Critiques de notre temps

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Ce que l'on peut retenir du livre 'Les secrets de la réserve fédérale'

Vendredi 10 janvier 2014

 

Y a-t-il des secrets inavouables dans le monde de la Finance ? La Réserve fédérale américaine cache-t-elle de noirs desseins et de noirs secrets ? Je me suis amusé à lire ce livre assez récemment republié (septembre 2010 pour la première édition et mai 2012 pour la deuxième édition) sur lequel j'étais tombé en fin d'année dernière, en tête de gondole à la Fnac Place d'Italie. L'auteur en serait Eustace Mullins, sous la direction d'Ezra Pound.

 

D'après Wikipédia, «Mullins est un opposant à la Réserve Fédérale (FED) qu'il accuse d'être depuis 1913 en possession de banques privées ou d'actionnaires privés, via les actions détenues par ses 12 chapitres locaux. Il en cite la liste : Banque Lazard, Kuhn, Loeb & co, J.P. Morgan & Co., Goldman Sachs, Lehman Brothers, NM Rothschild & Sons, Israel Sieff, Paul Warburg, et la famille Rockefeller. Selon lui, ces banques et intérêts privés contrôlent la vie politique et économique des États-Unis depuis lors.»
http://fr.wikipedia.org/wiki/Eustace_Mullins

 

Concernant Ezra Weston Loomis Pound, il sera l'une des huit personnes de nationalité américaine et résidentes en Europe inculpées pour trahison à l'issue de la seconde guerre mondiale, pour avoir défendu sur la radio italienne le fascisme de Mussolini. Il y défendait le fascisme, accusait la finance internationale et les Anglo-Américains d'être la cause de la guerre et faisait de la propagande antisémite. «Concernant ses idées économiques, elles trouvaient inspiration dans le Social Credit de Clifford Hugh Douglas et s'insurgeaient notamment contre la remise de la création monétaire à la finance internationale privée.»
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ezra_Pound

 

C'est un peu l'impression que donne ce livre : un procès à charge contre quelques grandes banques juives accusées de contrôler le monde et d'avoir provoqué les deux premières guerres mondiales et les diverses crises financières de 1920 et 1929. De même, il est difficile de situer le moment où il fut écrit. Publié d'abord dans les années 1950, seul livre à avoir été brûlé en autodafé en Europe occidentale après la seconde guerre mondiale (en 1961), la majeure partie des thèses développées dans ce livre se rapportent aux années 1910-1929, ce qui paraît particulièrement ancien pour l'économiste que je suis. Seuls quelques passages du livre se rapportent à des évènements un peu plus récents, faisant des rapprochements avec des évènements postérieurs aux années 1980.

 

S'agit-il d'un simple livre antisémite traitant d'un complot des banques juives visant à contrôler le monde ? Il me semble que la réalité doit être un peu plus complexe que cela et ce livre doit rapporter quelques éléments véridiques sur l'histoire de la Réserve fédérale américaine.

 

D'abord, à noter que le terme de réserve fédérale est impropre. Le véritable nom de l'organisation bancaire centrale américaine est le «Federal Open Market Committee» - en abrégé FOMC (Comité de l'open market du Système fédéral de réserve américain).

 

Deuxièmement, il faut aussi observer qu'il y a bien un contrôle des plus grandes firmes américaines mais aussi européennes (les plus grandes entreprises et banques françaises notamment) par quelques dizaines de grands fonds de pension ou privés américains, dont les plus connus sont The Vanguard GroupT. Rowe Price, Oppenheimer Funds, Goldman Sachs Capital Partner, The Carlyle Group, The Blackstone Group, JP Morgan Asset Management, BlackRock Advisors ou encore Fidelity Investments.
http://thezog.wordpress.com/who-controls-wall-street-part-2/

 

La première théorie exposée par ce livre est ainsi qu'un complot de quelques financiers est à l'origine de la création du système fédéral de réserve américain, groupe qui s'est réuni dans le plus grand secret sur l'ile de Jekyll Island à la fin du mois de novembre 1910, qui donnera naissance à la Federal Reserve Act dit aussi Owen-Glass Act votée le 23 décembre 1913. Les six particpants à cette réunion étaient : le sénateur Nelson Aldrich (président de la Commission monétaire nationale, chargée par le président Théodore Roosevelt de stabiliser le système monétaire américain après la panique financière de 1907), son secrétaire particulier Arthur Shelton, A. Piatt Andrew (secrétaire adjoint au Trésor), Frank Vanderlip (président de la National City Bank of New York), Henry P. Davison (associé à JP. Morgan Company), Charles D. Norton  (président de la First National Bank of New York), Benjamin Strong (de JP. Morgan Company) et de Paul Warburg (récent immigré allemand, de la maison bancaire Kuhn Loeb & Co, dont le frère Max Warburg dirigera les services secrets allemands et représentera l'Allemagne à la conférence de paix de Versailles de 1918-1919). Selon ce livre, le complot de Jekyll Island et de la Réserve fédérale américaine tourne autour de ce personnage Paul Warburg, qui est à l'origine de l'architecture de la réserve fédérale.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Warburg

 

