Critiques de notre temps

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Quelques réflexions sur le développement de la Réunion

Quel développement pour le département de la Réunion 

Réflexion une - Un état des lieux

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, samedi 9 mars 2024

 

Quel diagnostic peut-on faire de notre département de la Réunion, à notre petite mesure ? Aujourd’hui, des pans entiers de notre économie, de nos industries, de notre tissu commercial, se trouvent entre les mains d’investisseurs et de groupes non originaires de notre département. 

Cela a-t-il une quelconque importance ? Est-ce que cela peut avoir une quelconque conséquence sur le développement de notre département, sur le développement de notre île ? Pour ma part, je pense que c’est le cas, que cela a une importance. Sinon, pourquoi la constitution et la défense de champions nationaux aurait-il de l’importance pour la France, pour la Chine, pour les Etats-Unis ou pour Maurice ?

 

Aussi, la prise de contrôle de pans entiers de l’économie réunionnaise par le groupe martiniquais Hayot, qui contrôle le secteur de l’automobile (Renault, Volkswagen, Audi, Mercedes), de la réparation automobile, des pneumatiques, des magasins de bricolage, de la grande distribution, des loueurs automobiles, ne peut pas être neutre et sans conséquences. De même, l’implantation d’entreprises mauriciennes doit aussi interroger. Sans oublier évidemment toutes les entreprises ou les banques contrôlées par des grands groupes nationaux, dont tous les bénéfices remontent vers les maisons mères cotées en bourse. Mais on pourrait aussi parler de la distribution de l’eau, de l’assainissement ou du ramassage des ordures contrôlés également par des grands groupes nationaux, ou bien du tourisme. Ou bien de la téléphonie mobile ou fixe. Et  on oublie certainement d’autres secteurs économiques dans cette description.

 

Quels enseignements peut-on tirer de ce panorama ? Le premier enseignement que l’on peut en tirer est que cette prise de contrôle vise essentiellement le secteur du commerce et des services, pas celui de l’industrie et de la production. Tout ce qui a trait à l’agriculture et à la transformation des produits agricoles est majoritairement sous le contrôle d’entreprises réunionnaises, à l’exception toutefois de l’industrie sucrière accaparée par TEREOS. Quelques groupes nationaux ont peut-être installé des filiales dans le département (Danone) mais l’industrialisation via l’import-substitution des années 1960 et 1970 a permis la constitution de champions départementaux et d’entreprises pérennes. 

Mais je crains qu’il ait manqué depuis les années 1980 d’une réflexion sur quelle industrialisation nous souhaitons et comment elle peut permettre la pérennisation et le développement de groupes locaux et par effet d’entraînement du développement du département dans son ensemble.

 

Certains me demanderont peut-être qu’elles conséquences cela peut bien avoir pour les citoyens réunionnais ? Quel intérêt peut bien avoir le fait de savoir si l’entreprise appartient à Pierre, Paul ou Jacques ? Pierre le martiniquais, Paul le métropolitain, ou Jacques le réunionnais. Les salariés réunionnais sont-ils mieux traités dans un cas ? Y a-t-il plus d’effets favorables induits au niveau de l’économie dans son ensemble lorsque c’est Pierre, Paul ou Jacques ? Tout ceci doit être questionné. La seule réponse que j’ai, ce sont les flots de dividendes qui remontent vers les maisons-mères et qui representent des centaines de millions d’euros chaque année, des centaines de millions d’euros ponctionnés sur les consommateurs réunionnais qui ne seront ni consommés, ni investis dans le département, mais qui nourrissent les projets de développement internationaux, européens, antillais, mauriciens des actionnaires extérieurs.

 

On pourra me rétorquer que les dizaines de milliers de véhicules automobiles produits à l’extérieur du département et achetés chaque année par les consommateurs réunionnais doivent également represent plusieurs dizaines de millions d’euros et que cela n’a peut-être pas plus d’effets favorables pour l’économie, voire même un effet environnemental défavorable majeur. Mais au moins, on reçoit en retour des biens matériels ! On ne reçoit pas rien de ces flux financiers. Quel est notre retour sur les flux financiers des dividendes pour les actionnaires étrangers ? Strictement aucun.

