquée, larvée. Elle avait envahi depuis des décennies nos vies mais nous n'en avions pratiquement pas conscience. Des malades du cancer se voient régulièrement proposer de participer à des protocoles expérimentaux pour combattre leur maladie. Mais ces malades peuvent aléatoirement bénéficier soit du traitement expérimental, soit d'un placébo. Evidemment, cette méthode expérimentale est à l'origine de milliers d'innovation thérapeutique, de la validation de milliers de molécules qui sauvent aujourd'hui des milliers de vies. Mais au prix de combien d'autres milliers de vie, qui auraient pu aussi être sauvées ? 

 

C'est cela qui est terrible. Des milliers de vie pourraient être mis en danger si on testait aveuglement des molécules néfastes ou inadaptées. Il suffit de se rappeler le scandale du Médiator. Sans expérimentation, on a aucune certitude sur le fait que les bienfaits de la chloroquine sur les malades atteints par le virus du coronavirus ne seront pas dépassés par les effets indésirables de ce traitement, ou s'ils ne sont pas inexistants. Si on veut se baser sur des preuves expérimentales, on a en effet aucune certitude sur l'intérêt de ce traitement.

 

La médecine, nos médicaments qui permettent de sauver des vies, voire simplement d'améliorer notre ordinaire, sont construits sur des milliers de morts, soit victimes des effets indésirables de traitements inadaptés, soit de malades intentionnellement traités avec des placebos alors qu'ils auraient pu être sauvés s'ils avaient bénéficié de la bonne molécule. La faute au hasard ... la faute au fait qu'ils soient tombés malades trop tôt. 

 

L'extrême injustice et l'extrême inadaptation de la méthode expérimentale à la médecine hospitaliere, comme à d'autres et nombreuses sciences humaines, me semblent heureusement mises en lumière par cette crise épidémique. Est-il éthiquement acceptable et est-il humain de refuser d'appliquer un traitement médical à des malades sous prétexte qu'il n'a pas été testé expérimentalement, alors que manifestement, on a toutes les raisons de penser qu'il fonctionne parfaitement, dans un certain nombre de cas ?

 

Au-delà de la médecine, cette méthode expérimentale s'est déployée dans toute une autre série de sciences humaines, au premier rang desquelles l'économie. Et la spécialiste mondialement reconnue de cette discipline est une économiste du développement dont les méthodes expérimentales me font horreur : je veux parler du prix Nobel d'économie Esther Duflo. Selon ses recherches couronnées d'un prix Nobel, on ne peut dire sans expérimentation scientifique que le versement d'un revenu mensuel étatique améliore la situation de ceux qui en bénéficient, il faut le mesurer expérimentalement, face à un groupe témoin qui lui n'en bénéficiera pas. Là seulement, on pourra démontrer qu'un revenu étatique améliore la situation de ceux qui le perçoivent. Cette expérience se basait sur l'attribution d'une prime à une population témoin. Mais Esther Duflo, et avec elle de nombreux adeptes, ont appliqué sa méthode d'expérimentation à de très nombreuses autres situations, toutes aussi invraisemblables et incompréhensibles. 

 

L'économie pas plus que la médecine ne devraient avoir le droit de jouer avec la vie des gens. Esther Duflo, pas plus que l'économie, pas plus que les médecins, n'ont le droit de se prendre pour Dieu et de décider de qui vivra et de qui mourra !

 

 

Saucratès

 

 

Mes précédentes positions sur des sujets approchant :

https://saucrates.blog4ever.com/de-l-experience-en-medecine-et-en-sciences-economiques

https://saucrates.blog4ever.com/dieu-ne-joue-pas-aux-des-les-economistes-ne-devraient-pas-non-plus


02/05/2020
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Dieu ne joue pas aux dés. Les économistes ne devraient pas non plus y jouer !

Saint-Denis de La Réunion, mardi 22 octobre 2019

 

On ne peut pas se réjouir de l’attribution du Prix Nobel d’économie (ou plus exactement le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel) à l’économiste française Esther Duflo qui enseigne au MIT aux Etats-Unis ! Pourtant c'est une française, pourtant c'est une femme. Pourtant le Prix Nobel d’économie lui a été décerné, en même temps qu'aux économistes américains Abhijit Banerjee et Michael Kermer, tous trois récompensés pour leurs expériences de terrain dans la lutte contre la pauvreté.

