Critiques de notre temps

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La société contre la violence

La société contre la violence

 

Par Saucratès 

 

Rome, samedi 8 octobre 2022


La lutte contre la violence est-elle un invariant culturel de l’organisation de toutes les sociétés humaines, depuis l’origine de l’humanité ? C’est en tout cas la thèse qui ressort de nombreux livres. Et notamment du livre de Jacqueline de Romilly, intitulé «La Grèce antique contre la violence», datant de septembre 2000, ou bien celui de Douglas C. Bortch, John Joseph Wallis et Barry R. Weingast, intitulé «Violence et ordres sociaux», datant de 2010 pour la version française. Et c’est également aussi la thèse d’un livre comme «La société contre l’Etat» de Pierre Clastres.

 
Ainsi je pourrais parfaitement écrire ce que Jacqueline de Romilly disait de la violence en 2000 :

 

«Vivons-nous donc à une époque particulièrement violente ? Le soutenir peut paraître surprenant, et peut-être contestable. Dans notre temps de droits de l’homme, d’Etats policés et organisés, comment serait-ce possible ? On peut en effet se demander si l’excès de l’information n’est pas seul en cause. Peut-être y a-t-il eu autant de violence, ou même plus, à d’autres époques. Simplement, on ignorait ce qui se passait ailleurs ; il n’y avait ni journaux, ni radio, ni télévision, pour porter à la connaissance de tous les actes de barbarie qui surgissaient à travers le monde, à plus forte raison pour les faire voir, dans toute leur horreur, jour après jour. Peut-être, par conséquent, ne vivons-nous pas des temps pires que d’autres. Et lorsque l’on pense aux grandes invasions, aux guerres de religion, aux conflits interminables, aux brigandages célèbres, on se sent à cet égard plutôt rassuré.

 

Il reste cependant que notre époque semble avoir donné à cette violence, qui n’a cessé de hanter le monde, quelques raisons de s’amplifier.

 

Des guerres, il y en a toujours eu ; notre siècle en a connu plusieurs. On peut seulement remarquer qu’elles ont tendance à devenir mondiales, et que les progrès dans les armes employées les rendent plus meurtrières que jamais. Hiroshima en a donné le signal et la preuve. De plus, ces guerres se sont accompagnées de phénomènes jusqu’alors inconnus ou exceptionnels. Il y a eu les déportations massives ; il y a eu les camps de concentration, d’extermination. Et cela n’a pas été le seul fait d’Hitler : le goulag en Russie a présenté les mêmes caractères d’horreur, et, actuellement encore, pendant que j’écris ces lignes, les déportations dans la région du Kosovo rappellent fâcheusement les pires exemples que nous ayons connus. Il faut ajouter que dans le cas de la Deuxième Guerre mondiale, et encore dans le dernier exemple cité, ces déportations ont été liées à un désir d’épuration raciale inconnu jusqu’alors. Le fait est que l’on trouve, ou retrouve à une plus grande échelle, dans notre monde actuel, les graves oppositions de race ou de religion qui déchaînent la violence un peu partout. On voit renaître le temps des guerres de religion avec des heurts comme ceux de l’Irlande ou bien de l’Inde et de plusieurs pays du Sud-est asiatique. On voit se manifester, année après année, des destructions et des luttes sans merci entre une race et une autre habitant pourtant le même sol : le massacre des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale est reste l’exemple inoubliable. Il faut ajouter qu’aujourd’hui on voit aussi les peuples de l’Afrique noire s’entre-déchirer au nom des mêmes oppositions raciales et recourir à une violence dont les informations nous offrent jour après jour la preuve monstrueuse et sans cesse renouvelée. »

 
Douglas C. Bortch, John Joseph Wallis et Barry R. Weingast disaient aussi des choses similaires sur notre société : 

 

Ainsi en pages 13-14

 

«Le présent ouvrage propose un appareil conceptuel montant comment, au cours des dix derniers millénaires, les sociétés ont exercé leur contrôle sur les activités politiques, économiques, religieuses et éducatives en vue d’endiguer la violence. Dans la plupart des societes, le pouvoir, qu’il soit politique, économique, religieux ou militaire, est fondé sur des institutions qui structurent les organisations et les relations humaines. Ces institutions confèrent à quelques individus le monopole des ressources et des fonctions sociales et limitent ainsi le recours à la violence en canalisant les perspectives de gain des individus et des groupes potentiellement violents. Ces schémas d’organisation sociale, nous les appelons ordres sociaux.»

 

En page 18

 

(…) «Les ordres sociaux se définissent par la manière dont les sociétés façonnent des institutions favorisant telle ou telle forme d’organisation humaine, par la façon dont elles restreignent ou ouvrent l’accès à ces organisations et par les incitations qu’induit le modele organisationnel. Ces caractéristiques des ordres sociaux dépendent des moyens mis en œuvre par les sociétés pour limiter et contrôler la violence. Du fait que les ordres sociaux induisent différents types de comportement, les membres des différents ordres sociaux n’élaborent pas les mêmes croyances quant au comportement de leur entourage. Violence, organisations, institutions et croyances seront les principaux éléments de notre cadre conceptuel.»

