L’affaire Dominique Pelicot
L’affaire Dominique Pélicot me trouble. La question n’est pas de savoir comment un homme à peu près normal, non violent avec son épouse, un père aimant et investi, un mari apparemment aimant, a pu organiser pendant dix longues années le viol régulier de son épouse qu’il disait aimer, et qui croyait qu’il l’aimait. La question est plutôt de savoir comment, en tant qu’homme, on peut en arriver là ? Sommes-nous tous des monstres potentiels ?
« Pas de traits de personnalité saillants, rapport à la réalité correct, pas de pathologie mentale, pas d’antécédents psychiatriques, ont énuméré les spécialistes, auxquels Dominique Pelicot avait été présenté ; il avait aussi été qualifié par des proches, au fil de l’instruction, de père incontestablement présent et aimant, très investi dans l’éducation de ses petits-enfants, de patriarche respirant le bonheur, au sein d’une famille très unie.
Dominique Pelicot a travaillé comme ouvrier puis conducteur de travaux dans une entreprise réalisant des installations électriques, puis est devenu agent immobilier, avant de vendre des alarmes, du matériel informatique ou des téléphones. C’était un homme bien inséré, il faisait du sport. Gisèle Pelicot a été le premier et unique amour de sa vie ; ils se sont mariés en 1973 et, malgré quelques turbulences dans les années 2000, renvoyaient l’image d’un couple aimant, sans fausse note ».
Derrière cette façade de normalité, selon les mots du psychiatre Paul Bensussan, Dominique Pelicot a été capable, pendant près de dix ans, de droguer sa femme pour pouvoir la violer et la faire violer dans son sommeil par des dizaines d’inconnus rencontrés sur Internet. Lui qui pratiquait une sexualité ordinaire avec elle lorsqu’elle n’était pas inconsciente laissait alors libre cours à toutes ses paraphilies – ou déviances sexuelles – notamment sa somnophilie aux confins de la nécrophilie pointée par les experts.
Quel ressort de personnalité permet à quelqu’un qui dit aimer son épouse de lui infliger ces scènes, d’assister à sa déchéance, de la mettre en danger ? Comment faire cohabiter cette contradiction vertigineuse ? », ont demandé Stéphane Babonneau et Antoine Camus, les avocats de Gisèle Pelicot.»
Ce procès est à la fois le procès du viol sous l’emprise de la soumission chimique, mais aussi le procès de ce que l’on appelle la normalité. Dominique Pelicot n’est pas seul. Plus d’une cinquantaine d’hommes sont poursuivis pour l’avoir violée dans son sommeil chimique. Et il y a aussi l’histoire d’un autre couple supposément (ou apparemment) aimant, dont le mari, Jean-Pierre M., a aussi fait violer sa femme Sonia (prénom inventé) par ce même Dominique Pelicot avec le même mode opératoire. Une douzaine de fois jusqu’en 2020. Lui aussi était un père et un mari aiment.
Comment peut-on faire cela ? Et en même temps, combien d’entre nous sont hantés par de sombres envies, de sombres pensées, de sombres fantasmes, qu’il nous est impossible de mettre en pratique, de mettre en œuvre, d’assouvir, sans risquer d’ouvrier en encore plus grand les portes de nos fantasmes, de nos envies, de nos pulsions. Pulsions de sexe, pulsions de mort.
C’est au fond mon angoisse. Qui suis-je au fond ? Un monstre ou un ange ? Un violeur en puissance ou un saint ? Comment réagirais-je si j’étais confronté à une semblable situation ? Aurais-je de l’empathie ou bien me transformerais-je en un monstre comme tous ces hommes confrontés à ces tentations ?
Car c’est bien là l’enfer. On n’en sait rien jusqu’à être confronté au choix. De la même manière que les Justes pendant l‘Occupation se trouvèrent contraints à choisir entre dénoncer des juifs à la Gestapo nazie ou à la milice française, ou bien les cacher au péril de leur propre vie, de leurs propres enfants. On se trouve seul face à nos questions, à ce vertige. Aurais-je pu être comme Dominique Pelicot dans une autre situation, aurais-je pu me conduire comme lui, suis-je véritablement différent de lui ? Et en quoi ?
Cette histoire a une autre clé de lecture. Combien d’hommes agissent de cette manière avec leur épouse ? Comment des femmes peuvent-elles donc nous faire confiance, à nous les hommes, si nous donnons libre court à de telles pensées, à de tels fantasmes, à de telles pulsions mortifères ? Si même des hommes apparemment normaux, aimants, bons pères de famille, agissent de cette manière ? Je n’ai pas de réponses, pas de solutions. Juste le vertige devant l’abomination de cette histoire qui révèle une possible béance dans nos réalités. L’écart entre une vie aimante, réglée, tranquille, et les sombres secrets qui peuplent nos pires pensées inavouées.
Saucratès
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