Selon ce livre, le projet du sénateur Aldrich sera rejeté par le congrès en 1911 mais il sera approuvé pratiquement à l'identique fin 1913 (à noter qu'il ne portera plus le nom du sénateur Aldrich mais ceux des sénateurs Robert L. Owen et Carter Glass). Il semble en effet que le projet Aldrich était porté par les républicains (William Howard Taft), tandis que les démocrates défendaient un projet similaire intitulé 'Loi de réserve fédérale' (Woodrow Wilson). Un troisième candidat, ancien président républicain, se présenta à l'élection présidentielle (Théodore Roosevelt pour le Bull Moose). Le projet de Aldrich était considéré comme le projet de Wall Street. La Loi de réserve fédérale était critiquée par les banquiers comme étant trop favorable au gouvernement.
http://fr.wikipedia.org/wiki/élection_présidentielle_américaine_de_1912

 

Il est à noter que les Etats-Unis étaient très en retard sur les pays d'Europe en ce qui concerne la structuration de leur système monétaire. La France avait une banque centrale depuis Napoléon (1801) de même que l'Angleterre ou l'Allemagne. Les Etats-Unis avaient eu une première banque centrale en 1791, qui sera remplacée en 1816 par la 'Second Bank of the United States'. Celle-ci sera dissoute en 1830 par le président Andrew Jackson, hostile aux banquiers. De 1830 à 1913, les Etats-Unis n'auront plus de banque centrale, alors qu'un certain nombre de crises financières éclateront ou toucheront les Etats-Unis (la dernière étant celle de 1907). Par ailleurs, il semble que la constitution américaine réserve au seul Congrès le droit de battre monnaie.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Réserve_fédérale_des_états-Unis

 

Ce livre dénonce aussi le fait que le Système fédéral de réserve américain soit la propriété des banques. En 1913, c'était normal : la Banque d'Angleterre appartenait aux principales banques anglaises (d'après le livre essentiellement détenue par Nathan Mayer Rotschild) de même que la Banque de France qui appartenait aux deux cents familles. Ces propriétaires privés participaient à la désignation des organes de direction de ces établissements, même si le gouvernement de chacun de ces pays intervenait apparemment dans certaines désignations. La Banque de France ne sera nationalisée qu'à l'issue de la seconde guerre mondiale. J'ignore si la Banque d'Angleterre est toujours privée ou nationalisée. Par contre, le Système fédéral de réserve est demeuré une institution privée même si le gouverneur (aujourd'hui Janett Yellen) est nommée par le président des Etats-Unis et confirmée par le Sénat américain (tous les membres du conseil des gouverneurs d'après wikipédia). Un dividende de 6% est versé aux banques actionnaires ; le reste étant reversé au Trésor.

 

On trouve dans ce livre décrit les origines des principales grandes banques américaines comme JP. Morgan et de quelques autres grandes banques. A l'origine de la puissance de la banque JP. Morgan se trouve le père de John Pierpont (JP) Morgan, Junius S. Morgan, associé de George Peabody, derrière lequel se trouvait Nathan Meyer Rotschild à Londres (dans les années 1830-1850). De son côté, la maison Kuhn Loeb Company, de Paul Warburg, a ainsi fusionné en 1977 avec Lehman Brother (qui fit faillite le 15 septembre 2008 lors de la crise américaine des subprimes).
http://fr.wikipedia.org/wiki/Kuhn,_Loeb_&_Co

 

D'autres thèses sont développées dans ce livre, plus difficilement vérifiables. L'une de ces thèses, s'appuyant notamment sur les relations anciennes entre plusieurs financiers américains (dont John Pierpont Morgan) et Nathan Meyer Rotschild, est que le Système fédéral de réserve américain est/était entre les mains d'une London connection, et défendait les intérêts des financiers londoniens. Quelques autres thèses défendues par le livre traite du financement de l'effort de guerre allemand d'Hitler par les financiers américains. Tout cela ressemble fort à une théorie du complot. 

 

Ce livre a néanmoins selon moi un grand intérêt. Au-delà d'une histoire ancienne de la finance, il donne à relire quelques vérités que l'on croit acquise sur la finance. Il amène à réfléchir sur la théorie monétariste de la nécessité d'indépendance des banques centrales vis-à-vis du pouvoir politique. En visant à rendre indépendante les banques centrales (le fondement de l'Euro-système) et leurs dirigeants, on en est ainsi revenu à cette situation passée. La propriété privée des banques centrales ne gène pas Milton Friedman. Ce qui le gène, c'est l'ingérence de l'état dans la politique monétaire. Et nos hommes politiques ont tous consciemment mis en application la vulgate monétariste sans se rendre compte (ou justement en s'en rendant compte) que cela constituait un retour en arrière vers la privatisation des banques centrales.

 

Ce livre donne aussi à comprendre que ce qui nous paraît naturel en matière financière, comme l'escompte de papier commercial, comme le développement du crédit, comme le développement de la dette publique, ou même simplement l'émission de billets de banque, est quelque chose de fondamentalement étranger et nouveau dans l'histoire monétaire mondiale, source de déséquilibres faramineux pour l'économie mondiale, et que l'on peut prêter les plus noirs desseins à ceux qui ont inventé ces mécanismes même s'ils peuvent paraître aujourd'hui tellement normaux et naturels.

 

Autre point intéressant, c'est bien enfin que les noms des familles qui contrôlent l'économie mondiale ne changent pas. Des Rowe cités dans ce livre jusqu'à la maison JP. Morgan ou Kuhn Loeb Company ou des maisons Rotschild toujours présentes à Londres ou Paris ...

 

En quelques mots, un livre qu'il peut être utile de lire, tout en gardant à l'esprit qu'il flirte malgré tout avec une théorie du complot et qu'il est relativement fouilli avec des multiples allers-retours vers les années 1910-1913 ou sur l'histoire des Rotschild.

 

Saucratès 



10/01/2014
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