Critiques de notre temps

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La philosophie et la guerre en Ukraine

Je vais en revenir toujours à ma même question : qu’est-ce qui explique l’uniformité des opinions et des prises de position autour de la guerre en Ukraine ? La raison explicative est-elle que la Russie, l’agresseur, représenterait le Mal à l’état pur et que cette explication est intimement connue de tout le monde ? Mais dans ce cas-là, on peut aussi penser que l’essentiel du corps politique européen et l’ensemble des médias disposaient aussi de la même information sur le Hamas et sur les palestiniens, qui les a conduit là aussi à prendre uniformément position contre le Hamas, contre les Palestiniens et pour Israël et pour les Israéliens. 

Par conséquent, si cette belle unanimité s’est trompée sur le cas israélien, si par hasard, tous ces politiques, tous ces gouvernements, tous ces journalistes, se sont trompés et ont soutenu un État poursuivi pour des crimes de guerre et pour des crimes de génocide, alors ils ne sont pas infaillibles. Ne peuvent-ils pas tout autant se tromper dans leur analyse de la situation ukrainienne et russe et dans la guerre qui les oppose ?

 
Je lisais à l’instant un magazine tout à fait sérieux qui ne saurait être considéré comme un média partisan et d’opinion. Je veux parler de la revue Philosophie magazine, et de son numéro 177 de mars 2024 consacré notamment à la Violence. Une opinion philosophique se doit d’être sage, au-dessus du marécage des opinions manipulées. Et pourtant même là, je me trouve confronté à une vision manichéenne de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. 

 

Au début de son article, l’auteur, Martin Legros, cite la guerre en Ukraine.

 

«Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par les chars de l’armée russe, il y a tout juste deux ans, Vladimir Poutine prononce devant toutes les télévisions du monde un discours pour justifier l’action qu’il vient de lancer : il se passe un génocide de millions de personnes qui ne peuvent compter que sur la Russie. J’ai décidé de mener une opération militaire spéciale. Son objectif est de protéger les personnes victimes d’intimidation et de génocide par le régime de Kiev depuis huit ans. Et pour cela, nous lutterons pour la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine.»

 
Mais un peu plus loin, Martin Legros écrit ceci : 

 
«Il existe une troisième attitude face à la violence : la résistance, l’autodéfense ou meme la contre-attaque. C’est la position adoptée par l’Ukraine face à la Russie. Sans vraiment mesurer ses forces, n’écoutant que son bon droit et son courage, le peuple ukrainien s’est levé dès les premiers jours contre  l’envahisseur - sans d’ailleurs se priver d’appeler à l’aide et d’argumenter aussi, contre les folles accusations de son agresseur, ou de répliquer ici ou là, si nécessaire. Cette attitude héroïque est susceptible d’inverser momentanément un rapport de force défavorable grâce à l’énergie et au courage que donne la conviction de se battre pour son bon droit. La résistance a cependant un prix, celui des vies mises en jeu dans le refus de se soumettre, celui de l’endurance aussi. Deux ans après, on se demande combien de temps l’Ukraine pourra encore tenir… En attendant, elle rend coup pour coup à son adversaire, en veillant à ne pas s’inscrire, à mesure que la Russie multiplie les crimes de guerre, dans la loi du talion.»

 

https://www.philomag.com/articles/comment-rester-au-dessus-du-volcan

 

S’agit-il d’une position, d’une opinion, philosophiquement défendable, exprimant une profonde sagesse comme on peut l’attendre d’un magazine philosophique ? Au-delà de cette interrogation, on peut noter une constance. Les arguments russes sont systématiquement rejetés, dans cette opinion comme dans les médias («les folles accusations de son agresseur»), et le peuple ukrainien et le pouvoir ukrainien, Zelensky, y sont systématiquement magnifiés et idéalisés.

 
J’ai l’impression que toute accusation d’intimidation et de génocide visant une démocratie comme l’Ukraine, faite par un État de non-droit comme la Russie, est forcément inaudible. L’Ukraine ne pouvait pas tenir une politique militaire ou agressive contre sa population russophone ? Jamais. 

 

1) Il n’existe pas en démocratie de reconnaissance du statut de prisonnier politique. Il n’y existe que des condamnés de droit commun. Les gilets jaunes n’ont ainsi jamais été considérés comme des opposants politiques et n’ont jamais été condamnés pour leurs idées politiques opposées à Macron. Ils ont été condamnés pour des voies de fait, pour des agressions, pour des entraves à la circulation, pour port d’armes prohibées (même pour port d’un bouclier), pour dégradation de biens publics, mais ils n’ont été nulle part reconnus, dans les nations démocratiques, comme des prisonniers politiques injustement emprisonnés par un État niant leurs droits. Ils ne sont que de simples criminels. Ils ont été éborgnés, frappés, gazés, chargés militairement, mais sans jamais la reconnaissance par les pairs de la France comme les victimes de la violence d’un État voyou, apeuré, aux aguets. 

De la même manière, en Ukraine, lorsque Vladimir Poutine accuse le pouvoir ukrainien de génocide sur sa minorité russophone, c’est inaudible pour tous les gouvernements démocratiques. Il n’y a pas de génocide en Ukraine contre sa minorité russe, mais juste des délinquants.

