Les médias, l'affaire Benjamin Griveaux et le studying bashing ... ou de la supposée honte d'être étudiant
Saint-Denis de La Réunion, jeudi 27 février 2020
Les médias français se sont trouvés une nouvelle marotte, une marotte sur laquelle ils adorent gloser, qu'ils adorent monter en épingle. Une sorte de tête de turc moderne, facile ; une sorte de dérivatif pratique aux préoccupations de la France des gilets jaunes et des rond-points ... Une façon de dire, regarder, ce sont eux vos ennemis, pas nous, pas l'oligarchie qui contrôle l'ensemble des lieux de pouvoir de la capitale ! Il faudrait dire : l'une de leurs marottes. Il ne faut pas oublier que la marotte principale des médias français, c'est désormais le nouvel ennemi du pouvoir macroniste, à savoir ceux qui ont osé faire tomber le candidat LRM Benjamin Griveaux, à l'aide de quelques griveauseries (grivoiseries) ... A savoir le trio sans foi ni loi qui oeuvre dans l'ombre, dixit Le Monde. À peine si on ne les présente pas comme un trio infernal, ou démoniaque ... Entre parenthèses, «trio démoniaque» fut le titre utilisé par un média comme Paris Match dans une de ses couvertures. L'acharnement médiatique et judiciaire dont est désormais victime ce trio, notamment l'auteur du pamphlet anti-Macron «Crépuscule», mériterait un article à part. Mais ce n'est pas mon objet aujourd'hui.
Non, en parlant de nouvelle marotte des médias, je veux parler de la chasse médiatique aux grandes écoles, à tout ce qui, de près et de loin, permet à une fraction de la classe moyenne d'accéder à un niveau de formation d'excellence, voire de prétendre à rejoindre l'élite de ce pays. C'était vrai sous le dernier gouvernement socialiste, sous lequel les socialistes ont essayé de niveler par le bas l'enseignement français. Les efforts budgétaires devaient être les mêmes pour tous, et il fallait surtout casser toutes les recettes permettant à certains de leurs ennemis d'échapper à la médiocrité de l'enseignement public en tentant de faire entrer leurs enfants dans des filières élitistes, comme les classes bilingues ou l'enseignement du grec et du latin. Ce qui n'empêchera le même gouvernement socialiste de créer des options de langue étrangère, correspondant aux origines migratoires des enfants et élèves. Malheur néanmoins aux français qui n'ont pas d'autres langues, ou aux bretons, basques, corses ou occitans ! Il ne faudrait quand même pas réveiller les vieux démons régionalistes !
C'est tout aussi vrai sous ce gouvernement LaREM. Les écoles privées d'enseignement catholique sont apparemment une insulte à l'élite qui nous contrôle, qui nous administre. Un enseignement privé qui n'est pas hors de prix, qui n'est pas réservé aux seules grandes familles bourgeoises, qui enseigne le plus souvent des valeurs catholiques aux enfants, et qui offrent d'excellents résultats scolaires et universitaires aux enfants des petites classes moyennes qui les fréquentent. Voilà l'ennemi qu'il faut exhiber devant les gilets jaunes, devant les pauvres et les sans-abris. Non pas les écoles et les lycées de l'élite qui nous dirige, élite cachée derrière Macron et ses agents, ses maçons, mais la classe française moyenne et ses écoles privées. D'où la réforme du baccalauréat pour casser un diplôme qui traite de manière égale des enfants aux résultats forcément inégaux. Fin par conséquent des notations communes et égales. Les lycées peuvent ainsi choisir les épreuves de contrôle continu, aider leurs élèves, puis noter à leur sauce les copies qui ne sont même pas dépaysées. Je doute ainsi que les contrôles seront choisis et notés de la même manière dans un lycée privé tel Henri IV et dans un lycée public de banlieue, et je doute que les notes reflètent les différences de niveau entre ces lycées. Les notes au baccalauréat seront ainsi beaucoup plus élevées dans un obscur lycée public de banlieue qu'à Henry IV. Où comment couler l'enseignement privé catholique par une simple réforme du baccalauréat ! Et exit un Baccalauréat national, égale et comparable sur tout le territoire. Un Baccalauréat obtenu à Henri IV ou dans un obscur lycée de banlieue vaudra-t-il toujours la même chose, sera-t-il jugé de la même manière ?
D'où également une médiatisation intelligente, sournoise, visant à déconsidérer cette forme d'enseignement que représentent les études supérieures. D'où une superexposition médiatique de toutes les formes de critiques que l'on relaie ou que l'on fabrique. D'où la volonté de remettre en cause l'existence de l'ENA, la médiatisation de la position d'une vingtaine d'élèves de la promotion Molière de l'ENA, qui estime que l'ENA est sexiste, machiste, insuffisamment féminisée et refuse de traiter les cas de harcèlement. Et réserve le tutoiement aux hommes. Les femmes aussi veulent être tutoyées ! (Elles se plaindront ulterieurement d'être harcelées sexuellement si on (un homme) les tutoie et qu'on les appelle par leur prénom, mais cela est sûrement un autre problème ...).
