Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Éducation nationale et la mixité sociale

Poursuite du débat sur l’enseignement privé et la mixité sociale

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, mercredi 10 avril 2024

 
Dans mon dernier article, je souhaitais parler de liberté académique et je n’ai pratiquement parlé que du débat autour du choix de l’enseignement privé. Ce sujet m’interpelle très fortement. Dérivation de pensée fort instructive.

 

Je vais donc revenir directement au sujet de l’enseignement privé. Il n’y a pas que le gouvernement ou les groupes parlementaires LFI, socialistes ou du groupe majoritaire qui veulent remettre en cause le financement des écoles, collèges et lycées privés. Je lisais récemment que la CFDT et le SGEN militaient pour le même réforme du financement de l’enseignement privé. 

«Selon les fédérations professionnelles de l’enseignement public (SGEN) et du privé (FEP) CFDT, une piste serait de moduler les dotations des établissements en fonction du niveau social des élèves qu’ils accueillent. Instaurer une forme de prime aux collèges et lycées qui jouent le jeu de la mixité sociale. L’école privée participe au service public de l’éducation, et les professeurs qui y enseignent sont des agents publics payés par l’Etat, rappelle le secrétaire général de la FEP-CFDT, Laurent Lambardiere. Il est tout à fait naturel que le privé participe à l’effort de mixité sociale. Les collegues y sont prets. Il n’est pas question de relancer la guerre scolaire mais d’inciter chacun à jouer le jeu de la mixité, de la diversité, de lutter contre l’entre-soi, ajoute la secrétaire générale du SGEN-CFDT, Catherine Nave-Bekthi.

 

Et de poursuivre : L’école publique a d’ailleurs des marges de progression sur cette question même en omettant la question du privé. Il faut faire progresser la mixité sociale dans le public et dans le privé pour faire société. Les deux fédérations demandent aussi un contrôle plus fort des établissements privés sous contrat par l’Etat : les financements publics supposent des exigences et le contrôle de leur respect par les établissements.»

 

Magazine CFDT - Mensuel n°502 - Avril 2024

 

Je ne raconterai pas de bobards. Je ne suis pas en accord avec cette position du SGEN et le FEP CFDT sur la mixité et l’enseignement privé. Autre information indiquée par le magazine de la CFDT : des données sur l’IPS (indice de position sociale) du ministère de l’Education nationale, rendu public en 2022 grâce à une décision d’un tribunal administratif.

 

• en 1989, la proportion d’élèves de milieu social très favorisé était supérieur de 11 points dans les collèges privés par rapport aux collèges publics.

 

• en 2003, l’écart concernant les élèves entrants en sixième atteignait 16 points.

 

• en 2021, cet écart s’établissait à 23 points.

 

Autres données indiquées par le magazine CFDT sur l’IPS, «sur les dix premiers collèges français en matière de position sociale, neuf sont des collèges privés (et un est donc public). Sur les cent premiers collèges en terme d’IPS, 81 sont privés sous contrat. À l’inverse, parmi les 100 établissements dotés des IPS les plus faibles, il n’y a qu’un seul collège privé.»

 

Mon problème est que je vois de multiples biais dans ces diverses indications et mesures. Ces mesures ne tiennent pas la route.

• Primo, ces mesures de positionnement sociale reposent sur du déclaratif de la part des parents et des élèves. On ne demande pas encore les fiches d’imposition des élèves. Plusieurs biais peuvent ainsi affecter cet indice.

 

> Certains parents peuvent ne pas assumer leur position sociale et se présenter comme employés alors qu’ils sont cadres, comme je demandais de l’indiquer à mes enfants. Quelle importance cela peut-il avoir ?

 

> Certaines professions sont difficilement comparables. L’analyse des entrepreneurs individuels pose ainsi problème ; à quel groupe socio-économique les rattacher alors que leurs comptes de l’exploitant peuvent être lourdement déficitaires.

 

> Enfin, les stratégies des enfants et des parents peuvent différer d’un établissement privé à un établissement public. Ne vaut-il pas mieux se déclarer comme enfant d’employés dans un établissement public que comme un enfant de cadres supérieurs richissimes ? Pour éviter de se faire racketter. Et n’est-il pas potentiellement honteux de s’afficher enfant de pauvres ou d’employés smicards dans un collège privé quand ceux qui vous entourent s’affichent comme riches ? 

 

> Et le développement des réseaux sociaux ne peut-il pas avoir amplifier ce phénomène justement en 2021 par rapport aux années 1989 ou 2003 ? Une Story publiée par des camarades de classe sur un fils ou une fille de bourgeois sur les réseaux sociaux n’est-il pas extrêmement dangereux ?

