Critiques de notre temps

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Collapsologie et économie (suite)

Saint-Denis de La Réunion, samedi 2 novembre 2019

 

C'est une vaste question à laquelle je vais tenter d'apporter quelques interrogations supplémentaires : pourquoi le monde continue-t-il de tourner alors que la collapsologie devrait nous conduire à penser que le Monde va dans le mur et qu'il aurait déjà dû s'effondrer ou qu'il risque de s'effondrer à court ou à moyen terme si rien de drastique n'est fait ?

 

Je ne pense pas déformer l'analyse des collapsologues en écrivant cela. Et pourtant, la collapsologie n'est pas une invention récente. Elle date des années 1960-1970. Les premiers écrits sur la décroissance économique datent de ces mêmes décennies. Je pense notamment aux écrits de Nicholas Georgescu-Roegen parus dans les années 1971-1976. Evidemment, la collapsologie a longtemps été confinée à une poignée d'illuminés, de survivalistes, de fous persuadés que la Terre allait s'effondrer, ou à une marge des partis écologistes européens. Mais aujourd'hui, la situation a changé. Il est devenu de bon ton de s'affirmer comme collapsologue, de défendre la collapsologie. Et la collapsologie prend de plus en plus d'ampleur, d'importance médiatique. Ces tenants sont désormais invités dans les principaux lieux de pouvoir ; Assemblée nationale française, forum économique de Davos, Assemblée générale des Nations Unies ...

 

Pourtant, pour ma part, je ne suis pas du tout un partisan de l'économie capitaliste, du marché, de la concurrence pure et parfaite, du libéralisme ou de l'ultralibéralisme. Bien au contraire. Je suis partisan de la régulation de l'économie par l'Etat, par la loi, par la Communauté internationale, seule à même d'imposer des législations aptes à encadrer la toute-puissance des marchés. Je suis aussi favorable à une réforme de l'économie qui prenne en compte les concepts de la collapsologie, de l'environnement. Par exemple, le concept même d'économie d'échelle propre à l'économie capitaliste et à sa loi fondamentale, la concurrence pure et parfaite, est une aberration : plus vous produisez, moins vous produirez cher, alors que pourtant, les conséquences écologiques, de destruction de l'environnement, de pollution, de votre production vont croissantes. 

 

Et pourtant, je reste circonspect, dubitatif, sur les collapsologues, sur cet effet de mode, sur les personnalités qui se métamorphosent comme grands gourous ou grandes prêtresses de la collapsologie, de la fin du monde. De cette jeunesse qui se découvre à suivre une énième religion à la mode, un énième combat du siècle, une énième grande cause mondiale. De mon temps, en 1983-1984, il s'agissait de récolter des fonds pour le Tiers-Monde, pour l'Ethiopie. Aujourd'hui, ils luttent pour le climat. Nouvelle passade d'adolescents et d'adolescentes en quête de grands combats ? 

 

Le problème des modes en économie et en politique, c'est que souvent, elles deviennent la nouvelle doxa des années futures. Le monétarisme triomphant des années 1980-1990-2000 était une théorie ultra-minoritaire jusque dans les années 1945-1975. Milton Friedman a été un ennemi mineur de John-Maynard Keynes avant de devenir le théoricien de la théorie dominante à partir des années 1980 et jusqu'à aujourd'hui. Il n'y a que la crise financière de 2007-2009 qui a pu laisser penser que le monétarisme et l'ultralibéralisme n'étaient pas les réponses parfaites, uniques et absolues aux problèmes posés à l'économie. Et aujourd'hui en 2019, les leçons de la crise sont déjà oubliées et l'ultralibéralisme est reparti de plus belle. La collapsologie et son intégration dans le champ économique, par exemple le concept de décroissance, peuvent devenir la nouvelle doxa de l'économie lors des prochaines décennies. Ou pas.

 

Je crois donc en l'économie. Je crois dans le principe des prix, des lors qu'ils sont capables d'intégrer les composantes des décisions et des politiques publiques. C'est aux États, à la Communauté internationale, de fixer le prix de la pollution, de l'impact du réchauffement climatique, au niveau mondial pour que nul ne puisse y échapper, s'y soustraire, afin qu'il intègre les échelles de prix et de valeur des consommateurs.

