Critiques de notre temps

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Ethique

Éthique - Refondation

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Reunion, dimanche 2 avril 2023

 

Propos liminaire : Les termes d’éthique et de morale décrivent tous deux une seule et même chose. Ainsi le terme de Morale provient du latin ‘moralis’, qui est la traduction latine du grec ancien ‘ta ethica’. Tous deux ont trait aux mœurs, au caractère, aux attitudes humaines en général. 

 

Même si la philosophie prête des usages un peu différents à ces deux termes, Éthique et Morale sont à mon sens absolument interchangeables, décrivant la même chose, un même mystère.

 

 

J’ai souvent parler d’éthique sur ce blog. Essentiellement parce qu’il m’est toujours apparu indispensable de pouvoir comprendre ce qu’est l’éthique, ce que recouvre l’éthique, ce que recouvre les notions de BIEN, de MAL, de JUSTE ou d’INJUSTE … et aussi comprendre certains peuvent-ils faire le MAL, servir le MAL, tuer, assassiner, trahir, voler ou manipuler.

 

Mais la question qui demeure derrière tout cela, c’est bien sûr personnel, savoir si ce que je fais est éthique. Ou autrement dit, qu’est-ce que l’éthique, et qu’est-ce que cela signifie de respecter une éthique ?

 

J’aborderais ainsi dans les lignes suivantes un certain de sujets qui sont au centre de mes réflexions en matière d’éthique :
 

• Qu’est-ce que l’éthique de la discussion ou éthique de l’argumentation (Diskursethik en allemand) théorisée par Karl-Otto Apel ou Jürgen Habermas ?

 

• Que faut-il penser de l’éthique théologique de la tradition chrétienne, de l’existence d’une éthique divine transcendantale à toute éthique d’origine humaine ?

 

• Et enfin, quelle place faut-il accorder à celles que certains nomment les ‘éthiques sectorielles’ ou ‘éthiques corporatives’ ?

 
Et en tout premier lieu, il est urgent de signaler ce que l’on entend en général par le terme ‘éthique’. J’entends par ‘éthique’ (ou ‘morale’) la discipline qui évalue les actions humaines à l’aune de divers principes normatifs (conséquentialistes ou déontologiques pour l’essentiel).


1. Habermas et l’éthique de la discussion

 
Que peut-on penser de l’éthique de la discussion ou éthique de l’argumentation (Diskursethik en allemand) théorisée par Karl-Otto Apel ou Jürgen Habermas ? 
Pour Habermas, «les questions de raison pratique sont susceptibles de vérité et les arguments fondés en raison servent de base aux décisions morales, arguments dont il est possible de reconstruire le processus discursif au sein d’une éthique de la discussion». (Eric Gaziaux)


Selon Habermas, le principe de discussion s’énonce ainsi : «Seules peuvent prétendre à la validité les normes susceptibles de recueillir l’assentiment de tous les intéressés en tant que participants d’une discussion pratique.»

 

Les acteurs engagés dans de tels processus sont habituellement portés à des idéalisations : 

- on discute vraiment 

- personne ne triche

- on se soucie d’abord de ce qui est vrai et juste

- on s’écouter mutuellement sans limitation autoritaire ou arbitraire

- on exprime toutes ces divergences et réserves 

- on regarde honnêtement les arguments qui nous sont opposés

- on anticipe un accord exempt de violence

- on postule que les termes pourront toujours en être réinterrogés

- il faut qu’on puisse librement exposer ses points de vue et les raisons qui les étayent

- il faut que l’on s’exprime sincèrement et que chacun crédite ses protagonistes de la même sincérité

- il faut que l’on soit authentique dans la discussion, en la pratiquant pour clarifier des problèmes plutôt que pour marquer des positions

- il faut que dans cette discussion, les participants ne prennent en considération que les raisons qui y sont produites

- il faut que ces discussions soient menées à terme, sans réserve, afin que de part et d’autre, on ait vidé ses arguments dans l’intérêt même de l’instruction morale et cognitive de la situation à examiner

 

Selon les philosophes suivants les concepts d’Habermas, ce concept de discussion permet de fonder une éthique commune à l’ensemble d’une société, de valider et d’expliquer l’existence de règles éthiques et leurs acceptations par l’ensemble d’une société.

 

Mais les prérequis nécessaires pour rendre possible une telle discussion la rende évidemment impossible à observer. C’est exactement comme le voile d’ignorance de John Rawls entourant la définition et l’acceptation du contrat social. Ce mécanisme qui doit permettre d’expliquer comment s’est initialement constituée une société qui n’est pas égale entre tous, où on trouve des riches, des puissants et des pauvres.

 

Nota : Si on demandait à des hommes ou des femmes de définir les règles d'une société et les statuts des uns et des autres, qui ne seraient pas tentés de se voir promu roi ou reine, ou membre de la noblesse ? Le voile d'ignorance permet de théoriser une manière de s'assurer que chaque homme ou femme est ignorant de sa place exact au sein de la société, de sa force, de son sexe voire de sa santé. Et chaque homme ou femme sera alors conduit à proposer des règles de société où chacun sera plus ou moins traité de manière égale, de facon à minimiser le risque et le désappointement de tomber dans les plus bas statuts sociaux.

