Antisémitisme d’hier et d’aujourd’hui
À la lecture d’Hannah Arendt sur l’Antisémitisme
Par Saucratès
Saint-Denis de la Réunion, jeudi 11 janvier 2024
Que se rappelle-t-on aujourd’hui de l’affaire Dreyfus si ce n’est le célèbre «J’accuse» de Zola ? En 1951, soit beaucoup plus anciennement qu’aujourd’hui, il y a désormais soixante-dix ans, Hannah Arendt en parle longuement dans son livre sur l’Antisémitisme. Cette histoire est désormais bien vieille et le Capitaine Dreyfus n’est plus que l’une des premières victimes de ce qui deviendra les malheurs et l’Holocauste des Juifs sous le régime de terreur des nazis.
Et pourtant, aujourd’hui, en notre temps où le pape est issu de l’ordre des Jésuites, on ne peut oublier que les Jésuites ont été au cœur de l’affaire Dreyfus, les plus antisémites selon Hannah Arendt de tous les ordres religieux chrétiens, ceux qui fabriquèrent l’affaire Dreyfus aux côtés des aristocrates chrétiens qui occupaient les postes d’officiers dans l’armée française. Peut-on imaginer que pour intégrer l’ordre des Jésuites, à cette époque-là, il fallait démontrer que l’on avait aucun ancêtre juif sur quatre générations.
«En ce qui concerne l’Europe, sa politique réactionnaire en France, en Autriche, en Espagne et son appui aux courants antisémites de Vienne, de Paris et d’Alger furent probablement le résultat immédiat de l’influence des jésuites. Ce sont les jésuites qui avaient toujours le mieux représenté, dans la parole comme dans les écrits, l’école antisémite du clergé catholique. (La Civiltà Cattolica, revue des jésuites, fut pendant des dizaines d’années la plus ouvertement antisémite et l’une des plus influentes des revues catholiques dans le monde entier. Elle diffusa la propagande antijuive longtemps avant que l’Italie ne devint fasciste, et sa politique ne fut en rien affectée par l’antichristianisme des nazis). C’est en partie la conséquence de la règle jésuite, qui veut que tout novice fasse la preuve qu’il n’a pas de sang juif en remontant jusqu’à la quatrième génération.»
Hannah Arendt, L’antisémitisme, Quarto Gallimard, page 344
Est-ce encore le cas aujourd’hui ? Comment notre pape peut-il se présenter comme un fervent défenseur de la tolérance religieuse s’il est issu d’un tel ordre, s’il fait partie d’un ordre qui à l’époque de son ordination, imposait une telle recherche ? La papauté reste-t-elle crédible avec un jésuite pour la diriger, même si la rumeur cherche à le faire passer pour un réformateur bloqué, limité par la curie romaine ? Les Jésuites sont-ils toujours antisémites et imposent-ils toujours cette recherche des ascendances juives à leurs membres ?
L’antisémitisme est une chose abominable. Et d’une certaine manière, cette chose abominable n’est pas morte aujourd’hui parce que la Banque reste l’ennemi détesté, abhorré d’une majorité de pauvres gens ou de gens riches, de presque tout le monde. Personne ne déteste son boulanger ou son vendeur de téléviseurs ou de voitures, mais tout le monde a des histoires à raconter sur ses déboires avec les banques. Et le métier de banquiers ont longtemps été l’occupation des familles juives tout au long de l’histoire. Évidemment aujourd’hui, les grandes banques que les gens détestent ou adorent sont la Société Générale, la Bnp Paribas, les Caisses d’épargne ou le Crédit Agricole. Mais il demeure toujours de grandes banques juives comme celle des Rothschild : la banque par excellence. La banque qui nous a donné deux présidents de la République, Macron et Pompidou.
Nota : Je dis que personne ne déteste son boulanger, mais certains détestent leur boucher, notamment les spécistes, ce qui au fond est presque aussi stupide que de détester les juifs ou les banquiers. Ceux qui haïssent les autres sont stupides. La haine est stupide même quand elle croit le faire pour de bonnes causes comme pour le climat.