 

https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/10/15/esther-duflo-un-choix-inedit-pour-le-nobel-d-economie-2019_6015526_3234.html

 

Ce prix vient aussi récompenser ce que l’on appelle l’économie expérimentale aléatoire, ou évaluation par échantillonnage aléatoire (en anglais randomized controlled trials). Ce qui me conduit à dire, pour reprendre Albert Einstein, que «Dieu ne joue pas aux dés», et que les économistes ne devraient pas non plus recourir à une telle méthode.

 

L'amoralité et l'absence d'éthique de ce genre d'expérimentation en médecine et par extension en économie

 

J'ai déjà abordé ce sujet dans de précédents articles, dont un particulièrement récent qui insistait, en matière d'économie comme en matière de médecine et de test de nouveaux médicaments et de nouvelles molécules, sur l'absence de prise en compte de réflexions éthiques et morales de la part des expérimentateurs.

 

https://saucrates.blog4ever.com/de-l-experience-en-medecine-et-en-sciences-economiques

 

Mais il faut je pense se croire ou se savoir gravement malade, pour se rendre compte de l'amoralité et de l'absence d'éthique de telles expérimentations en médecine, lorsque plus aucun traitement ne fonctionne plus sur vous, et que votre seule chance est de rentrer dans un essai clinique où vous avez une chance sur deux de vous voir prescrire la nouvelle molécule, et une chance sur deux de vous voir prescrire un placébo sans aucune efficacité ! Une chance sur deux d'être condamné à mort sans espoir de guérison. Dans ce cas-là, vous comprenez l'amoralité absolue de ce genre d'expérimentation sur l'homme, tout cela pour mesurer de manière scientifique l'efficacité d'un nouveau médicament, d'une nouvelle molécule, ou en sciences économiques, l'efficacité d'une forme d'aide pour combattre la pauvreté. Même Mme Esther Duflo découvrira peut-être un jour l'amoralité et la stupidité de cette méthode expérimentale en médecine pour laquelle elle aura tant milité dans ces jeunes années pour son usage et sa généralisation en économie (je ne le lui souhaite pas d'ailleurs ... qu'elle continue de l'ignorer).

 

La critique est la même en économie. Afin de réussir à mesurer scientifiquement l'impact et l'intérêt d'une politique quelconque en matière de développement ou de lutte contre la pauvreté, des économistes expérimentateurs vont décider que telle population va bénéficier ou non d'une politique publique quelconque, et telle autre population va au contraire en être privée, tout ceci dans un but de le mesurer scientifiquement et expérimentalement. Peu importe que cela est un coût ou non en matière de vie humaine, en matière de santé, en matière de qualité de vie, peu importe le coût humain ; plus l'écart est important, plus la mesure publique expérimentée sera considérée comme intéressante et l'expérimentation comme réussie ! 

 

Esther Duflo est la chantre d'une science économique jouant à Dieu ... nouvel avatar de l'ethnocentrisme occidental et de sa supériorité supposée

 

On quitte même à cet instant-là le principe de Dieu jouant ou non aux dés. L'économiste dans ce cas-là se substitue même à Dieu ! Un Dieu joueur ou une Déesse joueuse. Un Dieu ou une Déesse injuste ! Un Dieu ou une Déesse décidant qui doit être sauvé, qui peut être sauvé, et qui ne le sera pas. Tout ceci juste afin de pouvoir mesurer scientifiquement l'apport de telle ou telle mesure, de telle ou telle action ou aide publique !

 

Lorsque je parle d'un nouvel avatar de l'ethnocentrisme occidental, je pense aux jugements des économistes pratiquant des essais cliniques randomisés sur les populations qu'ils étudient, sur les populations sur lesquels ils font des expérimentations. Telles ou telles dépenses sont-elles bonnes, sont-elles acceptables ? L'expérimentateur ou l'expérimentatrice va ainsi décider des dépenses autorisées et de celles non autorisées, avec la possibilité, la sanction possible d'éliminer les contrevenants des essais cliniques aléatoires ou randomisés. 