 

Le voile d’ignorance de Rawls n’existe pas plus que le principe de discussion d’Habermas. Aucun groupe ne pourra jamais discuter de cette manière pour valider des normes éthiques, pas plus que des hommes ne peuvent se mettre d’accord sur un contrat social, sur la forme d’une société économique ou politique, sans savoir ce qu’ils seront, sans savoir le rang qu’ils occuperont dans cette société. C’est matériellement impossible. Ce sont des principes inapplicables dans la réalité, et impossibles à observer, même si le simple fait de postuler leur possibilité permet de valider ces mêmes règles, le statut de la société qu’ils doivent expliciter, suffit à les rendre acceptables par tous. 

La proposition d’Habermas conduit également à postuler que des règles éthiques pourraient devenir valables si elles correspondaient à des positions communes au sein de la société, et si elles pouvaient être défendues par le biais d’arguments apparemment rationnels dans le cadre de cette société, qu’elles reposent sur la raison publique. Mais même dans une réalité alternative où de tels mécanismes de discussion existerait, je ne pense pas que la raison publique puisse offrir une légitimité aux lois qui en découleraient. Parce que dans une société de voleurs ou de pirates, le vol et la piraterie seraient considérés comme des vertus enviables et recommandables. De la même manière, dans la société allemande à l’époque nazie, l’Holocauste, la solution finale, la dénonciation de ses parents par des enfants membres des jeunesses hitlériennes, étaient considérées comme des valeurs admirables et un modèle de société. 

En fait, on peut se demander quelle différence peut-il exister entre l’éthique de la discussion et la règle majoritaire à laquelle l’ensemble des règles, habitudes, se conforment en société par nécessité ou par habitude ? Pratiquement aucune évidemment. À la différence près que l’éthique de la discussion de Habermas ou Apel permet de sortir de l’opposition inhérente majoritaire vs minoritaire, en offrant une possibilité de validation des règles éthiques échappant à la règle majoritaire.

 

Malgré tout, les lois et les règles éthiques dépendent ainsi avant tout des sociétés dans lesquelles les humains vivent, des valeurs qui y sont véhiculées. Il y a donc forcément une éthique supérieure qui dépasse toutes les éthiques des sociétés de notre monde, ou éthique divine ou d’inspiration divine.

 

2. Théologie et éthique divine

 

Que faut-il par ailleurs penser de l’éthique théologique de la tradition chrétienne ? Celle qui postule l’existence d’une éthique divine transcendantale à toute éthique d’origine humaine. Mais la même interrogation vaut aussi pour toutes les religions. 

Autrefois, certains pensaient que les lois humaines ne faisaient que copier les lois de la Cité de Dieu, les Lois divines. Et en premier lieu, les lois éthiques de la Cité de Dieu. Si Dieu existe et s’il peut juger nos actions terrestres, il est évident qu’il existe donc des règles éthiques divines que nous devons respecter, auxquelles nous devons essayer de nous conformer. L’option contraire serait trop terrible, trop horrible, trop désespérante. L’idée que faire le BIEN ou faire le MAL ne changerait rien dans notre vie et dans l’après. 

Considérons donc qu’il existe effectivement de telles règles d’éthiques divines ou supérieures, auxquelles on se doit de se conformer, que l’on doit respecter. La question est de savoir si elles peuvent nous avoir été communiquées, si elles ont été écrites, révélées, enseignées. Les traditions chrétiennes, juives ou musulmanes peuvent-elles être considérées comme une revelation de ces règles éthiques ? 

Ces mêmes religions qui nous expliqueraient de la même manière que de tuer des mécréants, des infidèles, permettent aux djihadistes de bénéficier d’une dizaine de vierges au Paradis des musulmans ? Si une affirmation de ces religions est fausse, comment croire dans leurs règles éthiques qu’elles disent révélées divinement ? Ou bien cette affirmation que le monde a été créé il y a 5.000 ans environ ou que la Terre est plate ? Si leurs enseignements sont faux sur certains points, comment expliquer qu’ils proviennent d’une révélation divine ? Dieu se serait donc trompé ?

 

On ne peut donc pas prouver ou certifier qu’il peut exister de règles éthiques divines qui aient été révélées aux hommes ou à un prophète, et transmises aux hommes. Et même si on pouvait penser que la tradition ou la faiblesse humaine a modifié le message initial, on ne peut être certain justement que ce que l’on appelle ‘règles éthiques divines’ n’aient pas également été affectées.

