Critiques de notre temps

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L'affaire Arche de Zoé (2)


Réflexion seize (11 décembre 2012)
Le gachis de l'affaire Arche de Zoé

 

Ces jours-ci se tient la partie française du procès de l'affaire de l'Arche de Zoé, cinq ans après les faits. Deux des prévenus (Eric Breteau et sa compagne Emilie Lelouch) se sont réfugiés en Afrique du Sud, laissant seuls leurs compagnons répondent de cette sordide et désastreuse affaire, qui ont conduit certains de leurs membres dans les geôles tchadiennes et devant la justice de ce pays, où ils furent condamnés à huit ans de travaux forcés par la cour criminelle de N’Djamena (il y a cinq ans le 26 décembre 2007).

 

Signe d'une absence d'indépendance de l'Etat tchadien, les condamnés seront extradés immédiatement après leur condamnation vers la France pour soi-disant y purger leur peine, puis ils furent grâciés par le président tchadien quelques mois plus tard, le 31 mars 2008. Je m'interroge toujours sur les pressions exercées à l'époque par l'Elysée et Nicolas Sarkozy sur le président tchadien, voire sur les dessous de cette opération.

 

Dans le cadre de ce procès apparaît clairement l'aveuglement des personnes de bonne volonté qui se lancèrent dans cette opération aux côtés d'Eric Breteau, persuadés d'oeuvrer dans la plus stricte légalité, pour le bien d'enfants en difficulté. Les témoignages présentés par Le Monde concernent Alain Peligat, logisticien, et Nathalie Cholin, infirmière urgentiste hospitalière, qui s'occupait du suivi psychologique des enfants et des membres de l'expédition.

http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/2012/12/10/arche-de-zoe-un-immense-gachis/

http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/2012/12/03/arche-de-zoe-la-detresse-dune-benevole/

 

Apparaît le côté mégalomane du leader de ce groupe, Eric Breteau, sa folie, son autisme et la dérive criminelle de son plan, qui le conduisit à prévoir d'enlever de jeunes enfants volés à leur famille pour les faire adopter en France, alors qu'initialement, il devait s'agir d'enfants orphelins du Darfour. L'histoire d'un homme ne connaissant pas grand chose à une telle aventure humanitaire et qui ne sut pas comment réagir à une faille de son plan si magique sur le papier, et qui se mua en voleur d'enfants, faisant un tord extrême à toutes les autres opérations humanitaires françaises dans le monde, créant une suspicion de vol d'enfants ...

 

Et le pire, c'est que pour un peu, il a failli réussir à voler des enfants tchadiens à leur famille, familles qui ne les aurait jamais revus s'il avait réussi à faire décoller son avion et sa centaine d'enfants.

 

Le malaise qui ressort de cette affaire, c'est que de telles opérations (de vols d'enfants de pays en développement) ont souvent eu lieu par le passé et qu'elles n'ont jamais été condamnées par la justice. L'une d'elles concerne l'affaire des enfants de la Creuse, de jeunes réunionnais qui dans les années 1950-1960, ont été de la même manière arrachés à leurs parents, à leur famille, pour être envoyés en France, dans la Creuse comme garçons de ferme, pour y être adoptés, alors qu'à leur famille il était expliqué qu'ils allaient suivre une formation. La Réunion à l'époque était pourtant un département français !

 

Alors l'indignation publique des autorités françaises dans l'affaire Arche de Zoé me fait bien rire !

 

Cette histoire fait également apparaître un ethnocentrisme marqué de ces soi-disant bénévoles humanitairement impliqués. Ainsi Alain Péligat et son épouse ont élevé sept enfants, dont trois enfants adoptés, et sont engagés dans l'accueil temporaire d'adolescents ou de femmes en difficulté. Un ethnocentrisme qui veut faire croire qu'un jeune enfant africain sera forcément plus heureux en France que de son pays d'origine, à pouvoir être élevé par une famille française que par les siens, à pouvoir bénéficier de la culture française que de se contenter de la culture africaine. Ces humanitaires semblent ne pas s'être véritablement libérés de l'impression que seule la civilisation européenne est intéressante/valorisante/valable.

 

Epilogue de cette affaire, trois ans de prison dont deux ans fermes ont été requis par la procureure contre Eric Breteau et sa compagne Emilie Lelouch ; celle-ci ayant également demandé au tribunal de délivrer un mandat d'arrêt contre les deux prévenus qui vivent actuellement en Afrique du Sud et ne se sont pas présentés à l'audience. Des peines avec sursis ont aussi été requises contre les quatre autres prévenus : le docteur Philippe Van Winkelberg (18 mois), Christophe Lentien (12 mois), Alain Péligat (8 mois) et Marie-Agnès Peleran (8 mois). Ces derniers s'apparentent pourtant autant à des victimes abusées qu'à des coupables criminels ... De même que Nathalie Cholin, infirmière qui avait accompagné l'association au Tchad, qui était plus une victime entraînée qu'une coupable. 

http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/2012/12/11/arche-de-zoe-un-an-ferme-et-mandat-darret-requis-contre-breteau-et-lelouch/

 

D'une certaine manière, on aurait pu se retrouver embarquer facilement dans cette affaire si on avait croisé la route d'Eric Breteau et que l'on avait cru à son histoire de sauvetage d'enfants, si on avait eu envie de sauver des enfants, si on avait été tenté par l'aventure et l'humanitaire ...

