De la politique monétaire (9)
Réflexion cinquante-deux (16 novembre 2011)
Papa, pourquoi a-t-on inventé la monnaie ?
Question infantine que m'a posée hier mon fils âgé de 7 ans, après avoir utilisé toutes les économies données par la petite souris en échange de ses dents de lait pour s'acheter un jeu électronique pour sa console Nintendo. Mais question fondamentale, à laquelle il n'est pas si aisé de répondre.
Question fondamentale parce qu'elle éclaire également les problèmes économiques et financiers de notre époque actuelle !
Ma réponse a consisté à lui expliquer que l'invention de la monnaie a suivi, est une conséquence de l'invention de la propriété privée. Il y a très très longtemps, les hommes n'avaient pas besoin de monnaie parce qu'ils partageaient tout ce qu'ils trouvaient, cueillaient, fabriquaient ou chassaient. On le sait parce que de tels peuples vivaient encore il y a très peu de temps parmi nous, dans les dernières forêts équatoriales vierges de la planète, notamment le peuple des Guayakis en Amérique du Sud (Paraguay). A partir du moment où un homme a décidé qu'un morceau de la nature lui appartenait, que ce qu'il trouvait sur ce morceau de terre lui appartenait à lui en propre, l'équilibre initial a été rompu.
Il est habituel de considérer que l'invention de la monnaie est postérieure à l'existence du troc. Mais selon moi, c'est une idée fausse. Le principe même de la monnaie, de la valeur des choses, est antérieure au troc lui-même. Car pour troquer des choses les unes contre les autres, il faut disposer d'une échelle de valeur, qui est elle même opposée au partage de tout ce que l'on trouve, chasse ou cueille. Le troc est antérieur à la création d'un étalon universel de valeur, que représente la monnaie, l'or ou l'argent. Mais en inventant le troc, l'homme avait ouvert la voie à l'invention de la monnaie, c'est-à-dire à un étalon de valeur. L'homme mettait fin à la mise en commun de tout ce qu'ils possédaient.
En inventant la monnaie, l'homme a créé les inégalités, les dfférences de richesse, l'exclusion de certains.
Les problèmes économiques et financiers actuels de notre monde trouvent leur explication évidemment dans des problèmes de monnaie. De tout temps, les échanges interntionaux, ou plutôt faudrait-il dire, la colonisation des ressources des différents peuples reposent sur des échelles différentes de valeur. Si tous les peuples accordaient la même valeur à toutes leurs ressources naturelles et à tous leurs biens, il n'y aurait pas selon moi d'échanges internationaux ni de commerce. Le commerce naît de différences de prix, soit entre régions ou marchés différents ou éloignés, soit entre leur valeur actuelle et leur valeur anticipée future. C'était évidemment particulièrement vrai à l'époque du colonialisme. Les européens échangeaient alors des richesses, des métaux précieux, des esclaves contre de la verroterie et des pièces de tissus, fondement de la valeur dans les sociétés qu'ils colonisaient, mais qui ne coûtaient rien à produire pour eux. Si les étalons de valeur de ces peuples (tissus, verroterie, colliers de coquillages ...) étaient devenus les étalons universels de valeur de l'humanité, ces sociétés colonisées seraient peut-être devenues immensément riches ! Mais c'est l'étalon de valeur de l'occident, la monnaie métallique, l'or et l'argent, qui est devenu l'étalon universel de l'humanité, faisant de l'Europe le centre du développement du monde.
Aujourd'hui, on demeure dans le même type de problème d'échange et d'étalon universel de valeur. Les divergences économiques et financières actuelles viennent des échanges internationaux, toujours entre l'Occident et le reste du monde, essentiellement composé de la Chine et de l'Inde millénaires, du Brésil, et des états pétroliers. L'Occident échange toujours les biens et les ressources produits dans ces pays éloignés, contre une monnaie basée sur les dettes des états et des économies occidentales. On peut penser que les échanges et la puissance financière et économique ont été inversés par rapport à la colonisation. Que c'est la Chine et plus largement l'Orient qui fabriquent pour pas grand chose des biens qui sont vendus à l'Occident, mais les états occidentaux les payent avec des reconnaissances de dettes ... Sur la base d'un système monétaire occidental ... L'histoire seule nous apprendra ce qu'il adviendra de tout cela, si l'histoire de la colonisation s'inversera ou se répétera ...
Pour conclure, ne pas oublier non plus que derrière la notion d'un 'étalon de valeur' ou de 'monnaie', on trouve la notion de 'valeur'. Tous les livres d'économie commençaient et commencent encore par une définition de la 'valeur', que ce soit chez Sraffa, Marx ou chez les économistes néoclassiques modernes ... même si ces derniers se contentent d'indiquer qu'ils utilisent la notion de l'utilité margnale comme source de valeur . A noter un article intéressant du Monde sur une critique de la valeur en économie par André Orléan.
Réflexion cinquante-et-une (8 novembre 2011)
Quelques approximations sur la dette publique française ...
Certaines analyses courent sur le net au sujet de la dette publique française et sur son origine. Pour la plupart, elles reposent sur l'idée que les problèmes d'endettement de la France et les nécessités de recourir à des politiques budgétaires d'austérité proviennent de l'interdiction de financement de l'état par la Banque de France et in fine par les intérêts qui doivent être versés aux porteurs de la dette française.
http://youtube.com/watch?v=ZE8xBzcLYRs&feature=player_embedded
Ces analyses posent à la fois de vrais problèmes : la France a à la fois un problème d'endettement, les mécanismes de politique monétaire ne sont pas neutres, et la création monétaire par les banques est un vrai sujet de réflexion et d'interrogation ... mais elles contiennent également des raccourcis invérifiables et sujets à caution.