 

3. La source de toute éthique est donc personnelle

 

J’en arrive ainsi à l’idée la plus inquiétante. Si on ne peut se fier ni aux règles éthiques des sociétés dans lesquelles on vit, ni aux règles éthiques des religions auxquelles on adhère, sur quoi repose notre propre éthique ? Ce que l’on appelle éthique n’est ainsi rien d’autre que notre petite voix intérieure qui nous parle, qui nous indique qu’il faut faire ceci ou cela, qui nous met en garde, ou qui parfois nous entraîne, et que parfois aussi nous n’entendons plus. Cette petite voix intérieure, ces règles éthiques personnelles qui ne sont aussi au fond que le fruit de notre propre éducation, de celles qui nous ont été inculquées par nos parents, par nos grands parents, par tous ceux qui nous ont éduqués.
https://saucrates.blog4ever.com/ou-lon-parle-de-notre-petite-voix-interieure-1

 

Mais tout autant que les sociétés sont diverses, les éducations sont également diverses et deux personnes ne peuvent donc pas avoir la même ethique. Et même deux frères n’auront pas la même éthique par qu’ils n’auront pas vécu la même chose, n’auront pas été éduqué exactement de la même manière. On parle ici d’une justification de l’éthique non pas par la discussion, mais d’une éthique de la conviction, dont la généralisation pose évidemment problème.

 

Il nous reste évidemment la possibilité de nous reconnaître dans une éthique non pas révélée divinement, non pas supérieure, mais simplement dans une éthique défendue par quelqu’un de plus sage que nous, dont on croit qu’il incarne la perfection, la droiture, la sagesse, la justice. Que ce soit les enseignements du pape, du daï lama, de Socrate ou d’Aristote. 

 

4. Quelle valeur faut-il accorder aux éthiques sectorielles ?

 

Il me reste une dernière question. Quelle place accorder à celles que certains nomment ‘éthiques sectorielles’ ? Ces règles ou manuels de procédure, de comportements, d’attitudes et de soumission attendus par des organisations, par des professions, par des entreprises ou des administrations, que celles-ci nomment pompeusement et abusivement ‘charte éthique’ ou ’code de déontologie’ ? 

 

J’aurais tendance à dire qu’il ne faut leur en donner aucune, dans la majeure partie des cas. Mais autant on peut comprendre l’existence d’un code de déontologie pour la médecine, au vu à la fois de l’antiquité de l’élaboration et de l’énoncé de ces règles, pluri-millénaires, au vu également des enjeux de protection   des malades dont la santé dépend du diagnostic ou de l’intervention des médecins, autant on peut peut-être aussi comprendre l’existence d’une éthique en matière financière, au vu des enjeux potentiels de la nécessité de rassurer leurs clients, autant on peut s’interroger sur l’intérêt des autres formes de codes de déontologie ou de chartes éthiques, dont il semble qu’elles cherchent surtout à rassurer les patrons sur l’engagement de leurs salariés, à édicter notamment de nouvelles règles pour ces salariés dans toutes les composantes de leur vie professionnelle ou personnelle, mais aussi à leur donner une certaine aura de précurseur ou de visionnaire.

 

En conséquence, je dirais qu’il existe quelques activités professionnelles humaines où il est légitime que le législateur, quelqu’il soit, qu’il se soit agi d’Hypocrate ou d’un parlement national, ait mis en place un code d’éthique en matière médicale ou financière. Parce que les enjeux de la médecine ou de la finance sont suffisamment important pour qu’il ait toujours paru nécessaire d’enseigner et d’imposer des règles éthiques, un code de déontologie.

 

Mais parce qu’édicter ce genre de corpus de règles, pompeusement appelés ‘charte éthique’ ou ‘code de déontologie’, fait bien, sonne bien, des patrons de toute sorte les imposent à leurs salariés, dans leur entreprise, en y faisant figurer toutes les règles qui leur viennent à l’idée. Ces codes de déontologie ou chartes éthiques sont des règlements intérieurs mais empiètent aussi sur la vie personnelle de leurs salariés, qui selon certains employeurs doivent penser qu’ils représentent leur entreprise, leur patron, même pendant leurs vacances, même pendant leur temps de repos. 

Au vu de la prolifération de ces éthiques sectorielles, de l’effet de mode qui semble affecter les entreprises et les patrons, il serait peut-être nécessaire que les Parlements édictent une interdiction de pondre de tels textes sans intérêt et sans pertinence, qui ne font que singer les chartes de déontologie de la médecine pour leur donner plus de poids, pour interférer le plus possible dans la vie de leurs salariés. Il serait utile de combattre ce genre de textes stupides, inutiles hormis pour les professions médicales où les enjeux éthiques sont colossaux.
 
 
Saucratès

 

 

Mes précédents écrits sur l’éthique et la morale :

 

14-04-2019 - https://saucrates.blog4ever.com/work-in-progress-reflexions-personnelles-sur-l-ethique-et-la-morale-suite

02-04-2019 - https://saucrates.blog4ever.com/work-in-progress-reflexions-personnelles-sur-l-ethique-et-la-morale

09-01-2018 - https://saucrates.blog4ever.com/du-contrat-social

12-08-2012 - https://saucrates.blog4ever.com/sur-la-morale-5

23-04-2010 - https://saucrates.blog4ever.com/sur-la-morale-4

29-03-2008 - https://saucrates.blog4ever.com/sur-la-morale-3

18-08-2006 - https://saucrates.blog4ever.com/sur-la-morale-2

22-07-2006 - https://saucrates.blog4ever.com/sur-la-morale-1



02/04/2023
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