 

 

 

Réflexion quinze (13 avril 2012)
Actualités récentes des aventures judiciaires des membres de l'Arche de Zoé

 

Le 27 octobre 2007, il y a quatre ans et demi, débutait les péripéties pénales de l'affaire de l'Arche de Zoé, et notamment de ses six principaux membres, Eric Breteau (37 ans à l'époque), sa compagne Emilie Lelouch (31 ans), Alain Péligat (56 ans), Dominique Aubry (50 ans), Philippe Van Winkerberg (48 ans) et Nadia Merimi (la benjamine).

Deux mois plus tard, le 26 décembre 2007, ils étaient condamnés à huit années de travaux forcés par la cour criminelle de N’Djamena au Tchad, après cinq jours de procès, ainsi qu'à verser solidairement 4,12 milliards de francs CFA (6,5 millions d’euros) aux familles des enfants.

 

Le 28 décembre, ils sont rapatriés en France pour purger leur peine. Evidemment, à ce moment-là, on comprend à la fois que le procès tchadien était une comédie autorisée par le gouvernement français pour faire semblant de respecter l'indépendance de l'état tchadien, mais on devine aussi que les six condamnés français ne purgeront pas leur condamnation. Le 28 janvier 2008, le tribunal correctionnel de Créteuil transforme la peine de travaux forcés en une peine de prison ferme. Et le 31 mars 2008, le président tchadien signe un décret leur accordant une grâce présidentielle.

 

Les membres de l'Arche de Zoé n'en ont cependant pas terminé avec la justice française. Ils demeurent poursuivis par la justice française pour escroquerie, aide à l'entrée et au séjour irrégulier de mineurs étrangers et exercice illégal de l'activité d'intermédiaire en vue d'adoption. Ils ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris par les juges d'instruction Yann Daurelle et Martine Vezant en charge du dossier (Dominique Aubry et Nadia Merimi ont bénéficié pour leur part d'un non-lieu). Le 21 septembre 2011, la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris a fixer les charges retenues contre eux. Outre Eric Breteau et sa compagne Emilie Lelouch, sont également poursuivis le médecin Philippe van Winkelberg et le logisticien Alain Péligat, ainsi que la journaliste Agnès Pelleran et un membre de l'association resté en France, Christophe Letien. Eric Breteau et Emilie Lelouch risquent dix ans de prison et 750.000 euros d'amende.

http://basse-normandie.france3.fr/info/non-lieu-pour-le-pompier-bas-normand-65537647.html

http://provence-alpes.france3.fr/info/suite-de-l-affaire-arche-de-zoe--70511346.html

 

Alain Peligat avait également fait appel de sa condamnation par l'état tchadien (il était le seul membre de l'association à conduire cette démarche). Sa condamnation a pourtant était confirmée d'abord par la cour d'appel de Paris le 19 janvier 2011, jugement au cours duquel il avait appelé les magistrats à laver son honneur («... que vous puissiez penser que nous avons été jugés correctement, ça, je ne comprends pas ... je ne vais pas accepter d'être condamné alors que je n'ai rien fait, je suis parti faire de l'humanitaire et non enlever des enfants»), puis rendu définitive par la Cour de cassation, qui a rejetté son pourvoi le 28 septembre 2011.

http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20110928.OBS1266/arche-de-zoe-alain-peligat-definitivement-condamne.html

 

En sens inverse, la procédure engagée par l'état tchadien pour le compte des familles des victimes pour obtenir le paiement de l'indemnité de 6,5 millions d'euros, à laquelle les six membres de l'association avait été condamnée, a été rejetée par la justice française. Le tribunal de grande instance de Digne-les-Bains a en effet débouté le 27 octobre 2011 l’association tchadienne qui réclamait 6,3 millions d’euros de dommages-intérêts au médecin de Castellane en exécution du procès de N’Djamena. «L’ordonnance du référé a débouté les plaignants sur deux plans : d’une part, sur l’irrégularité de l’arrêt tchadien (qui ne mentionne pas les noms des victimes) et, d’autre part, sur la procédure d’exequatur, c’est-à-dire l’exécution du jugement en France».
http://www.journaldutchad.com/article.php?aid=1969

http://www.lequotidiendumedecin.fr/information/le-dr-van-winkelberg-gagne-un-round

 

Cependant, derrière toutes ses péripéties judiciaires, il ne faut pas perdre de vue le sort des enfants tchadiens (ou du Darfour) totalement oubliés en France. A entendre les principaux membres de l'association Arche de Zoé, ces enfants étaient réellement des orphelins du Darfour, sans père ni mère, et ceux-ci ont depuis disparu, alors qu'ils leur promettaient une vie de rêve et de bonheur en France auprès de familles d'accueil.

