Critiques de notre temps

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Le Libra de Facebook ... ou quel sujet aborder ...

Paris, mercredi 10 juillet 2019

 

Il y a quelques jours, je m'interrogeais pour savoir quel sujet il me restait à aborder ? J'étais à Paris, dans un bar, totalement assoiffé, en attendant une bière.

 

J’avais fini de traiter du Libra de Facebook mais il m'est apparu nécessaire de revenir sur ce sujet, sous un autre angle. Pourquoi, pour quelles raisons Facebook et Mark Zuckerberg se lancent-ils dans un truc aussi compliqué que la création d’une cryptomonnaie convertible reposant sur un panier de devises ?

 

Évidemment, il s’agit d’un projet excitant. Créer une cryptomonnaie, c’est déjà particulièrement intéressant. Faire en sorte en plus qu’elle se veule être ou devenir une véritable devise, concurrente du dollar ou de l’euro, avec une association pensée comme une banque centrale, des partenaires pensés pour être chargés d’animer et de gérer son développement, c’est encore plus excitant. Et le penser à la taille de Facebook, aux plusieurs milliards d’utilisateurs, là, ça devient carrément mégalomaniaque, juste à la mesure de Mark Zuckerberg ! On peut penser que lui qui a tout réussi, pourrait seul être capable de réussir. Et Internet pourrait alors avoir une monnaie qui ne serait plus soit le dollar, soit l’euro, soit le rinminbi ! 

 

Un économiste apparemment très favorable à ce projet semblait défendre l’idée que Facebook voulait devenir la principale banque d’internet avec le Libra. «Aucune des contraintes d’une banque centrale et tous les avantages d’une banque ...», écrivait-il dans Le Monde. Or, justement, dans mon idée, c’est tout l’inverse. Les contraintes sont sur les banques, pas sur les banques centrales. Contraintes de fonds propres, de liquidité et de lutte anti-blanchiment ...

 

Un économiste qui idéalise les banques, ce n’est pas nouveau. La banque est un monde presque étranger aux économistes, dont ils n'ont pratiquement aucune idée. Pour moi, la banque est le métier le plus régulé et le plus contrôlé au monde, et aussi le plus dangereux. Fournir un réseau social à des utilisateurs est infiniment plus simple.

 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/06/30/libra-profiter-de-tous-les-avantages-d-une-banque-sans-avoir-a-supporter-les-responsabilites-d-une-banque-centrale_5483390_3232.html

 

Les difficultés des banques naissent à partir du moment où elles doivent faire face à des fuites de leur monnaie (parce que chaque banque émet en fait sa propre monnaie ... à chacune d’elle, mais que sa monnaie est librement convertible en monnaie banque centrale). Tant qu’une banque ne fait qu’émettre de sa monnaie et que les clients échangent cette monnaie entre eux, il n’y a aucun problème et une banque pourrait en émettre autant qu’elle le voudrait. Mais dès lors que ses clients règlent des commerçants ou des entreprises en dehors de ses clients, ou lorsque ses clients virent leurs argents vers d’autres banques, les problèmes commencent. La banque doit alors disposer de monnaie banque centrale pour y faire face. 

 

Le principe même d’une banque centrale consiste en le fait d’être le prêteur en dernier ressort de son système bancaire. Et aussi, de n’avoir aucun prêteur en dernier ressort au dessus de soi, si ce n’est le Fonds Monétaire International, aux moyens très limités. 

 

Au fond, ce sont ces fuites de monnaie vers les monnaies banques centrales, ou monnaies de réserve, qui me semblent être le danger pour une banque epsilon (comme dans mon exemple) ou comme pour le Libra.

 

Une banque normale, à la différence d’une banque centrale, peut normalement toujours compter sur le prêteur en dernier ressort (dès lors qu’elle est solvable et la surveillance permanente dont elle fait l’objet par la banque centrale sert normalement à s’en assurer) et ne doit pas non plus faire face à des interrogations sur la convertibilité de sa monnaie interne en monnaie banque centrale ... Évidemment on connaît des cas qui contredisent cette théorie, comme par exemple la faillite de Lehman Brothers en 2009 ... Mais Lehman Brothers n’était pas une banque véritablement, plutôt une compagnie d’assurance, et elle était américaine ... Le fait de ne pas secourir Lehman Brothers et la mettre en faillite fut une décision politique, dont on n'avait peut-être pas parfaitement analysé toutes les conséquences à l'époque.

  

L’association Libra, en tant que banque centrale, devra pour sa part garantir la convertibilité en un panier de devises du Libra, quelque soit l’origine de ces Libras, en plus de se comporter en tant que prêteur en dernier ressort de son écosystème monétaire, avec les risques qui en découlent aussi (notamment de ne pas pouvoir récupérer ses créances sur une banque ou un établissement qui serait défaillant). Une banque centrale comme la BCE, la FED ou demain l'association Libra doit ainsi développer des outils et une législation pour lui permettre d'apprécier la solvabilité des banques relevant de sa juridiction, pour garantir les prêts de monnaie centrale qu'elles peuvent lui consentir, ceux des autres banques pour éviter qu'une catastrophe en chaîne (ou catastrophe systémique) ne s'enclenche en cas de faillite frauduleuse d'une banque, ou pour garantir tout simplement les dépôts des épargnants ou des internautes qui auraient fait confiance à cette banque. 

 

Les réseaux sociaux peuvent-ils s'épargner l'ensemble des réflexions qui sont celles des banques centrales depuis le début du dix-neuvième siècle, c'est-à-dire plus de deux siècles d'histoire monétaire et financière, plus de deux siècles de faillites et de crises financières systémiques, plus de deux siècles de réflexions sur les législations financières et les contraintes de reporting, de législation nationale et de surveillance prudentielle peu à peu imposées aux banques et aux établissements financiers ? 

 

Au fond, est-il possible de supprimer toute cette législation, toute ces contraintes imposées aux banques, et de les remplacer simplement par des «likes» et par des «j'aime» pour gérer les relations entre des banques et des millions d'utilisateurs ? C'est un peu la question. On le verra à l'apparition de la première crise financière, de la première grosse faillite commerciale dans l'écosystème du Libra ! On saura alors si les réseaux sociaux sont transparents et peuvent permettre de gérer ce genre d'activités à très gros risques, ou bien si le Libra était seulement un coup commercial ou une erreur stratégique monumentale !

 

 

Saucratès



10/07/2019
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