Critiques de notre temps

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Enseignement, réformes, sélection sociale et bienveillance

Saint-Denis de La Réunion, vendredi 11 octobre 2019

 

Le monde de l'enseignement et ses différentes réformes sont un de mes sujets de prédilection. C'est aussi un sujet sur lequel mon fils de quinze ans est particulièrement remonté, mais à ma différence, il ne s'intéresse pas aux articles de la presse écrite ou à l'écriture de textes critiques. Dans sa génération, on parle de vidéos, de youtubeurs. Ecart de génération même sur des sujets sur lesquels nous sommes en accord.

 

(Je vais dans cet article à plusieurs reprises parler de lui parce que ce sujet de l'éducation, de l'école, du collège, du lycee, le concerne beaucoup plus précisément qu'il ne me touche moi-même).

 

Le Monde Diplomatique de septembre 2019 avait donc fait paraître quelques articles sur l'enseignement, et notamment un texte de Clothilde Dozier et de Samuel Dumoulin intitulé «La Bienveillance, cache-misère de la sélection sociale à l'école»

 

https://www.monde-diplomatique.fr/2019/09/DOZIER/60366

 

Je pense que nous avons (eux et moi) des positions globalement divergentes sur le sujet. Il me semble qu'ils dénoncent grosso-modo une tentative du gouvernement de «masquer  l’impuissance de l’institution à réduire le fossé entre les enfants des classes favorisées et ceux des classes populaires». Ils concluent leur article par la sentence que «Le tri social des élèves existait déjà hier. Mais l'institution ne consacrait pas autant d'efforts à le rendre invisible».

 

Cette idée contestée de la «bienveillance» que les enseignants sont invités à témoigner à leurs élèves

 

Les auteurs contestent apparemment d'abord l'importance qui est donnée à la bienveillance à l'égard des élèves et ils considèrent qu'elle sert à masquer l'insuffisance des moyens consentis à l'enseignement à l'école, au collège et au lycée. «La mise en orbite du thème de la bienveillance dans l'univers éducatif a ainsi pour intérêt premier d'escamoter les causes réelles de l'échec scolaire».  

 

Je pense que le rapprochement entre leurs réflexions et les miennes s'arrête là. Ils datent de la présidence de Francois Hollande le début de cette psalmodie moralisatrice. Moi de mon côté, je date de cette même présidence, et de sa ministre de l'Education nationale, Mme Najat Valot-Belkacem, cette hystérie égalisatrice visant à supprimer toute différence de moyens entre les élèves, avec l'interdiction de commencer une deuxième langue vivante en sixième, dans ce qui était appelé les classes bilangues, ou la suppression de l'enseignement du latin (et du grec ancien) parce que cela ne favorisait que certains gamins. Normal, vu la manière dont j'ai dû batailler avec mes enfants pour qu'ils se mettent au latin, alors qu'un gamin normal comptabilise plutôt ses heures de cours et vise à travailler le moins possible. Très peu de gamins acceptent d'apprendre le latin ou le grec.

 

Selon moi, Mme la ministre Najat Valot-Belkacem ne cherchait pas à faire des économies sur les heures de cours mais plutôt à empêcher tout moyen supplémentaire donné à des enfants non en difficulté. Elle serait restée quelques années de plus a la tête de l'Education nationale, les socialistes auraient fait en sorte que les enfants qui s'en sortaient deviennent ceux en difficulté dans le système scolaire. Quel meilleur moyen de combattre le tri social des élèves que de mettre en difficulté les élèves qui s'en sortent, souvent de milieux sociaux aisés, et de favoriser inversement ceux en difficulté. Inutile de dire que je n'étais aucunement favorable au projet socialiste (ou plutôt d'Hollande et de Valot-Belkacem).