 

La réalité semble être toute autre. Ibrahim Oubali Mahomet, paysan de l’ethnie masalit, est le père de trois enfants « volés » par l’Arche de Zoé : Hamza, Ami, Ahmat, aujourd’hui âgés de 10, 8 et 6 ans. «Des Tchadiens de la commune nous avaient dit que des Blancs avaient ouvert une école à Adré, pour apprendre l’arabe et le français», raconte-t-il. Marié à deux femmes, l’agriculteur a 14 enfants. Pourquoi aurait-il refusé d’envoyer trois de ses fils aux cours de l’Arche de Zoé ?

 

L’aîné (Hamza) a gardé des souvenirs de cette histoire. Il insiste sur sa grande frayeur lors de son départ vers Abéché, ainsi que sur les faux pansements dont l’avaient affublé les membres de l’Arche de Zoé dans le but de parfaire leur déguisement de réfugiés soudanais. «J’ai compris qu’on nous trompait à ce moment-là. J’ai eu peur et j’ai essayé d’avertir les autres. Puis je me suis mis à pleurer», raconte-t-il.

 

Hamza et ses frères sont désormais scolarisés à l’école d’Adré. Ibrahim Oubali Mahomet a tout de même obtenu un premier dédommagement. À chaque famille de la partie civile, l’État tchadien a versé 3,7 millions de francs CFA (environ 5 600 €) en 2008. Autant dire une petite fortune : le revenu mensuel moyen d’un fonctionnaire tchadien n’atteint pas les 100 000 francs CFA (151 €). Cet argent a permis à Ibrahim Oubali Mahomet de quitter son village à la frontière, d’acheter un terrain à Adré, de construire un abri en terre séchée et d’y installer ses proches. «Le reste de la somme a été dépensé à la scolarisation des enfants», assure-t-il.

 

Autre parent d'enfants victime, Zenaba Oubali, veuve de 35 ans, avait confié ses deux plus jeunes garçons à l’association : Youssouf, 8 ans et Mahamat, 9 ans. L'argent versé par l'état tchadien lui a permis d'ériger une clôture autour de sa maison, d'installer des latrines, de bâtir de nouvelles chambres pour ses huit enfants. La paysanne a aussi investi dans une charrette, une presse à huile, des poules, qui lui ont permis de diversifier ses faibles revenus tirés de l’agriculture pluviale.

 

Youssouf garde aussi ses distances. Chez lui aussi, visiblement, l’affaire a laissé de mauvais souvenirs. «Je vois des Blancs qui nous enseignent et qui nous mentent en même temps», lâche-t-il. Sa mère dit se réveiller en sursaut la nuit, cherchant à tâtons ses deux garçons qu’elle a cru ne plus jamais revoir. Zenaba Oubali a longtemps vécu avec un sentiment de culpabilité, voire de honte. Comment a-t-elle pu faire confiance à des étrangers ? Aujourd’hui, demeure l’amertume d’avoir été dupé par de belles paroles. «Des chefs locaux m’avaient assuré du sérieux de l’ONG», se souvient l’agricultrice qui venait de perdre son mari. «Autour de moi, beaucoup de gens voulaient inscrire leurs enfants dans cette école où ils devaient être nourris et soignés. Mes deux aînés n’ont jamais appris à lire. J’ai voulu que les deux derniers réussissent.»

http://osi.bouake.free.fr/?Les-enfants-oublies-de-l-Arche-de

 

Enfin, lire également une analyse intéressante qui remet en perspective cette affaire dans le champ de l'interventionnisme humanitaire et du déracinement. En n'oubliant pas que ce sont d'abord les ONG et les plus largement les blancs qui pâtissent de cette affaire Arche de Zoé au Tchad et en Afrique, et qui ont conduit les ONG a quitté la région frontalière entre Abéché et Adré (marquée par l'assassinat en mai 2008 de Pascal Malingre, chef de mission de l'ONG 'Save the children', alors qu’il accompagnait un convoi humanitaire vers Adré. Le Français devait mener à bien des programmes socio-éducatifs et nutritionnels dans les localités des enfants de l’Arche de Zoé)

http://humanitaire.revues.org/index198.html



Saucratès


Note précédente :
https://saucrates.blog4ever.com/blog/lire-article-447196-2110930-l_affaire_arche_de_zoe__1_.html



13/04/2012
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