 

On pourra aussi me rétorquer que ces prises de contrôle ou ses implantations nous permettent d’éviter des gabegies. Certains donneront l’exemple de la distribution de l’eau. Ces groupes internationaux permettent une meilleure gestion des réseaux parce «qu’ils savent faire». C’est très vraisemblablement vrai. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en France et en Navarre, ils remplacent des régies municipales, et que dans les pays en développement ou même dans de grands pays industriels, ils récupèrent aussi la distribution d’eau ou l’assainissement parce qu’ils savent très bien le faire. Donc effectivement, c’est un argument expliquant la main mise des grands groupes nationaux sur ces secteurs, comme partout ailleurs. 

 

Mais cela n’explique pas tout. Cela n’explique pas la main mise d‘Hayot sur le commerce. A-t-on fait rentrer le loup dans la bergerie et s’en est-on aperçu trop tard, alors qu’il avait ingurgité la moitié des brebis et des moutons ? Cela explique aussi la main mise d’Orange et de SFR sur la téléphonie mobile, même si les premiers investisseurs étaient réunionnais, mais comment refuser l’offre de rachat très généreuse qui leur a été proposée ou imposée ? Mais cela n’explique pas par contre la main mise sur le système bancaire de l’île. Dans ce dernier cas, ce sont les obligations prudentielles imposées par les autorités monétaires françaises puis européennes, comme par exemple de disposer d’un actionnaire de référence, de dirigeants notoirement connus pour diriger ces établissements, qui expliquent cette main mise. Il y a une histoire monétaire de notre département à écrire et une interprétation à en réaliser.

 

https://www.iedom.fr/IMG/pdf/note_iedom_-_70_ans_de_systeme_bancaire_a_la_reunion.pdf

 

Toutes les banques du département appartiennent à de grands groupes nationaux, ou internationaux. Même les banques dites mutualistes ou populaires appartiennent à des groupes et transfèrent leurs résultats à leurs organes centraux. En a-t-il toujours été de même ? A son origine en 1853, la Banque coloniale de la Réunion appartient à des propriétaires, planteurs, commerçants ou industriels réunionnais, mais sa cotation en bourse sur la place de Paris à partir de 1878 introduit le loup dans la bergerie. Et en 1955, elle passe sous le contrôle du Crédit Lyonnais tout en fusionnant avec sa concurrente sudiste, la «Société bourbonnaise de crédit de la Réunion».

 

De la même manière, le «Crédit foncier de Madagascar» installé à la Réunion à partir de 1927 passe sous le contrôle de la «Banque nationale pour le commerce et l’industrie» en 1955 et prend le nom de BNCI-OI pour devenir aujourd’hui la Bnp Paribas Réunion. Même sujet pour la BFCOI contrainte par la réglementation bancaire à se rattacher à un grand réseau comme la Société Générale. Même si évidemment, la BFCOI a toujours appartenu à des sociétés financières comme INDOSUEZ. Ou pour la SODERE, société de développement régionale créée en 1964, qui sera absorbée en 2001 par la SOFIDER, avant toutes deux d’être cédées et absorbées par la BRED Banque Populaire. Dernier exemple de tentative de création de banques réunionnaises détenues par des réunionnais pour des réunionnais, le Crédit maritime créé en 1974 mais absorbé en 2015 par la BRED Banque populaire.
 
Derrière ces histoires, il y a des hommes qui pensaient au développement de la Réunion, qu’il s’agisse de M. Trimaille de la SODERE, de M. de Cambiaire au Crédit Agricole … parmi de nombreux autres personnages. Les technocrates qui dirigent aujourd’hui les grandes banques, qui pilotent en terme de performance et de ratios leurs équipes, n’ont plus rien à voir avec ces hommes et ces femmes qui oeuvraient pour le développement de la Réunion. Aujourd’hui, il n’y a plus rien que le profit et la rentabilité qui comptent.

 
https://www.reunionnaisdumonde.com/magazine/actualites/case-tomi-satec-revolution-de-l-habitat-a-la-reunion/

 

Mais cette même histoire pourrait être racontée pour de nombreux autres grands secteurs d’activité, comme par exemple l’industrie sucrière. On est ainsi passé de plus d’une centaine d’usines sucrières dans les années 1900 appartenant à toutes les familles de planteurs, dont il ne reste plus que quelques traces dans les mémoires (Beaufond à Saint Benoit, Quartier Français, Savannah, Pierrefonds, Isautier…) représentant les dernières usines survivantes, à un seul et unique sucrier appartenant à un grand groupe international (TEREOS) qui contrôle désormais toute la filière. 

 

 

Saucratès



09/03/2024
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