 

Par contre, le principe de la bienveillance que les deux auteurs mettent en cause, mettent en pièce, qu'ils font remonter à la présidence de François Hollande, ce principe, j'y suis particulièrement favorable. Mon enfance et mon adolescence ont été remplis de ces réunions parents-professeurs qui se soldaient inévitablement par la liste de tous mes défauts, de tous mes manquements, de toutes mes fautes. J'ai retrouvé la meme expérience avec mes enfants, avec les réunions parents-professeurs concernant mes enfants. Un enseignant, de par mon expérience, ne relève pratiquement jamais les qualités d'un enfant, mais bien au contraire semble prendre un malin plaisir à lister et à chercher ses difficultés, et le plus souvent même ne voit que les défauts. Très rares sont les enseignants qui avaient un discours équilibré sur mes enfants. J'en suis arrivé à fuir ces réunions parce qu'au fond elles ne servent absolument à rien. On n'ai pas là, en tant que parents, pour voir noircir ses enfants. Evidemment, j'ai extrêmement mal vécu ces reunions lorsque j'étais enfant ou adolescent. J'ai des souvenirs cuisants des retours au domicile de mes parents. Et évidemment, je n'ai jamais réagi de la sorte avec mes enfants, privilégiant le plus souvent l'affrontement larvé avec les enseignants (heureusement également que ma femme est là pour servir de tampon, pour préserver nos enfants des ions des enseignants). Il existe évidemment une explication de mon comportement de parent. Les spécialistes parlent ainsi de la blessure narcissique que représente ces réunions, où la vision fantasmée de l'enfant idéalisé se fracasse sur la réalité de l'école. 

 

Mais il ne s'agit pas de cela ici. Le problème est l'incompétence de la majeure partie du corps des enseignants en matière de bienveillance et de tolérance, d'acceptation des différences de comportement entre les enfants. Et je m'inscris bien en totale opposition avec les positions exprimées par Clotilde Dozier et Samuel Dumoulin. Le monde de l'enseignement doit se réformer pour devenir bienveillant. Le système de notation doit se réformer pour oublier le jugement négatif qu'il représente depuis toujours pour devenir un système bienveillant qui fait apparaître les réussites et non qui souligne les erreurs et les fautes comme aujourd'hui. Dans de nombreux autres pays européens, comme me l'indique mon fils de quinze ans dont j'ai déjà parlé, les enseignants soulignent en couleur les bonnes réponses des élèves avec des encouragements écrits. C'est tres rarement dans le système éducatif français. Ce sont le plus souvent les erreurs qui sont soulignés en rouge, avec des commentaires le plus souvent péjoratif. «Nul !».

 

Les auteurs remettent en cause le principe de l'évaluation pour le brevet des collèges. Mon fils et moi-même également, mais pas pour les mêmes raisons. Les auteurs soulignent que «Même si Florian est archinul en anglais, le décompte lui garantit au minimum 20% des points possibles. Très bon en mathématiques, mais pas excellent, il obtiendra cependant 100% des points pour la composante en question». Nous avons ainsi là deux parfaits spécimens des enseignants dont je parle ! Comment peuvent-ils accepter qu'un archinul en anglais n'est pas 0/50 et qu'un 50/50 puisse récompenser un élève qui n'est même pas brillantissime ! Ce système est forcément rejeté par un corps d'enseignants pour lesquels les notes sont forcément des sanctions, doivent sanctionner la bonne appréhension de connaissances !

 

Il y a une autre façon d'appréhender le système de notation. De trop bonnes notes à un contrôle sont un signe pour un enseignant qu'il a raté son évaluation. Trop facile, trop simple, ou alors un motif de suspicion, de fraude ; le signe que les enfants avaient préalablement les réponses. De très mauvaises notes inversement à un contrôle, n'est pas vécu par l'enseignant comme le signe d'une évaluation trop compliquée, mais témoigne du fait que les élèves n'ont pas travaillé. Incroyable et faux me direz-vous ? Mais nos enfants vivent cette situation en permanence. Dans un bon contrôle bien réussi aux yeux des enseignants, les notes doivent s'étaler entre 0/20 et 20/20 (ou plutôt 18/20 le plus souvent) et la moyenne de la classe doit tourner entre 9/20 à 12/20 !

 

Alors oui, le système est à réformer pour valoriser les enfants, quelques soient les matières, et pour souligner leur réussite et les aider à progresser. Ce devrait être le rôle des enseignants. 