L'argumentation sur la création monétaire et les réserves fractionnaires
Je n'ai pas de bonnes réponses à apporter au système de réserves fractionnables développées dans cette analyse monétaire. Les banques commerciales ne sont pas selon moi les seules émettrices de monnaie dans l'économie ; la banque centrale étant toujours émettrice des billets de banque ayant cours légal, que certains ont pu présenter comme un impôt, puisqu'ils sont créés à partir de rien. Lorsqu'un particulier retire de l'argent au guichet d'une banque, la création monétaire est-elle le fait de la banque centrale ou de la banque commerciale ? Une question de point de vue.
Par ailleurs La monnaie banque centrale développée dans cette analyse qui est mise en circulation dans l'économie est-elle liée de manière fixe, comme expliqué dans cette analyse (par un rapport de 15% ou 1 à 7), au montant de la monnaie créée par les banques commerciales (ce qui est appelé 'réserves fractionnaires'. La crise actuelle a plutôt montré que la banque centrale pouvait approvisionner de manière fluctuante les banques commerciales en monnaie banque centrale pour empêcher les problèmes de liquidité sur le marché monétaire. En situation normale, lorsque les marchés monétaires fonctionnent convenablement et que les banques n'éprouvent pas de difficultés à se prêter entre elles, elles ont vraisemblablement peu de besoin de se refinancer auprès de la banque centrale. Ce n'est qu'en situation de crise, comme en 2008-2009 ou actuellement, que l'on enregistre une augmentation du besoin en monnaie scripturale banque centrale (qu'il faut içi différencier de l'autre monnaie banque centrale que sont les billets).
Pour cette raison, je pense que le système dit de réserves fractionnaires est au maximum une notion théorique, voire une ancienne notion valable en étalon-or et l'opposition historique entre la 'currency school' et la 'banking school' ... et qu'elle n'a plus aucune valeur explicative dans le monde actuel.
La comparaison entre le stock de la dette française et la somme des intérêts sur la dette versée aux créanciers
Selon les explications qui circulent désormais sur la dette française (reprise dans cette présentation), ce stock s'expliquerait essentiellement par la somme des intérêts sur la dette versée depuis les années 1970. D'où l'explication avancée par les tenants de cette thèse que sans emprunts auprès des banques, mais avec un financement par la banque centrale, la France n'aurait pas de problème de dette publique puisqu'elle ne s'explique que par les intérêts versés sur cette dette. CQFD.
Cette approche présente deux erreurs. La première erreur provient de la source de la comparaison. Ces explications reposent sur des intérêts sur la dette ramenés en euros courants valeur 2010 et absolument pas sur le montant des intérêts historiques payés. En expliquant que la somme des intérêts versés depuis 1973 atteint un encours cumulé de 1.300 milliards d'euros, proche de l'encours de la dette publique française, on compare un montant actualisé en euros courants, d'un encours de dette historique. La source suivante remontant à 2006 explicite de manière détaillée ce calcul totalement faux.
http://www.societal.org/docs/interets-dette.htm
Pour mémoire, la somme historique des intérêts versés sur la dette entre 1982 et 2010 s'élève à 845 milliards d'euros soit aux allentours de 900 milliards d'euros depuis 1973 (cf. source rapport du Sénat, les intérêts versés sur la dette étant compris entre 37 et 44 milliards d'euros par an depuis 1997).
http://www.senat.fr/rap/l95-077-3-14/l95-077-3-144.html
Un peu plus de la moitié de la dette française peut donc être expliquée par les intérêts versés sur la dette, ou bien on peut estimer qu'en valeur actualisée, les intérêts versés depuis les années 1970 recouvreraient l'équivalent de la dette publique française actuelle.
La deuxième erreur que je souligne consiste à relever que les intérêts versés sur la dette ne sont qu'une des dépenses publiques qui expliquent les déficits de l'état français. On pourrait tout autant comparer la dette publique aux dépenses actualisées des traitements des fonctionnaires français (98 milliards d'euros en 2010) et des analyses tout aussi sérieuses pourraient démontrer qu'avec un tiers des fonctionnaires en moins depuis les années 1970, il n'y aurait pas non plus de déficit public français, ni de dette publique française, ni de risques sur la notation 'Triple A' de l'état français (qui n'en aurait d'ailleurs pas besoin !). Cette analyse qui plairait aux libéraux ferait tout aussi sérieuse que les analyses citées.
Mais on pourrait comparer la dette française aux achats de pain chez les boulangers français, et estimer que les dépenses actualisées de pain aux boulangers depuis les années 1970 correspondent à la dette française ... Et des personnes bien intentionnées pourraient penser que le pain aurait dû être gratuit ce qui aurait certainement résolu le problème de la dette française !!!
Autant l'analyse mentionnée ci-dessus donne une explication intéressante pour la partie de la création monétaire, autant elle est irréaliste et partisane pour la partie explicative sur la dette publique. Les banques commerciales ne portent qu'une très faible partie de la dette publique française et ne sont destinataire que d'une très faible fraction des intérêts versés. Ce sont les ménages français qui en sont les principaux bénéficiaires (ceux qui ont de l'épargne), soit directement pour ceux qui détiennent des obligations en portefeuille (les épargnants âgés), soit indirectement pour tous ceux qui détiennent des placements d'assurance-vie (majoritairement placés en obligations françaises) et des retraites par capitalisation.
De sorte que l'idée de faire défaut sur la dette française ou sur les intérêts payés aux créanciers reviendrait à frapper non pas les horribles banques commerciales pourfendues dans cette analyse, mais essentiellement les ménages, ces horribles rentiers capitalistes détenant notamment des placements d'assurance-vie.
Saucratès
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