Ce qui fait peur est certainement la répétition des mêmes erreurs. L’antisémitisme qui régnait dans l’air du temps à l’époque de l’affaire Dreyfus («mort aux juifs»), et qui n’a jamais vraiment disparu jusqu’à la fin de la Seconde guerre mondiale, et probablement jusqu’à nous aujourd’hui, n’est pas tellement différente de la haine et de la peur des américains vis-à-vis des aborigènes indiens («un bon indien est un indien mort»), de celles des extrémistes racistes antillais du LKP («mort aux békés»), et probablement des nationalistes européens combattant l’immigration … même si les nombreux attentats et agressions que des clandestins ou membres de ces communautés causent peuvent expliquer cette haine.
L’influence de la rue aujourd’hui, les agissements des Gilets jaunes français ou des Bonnets rouges bretons rappellent les pires débordements de l’affaire Dreyfus. Tout comme les débordements autour de la loi de réforme des retraites de Macron.
«Ce n’est que lorsque Clemenceau commença sa série d’articles dans l’Aurore, lorsque Zola publia son ‘J’accuse’, quand le tribunal de Rennes ouvrit la triste kyrielle des procès en chaîne, que la populace commença à entrer en action. Chaque point marqué par les dreyfusards (dont on savait qu’ils n’étaient qu’une petite minorité) suscita des mouvements de rue plus ou moins violents. L’état-major organisa remarquablement la populace. On suit facilement la route qui mène de l’armée à ‘La libre parole’. Ce journal, directement ou indirectement, par ses articles ou par l’intervention personnelle de ses rédacteurs, mobilisait des étudiants, des monarchistes, des aventuriers, parfois même des bandits et les jetait dans la rue. Si Zola prononçait un mot, on lançait aussitôt des pierres dans ses fenêtres. Si Scheurer-Kestner écrivait un ministre des Colonies, on l’attaquait aussitôt dans la rue et les journaux le calomniaient dans sa vie privée. Tous les témoins s’accordent pour dire que Zola, après son inculpation, ne serait jamais sorti vivant du tribunal s’il avait été acquitté.
Le cri de ‘Mort aux Juifs’ se propagea dans le pays tout entier. À Lyon, à Rennes, à Nantes, à Tours, à Bordeaux, à Clermont-Ferrand, à Marseille, partout en fait, des émeutes antisémites éclatèrent, et partout les instigateurs étaient les mêmes. L’indignation populaire explosait partout le même jour, à la même heure précise. Sous la direction de Guérin, la populace prit des allures guerrières. Des troupes de choc antisémites apparurent dans les rues, veillant à ce que chaque meeting dreyfusard se terminât de façon sanglante. Partout, la complicité de la police était flagrante.»
Hannah Arendt, L’antisémitisme, Quarto Gallimard, pages 354-355
Mais, au nom de la lutte contre l’antisémitisme, ne va-t-on pas trop loin aujourd’hui ?
Néanmoins, aujourd’hui, on rassemble et on condamne sous le vocable de l’antisémitisme toute sorte de choses et son contraire. On va monstrueusement trop loin. Chaque premier ministre et ministre de l’intérieur aime à se trouver une cible, un supposé raciste ou un terroriste qui sera son ennemi contre lequel il ou elle s’acharnera. Ce fut Julien Coupat et le groupe de Tarnac pour Mme Alliot-Marie sous la présidence de Sarkozy, ce fut l’humoriste Dieudonné pour Manuel Valls sous la présidence d’Hollande, et désormais, c’est le footballeur Benzema ou l’association Civitas sous la présidence de Macron.
Si Hannah Arendt, juive allemande émigrée en France puis aux Etats-Unis à l’époque de la Seconde guerre mondiale, philosophe internationalement reconnue du nazisme et ayant suivi le procès Eichman en Israël d’où elle retira le concept de la banalité du mal, confirmé depuis par la psycho-sociologie, si elle avait écrit aujourd’hui, elle serait considérée comme une antisémite notoire. Le simple fait d’évoquer aujourd’hui le nom d’un juif ou le décret d’émancipation de 1792 conduit désormais à des poursuites judiciaires immédiates ou à des procédures de dissolution d’associations comme Civitas, même si elles ne font qu’héberger des conférences de supposés antisémites. Supposés parce que Hannah Arendt est celui moi une philosophe célèbre théoricienne du nazisme, du totalitarisme et de la banalité du mal, juive de surcroît, que personne ne peut soupçonner d’antisémitisme. Militante du sionisme pendant la seconde guerre mondiale. Et pourtant , elle-même parle du décret d’émancipation de 1792 à de nombreuses reprises dans sa somme sur ‘L’antisémitisme’ … «en réalité le décret du 27 septembre 1791 : la citoyenneté est accordée à tout Juif prêtant le serment civique et remplissant les conditions pour être citoyen.» Elle y rappelle aussi que cette émancipation n’allait pas de soi aux yeux même de certains juifs.