 

La société humaine a-t-elle donc été créée pour faire refluer la violence à l’intérieur des groupes ou bien pour les protéger de la violence des groupes étrangers ou des membres extérieurs ? Ce serait donc pour l’une et l’autre raison si on suit le raisonnement de ces deux livres, même si, selon Mme Romilly, la culture grecque et la période antique étaient des époques extrêmement guerrières et violentes et la culture grecque a trouvé dans l’art de la tragédie une façon de condamner cette violence, et plus largement de la faire reculer pour la première fois dans l’histoire de l’humanité.

 

Mais en lisant cela, je m’interroge. Comment peut-on dire une chose pareille pour les temps actuels ? Croit-on vraiment que la violence reflue dans nos sociétés organisées modernes ? Il suffit de regarder les flux de messages et de commentaires qui se déchaînent sur les réseaux sociaux, sur FaceBook, sur les médias en ligne qui proposent des courriers des lecteurs, pour découvrir que des flots de haine s’y déchaînent sans arrêt. Violence qui n’est pas que virtuelle lorsqu’elle vise des personnes nommément, comme la jeune lycéenne Lila.

 

Comment peut-on dire cela lorsque l’on voit les phénomènes de bandes de jeunes dans nos cités, dans nos villes, dans nos campagnes, où ils s’entretuent pour quelques notions de haine. Notre société occidentale a failli. Certains veulent nous faire croire que l’objet de la société est de faire reculer les violences, mais l’humain, l’homme est un animal territorial qui défend son territoire. D’où les phénomènes de bandes de jeunes, que ce soit en interne où l’un de ces jeunes va chercher à imposer sa domination au reste du groupe, à écraser le précédent leader, le précédent chef, comme dans une harde de cerfs ou dans une meute de loups ou de macaques. Sauf que chez nous, il n’existe pas de mécanismes d’intimidation ataviques. Pas de soumission possible à un nouveau mâle alpha. Ces affaires de bandes de jeunes sont aussi vieilles que le monde. Je les ai connu de mon temps entre membres de différents quartiers de Saint-Denis. Cité cow-boy contre jeunes du Moufia ou jeunes du Chaudron. Mais on le retrouve aussi dans la littérature avec la Guerre des boutons. Ce n’était rien d’autres que cette même histoire de territoires et de bandes de jeunes, cherchant à défier et à affronter la bande du village d’à côté. 

Le monde actuel, c’est aussi celui de la violence islamique. Des tueurs fous qui tuent sans distinction au nom d’Allah, qui égorgent, qui assassinent (Bataclan, Charlie Hebdo …), qui posent des bombes.  Mais tout cela n’est rien. Le monde d’aujourd’hui, c’est une violence islamique qui ne se cache plus en Afrique, entre AQMI et l’Etat Islamique. Comment croire que notre époque soit basée autour de la lutte contre la violence alors que la violence se déchaîne sans entrave sur la majeure partie de la planète, dans notre société française et qu’elle soit instrumentalisée par un gouvernement Macron qui répond à la contestation populaire par une violence policière toujours plus grande, comme s’il mourrait de peur d‘être renversé par la rue, comme un simple dictateur régnant par la peur. 

En clair, si l’organisation sociale a bien aidé à la pacification des sociétés humaines par le passé et jusqu’à une époque récente, ne peut-on pas aujourd’hui penser que la violence du monde actuel déchire la trame de nos organisations sociales modernes et les déborde. Cette violence moderne que l’on voit se déchaîner en Afrique noire ou subsaharienne, en Asie, dans nos banlieues, dans les banlieues américaines ou en Amérique centrale n’est-elle pas en train de détruire tous les cadres des sociétés modernes ou archaïques humaines d’aujourd’hui.

 

Mon sentiment ? Le monde actuel se déchire. Nous sommes devenus trop nombreux sur Terre. Nous ne sommes plus capables de vivre en paix et la médiatisation à outrance de notre époque fait que toutes ses violences sont désormais connues. L’ordre né de 1945 a réussi à figer toutes les frontières. Mais le temps des grandes invasions est revenu, il s’approche à nouveau. Nous revivrons bientôt les invasions des Almoravides et des conquérants islamiques. Les barbares sont à nos portes. L’islam se répandra sur Terre comme le catholicisme s’est autrefois répandu comme la peste sur tous les continents, imposant à tous les indigènes la conversion ou la mort. Et même avant cela, nos sociétés risqueront d’avoir implosé sous leur propre violence, sous nos propres contradictions. 

 

Saucratès

 

 

Sources :

 

«La Grèce antique contre la violence», Jacqueline de Romilly,  septembre 2000

 

«Violence et ordres sociaux», Douglas C. Bortch, John Joseph Wallis et Barry R. Weingast, 2010



08/10/2022
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