Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

La démocratie est-elle en danger en France et dans les États occidentaux ?

Saint-Denis de La Réunion, mercredi 6 février 2019

 

C'était plus ou moins le titre d'un article publié dans le média Le Monde citant le politologue et professeur d'Harvard Yascha Mounk. 

 

https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/01/30/le-systeme-de-gouvernement-des-democraties-est-aujourd-hui-menace_5416634_823448.html

 

Un certain nombre d'Etats précédemment considérés comme de grandes démocraties ont basculé ces dernières années dans des régimes populistes d'extrême droite. Il y a eu la Hongrie de Viktor Orbán, les États-Unis de Donald Trump, l'Italie de Giuseppe Conte, Luigi Di Maio et Matteo Salvini, le Brésil de Jair Bolsonaro ... Difficile de considérer par ailleurs que la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, le Vénézuela de Nicolás Maduro Moros ou la Russie de Vladimir Poutine puissent encore être considérées comme des démocraties, même si des élections supposément libres, ouvertes et démocratiques y ont régulièrement/parfois lieu. Certains de ces régimes, de ces gouvernements sont appelés régimes illiberaux par certains politologues, c'est à dire qu'ils considérés comme étant opposés au libéralisme en politique. 

 

Cette situation rappelle-t-elle la situation des années 1920-1930 et la montée des fascismes en Europe, qui a conduit à l'arrivée au pouvoir des Adolf Hitler, des Benito Mussolini, des Francisco Franco ou des Joseph Staline ? Un tel parallèle a-t-il un sens et doit-il nous faire peur ? Et dans ce sens, le mouvement des gilets jaunes, son populisme par essence, même en l'absence de leader, n'est-il qu'une autre forme du MAL qui gangrène lentement mais sûrement les démocraties occidentales ? 

 

C'est une thèse que certains défendent. C'est une thèse que l'on peut comprendre et craindre, dès lors que des régimes politiques populistes d'extrême droite prennent le pouvoir dans de plus en plus d'Etats, et qu'ils se font élire et défendent des formes de plus en plus assumées de nationalisme et de rejet des étrangers, des migrants et des musulmans (puisqu'il s'agit le plus souvent de pays occidentaux). Si la France ou l'Allemagne basculaient elles-aussi prochainement dans un régime d'extrême-droite, ce serait certainement un signal d'inquiétude, de retour des pires moments de l'histoire. Sauf que l'Europe n'est plus le centre du monde, qu'un risque de conflagration mondiale risque difficilement de sortir de la vieille Europe, et qu'elle naitra plus vraisemblablement des conflits existant entre les Etats-Unis, la Chine, l'Inde ou la Russie, les grands pays continents. 

 

Le mouvement des gilets jaunes valide, à tord ou à raison, cette impression d'un retour des grandes insurrections du passé, mai 1968, le Front populaire de 1936, les jacqueries, le boulangisme ou les épisodes de la commune de Paris. Mais le discours de Macron me semble complètement décrédibilisé parce qu'il veut jouer sur les peurs des gens, des francais, de la classe moyenne, parce qu'il veut nous faire croire que c'est lui ou le déluge, lui ou le retour de la barbarie, lui ou le retour de l'extrême droite. À défaut de pouvoir être aimé pour lui-même, pour sa politique, il veut jouer sur les peurs des français. Mais il n'a aucunement l'aura du Général de Gaulle. Parce qu'il n'est rien d'autre qu'un triste personnage issu de la caste des hauts fonctionnaires, des hauts managers de l'Etat ou des entreprises privées.

 

J'ai lu avec gourmandise l'analyse du Monde diplomatique (ou plutôt de Serge Halimi et de Pierre Rimbert) sur  la crise des gilets jaunes, notamment leur article de février 2019 sur la «Lutte des classes en France».

 

«D'ordinaire, le champ du pouvoir se déploie en composantes distinctes et parfois concurrentes : hauts fonctionnaires français ou européens, intellectuels, patrons, journalistes, droite conservatrice, gauche modérée. C'est dans ce cadre aimable que s'opère une alternance calibrée, avec ses rituels démocratiques (élections puis hibernation).»

