Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Quelques autres réflexions morales

 

Réflexion deux (10 janvier 2012)
Catherine Colliot-Thélène ... La démocratie sans 'démos' ...


Livre au titre iconoclaste, «La démocratie sans 'démos'» défend une thèse assez difficile selon laquelle la démocratie pourrait devoir fonctionner sans peuple, ou plutôt que contrainte de fonctionner en dehors de l'état nation européen, la démocratie européenne va devoir survivre hors du cadre du peuple national, de l'état national, et donc que les bénéficiaires de droits civils et sociaux vont devoir trouver de nouvelles façons de faire valoir leurs revendications, leurs demandes à de nouvelles élites pas forcément représentées à la tête de gouvernements ou d'états.

 

La position de Catherine Colliot-Thélène me semble pas défendable ... Même si les dernières pages de son livre traduise parfaitement le fait qu'elle intègre les difficultés du monde occidental moderne avec des élites économiques libérales qui contrôlent hors des circuits normaux les gouvernements mondiaux ... Parmi toutes ses démonstrations, elle a notamment d'abord eu à rappeler que les citoyens des états européens modernes sont en fait des possesseurs de droits individuels subjectifs acquis au cours de luttes sociales anciennes ou récentes ... Droits qui leur sont demeurés, même après que les mouvements sociaux qui leur ont permis de les obtenir ont disparu et sont dissous ...

 

Dans le monde néo-libéral dans lequel nous vivons, où des groupes informels oeuvrent dans l'ombre pour faire disparaître les avancées sociales des cents dernières années, dans une économie mondialisée où le nivellement par le bas des avantages sociaux est devenu la règle entre les peuples et les nations, par le biais des délocalisations de production vers les pays à bas coûts salariaux, il ne me semble pas que les peuples européens puissent trouver les moyens de conserver leurs droits sociaux durement acquis dans le cadre de luttes syndicales ou politiques anciennes autrement qu'auprès de leurs gouvernements, même si ceux-ci paraissent de plus en plus incapables de sauvegarder leurs finances publiques et leurs modèles sociaux ...

 

Je ne vois pas comment les peuples européens pourraient agir sur les membres des groupes informels comme les bilderbergers, la commission trilatérale ou le forum de Davos, voire contre des groupes occultes encore plus secrets ...

 

Lorsqu'elle écrit : «Le monde nouveau auquel les transformations économiques et politiques des XVIIè et XVIIIè siècles ont donné naissance ne fut pas seulement celui des propriétaires, industriels et commerçants, mais aussi celui d'individus qui n'éprouvaient plus le besoin de s'autoriser d'une appartenance, à un ordre, une classe ou une caste pour fonder les droits auxquels ils prétendaient. L'importance que possède la référence aux droits de l'homme dans la théorie et la pratique politiques contemporaine indique que la figure du sujet de droit pourrait bien survivre aux conditions qui l'ont produite.» ... j'aimerais pouvoir la croire, mais je crains que les droits de l'homme et les instances permettant de les défendre ne résisteraient pas à la disparition des états de droit européens ou occidentaux qui les ont vu naître. Il suffit de se rappeler ce qui survivait des droits de l'homme et du citoyen en Europe pendant la barbarie nazie !

 

Catherine Colliot-Thélène croit voir dans les nouvelles instances, les nouvelles organisations mondiales, une forme de droits, une forme de législation mondiale, une forme de contrats, qui pourraient ouvrir de nouveaux droits au niveau mondial aux citoyens du monde, auxquels ils pourraient en appeler, desquels ils pourraient obtenir de nouvelles formes de reconnaissance de droits subjectifs ... C'est oublier que la reconnaissance de droits implique des espaces de jugement, de contestations des décisions et de défenses des droits ... Et seuls les états de droit occidentaux ont ouvert de tels espaces libres et démocratiques en leur sein, où le droit est dit de manière indépendante par des juges impartiaux ... Aucune institution privée n'ouvre de tels espaces en son sein, en dehors des espaces idoines qui lui sont imposés par les législations du travail occidentales ...

 

Ce que je vois à travers ce livre cependant, c'est que l'oeuvre néo-libérale de destruction de l'état de droit européen, à travers le processus de mondialisation, de la libéralisation des marchés, de la montée des tensions sociales et maintenant des attaques spéculatives contre les dettes publiques, a pour objectif ultime et final la destruction de toute la construction démocratique issue du siècle des Lumières et de la Révolution française, pour restaurer des états sans droits, comme les régimes monarchiques aux temps féodaux ... non plus des seigneuries féodales se partageant l'Europe ou le monde mais des entreprises seules maîtres sur leur territoire se partageant le monde ...

 

 

Réflexion une (17 août 2011)
Bertrand Russel ... Sur la science ...


Parallèlement à mes lectures de quelques autres philosophes (Foucault, Wittgenstein, Kant ...), je me suis intéressé à un livre de Bertrand Russel, publié en 1928 : «Essais sceptiques» ... Incroyable de découvrir comme un livre aussi ancien, écrit il y a pratiquement un siècle, peut demeurer aussi actuel, voire apparaître comme visionnaire dans ses analyses et dans ses anticipations. Il est composé d'un certain nombre d'essais divers. L'un de ces essais traite des rapports entre la science et la philosophie.

 

«Les grands objets de scandale dans la philosophie de la science, depuis le temps de Hume, ce furent toujours la causalité et l'induction. (...) Hume démontra que notre croyance n'est qu'une foi aveugle qui ne peut être fondée par la raison.

 

(...) La science, telle qu'elle existe actuellement, est en partie agréable et en partie désagréable. Elle est agréable par la puissance, qu'elle nous donne de manier notre milieu,et, pour une petite mais importante minorité, elle est agréable parce qu'elle lui fournit des satisfactions intellectuelles. Elle est désagréable, car, quels que soient les moyens par lesquels nous cherchons à cacher ce fait, elle admet un déterminisme qui implique, théoriquement, le pouvoir de prédire les actions humaines ; et par là, elle semble diminuer la puissance de l'homme.

(...) Si nous insistons sur le fait que notre croyance en la causalité et en l'induction est irrationnelle, nous devons en déduire
que nous ne savons pas si la science est vraie et qu'elle peut, à chaque moment, cesser de nous donner la domination sur le milieu pour lequel nous l'aimons.

(...) Si (...) nous reconnaissons les exigences de la méthode scientifique, nous devons conclure inévitablement que la causalité et l'induction s'appliquent à la volonté humaine aussi bien qu'à n'importe quelle autre chose.»
(pages 51-52)

 

Cette réflexion s'applique parfaitement à mes réflexions actuelles sur l'économie et sur les capacités prédictives des comportements humains des modélisations mathématiques utilisées en économie ... Les comportements humains en économie sont-ils parfaitement prédictibles ? Peut-on prédire par des équations les comportements des agents économiques, que ce soit en terme de groupe ou en terme individuel ? Je suis persuadé du contraire, que la rationalisation des comportements économiques des agents est impropre à rendre compte de la réalité économique, des actions réelles des personnes réelles. Et que les équations en économie ne permettent pas de rapprocher la théorie économique de la réalité vraie. Que nos actions même rationnelles, ne peuvent être décrites par des équations dans une théorie, aussi complexe soit-elle ... et certainement pas par une simple théorie de la maximisation du profit ou de notre satisfaction ...

 

 

Saucratès



17/07/2011
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