Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Sur la société

 

Réflexion quatre (8 janvier 2011)
Une société idéale (fin)


Dans nos sociétés occidentales modernes où l'égalité de tous est devenue pratiquement une norme (cette affirmation va bien sûr devoir être discutée), on observe néanmoins un besoin chez certaines personnes d'être contrôlées, enrôlées, dirigées. 

Une société égalitaire ? Cette affirmation peut être contestée lorsque l'on pense aux différences de richesse entre les personnes et aux différences de situation sociale. Certes, notre monde a rarement connu de telles différences de richesse entre un petit nombre de milliardaires et les milliards de pauvres et de SDF. Ces milliardaires ne semblent peut-être pas vivre dans le même monde que nous, un monde d'oppulence et de plaisirs infinis, nous qui devons gagner chaque jour notre pitance, et dans la vie ne tient bien souvent qu'à un fil, un fil qui nous retient de la misère.

Mais en même temps, il ne faut pas oublier que nos sociétés occidentales modernes reposent sur cette égalité de tous, du plus pauvre au plus riche, et que chacun d'entre nous y est sensé bénéficier du même crédit, des mêmes droits, même si tout ceci n'est que théorique. Certes, la police prendra plus de gants pour interroger un puissant que pour interroger un SDF. L'un sera entendu avec déférence dans son hôtel particulier ou dans son ministère (tel Woerth), tandis que l'autre sera arrêté sans ménagement et jeté dans un fourgon de police. De même, le riche pourra se payer un avocat extrêmement compétent qui fera tout pour innocenter son client, lorsque le plus pauvre devra compter sur la collectivité pour payer sans avocat désigné d'office, qui risquera d'en faire le minimum. Mais on peut raisonnablement penser qu'une fois la culpabilité démontrée, la police et la justice seront aussi sévères avec ces déliquants, qu'ils soient  riches ou pauvres ...

Un monde égalitaire même si les inégalités de richesses, de considérations, et de situations sociales y sont extrêmement importantes ... Un monde où les personnes vivent leurs vies les uns à côté des autres, dans des mondes séparés, étrangers les uns aux autres ... Mais un monde foncnièrement égalitaire malgré tout devant la justice et la loi, même si l'argent permet d'y acheter de nombreuses choses ...

Et pourtant, dans ce monde égalitaire, il y a un manque ... Un manque de rites de passage, ces rites qui font les hommes, ces rites qui marquent les passages de l'enfance à l'âge adulte, ces rites qui marquent les hommes, qui prouvent au reste de la société, à leurs proches, à leurs égaux, que l'enfant, que l'adolescent est devenu un homme ... Des rites qui créent la société. Notre société manque de tels rites ... Et les jeunes de nos sociétés ont dû mettre en place de tels rites internes en remplacement de ceux qui ont disparu comme le service militaire ... Ces nouveaux rites sont les mouvements de contestation estudiantins, et les émeutes de banlieue ...

Une société égalitaire et solitaire où la règle devient le chacun pour soi ... A laquelle les jeunes répondent par un besoin de se reconnaître dans des groupes d'égaux, ainsi que dans la contestation de la société elle-même et de ses valeurs ... A laquelle également d'autres jeunes et moins-jeunes répondent par un besoin de reconnaissance dans des groupes, par un besoin de se sentir importants, encadrés, de se reconnaître dans des idéaux qui les dépassent, qui les transcendent ...

Ce besoin d'encadrement, ce besoin de reconnaissance, certains le trouvent dans les groupes islamiques, dans les sectes d'obédience chrétienne ou protestante comme les témoins de Jéhovah ou autres ... ou ailleurs ... L'objectif est le même dans chaque cas : capter des esprits faibles ou affaiblis, fragilisés, qui croiront se voir reconnaître une importance, mais qui seront utilisés pour un certain nombre de raisons ... pour leur argent, comme chair à canon ou comme zélateurs afin de capter d'autres proies, ou enfin pour servir de marchandises ... ou les trois à la fois ... De sorte, il n'y a guère de différences entre les islamiques et une secte comme les témoins de Jéhovah, si ce n'est que les uns fabriquent des terroristes et pas les autres ... Mais dans les deux cas, les personnes sont extraits de leurs relations personnelles, familiales, pour rejoindre une communauté qui dit posséder la seule véritable foi, la seule véritable révélation ... Et ces communautés reposent sur une structure hiérarchisée de société, inégalitaire, fortement structurée, bizarrement différente de la société occidentale telle que nous l'avons fait évoluer, un peu comme dans l'armée ...