 

Mon fils et moi-même contestons pourtant ce même système de notation du brevet du collège, mais parce qu'il contient une très forte composante subjective dans les évaluations des compétences. On n'apprécie pas uniquement les compétences objectivement, mais le ressenti de l'évaluateur. On ne note plus les compétences de l'enfant mais son comportement. C'est vrai en sport comme dans toutes les matières. Mais tous les enfants ne se comportent pas en cours de la même manière, sans forcément en arriver jusqu'au manquement de respect pour l'e. Et comme chaque enseignant ne pourra pas non plus donner que des 50/50 à tous ses élèves pour une compétence, chaque classe sera ainsi appréciée différemment. Un enfant dans un très bon collège, dans une très bonne classe, pourra ainsi se voir attribuer des notes très mauvaises alors que dans une autre classe, avec d'autres enfants moins bons, moins travailleurs, ses évaluations auraient été très différentes !

 

Comment peut-on accepter qu'une évaluation des compétences ne se basent pas sur une approche objective des compétences mais sur une approche purement subjective et comparative des compétences ?

 

L'idée de l'existence d'une sélection sociale dans le système éducatif

 

Étant en désaccord complet avec le projet socialiste visant l'éducation nationale, je ne défends ainsi absolument pas l'idee que l'école, le college et le lycee n'ont pas et ne servent pas à selectionner les enfants. C'est même idiot selon moi de prétendre le contraire. Le système des écoles de sport-études, que ce soit en tennis, en football, en gymnastique ou en tennis de table, visent à sélectionner des enfants particulièrement brillants dans leur sport, et il ne viendrait l'idée de personnes de le contester, à mon sens. Une multitude de gamins font acte de candidatures, et les filières sport-études retiennent les enfants les plus brillants, au plus grand potentiel. Pas les plus intelligents. Pas les plus beaux physiquement. Pourquoi cela serait-il différent dans le monde normal de l'enseignement. Que tous les enfants puissent bénéficier des mêmes chances, de la même attention, de la même bienveillance, je ne le remet pas en cause. Mais nous ne partons pas tous dans la vie avec les mêmes chances, avec les mêmes réseaux de connaissance. À la fin de mon lycée, il y a plus de trente ans, je n'avais jamais entendu parler de l'Ecole normale supérieure d'Ulm, des écoles d'ingénieurs. Derrière le Bac, c'était la vie active qui commençait. Un enfant d'énarque ou de normalien connaissait forcément ces écoles, est-il avait forcément plus de chance que moi de pouvoir y entrer. Evidemment. Moi, de mon côté, avec mon père militaire, je connaissais les grades de la marine, les façons d'y rentrer, les concours à passer. Nous bénéficiond tous de réseaux de connaissance et d'informations différents les uns des autres, même aujourd'hui à l'heure d'Internet.

 

Il me semble aberrant de vouloir faire disparaître l'existence des différences entre les enfants, entre les élèves. À vouloir que tout le monde avance de la même manière, à la même vitesse, on prive et on décourage forcément certains enfants et cela restera sans effet sur de nombreux autres enfants. Tous les enfants ne peuvent pas avoir le Bac ou un niveau licence, sauf à faire tomber le niveau de ce Bac ou de ces licences de telle sorte qu'il ou qu'elles ne valent plus rien réellement. Tout le monde n'est pas égal en sport, devant la mort, devant la maladie, pourquoi devrions-nous tous être égaux en compétence et en intelligence ? 

 

Qu'un système éducatif fasse en sorte par la tolérance, par les moyens supplémentaires accordés, par la bienveillance, d'aider plus fortement les élèves en difficulté, de faire en sorte qu'ils ne décrochent pas, qu'ils réussissent à se raccrocher à des matières qu'ils apprécient, où ils se sentent bien, qui les intéressent, c'est une bonne chose. Mais pas par la contrainte. Pas en sacrifiant les élèves les plus doués, les plus studieux ou les plus intelligents. Ce qui pour moi était le projet socialiste d'Hollande et de Valot-Belkacem. 

 

 

Saucratès 



11/10/2019
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