 

L'économie expérimentale randomisée est ainsi une intrusion des expérimentateurs et des expérimentatrices dans la vie et dans les façons de vivre des populations qu'ils étudient. Les économistes pratiquant les essais cliniques randomisés se substituent ainsi à Dieu mais aussi aux personnes qu'ils étudient, en décidant à leur place de ce qui est bon et de ce qui n'est pas bon pour eux, des comportements qui sont bons et de ceux qui ne sont pas bons en matière de lutte contre la pauvreté. Tel ou tel usage des fonds prêtés, ou des ressources du ménage, seront ainsi considérés comme bons ou pas bons, utiles ou inutiles pour sortir des personnes de la pauvreté, tolérables ou à proscrire.

 

L'anthropologie ou l'ethnologie se trouvaient également confrontées à ce genre de dilemme à leur origine, dans les années 1920-1960. La simple présence d'un observateur peut suffire à modifier le comportement, les actions, les usages et les coutumes du peuple que l'anthropologue ou l'ethnologue étudie. C'est une préoccupation de base de l'anthropologie (les deux termes d'anthropologie et d'ethnologie sont une seule et même matière et seront utilisés l'un pour l'autre comme synonyme) de tout temps, et jusqu'à aujourd'hui. Et l'observateur se doit d'être le plus transparent, le plus invisible, avoir le moins d'impact possible pour éviter au maximum toute interaction ou toute influence sur la société étudiée, et récolter des informations en se méfiant de toute forme d'interprétation ou de tout jugement préétabli. 

 

Aujourd'hui, je crains que l'économie expérimentale randomisée ne prenne pas ce genre de précaution, dans le but de tester des outils pour sortir des populations de la pauvreté. Bien au contraire, l'économiste pratiquant l'expérimentation aléatoire estime savoir ce qui est bon pour ses cobayes et ce qui est mauvais, ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire. Je crains que l'économie expérimentale randomisée ne joue à se prendre pour Dieu !

 

En insistant sur les comportements individuels dans les mécanismes de lutte contre la pauvreté, Esther Duflo et l'économie expérimentale randomisée appauvrissent l'économie du développement en oubliant sa composante globale, systémique, institutionnelle

 

C'est, je pense, la plus importante critique que l'on peut opposer à l'économie expérimentale randomisée qui vaut à Esther Duflo l'obtention du Prix Nobel d'économie. Le fait que l'on ne pense plus le développement économique que comme la seule lutte contre la pauvreté, au plan individuel. Esther Duflo ne parle pas de critique systémique des systèmes économiques, ni de comment permettre à un État, une collectivité, un ensemble de collectivités de se développer, de construire un système de développement. Elle ne parle que de bonnes et de mauvaises manières de combattre la pauvreté. La vision de l'économie expérimentale randomisée de Duflo est une vision microéconomique, néolibérale permettant de déterminer comment combattre la pauvreté. Mais on ne parlera pas de construction d'une nation, des infrastructures nécessaires, de la mise en place des structures sociales nécessaires pour qu'un véritable développement économique puisse avoir lieu. C'est une vision individualiste ; c'est en changeant des comportements individuels que l'on changera la société, que l'on apportera du développement, que l'on créera un cercle vertueux, pour sortir du sous-développement. Mais le problème, c'est que cela ne marche peut-être pas, qu'il faut un regard d'ensemble, macro, une réforme des institutions, le financement d'infrastructures, et un regard politique.

 

Les économistes comme Esther Duflo jouent à Dieu, mais un Dieu aveugle, incompétent, qui pensent quelques seuls artifices individuels, une indemnité ici ou là, envoyer ou non un enfant à l'école et lui fournir ou non un petit déjeuner, suffiront à résoudre comme par magie les difficultés économiques et sociales du monde entier. Ils sont aveuglés par leur petite technique expérimentale, et ils n'imaginent pas qu'il puisse falloir autre chose, une réflexion critique sur le développement, comment organiser un pays. Ils n'ont qu'une vision micro du Monde qu'il croit contrôler. Ce sont des Dieux d'opérette ! Aveugles. Aveuglés par leur boîte à outils, par leur égo.