 

• Secundo, on fait semblant d’oublier qu’un établissement privé implique des frais de scolarité de plus d’un millier d’euros par an pour les moins chers. Tous les parents d’élèves feront-ils le choix de mettre cette somme dans la scolarité de leurs enfants alors qu’il existe des établissements où on peut les inscrire gratuitement ? Je n’en suis pas sûr. Quelques milliers d’euros ne sont pas grand chose pour des ménages aisés alors qu’ils représentent des montants conséquents pour des familles moins aisées. L’objectif est-il d’imposer la gratuité de l’enseignement dans les établissements privés pour les familles pauvres ? Et sur la base de quelles preuves ? Car tout le monde peut aussi tenter d’en profiter. 

• Il existe aussi une légende qui veut que les allocations de rentrée scolaire versées aux familles pauvres servent moins à payer des fournitures scolaires que les achats somptuaires des parents ou des enfants. Comme les allocations familiales. Evidemment, on me rétorquera qu’il n’y a aucune étude sérieuse sur ce sujet. Mais c’est bien pour ça que j’ai parlé de légende. 

Je pense malgré tout qu’il y aura forcément beaucoup plus de ménages aisés, à l’IPS élevés, qui seront prêts à payer pour accéder à un établissement privé plutôt que d’accéder gratuitement à un établissement public. Et proportionnellement beaucoup moins de ménages pauvres ou moyennement pauvres pour faire le même choix. Mécaniquement, du fait de l’absence de gratuité des études dans le privé, l’indice de positionnement social ne peut en aucun cas y être comparable. 

Il y a également statistiquement bien plus d’intérêt et de raison pour des enfants de milieu sociaux aisés de chercher à éviter des établissements publics où la violence est endémique plutôt que pour des enfants de milieux pauvres, qui risquent moins d’y être agressés et rackettés (même si le risque y reste grand comme nous l’enseigne tous les faits divers). Et qui ne pourront pas payer la scolarité payante  alternative pour rejoindre un établissement privé.

 

Le débat autour de la mixité sociale de l’enseignement privé me semble ainsi un faux problème, puisqu’elle s’explique forcément par la scolarité payante. Dès lors que tous les parents ne sont pas prêts à privilégier la scolarité de leurs enfants, qu’ils ne sont pas tous prêts à sacrifier d’autres loisirs, dépenses ou vacances pour leurs enfants, il ne sert à rien de se masturber ou de se gargariser sur un indice comme l’IPS. Un simple truc de ministère.

 

L’autre argument des LFI et intransigeants de l’enseignement public, qui veut qu’un enfant a forcément à perdre à ne pas fréquenter des pauvres et des délinquants dans sa scolarité, au lieu de rester confiner avec des enfants appartenant à son milieu social, n’a pas la moindre validité. Protéger ses enfants des travers de la société est naturellement la priorité de tous les parents qui tiennent un tant soit peu à leurs enfants. Leur permettre de se construire dans un milieu protégé, préservé des violences et des agressions, est juste naturel, en aucun cas immoral. Tout en rappelant que des parents pauvres font parfois le choix de scolariser leurs enfants dans des établissements privés, en se saignant aux quatre veines, pour offrir une éducation et des valeurs à leurs enfants, parce qu’ils en ont eux-mêmes profité dans leur jeunesse ou parce que c’est leur choix. 

Le vrai problème n’est ainsi pas la mixité sociale, la pauvreté ou la richesse des parents, mais les valeurs morales des parents, des familles et des enfants. Et de savoir quelle valeur ils attribuent à la scolarité payante ou gratuite dans le privé ou le public. Vouloir voir autre chose dans ce genre d’indice est stupide.

 

Certains trouveront peut-être mes propos outrageusement caricaturaux et simplistes sur l’enseignement privé ou public, sur la pauvreté et la violence. Mais le débat sur la participation de l’enseignement privé à la mixité sociale est lui-même caricatural et orienté. Le partage entre privé et public est un clivage opposant les intransigeants de gauche et les syndicalistes, aux partisans du privé. Presque sûr qu’à gauche, il ne fait pas bon être passé dans un établissement privé (ou pire y avoir inscrit ses enfants) si on veut des responsabilités nationales ou juste d’être autorisé à y adhérer. Ne parlons pas d’un poste de ministre. Ce serait utile d’avoir ce genre d’informations sur les députés de chaque parti politique à l’Assemblée nationale. On obtiendrait peut-être une autre mesure de mixité sociale dans les partis politiques comme LFI.

 
Avant de s’attaquer et de légiférer sur la mixité sociale dans les établissements scolaires, il faudrait d’abord s’attaquer aux racines de la violence dans les établissements publics et dans leurs alentours, faire des établissements scolaires des havres de paix et de tolérance réciproque, de la part des enseignants comme des élèves, en extirper la délinquance et les agressions, le school-bullying et les multiples incivilités. Et seulement après cela, on pourra arrêter de rechercher dans la scolarisation dans les établissements privés une alternative et une solution de fuite face à la violence endémique sévissant dans de trop nombreux établissements publics. 

 
 
Saucratès



10/04/2024
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 49 autres membres