 

Le Monde diplomatique cite également le dirigeant socialiste français Jules Guesde, qui indiquait en 1900, en parlant de longévité au pouvoir de la classe capitaliste :

 

«On s'est divisé en bourgeoisie progressiste et en bourgeoisie républicaine, en bourgeoisie cléricale et en bourgeoisie libre-penseuse, de façon à ce qu'une fraction vaincue pût toujours être remplacée au pouvoir par une autre fraction de la même classe également ennemie. C'est le navire a cloisons étanches qui peut faire eau d'un côté et qui n'en demeure pas moins insubmersible.»

 

Le Monde diplomatique (Serge Halimi et Pierre Rimbert) continue :

 

«Face aux gilets jaunes, la bourgeoisie à effectué un mouvement de ce type. Ses porte-paroles habituels, qui par temps calme, veillent à entretenir l'apparence d'un pluralisme d'opinions, ont associé d'une même voix les contestataires à une meute de possédés racistes, antisémites, homophobes, factieux, complotistes. Mais surtout ignares.»

 

Le pire, c'est que plus largement, au delà du complot d'une caste qui nous fait croire qu'ils constituent l'ensemble unique des choix possibles, j'ai participé à cette même interprétation du mouvement des gilets jaunes. Au delà du complot, cela doit être inhérent à l'appartenance à la classe bourgeoise, cette peur du pauvre, du peuple. 

 

«Tout un univers social ... (d'Europe Écologie Les Verts aux débris du Parti Socialiste, de la CFDT à deux animateurs de France Inter) ... s'est retrouvé pour pilonner les personnalités politiques bienveillantes envers le mouvement. Leur tord ? Attenter à la démocratie en ne se montrant pas solidaires de la minorité apeurée.»

 

Le Monde diplomatique de février 2019

 

Depuis maintenant plus d'un siècle, le champ politique est obstrué par une même haute classe sociale qui occupe pratiquement tout l'échiquier politique, de la droite à la gauche en passant par le centre et les verts, et qui a rendu possible cette impression que quelque soit les personnes portées au pouvoir, rien ne changeait jamais et que tous les partis appliquaient les mêmes politiques, les mêmes décisions, privant de la sorte de toute substance la politique et déclenchant une détestation légitime du politique par le peuple, dont le mouvement des gilets jaunes se nourrit, qu'il a parfaitement compris. Au fond, cette «meute de possédés racistes, antisémites, homophobes, factieux, complotistes et ignares» avait tout compris bien avant moi, bien avant eux, preuve que ces gilets jaunes sont bien loin d'être bêtes et ignares !

 

La plus violente démonstration de l'existence de cette caste fut cette alternance entre Sarkozy, Hollande puis Macron. Comment les mêmes remèdes ultrà libéraux purent être mis en place par la droite décomplexée, puis par la gauche anti-finance puis enfin par l'homme ni de droite ni de gauche ? Comment l'homme ni de droite ni de gauche a-t-il pu être rejoint à la fois par des politiques de droite et de gauche ?

 

Si j'en reviens à mon propos liminaire, si la démocratie est en danger en France, plus largement dans les pays occidentaux, la responsabilité n'en revient pas aux électeurs trop bêtes, trop racistes, trop haineux qui votent pour les extrêmes en politique. Ce n'est pas la faute aux électeurs américains de Trump, ni aux électeurs italiens de la Ligue ou du mouvement Cinq Étoiles, ni aux électeurs du Rassemblement National. La responsabilité écrasante en revient aux politiciens de la bourgeoisie ultralibérale qui se sont succédés en France depuis plus d'un siècle. Cette classe de riches et puissants bourgeois avait réussi à nous faire croire au concept TINA cher à Margareth Thatcher : «There is no alternative» ! Le mouvement des gilets jaunes les effraie-t-il ? En tout cas, ce gouvernement, l'ensemble des députés tout parti politique confondu qui tendent à criminaliser ce mouvement des gilets jaunes, qui cherchent à terroriser les francais pour les empêcher de venir manifester, qui criminalisent des individus avant même tout passage à l'acte, juste parce qu'ils sont porteurs de quelques outils dans leur véhicule ou d'un masque de chantier, semblent avoir tellement peur de ces vrais français qu'ils ne reculeront devant aucune loi scélérate,  aucune privation de droits constitutionnels ! Au mépris de cette habitude de nous faire croire qu'il y avait une pluralité d'opinions, de possibilités et de choix en politique ...

 

 

Saucratès



06/02/2019
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