 

 

Saucratès  


22/10/2019
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De l'expérimentation en médecine et en sciences économiques

Saint-Denis de La Réunion, dimanche 6 octobre 2019

 

Le principe de l'expérimentation en médecine ou en économie pose forcément un problème moral. Mais il n'est pas sûr du tout que ce principe pose également un problème de morale et d'éthique aux expérimentateurs eux-mêmes, aux médecins, ou aux économistes qui y recourent !

 

Quelques puissent être les règles et les méthodologies mises en œuvre par les facultés et par les commissions de déontologue pour entourer ces pratiques, celles-ci continuent forcément d'interpeller moralement. En médecine, même en se reposant sur le hasard (randomisation en double aveugle), le simple fait de donner à une personne un médicament qui pourrait le soigner et une autre personne un placébo qui n'a intrinsèquement aucune capacité de soigner cette personne est éthiquement et moralement indéfendable, selon moi. C'est jouer à Dieu, ou plutôt à l'apprenti-sorcier. C'est évidemment éthiquement encore pire si vous choisissez personnellement les personnes qui recevront le médicament, et ceux qui ne le recevront pas, parce que ce ne sont pas des amis. En médecine, il me semble impossible de nommer un spécialiste de ces expériences, parce que tous les médicaments, toutes les innovations médicamenteuses ou de traitement, toutes les nouvelles molécules brevetées reposent sur ce principe, sur ce système. On propose ainsi, parfois ou le plus souvent, à des personnes dont le pronostic vital est engagé, de participer à un test dans lequel ils ont une chance sur deux d'être bénéficiaires d'un nouveau traitement révolutionnaire, et une chance sur deux de se voir prescrire un peu de sucre comme placébo. Cela a même conduit à inventer de nouvelles théories sur l'effet placébo, dans le cas à un patient s'étant vu prescrire un placébo enregistre les mêmes améliorations de sa santé parce qu'il est persuadé de recevoir le médicament expérimental. Et à l'inverse il existe l'effet nocébo, dans lequel un patient bénéficiant du bon médicament, est tellement persuadé qu'on lui remet le placébo que le médicament ne lui fait aucun effet bénéfique. Et il est évident que si je devais me retrouver dans cette situation, à essayer un nouveau traitement dans un groupe expérimental, je serais moi aussi tellement persuadé avoir le placébo que le traitement ne pourrait me faire aucun effet bénéfique. Cette terreur qui vous envahit au plus profond de la nuit, face à la maladie, et au cours de laquelle vous imaginez les pires choses, les pires peurs, dont celle de bénéficier d'un placébo en lieu et place d'un vrai médicament. Cette angoisse sourde qui vous dévore dans la nuit, qui vous laisse plus réveillé que vous ne l'avez jamais été, plus incapable de trouver le sommeil. Et ces expérimentateurs fous n'en ont absolument rien à faire. 

 

À se demander même pour quelles raisons on continue à pratiquer ce genre d'expérimentation en médecine, malgré l'importance de ces effets placébo et nocébo qui viennent en altérer les résultats et qui ne permettent absolument pas de déterminer si un traitement marche ou non, entre les optimistes qui seront persuadés d'avoir la bonne molécule, et les pessimistes qui seront persuadés du contraire. 

 

https://www.allodocteurs.fr/se-soigner/medicaments/l-effet-nocebo-le-cote-obscur-de-l-effet-placebo_9942.html

 

 

En économie, le principe de l'expérimentation est un peu plus récent et un peu moins développé, de telle sorte que l'on peut plus facilement citer les économistes qui s'essaient, qui sont les spécialistes de l'économie expérimentale. L'économie a longtemps été d'abord une science théorique, molle, avant de devenir une science pure, une science dure, en se reposant sur des modèles mathématiques pour énoncer ses lois. Maintenant, certains veulent faire d'elle une science expérimentale. Selon moi, c'est une idée particulièrement idiote. Une science expérimentale signifie qu'une expérience puisse être répétée et reproduite par n'importe qui et donner les mêmes résultats. C'est improbable s'agissant de l'économie, parce que l'économie repose avant tout, non pas des interactions de molécules ou d'atomes, mais sur des interactions humaines, qui ne sont ni reconductibles, ni reproductibles. Une même personne dans une même situation à deux moments différents pourra prendre deux décisions tellement différentes, qu'il s'agisse de rendre la justice, qu'il s'agisse d'un acte de consommation, ou d'un acte financier. 