Le Journal Le Monde donne aussi une visibilité incompréhensible à une supposée honte des diplômés de l'enseignement superieur devant leur famille et devant leurs parents lorsqu'ils n'ont pas fait d'études. Ou bien aux difficultés d'adaptation des jeunes de milieux sociaux moins favorisés lorsqu'ils rejoignent les grandes écoles plus sélectives.
Le problème, c’est que cette honte présentée et instrumentalisée par certains pour pourfendre la supposée inégalité du système scolaire français n’existe pas. Qu’elle n’a pas été ressentie par des centaines d’autres jeunes et de parents, et qu’elle ne concerne malgré tout qu’une minorité de quelques supposés intellectuels qui cherchent à se raconter une histoire, à se mettre en scène, à mettre des mots sur leurs propres soucis personnels et existentialistes.
L’accès à l’université, aux grandes écoles, est en soi, pour tout le monde, un choc intellectuel. Evidemment. Comme l’accès à la vie adulte, aux responsabilités. Comme l'accès au Monde du travail, que l'on rejoigne l'état major d'un grand groupe lorsque l'on est ultra-diplomé, ou un poste d'ouvrier dans une usine ou de serveur à Mac Do. Alors, certains se plaisent à mettre des mots autour de cela.
Mon père n’avait pas le bac, pupille de la Nation, né d’un père tué en 1945 sur un bateau de la France libre qui sauta sur une mine sous-marine. Il s’est engagé avant le baccalauréat dans la marine nationale. Ma mère de son côté, a dû avoir un brevet ou son baccalauréat, en sténo dactylographie, et s’est mise immédiatement à travailler. Aucun d’eux n’a accédé à l’université ni aux grandes écoles. Mon seul grand-père vivant à ma naissance, du côté maternel, avait été pour sa part prisonnier de guerre des nazis avant de s’enfuir pour retourner dans son Pays Basque. Je crois que comme dans le film «La vache et le prisonnier», il traversa les lignes allemandes et françaises avec une vache. Cela doit être l’histoire de nombreux prisonniers de guerre à cette époque-là. Je doute que le film de Fernandel racontait l’histoire de mon grand-père Edouard, décédé il y a quelques années. Après la guerre, sans études, il fut électricien jusqu’à sa retraite. Je me souviens qu'il partait travailler au volant de sa vieille motobécane, de son Solex ou de sa Renault R8 (dont je me souviens encore et qui ne devrait pas être aussi vieille à cette époque).
Les parents de mon épouse, de leurs côtés, avaient arrêtés l’école avant l’obtention de leur certificat d’étude, forcés à travailler très jeunes pour subvenir aux besoins de leur famille. Le père de ma belle-mère était décédé avant sa naissance. Et mon beau-père était issu d’une très nombreuse famille avec de nombreux frères et sœurs. Aucun d'eux ne firent d'études, travaillant des leur plus jeune âge. C'était souvent comme cela dans le département de La Réunion dans les années 1950.
Ni moi, ni mon épouse, ne sommes donc des enfants de parents ayant fait des études, comme l’immense majorité des personnes de notre génération. Les enfants nés dans les années 1940, qui firent leurs études dans les années 1960-1968, n’étaient pas nombreux à partir à l’université. Quelques pourcents des jeunes de cette époque étudièrent à l’université ou dans de grandes écoles. Et pourtant, nombreux d’entre eux poussèrent leurs enfants à accéder aux études supérieures. Ma génération, née dans les années 1960-1970, et qui avons fait nos études dans les années 1980-1990, ne ressentons pas les délires existentialistes du genre de gêne racontée par M. Eribon dans ses bouquins qui l’ont rendu célèbres.
Toute notre génération a vécu le même défi, et vraisemblablement nos parents étaient fiers que nous puissions faire ce qu’ils n’avaient eux pas pu réaliser, que nous puissions suivre les études supérieures auxquelles ils n’avaient pas pu accéder eux-mêmes. Evidemment, à notre époque, dans le milieu des années 1980, l’information sur les études supérieures n’étaient malgré tout pas très développée. Pas de logiciel de type #Parcours.sup, pas de publicité autour des écoles préparatoires comme Maths Sup, Maths Spé ou Cagne et HypoCagne (les anciens noms des classes préparatoires d’aujourd’hui), ni même autour des écoles d’ingénieurs ; obtenir le baccalauréat était déjà une fin en soi, un aboutissement.
Dans les générations un peu plus anciennes, rares étaient les jeunes à être sortis de l'université. J'ai à peine rencontré une poignée de dirigeants d'entreprises qui étaient diplomés de grandes écoles ou de l'université. Il était aussi beaucoup plus facile de réussir dans les entreprises en partant de la base, sans diplôme. Cette chance plus grande offerte aux non-diplomés de pouvoir réussir dans les entreprises , vraie dans les années 1970 jusque dans les années 1980, me semble beaucoup moins simple aujourd'hui. C'est beaucoup plus compliqué aujourd'hui pour un jeune sortant sans diplôme de l'école ou de l'université.
Mais cette histoire de honte des jeunes étudiants devant leurs parents, c'est selon moi une énorme arnaque, une façon de vendre des livres, de trouver un filon/Fillon pour devenir célèbre, pour se faire de la publicité.
Saucratès
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