 

Le problème n'est donc pas véritablement l'économie. Une science économique intégrant les principes de l'école de la régulation peut parfaitement intégrer les concepts de cherté et d'impact carbone de l'économie. Le problème est cette branche de l'économie qui refuse l'intervention de l'état en faisant croire que cet interventionnisme est mauvais, que le fonctionnement normal, pur des marchés, permettra de résoudre tous les problèmes. Cette branche de l'économie est l'ultralibéralisme. C'est cependant elle qui guide et reproduit le fonctionnement réel des marchés, puisque les États ne peuvent plus intervenir que de manière marginale dans le fonctionnement des marchés. 

 

Le fonctionnement actuel des marchés ne permet donc pas d'intégrer optimalement les concepts de pollution et d'impact du réchauffement climatique dans les choix des usagers et des consommateurs. Il faudrait une concertation mondiale sur une taxation et sur une imposition générale, qui est aujourd'hui pratiquement inaccessible. Les sociétés internationales, les entreprises essaient de se légitimer en s'appliquant des engagements et des politiques de responsabilité sociale. Mais tout ceci n'est que poudre aux yeux. Il faut une action internationale pour légiférer, pour imposer et taxer les activités émettrices de gaz à effet de serre. La collapsologie peut être un moyen pour permettre une prise de conscience et imposer la nécessité d'une action étatique collective. Sauf que la collapsologie vise au delà d'une action collective mondiale. Elle veut aussi régir nos comportements individuels, criminaliser nos actions individuelles, et en ce sens-là, je m'oppose au fait qu'elle veuille régenter nos vies, nos comportements, ce que nous aurons le droit de faire ou de ne pas faire !

 

 

Saucratès

 

 

Post scriptum : Je pars toujours du principe que la finitude du Monde et l'épuisement des ressources peuvent être traités par l'économie et ne nécessitent pas forcément une privation volontaire par les individus, une privation imposée ex-nihilo par les tenants de la collapsologie. Je sais qu'il s'agit de la critique primordiale de mes principaux contradicteurs de ZINFOS, à savoir B. Bourgeon et Mister À Mon Avis. Le fait que je ne prenne pas en compte cette finitude des ressources, de ce que l'on peut extraire de notre planète Terre.

 

Mais je pense que c'est l'absence de régulation internationale de l'économie qui peut tout à fait permettre le maintien de comportements de consommation, de production et d'usage contraires à un mode de développement économe en ressources. Chaque pays est en effet incité à proposer les conditions fiscales et sociales les plus attractives pour attirer les grandes entreprises, engranger quelques recettes fiscales supplémentaires et accroître l'emploi.

 

L'imposition de normes mondiales et de taxation mondiale permettrait selon moi de réguler le modèle et le fonctionnement de l'économie capitaliste. Evidemment, ces normes et ces taxes auraient plusieurs effets : des renchérissements des prix forcement, puisque ces taxes auraient pour objectif de réguler les modes de consommation néfastes pour l'environnement ou trop consommateur de ressources épuisables. L'essence, le pétrole, la viande animale, les voyages en avion pourraient devenir hors de   prix et devenir réserver à une élite. Autre impact, les bénéfices des multinationales diminueraient forcément puisqu'elles ne pourraient plus jongler entre les pays les moins-disant en matière de taux d'imposition des bénéfices ou de l'activité, ou de normes sociales. Les mécanismes de taxations mondiaux pourraient aussi pour favoriser les échanges commerciaux courts, proches du consommateur, taxer l'activité polluante croissante des multinationales pour en contrebalancer les effets pervers des économies d'échelle.

 

Des réseaux de commercialisation plus courts, des prix plus élevés grâce à un système de taxation permettant la mise en œuvre de politiques et de services publics, tout ceci pourrait conduire à une moindre empreinte carbone de la consommation humaine, à une décroissance des quantités de ressources prélevées dans la biosphère terrestre, sans forcément s'accompagner d'une diminution de la production de richesse. On pourra consommer différemment, mieux, plus économement. L'un n'est pas incompatible avec l'autre !

 

Il y a évidemment un gouffre avec les positions des collapsologues et je le mesure bien. On le lit à travers les interventions de la jeune Greta Thurnberg, invectivant les puissants sur leurs hélicoptères et leurs jets privés. Jamais les callopsologues de cette sorte n'accepteront qu'une élite puisse continuer à utiliser et à consommer des biens potentiellement pollueurs, ou que certains puissent continuer à en profiter épisodiquement en se privant et en se serrant la ceinture. Ce n'est pas d'une régulation que les collapsologues à la Greta Thurnberg veulent, mais d'un régime fascisant réglant et réglementant la vie de tous, décidant pour les autres de ce qui est bon et de ce qui est mauvais. D'où l'opposition de principe entre économie et collapsologie.



02/11/2019
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