Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Un dimanche en fin de soirée

Saint-Denis de La Réunion, dimanche 31 mars 2019

 

La nuit est tombée comme d'habitude, comme à chaque fin de week-end. Le temps s'écoule inexorablement et rien ne semble pouvoir stopper cette hémorragie d'heures, de minutes, de secondes. Je dis «hémorragie» et je pense à une amie qui doit bientôt se faire opérer. Hémorragie, règles, enfantement, surgissement ... Mort, Vie. Rien n'est simple. En nous promenant cet après-midi, nous avons croisé évidemment des dizaines de vélocyclistes pressés, d'autres dizaines de marcheurs ou de courreurs à pieds, quelques personnes qui marchaient même entourés de leur propre bruit, une radio qui diffusait du bruit tout autour d'eux (quelle horreur au fond que le silence lorsque l'on est confronté à sa propre insignifiance, à sa propre absence de pensée, à sa propre vacuité !). Nous avons eu de la chance, sur ce sentier réservé aux seuls marcheurs et velocyclistes (auxquels on demande de respecter les marcheurs, mais j'y reviendrais à ce concept de «respect»), nous n'avons pas croisé cette fois-ci de scootéristes imaginant certainement qu'ils conduisaient un vélo, comme les fois précédente. Un jour, nous y avions croisé un papa en vélo escortant son gamin sur un quad d'enfant. Quad d'enfant peut-être, mais quad avec un moteur à explosion. Et l'odeur d'essence qui accompagnait ce bambin, sur un sentier de marche interdit aux vehicules à moteur, était une infection. Plusieurs minutes plus tard, nous respirions encore les restes des émanations des pots d'échappement de ce quad d'enfant !

 

Mais cet après-midi, en plus de tout ceci, nous avons croisé un jeune-homme qui nous a souhaité le bonjour avec un bonheur tellement visible, tellement palpable, que cela m'a marqué. Il émanait de ce jeune-homme croisé pendant quelques secondes un tel bonheur de nous voir, de nous saluer. Cela tranchait tellement avec tous les salutations, brèves, formelles, rarement accompagnées d'un sourire, que nous avions échangés avec les autres marcheurs jusqu'à présent. En fait, ces salutations sont rarement accompagnées de sourires, même lorsqu'on se croise sur des sentiers de marche, même à Mafate ! Comme si nous étions tellement absorbés dans notre fatigue, dans nos problèmes, dans nos pensées, dans notre sport, dans notre activité physique, dans l'hygiénisme de notre vie, que l'on cesse en fait de s'intéresser aux autres, à ceux que l'on croise, voire à ceux que l'on croit aimer. Ce jeune-homme manifestement était heureux d'être là, de marcher, de croiser des gens, de les saluer. Peut-être ce jeune-homme n'avait-il pas toutes ses facultés, peut-être n'avait-il pas tous les filtres sur ces émotions que la vie en societe implique ? Ou peut-être que ce jeune-homme était-il juste heureux de voir d'autres gens, de pouvoir parler, de vivre. Je ne le saurais jamais. 

 

C'est vrai que pouvoir vivre est un luxe invraisemblable, qu'être heureux et avoir un toit sur la tête auprès de ceux que l'on aime et qui nous aiment est le comble du bonheur, et que pouvoir partager ces moments avec des amis, dans la chaleur de l'amitié fait partie des meilleurs moments de la vie. Tout le reste n'a pas beaucoup d'importance, si ce n'est les premiers soubresauts (affres) de l'amour lorsque nous étions jeunes et encore innocents !

 

Je voulais en revenir sur le respect des autres. Ce matin, chez mon boulanger, j'attendais dans la file derrière plusieurs personnes, dont un motard qui venait d'arriver juste avant moi. J'ai eu une envie de passer devant lui, pour commander mon pain. Après tout, les motards s'infiltrent devant tout les automobilistes dans la circulation, aux feux tricolores, aux stops, et ils estiment que c'est normal. Si j'étais passé devant lui, pour commander mon pain, je ne l'aurais pas gêné, je ne l'aurais pas touché, j'aurais juste pris sa place ! Je me suis demandé comment il aurait réagi ? Aurait-il rien dit ? Ou m'aurait-il mis son poing (ganté) dans la tronche ? Suivre des personnes sagement dans une file à une caisse, dans une boulangerie, est une forme de civisme, de respect des autres. Cela signifie : je ne suis pas plus important que vous ! Je ne suis pas plus que vous ! Je ne vous suis pas supérieur ! C'est ce que l'on appelle le respect dû aux autres. On attend aussi d'une personne bien éduquée qu'elle laisse également passée  devant elle les vieilles personnes, les personnes âgées, les très jeunes enfants, ou les personnes handicapées, même si on le fait rarement dans une boulangerie.

 

Mais cela ne marche-t-il que dans les files dans les magasins, dans les boulangeries ? Pourquoi cela ne marche-a-t-il pas par exemple sur la route ? Pourquoi ce que l'on appelle la bonne éducation ne fonctionne-t-elle pas pour tous sur la route, et pourquoi notamment les motards ne la respectent-ils pas ? Pourquoi accepte-t-on que certains automobilistes se rabattent au dernier moment pour éviter les bouchons, comptant sur la gentillesse des autres et la peur de l’accident ? On peut se demander si ces usagers de la route, les automobilistes incivils et les motards, respectent-ils les autres automobilistes ? Ou bien sont-ils persuadés que nous sommes des moutons indignes du moindre respect, qui leur devont droit de passage et obligation de libérer la route devant eux ?

 

Comment appellerait-on de telles personnes dans la vie de tous les jours, dans les queues des magasins, dans les queues des boulangeries, s'ils agissaient de la même manière ?

 

 

Saucratès



31/03/2019
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