Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Divorce entre les visions des élites et des classes populaires sur notre réalité sociale


Préambule et avertissement 

 

Je ne dis pas qu’il n’existe pas selon moi de régimes autoritaires ou de non-droit. Il existe des états où la liberté d’opinion est impossible et où l’arbitraire règne. Je souhaite cependant surtout souligner qu’il n’y a qu’une différence de degrés entre nombre de ces états que nos élites nous présentent comme foulant aux pieds les principes démocratiques et nos propres démocraties que ces derniers érigent en modèle. Si des peuples de tout horizon, de tout pays, de tout continent, se réjouissent de coups d’état renversant des gouvernements considérés par nos élites comme étant légitimes, il faut s’interroger sur ce que l’on entend par le terme de légitimité.
 
Nous entendons en Occident par légitimité l’onction du suffrage universel. Mais on peut aussi remarquer que les quelques pour-cent de la population française qui appartiennent à l’élite économico-politico-médiatique ne sont pas plus, voire probablement moins, légitimes à diriger nos états que les foules et les militaires qui soutiennent les hommes-forts issus des coups d’état en Afrique ou ailleurs. Cette idée de légitimité issue de l’onction du suffrage universel n’a peut-être pas la même valeur pour l’ensemble des peuples. Et il serait peut-être temps de cesser de vouloir exporter partout, sur tous les continents, les valeurs de la démocratie si celles-ci ne font qu’avantager une simple fraction de la population dont la legitimité à diriger des états n’est pas démontrer. Et il faut cesser de nommer dérive totalitaire toute organisation de l’état qui ne vénère pas les sacro-saintes valeurs démocratiques occidentales.

 

 
Y a-t-il un divorce entre la vision des journalistes et des hommes politiques occidentaux sur la démocratie et les réalités respectives des classes populaires en Occident, en Afrique ou ailleurs ? Se rendent-ils compte du fossé grandissant qui se creuse entre leur regard sur la démocratie et la réalité qu’ils donnent à voir.

 

Qu’est-ce qu’une démocratie pour ces gens-là ? Qu’est-ce qu’une dictature ? En matière de démocratie, on parle de pays où les organes de presse sont détenus par des puissants magnats de la presse ou par des milliardaires, et qui favorisent l’entre-soi et une prise de parole et une expression standardisée, aseptisée. Où les rares journaux ou milliardaires qui s’échappent hors des codes autorisés, hors des opinions aseptisées comme Twitter de Elon Musk ou les médias du groupe Bolloré, semblent faire l’objet d’une chasse à l’homme et d’un acharnement médiatique ou politique.

 

Voilà ce que l’on appelle une démocratie. Voilà la réalité des démocraties occidentales. Cela peut aussi être un régime où toute opinion divergente est judiciarisée, comme on le voit lors de mouvements de contestation comme les gilets jaunes ou les manifestations sociales en France. Une démocratie peut aussi être un état comme Israël qui mène une guerre de l’ombre permanente, de manière souterraine, masquée, contre la CPI et les instances internationales comme l’ONU, au mépris du droit international.

 

https://www.lemonde.fr/international/article/2024/05/29/la-guerre-de-l-ombre-d-israel-contre-la-cpi-entre-menaces-et-surveillance_6236173_3210.html

 

La réalité d’une démocratie, ce peut être une guerre menée contre sa propre jeunesse toujours comme en France. Par rapport à ceux que ces médias considèrent comme des dictatures ou des autocraties, les opinions qui seront interdites concerneront la critique du régime, la manifestation et la publicité donnée à des opinions contradictoires. Dans nos beaux pays occidentaux, les opinions judiciarisées ne toucheront pas le plus souvent au politique (ils s’en foutent le plus souvent) mais au domaine de l’intime. Les gens seront poursuivis pour des faits de simple police, des faits d’outrage à une personne dépositaire d’une autorité publique. En fonction de dossiers secrets amassés patiemment par des concurrents politiques, par des médias comme Médiapart, par des services de renseignement. De cette façon, impossible d’appeler ces condamnations des condamnations politiques ; en régime démocratique, les condamnés sont toujours des condamnés de droit commun. Mais des condamnés éliminés pour leurs opinions politiques ou parce qu’ils ont dérangé le puissant qu’il ne fallait pas se mettre à dos.