Réflexion trois (31 décembre 2010)
Une société idéale (suite)


Loin de moi l'envie de transposer une réflexion de Platon sur notre monde moderne. Notre époque est en effet infiniment plus compliquée que le monde grec antique. Cette reprise de Platon reposait essentiellement sur l'idée qu'un monde aussi parfait que celui imaginé par Platon aurait immanquablement plu à nos politiques modernes.

 

La politique, le monde, serait en effet si simple si l'on pouvait déterminer facilement les qualités de chacun, si chacun se limitait aux tâches que ses qualités lui attribuaient, et si le nombre de possesseurs de telle ou telle qualité était harmonieusement distribué dans la société.

Evidemment, cela est impossible aujourd'hui, de la même manière qu'il ne s'agissait que de la description d'une société parfaite faite par Platon. Notre réalité moderne est évidemment extrêmement complexe. Le développement de la massification de l'enseignement a entraîné une conséquence peut-être imprévue : les nouvelles générations ne se différencient plus véritablement en fonction de l'accès aux diplômes, l'immense majorité des jeunes français ayant désormais eu accès à l'université. Nous rentrons ainsi dans un monde moderne dans lequel l'égalité de compréhension est désormais une réalité, dans lequel les dirigeants, les gouvernants, les politiques, ne pourront plus faire reposer la légitimité de leur pouvoir sur leurs compétences intellectuelles, sur leur niveau d'étude.

Evidemment, l'égalité n'y est que théorique, dans un monde où l'important devient la situation sociale, la sociabilisation, dont l'unité de mesure est la détention d'un travail stable, la réussite soiale, mesurée par les revenus des personnes.

Mais il n'en demeure pas moins que nos dirigeants, ceux qui nous gouvernent, nos politiques, ont désormais en face d'eux une opinion publique informée et disposant d'un esprit critique aiguisé par les études universitaires ...

Le problème, néanmoins, est que tous ces jeunes gens formés et compétents, mais peut-être pas forcément employables ni employés, aspirent à sortir de l'atomicité à laquelle conduit l'égalité telle qu'on l'a connaît, pour se reconnaître dans des groupes hiérarchisés où ils se verront de nouveau placés dans une hiérarchie, contrôlés mais en même temps où ils se sentiront utiles, nécessaires, importants. Je pense par exemple aux prédicateurs musulmans, mais également aux sectes chrétiennes telles les Témoins de Jehovah ou autres.

L'homme semble ainsi avoir besoin de règles et de hiérarchie, qu'il s'inventera éventuellement si on l'en prive. C'est l'aberration née de nos sociétés égalitaires et démocratiques, qui sont parcourus de groupes hiérarchisés clandestins (cela me fait aussi penser aux cercles maçonniques) dont les objectifs sont soit la prédication soit la destruction des sociétés auxquelles ces groupes appartiennent.


 

Réflexion deux (26 décembre 2010)
Une société idéale


La philosophie grecque antique avait imaginé la constitution de la société idéale, de la cité idéale. Selon Platon, elle devait reposer sur trois classes de citoyens :


« (...) telle une pyramide, la sructure sociale de la cité parfaite consiste dans l'étagement hiérarchisé d'une vaste classe de producteurs (agriculteurs er artisans), d'une classe plus restreinte de gardiens auxiliaires, et enfin d'une classe très étroite de gouvernants. Les premiers, dans l'hypothèse de la cité parfaite, manifestent la vertu de modération (sôphrosuné) ... Les seconds, outre la modération, se distinguent par le courage (andreia) ... Enfin, le troisième groupe des gouvernants, outre la modération et le courage, se caractérise par la sagesse (sophia) ...»
Jean-François Balaudé, «La justice» (Vrin)