 

2) Le régime démocratique ne reconnaît pas l’existence d’une minorité. En démocratie, le gouvernement est élu par le peuple, supposément à la majorité des suffrages exprimés, et le gouvernement représente alors l’ensemble du peuple. Il n’y existe pas de minorité puisque le peuple doit dès lors se soumettre aux lois de ceux qui le gouvernent et qui fabriquent les lois. Ne pas appliquer les lois valablement adoptées, en démocratie, c’est risquer la prison. Le concept même de droits des minorités n’y à aucun sens. Les bretons, les basques, les corses, les kanaks comme les minorités russes en Ukraine ne sont que des terroristes et des criminels pour tout ce que l’Occident compte de gouvernements ou de journalistes et de médias dits des pays démocratiques.

 

3) Lorsque la revue «Philosophie magazine» aborde cette question de la violence, il ne leur vient pas à l’idée une pensée toute simple. Imaginons que vous, adultes, vous vous attaquiez à des jeunes enfants ou à de jeunes bébés, comme le faisait le pouvoir ukrainien de Zelensky et de ses prédécesseurs, contre sa minorité russe au Dombas et ailleurs. Vous viendrait-il à l’idée de le faire avec les jeunes enfants ou les bébés du judoka Teddy Rinner ou du combattant de Mix Martials Arts Conor Mc Gregor ? Non pas intentionnellement j’imagine. Et si dans ce cas-là, Teddy Rinner ou Conor Mc Gregor vous explose la tête, vous et vos petits copains qui vous acharniez sur ces jeunes enfants sans défense, sont-ce eux les agresseurs ? Sont-ce eux les criminels ? En démocratie probablement. Aux Etats-Unis, les pauvres adultes battus auront même droit à des indemnisations colossales. Pour ma part, je ne le pense pas. 

 

On n’attaque pas des victimes sans défense dont le père, ou la Nation qui les représentent, sont des puissants combattants ou une puissante Nation. Et si on a fait le pari inverse, on ne se présente pas comme une pauvre victime injustement agressée. Accessoirement, cela fonctionne aussi avec le conflit israélo-palestinien, à la fois à l’encontre des palestiniens qui ont attaqué Israël, mais également contre Israel qui a également systématiquement agressé et humilié les palestiniens de Gaza.

 

La France peut ainsi impunément s’attaquer, poursuivre, s’acharner sur ses minorités bretonnes, basques ou corses ou sur les gilets jaunes. Ceux-ci ne sont les minorités d’aucun puissant peuple, d’aucune puissante nation qui pourrait souhaiter les venger ou simplement les défendre ou prendre fait et cause pour eux. La majorité ukrainienne croyait certainement qu’elle pouvait faire la guerre, déporter sa minorité slave, comme ses voisins européens l’avaient fait avec leurs propres minorités inassimilables, sans risquer d’intervention militaire de son grand voisin russe. À tord. Les démocraties occidentales sont construites sur la négation de l’existence de minorité, pour lesquelles l’Etat démocratique propose l’assimilation, la disparition ou la prison pour ceux qui choisissent de se révolter. Belle démocratie !

 

Ce même numéro de ‘Philosophie magazine’ revient également dans un autre article sur une définition des notions de ‘jus ad bellum’ et de ‘jus in bello’, c’est à dire sur le droit de faire la guerre et sur le droit de la guerre.

 
https://www.quidjustitiae.ca/fr/blogue/Jus_ad_Bellum_et_Jus_in_Bello

 

Le ‘jus ad bellum’ couvre ainsi la légalité d’un recours à la force, selon trois principes ou trois justifications pour l’Organisation des Nations Unies. Le troisième principe concerne ainsi justement le droit d’intervenir pour mettre fin à un massacre ou à des attaques visant un peuple par un État. C’est ce principe qui fut invoqué pour cautionner l’intervention de la communauté internationale en Libye, comme le rappelle M. Serge Sur. C’est le motif invoqué par la Russie pour cautionner son intervention spéciale en Ukraine. Et cela a certainement été invoqué aussi par l’Allemagne nazie en 1938-1939 pour envahir la Tchécoslovaquie ou la Pologne. 

 

https://www.philomag.com/articles/serge-sur-le-droit-humanitaire-devrait-etre-grave-dans-la-tete-des-soldats

  

Il est intéressant de constater que ce droit invoqué par la Russie n’est reconnu par nul observateur démocrate ou occidental ! Ni même dans cette revue philosophique. 

 

4) De la même manière, il y a une divergence de points de vue des médias occidentaux démocrates sur les formes de résistance que l’on peut conduire en Russie et en Ukraine. Ainsi, M. Martin Legros écrit que l’Ukraine veille «à ne pas s’inscrire, à mesure que la Russie multiplie les crimes de guerre, dans la loi du talion», ce qui n’empêche pas cette même Ukraine de poursuivre, juger, condamner, exécuter les ukrainiens et les ukrainiennes qui ont supposément collaboré avec l’armée russe, qui ont couché avec des soldats russes, qui les auraient aider, guider. Probablement à les exécuter sauvagement. Et tout ceci avec le bienveillant aveuglement des médias occidentaux. Ceux qui fuit la conscription sont des traîtres à l’effort de guerre. Les snipers ou les pilotes de drones qui exécutent des soldats russes sont les héros. Par contre, en Russie, ces mêmes médias occidentaux encensent ceux qui militent contre la guerre, refusent la conscription ou meurent en prison. C’est comme si la France était elle-même en guerre contre la Russie. Nul recul possible sur cet affrontement, nulle possibilité de débat, comme pour la position sur Israël. 
 
Ce n’est pas cela selon moi la philosophie.

 
 
Saucratès



15/06/2024
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