 

Les économistes qui à tord veulent démontrer que l'économie est une science expérimentale se trompent et nous trompent. Le Monde et l'économie n'est pas reproductible. Ils ne sont même pas modélisables avec une probabilité suffisante de réalisation. Une crise financière est-elle aujourd'hui en devenir ? Pourra-t-elle être éviter ? En 2007, les économistes nous prédisaient des décennies de croissance ininterrompues, et il y eut la crise financière de 2007 qui mit la planète finance à genoux !  

 

Apres, il me faut mieux spécifier ce que j'entends par économie expérimentale, ce que d'autres appellent «économie expérimentale aléatoire». J'entends par là les principes théoriques définit par les économistes Esther Duflo, Mickael Kremer ou Abhijit Banerje. Des principes qui théorisent et qui ont réussi à imposer le principe de l'expérimentation et de l'évaluation en matière d'économie du développement et de politiques publiques.

 

https://journals.openedition.org/regulation/13148

 

Il n'est pas dans mon objectif de développer une critique de l'economie experimentale d'Esther Duflo. Lire pour cela l'article d'Agnes Labrousse A. (2010), « Nouvelle économie du développement et essais cliniques randomisés : une mise en perspective d’un outil de preuve et de gouvernement ». Revue de la régulation, vol. , no 7, p. 2‑32.

 

https://journals.openedition.org/regulation/7818

 

J'ai entendu parler d'Esther Duflo à l'origine de la création de la chaire d'économie du développement de l'Agence Française de Développement au collège de France, à l'époque où son directeur général en était l'énarque Jean Michel Sévérino. Et dès cette époque, la seule idée de lancer une expérimentation aléatoire en économie me semblait être éthiquement inacceptable. De la même manière qu'en médecine, on mesurait les différences de résultat entre un groupe qui bénéficiait d'une politique publique, d'une politique d'aide, et d'un ou des groupes test qui n'en bénéficiaient pas. Mais toujours la même question : comment peut-on jouer à Dieu. Dans la simple idée de mesurer l'améliorer des conditions de vie et de développement d'une population donnée, on décide qu'un groupe bénéficiera d'une politique d'aide, et qu'un autre groupe n'en bénéficiera pas. Il ne s'agit pas ici d'une génération de souris de laboratoire qui sert de cobayes. Il s'agit d'êtres humains, de véritables êtres humains, pour lesquels les champs de l'expérience représentent plusieurs années de vie, l'enfance de centaines d'enfants ! Comment des économistes peuvent-ils lancer ce genre d'expérience en jouant avec la vie de milliers et de centaines de milliers de personnes, juste pour expérimenter et évaluer l'apport de politiques publiques ?

 

Certaines personnes défendent cette méthodologie en argumentant qu'il faut bien faire avancer la science, que c'est le prix à payer, que l'expérimentation permet de faire avancer la connaissance. A ma connaissance, le même genre d'arguments pourrait permettre de légitimiser les expériences des nazis dans les camps de concentration des années 1941-1945 ! Les savants nazis firent également avancer la médecine avec leurs expériences médicales extrêmes menées sur les hommes et femmes internés juifs ou tziganes sur lesquels ils procédèrent aux pires expériences qu'il a été possible d'imaginer à l'homme (ou presque ... j'ignore les expériences menées par les savants européens sur les peuples africains, ou ceux menés dans les camps de travail communistes ou chinois). Si l'expérimentation à la Duflo semble moralement acceptable aux bonnes âmes occidentales modernes, pour permettre à la science économique de progresser, cela signifie-t-il que ces mêmes bonnes âmes auraient validé les expériences nazies pour permettre la progression de la science médicale ? Les bonnes âmes me diront certainement non ? Mais qu'elle est la différence lorsque l'on joue à Dieu, lorsqu'on décide de qui vit et qui meurt, et de qui vit et de quelle manière ? Il n'y en a aucune selon moi. Il n'y a selon moi aucune différence fondamentale entre l'expérimentation nazie dans les camps de concentration et l'expérimentation à la Duflo en économie !

 

 

Saucratès


06/10/2019
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