«Lorsque les Münzjuden de Frédéric de Prusse ou les Juifs de cour de l’empereur d’Autriche se virent accorder, par des privilèges généraux et des lettres patentes, le statut que devait recevoir, un demi-siècle plus tard, tous les juifs prussiens sous le nom d’émancipation et d’égalité des droits ; lorsque, à la fin du XVIIIè siècle et à l’apogée de leur richesse, les Juifs de Berlin empêchèrent l’afflux des Juifs des provinces orientales, dans le souci de ne pas partager leur égalité avec des Juifs pauvres, leurs frères mais non leurs égaux ; lorsqu’en France, à l’époque de l’Assemblée nationale, les Juifs de Bordeaux et d’Avignon protestèrent violemment contre le décret accordant l’égalité des droits aux Juifs des provinces de l’Est - il devint évident que les Juifs, quant à eux, ne raisonnaient pas en termes d’égalité des droits mais de privilèges et de libertés particulières. En réalité, il n’est pas surprenant que les Juifs privilégiés, étroitement associés aux entreprises économiques de leurs gouvernements et parfaitement conscients de la nature et des conditions de leur statut social, aient répugné à voir étendre à tous les Juifs cette liberté, achetée sciemment au prix de leurs services, calculée sur cette base, et qui, en conséquence, pouvait difficilement devenir un droit pour tous.»
Hannah Arendt, L’antisémitisme, Quarto Gallimard, pages 237-238
Et pourtant, pour des raisons approchantes, Civitas est dissous et les propos rapportés par Pierre Hillard sont considérés comme antisémites, parce qu’il faisait un lien entre ce décret de septembre 1791 et l’origine de l’immigration. Mais la faute n’est-elle pas simplement d’évoquer le cas des Juifs, l’histoire du Judaïsme ? Et tout historien ou philosophe comme Hannah Arendt ne risquerait-elle pas aussi d’être poursuivie par quelques politiques incompétents friands de se donner un air martial et de prouver sa flamme anti-antisémite ?
«Le mouvement d’extrême droite Civitas va être dissous pour l’ensemble de son œuvre, indique Olivier Véran, citant notamment des rassemblements en hommage à des personnalités emblématiques de la collaboration, des appels à entrer en guerre contre la République et des discours antisémites et islamophobes. Civitas considère les droits de l’Homme comme des outils de destruction de la civilisation chrétienne, a-t-il estimé. Il a également critiqué sa vision des LGBT+ comme une communauté néfaste.
Le 8 août, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait demandé cette dissolution, après des propos antisémites de l’un de ses membres Pierre Hillard. Lors de l’université du pays du mouvement, Pierre Hillard avait estimé que la naturalisation des Juifs en septembre 1791 ouvre la porte à l’immigration. Peut-être faudrait-il retrouver la situation d’avant 1789, avait-il conclu sous les applaudissements de la salle.»
Les poursuites engagées contre un groupe de jeunes mineurs âgés de 11 à 16 ans dans une rame de métro parce qu’ils avaient chanté quelques rimes telles que ‘Nike les juifs’ et ‘Nike les grands-mères’ me semblent tout aussi expéditives et exagérées.
Toute une foule d’abrutis sont prêts à poursuivre le moindre mot de travers, le moindre petit débordement. La RATP condamne évidemment immédiatement de tels agissements comme si ce que la RATP pense peut avoir la moindre importance. Cette même RATP qui interdit à ces salariés de souhaiter un joyeux Noël aux usagers ? Par ailleurs, en deux mois, le caractère de délinquants de ces jeunes varie, ou d’un journal à l’autre. Pour Le Figaro, tous ces jeunes sont déjà connus de la justice, tandis que pour Le Parisien, seuls deux d’entre eux étaient connus des services de police. Où est la vérité ? Et de toute façon, si c’est pour de telles broutilles, ‘être connu de la justice’ ne veut absolument plus rien dire. Comme pendant l’occupation nazie de la France, être connu de la justice va devenir une preuve de civisme et de résistance.
Saucratès
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