Ne peut-on pas penser que nos hommes politiques aimeraient particulièrement que nos sociétés démocratiques occidentales modernes fonctionnent selon le même schéma ? Nos régimes démocratiques modernes ne fonctionnent-ils pas tout simplement selon cette même théorie hypothétique, sans aucun lien avec la réalité ? Cette société idéale ne serait-elle pas considérée comme la société parfaite par tant de nos hommes (ou femmes) politiques ; une société où la capacité à gouverner de nos hommes politiques ne serait jamais interrogée, mais supposée reposer sur des qualités morales supérieures indiscutables ? Où les citoyens lambda, de base, se satisferaient de produire pour le reste de la société et auraient la qualité de faire preuve de modération (comme les gouvernants d'ailleurs, ce qui ne correspond pas à notre président), et ne contesteraient pas la place des gardiens auxiliaires et des gouvernants !

D'où une difficulté insurmontable pour nos sociétés modernes : comment concilier un fonctionnement égalitaire avec des hypothèses théoriques impossibles reposant sur l'acceptation d'une classe supérieure de gouvernants par le reste de la société ... La seule justification de ce régime repose sur le mensonge de l'onction du suffrage universel ... Si le hasard seul ne confère pas la légitimité de ceux qui sont élus pour nous gouverner, pour légiférer, si des mécanismes obscurs (élitisme, grandes écoles, loges maçonniques, partis politiques au sein duquel des groupes ou des personnes désignent les candidats) viennent interférer et permettent de favoriser untel ou untel dans l'accès à ces postes politiques ; c'est alors toute l'idée démocratique qui perd toute validité pour ne plus devenir qu'une parodie de démocratie et de justice. Comme le disait Thrasymaque, détracteur de Socrate dans le livre I de la République de Platon : «la justice est l'intérêt du plus fort». La justice devient alors «le fait d'obéir à ce que fixe l'injuste».


Réflexion une (11 juin 2009)
Le problème de la mesure des inégalités


Que faut-il penser de la société française. J'ai trouvé enrichissant un débat publié dans le Nouvel Observateur entre les sociologues Robert Castel et François Dubet sur le sujet des inégalités en France. Cette idée que dans une société française très peu inégalitaire en comparaison de ses homologues anglo-saxonnes ou libérales, où les inégalités sont pour partie en voie de résorption par rapport aux dernières décennies, mais où les inégalités restantes deviennent justement pour cette même raison totalement insupportables à ceux qui continuent de les subir.
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2325/articles/a402347.html


« D'une part, quand on mesure les inégalités telles qu'on peut les mesurer (il y a des débats au sein même de l'Insee sur les indicateurs...), on constate qu'il n y a pas un creusement considérable des inégalités sociales. La France fait partie des pays les plus égalitaires. Grosso modo, vous avez les pays scandinaves d'abord, ensuite la France, l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, puis les pays de l'Europe du Sud et la Grande- Bretagne. Et les Etats-Unis, c'est bien pis. D'autre part, à la question «avez-vous le sentiment de vivre dans un pays où les inégalités se creusent ?», les Français répondent qu'ils ont l'impression de vivre dans un pays où les inégalités se creusent considérablement, alors que, «objectivement», la France est un pays relativement peu inégalitaire. Je crois que si les inégalités y sont si violemment perçues, c'est parce qu'elles changent de nature. Dans l'ordre traditionnel de la société industrielle, un grand nombre d'inégalités étaient perçues comme «naturelles». Prenons l'exemple du monde scolaire. Dans les années 1950, il allait de soi que les enfants d'ouvriers n'allaient pas au lycée et ce n'était pas vécu comme une injustice atroce. Aujourd'hui, tout le monde va à l'école, et donc il y a une réduction des inégalités scolaires. Mais en revanche, tout le monde étant le concurrent de tout le monde, les plus petites inégalités à l'intérieur de l'école sont vécues comme étant insupportables. Prenons un autre exemple. Ma mère avait un statut bien plus inégal à celui de mon père que celui de ma femme ne l'est à l'égard du mien et que ne le sont mes filles à l'égard de leur mari. Or le sentiment d'inégalité est bien plus vif chez mes filles, tout simplement parce que les femmes jouent dans la même compétition professionnelle que les hommes. On pourrait multiplier les exemples. C'est un premier facteur très important : le désir d'égalité s'étant accentué (et c'est un des avantages de notre société), les inégalités sont insupportables.