 

Et l’argument le plus parfait utilisé par les journalistes, les hommes politiques et les gens bien-pensants, de nos pays occidentaux, à l’encontre de leurs critiques et opposants, c’est : «je voudrais vous voir vivre dans une vraie dictature. Vous découvririez ce qu’est une véritable dictature». Et Le Monde n’y fait pas exception. Comme l’écrit Le Monde, les jeunes ne savent ainsi pas ce que c’est de vivre dans un Etat totalitaire. Ou peut-être que si. Peut-être vit-on dans un état totalitaire ayant l’apparence et les formes d’une démocratie ?

 

https://www.lemonde.fr/campus/article/2024/05/29/en-europe-les-18-34-ans-ne-savent-pas-ce-que-c-est-que-de-vivre-dans-un-etat-totalitaire_6236111_4401467.html

 

Aujourd’hui, nos élites ont idéalisé ce qu’ils appellent ‘démocratie’ mais également ce qu’ils appellent ‘état totalitaire’. Peu importe le ressenti des gens qui vivent réellement dans leur démocratie ou bien dans les états totalitaires. Eux appartiennent à une élite culturelle ou financière qui ne bénéficierait pas des mêmes droits que les leurs dans un autre régime que l’on peut dire ‘totalitaire’. Et cette différence constitue pour eux la frontière entre démocraties et régimes totalitaires.
 
Mais dans ces régimes qu’ils appellent totalitaires, qui ne reconnaissent pas la liberté de changement de sexe, l’absence de discrimination entre les diverses formes de sexualité, la protection des élites en leur propre sein, il y a aussi des gens qui adhèrent aux croyances de ces supposés régimes totalitaires, qui y sont choyés, qui y bénéficient d’avantages et de passe-droits, ou qui simplement s’y reconnaissent et qui ne voudraient probablement pas changer de régime.

 

Ainsi, en Afrique francophone, le peuple et la rue s’opposent violemment à leur ancienne puissance coloniale, qu’ils rendent responsable de leur non-développement, à tord ou à raison, et de leurs déboires économiques ou financiers. Nos élites, nos dirigeants, nos diplomates semblent paralyser devant ce non-sens. Comment des peuples peuvent-ils préférer des dictatures militaires à la démocratie ?

 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/05/28/en-afrique-francophone-le-tournant-antidemocratique_6235923_3232.html

 
Mais ne peut-on pas dire également que ce virage anti-démocratique a aussi été pris en France et en Occident ? Que les réformes ultra-libérales assénées depuis des années s’étaient aussi accompagnées d’un recul des droits et de la démocratie. Même si nos dirigeants, les élites, sont eux sincèrement persuadés de vivre dans une démocratie, de permettre un fonctionnement démocratique de la société ?


Mais si tout ceci n’était qu’une divergence d’opinions ? Quelle différence y a-t-il au fond entre un militaire qui prend le pouvoir par les armes dans un état d’Afrique, et de l’autre, un président Macron qui prend le pouvoir grâce à un battage médiatique, l’élimination médiatique et judiciaire d’un de ses concurrents, une manipulation des masses, via un réseau de journaux et de médias inféodés aux intérêts d’une groupe de milliardaires ? L’un est un coup d’Etat, l’autre une élection démocratique ? D’autres ne semblent y voir, non pas une différence de régimes politiques, mais une simple différence d’armes et de moyens. 

 

Et se pose alors le problèmes de nos jeunes et des moins jeunes dans nos démocraties qui se rendent bien compte de l’inanité des règles et des dysfonctionnements de notre démocratie, et qui ne s’y retrouvent pas, mais qui ne peuvent ni s’y opposer, ni contester, ni combattre, ni se rabattre sur les votes contestataires sans être étiquetés comme racistes, xénophobes, antisémites ou terroristes islamistes ?

 
Lorsque les termes mêmes qu’utilisent les gens du peuple et les élites pour désigner régimes politiques ne correspondent plus, comment pourraient-ils encore se comprendre et communiquer ?

 
 
Saucratès



29/05/2024
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