Deuxième raison : vous avez un sentiment d'autant plus fort d'inégalité que les places sont moins assurées. Aujourd'hui, on est dans une société de très grande mobilité. Mobilité sociale ne veut pas dire, selon une formule désastreuse, «ascenseur social», cela veut dire que vous risquez de monter mais aussi de descendre et il y a d'ailleurs autant de gens qui montent que de gens qui descendent. Avec la mobilité sociale, les petites inégalités deviennent essentielles. J'ajoute qu'on mesure aujourd'hui des inégalités bien anciennes qu'on ne mesurait pas, comme les inégalités devant la mort ou la vieillesse, qui sont considérables. Donc, moins nous sommes aveugles à nous-mêmes, plus nous avons une vision très claire des inégalités et moins nous les tolérons. »

François Dubet, «Les inégalités se creusent-elles ?»


Comme l'exprime François Dubet, ce sujet est particulièrement sensible en ce qui concerne les discriminations à l'égard des femmes ou les discriminations en matière d'espérance de vie des diverses classes sociales, mais s'applique aussi au malaise ressenti en Guadeloupe ou dans les autres départements d'outre-mer. L'idée que, dans un processus de comblement des inégalités entre deux populations, deux classes sociales, deux sexes, la moindre inégalité qui demeure visible ou ressentie un peu plus longtemps que les autres paraît d'autant plus insupportable.

Les guadeloupéens sont considérés comme des citoyens français à part entière, et sont traités par l'état français à l'identique des citoyens de l'Hexagone. Ils bénéficient des mêmes droits que chacun, et c'est d'autant plus vrai aux Antilles où ils ne peuvent pas se plaindre d'un racisme à l'égard, mais bien au contraire où ce sont les blancs qui y sont victimes de comportements racistes, sur fond d'un passé anciennement esclavagiste. Et pourtant, la moindre différence de traitement y est ressenti comme une marque de mépris, et a conduit à un mouvement social d'une violence relativement sans équivalent dans l'Hexagone. Il y a vingt ans, le SMIC des travailleurs domiens était inférieur au SMIC français ; les allocations sociales perçues outre-mer étaient différentes de celles versées dans l'Hexagone ; le droit social n'y était pas appliqué à l'identique ... Cette situation est d'ailleurs toujours observée à Mayotte, où le SMIC et les avantages sociaux sont inférieurs au niveau français, mais qui bénéficie pourtant d'un afflux de clandestins depuis les îles voisines des Comores, pour lesquels Mayotte est un lieu paradisiaque en comparaison de la pauvreté régnant dans leurs îles indépendantes.

A égalité de droits pratiquement sans aucune discrimination, la moindre petite différence est pourtant ressentie comme une insulte. Ainsi, on en arrive à des comparaisons de salaires moyens, au ton de voix qui sera utilisé pour l'un ou l'autre, à l'attribution d'un poste à untel ou à untel, aux différences de prix entre tels et tels produits, et où chaque discrimination ressentie est alors montée en exergue.

La mesure des inégalités devient en quelque sorte un exercice paranoïaque aîgu, un prisme déformant de la réalité nous entourant, une focalisation sur les quelques vétilles perdurant, qui oublie l'idée qu'il nous est impossible d'être tous absolument et intrinsèquement égaux ! Qui oublie la réalité même qui nous entoure, ce monde au fond relativement égalitaire où nous vivons. Et on en arrive ainsi au point où, comme les guadeloupéens, on peut mettre à sac sa propre société, sa propre économie, on peut brûler sa propre maison, dans la poursuite véhémente de quelques chimères, en oubliant ce dont on dispose, la beauté de notre propre vie, que nombre de terriens, nombre de nos voisins caribéens, nombre de nos compatriotes hexagonaux même, échangeraient avec plaisir.

« Le désir d'égalité s'étant accentué, les inégalités sont insupportables. » N'y a-t-il pas une certaine forme d'aberration liée à notre projet social dans cela ?


Saucratès



26/12/2010
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