Critiques de notre temps

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France-Allemagne - L’euro est-il la raison de l’échec français ou bien est-ce dû à la cupidité de ses élites ?

France-Allemagne - L’euro est-il la raison de l’échec français ou bien est-ce dû à la cupidité de ses élites ?

 

Par Saucratès

 

Saint-Denis de la Reunion, vendredi 7 janvier 2022

 

Je vais revenir à un sujet plus économique et monétaire, traitant des perdants et des gagnants de la mise en place de l’€uro. Il se trouve néanmoins que je serais particulièrement gêné pour apporter des preuves ou démontrer une éventuelle théorie sur ce sujet. Mais d’une certaine manière, c’est aussi le cas de ce journaliste du Monde.

 

On entend ainsi souvent pérorer que la France fait partie des perdants de la mise en place de l’€uro, tandis que l’Allemagne ferait inversement partie des grands gagnants de sa mise en place. C’est cette thèse qui est développée dans cet article récent du Monde.

  

https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/02/l-allemagne-grande-gagnante-de-l-euro-a-pris-conscience-de-ses-responsabilites_6107921_3234.html

 

Selon Le Monde comme selon les tenants de cette thèse, la politique de l’€uro fort voulu par les allemands auraient été bénéfique pour l’industrie allemande et désastreuse pour l’industrie française qui aurait eu besoin inversement d’une dégradation de la valeur externe de sa monnaie pour conserver sa compétitivité. C’est une théorie séduisante, mais celle-ci ne permet pas d’expliquer pourquoi une même situation monétaire a été bénéfique pour l’industrie d’un pays mais nocive pour celle de son voisin géographique !

 

Pour les non-économistes de formation, le concept de dévaluation compétitive d’une monnaie doit vraisemblablement paraître un peu compliqué. C’est un concept lié à une époque où les banques centrales maintenaient des valeurs fixes de leur monnaie vis-à-vis des principales devises. Les dernières dévaluations que la France a connu remonte ainsi à 1969, face au dollar, mais plusieurs dévaluations ont aussi eu lieu entre 1981 et 1986 vis-à-vis du Deutschmark dans le cadre du Système monétaire européen.

 

Aujourd’hui, plus de cinquante après la dévaluation de 1969, et près de 35 ans après celles du premier septennat de François Mitterrand, peu d’entre nous comprennent encore ce que ce terme signifie. Aujourd’hui, nous sommes habitués à des marchés des changes qui fluctuent inexorablement, même si cela ne nous impacte pas fortement autrement que sur le prix des produits pétroliers, toujours exprimés en dollars. 
 

La dévaluation était une arme permettant à un État d’abaisser la valeur de sa monnaie afin de rendre ses exportations (et donc son industrie) plus compétitives ou moins chères à la vente. Inversement, au plan interne, les produits de l’étranger devenaient plus chers, ce qui devait permettre d’avantager la consommation des produits fabriqués localement. Évidemment, une dévaluation présentait des inconvénients, à travers le renchérissement des matières premières importées. On parlait ainsi de courbe en J ou en U pour décrire les effets d’une dévaluation compétitive, et ses impacts à court et moyen terme.

 
Néanmoins, il était économiquement convenu que les dévaluations étaient un remède sans espoir, si ce n’est d’enchaîner des dévaluations les unes après les autres. 
 

Dans le débat qui nous intéresse autour des gagnants et des perdants de l’€uro, la comparaison entre la France et l’Allemagne, et la responsabilité attribuée à l’€uro, servent surtout à exonérer les politiques publiques, et les actions de nos hommes politiques, de toute responsabilités dans cette dégradation. Et pourtant, il y a bien une raison pour que l’€uro ait profité à l’Allemagne, et pas à la France !

 

Trente-cinq années de politique libérale toujours plus exacerbée, de libéralisation à tout crin, n’y ont rien changé. Et aujourd’hui, on nous propose toujours les mêmes remèdes, on nous sert les mêmes explications : il faut plus de libéralisation, il faut plus de libéralisme, il faut moins de protectionnisme et de sécurité pour les travailleurs. 
 

L’explication tient en un mot : désindustrialisation. Alors oui effectivement, des hommes politiques comme Arnaud Montebourg ont tenté de s’emparer de ce sujet. Oui, un président Macron a pu déclamer quelques discours dans le cadre de la pandémie de Covid 19, mais on parle de 5 à 7 ans pour rapatrier simplement la production d’Efferalgan en France ! Juste pour des flacons de cachets d’Efferalgan ! Combien faudra-t-il donc de siècles pour y rapatrier l’ensemble des productions que l’on a laissé fuir à l’étranger ces vingt ou trente dernières années ?

 

Comment expliquer donc la perte de compétitivité de la France depuis l’introduction de l’€uro et le départ de la majorité de ces activités productives et industrielles ? Alors que l’Allemagne ou l’Italie dans une moindre mesure ont su conserver une forte présence industrielle ? Simplement la combinaison entre des politiques publiques et réglementaires désastreuses, et un aveuglement et une cupidité sans borne des industriels et des grands patrons d’industrie français. La conjonction de ces deux plaies a conduit à la désindustrialisation presque complète de la France, même si celle-ci avait commencé bien avant cette introduction de l’€uro. Mais vingt années après l’€uro, on en mesure enfin l’impact. 
 

Facile de mettre en cause les politiques publiques et réglementaires. Ces politiques ont par exemple détruit l’industrie automobile française dès les années 1970 avec les réglementations sur la vignette et le développement de moteurs de petite cylindrée, enfermant la production automobile française sur son marché domestique, à la différence de nos voisins allemand, italien ou anglais. La politique du malus rédhibitoire (désormais 30.000 euros pour les moteurs légèrement polluants) plus actuelle aura vraisemblablement un même impact en dehors du marché domestique français. Il faut aussi et surtout parler du prisme des politiques français pour la sacro-sainte concurrence et le sacro-saint libéralisme, qui leur a interdit de sauvegarder des champions français et les a laissé se faire racheter ou disparaître sans se soucier des conséquences en terme d’emplois et de souveraineté industrielle. La prise de contrôle tolérée de Arcelor par le sidérurgiste indien Mittal n’est qu’un de très nombreux exemples de compromission, de sabordage des politiques et des gouvernements français.

 

En lien avec cet aveuglement politique et gouvernementale, en lien avec ces règlementations absconses et stupides, cherchant juste à remplir les caisses de l’Etat, il faut aussi parler de la cupidité sans borne des patrons et des industriels. Loin de réfléchir aux conséquences à long terme de leur recherche effrénée du profit, les patrons et les industriels français ont délocalisé, vendu et transféré à l’étranger des pans entiers de notre industrie, juste pour s’enrichir un tout petit plus. C’est manifestement un autre choix que les patrons allemands ou italiens ont effectué aux mêmes moments, dans les mêmes conditions. Évidemment, la perméabilité entre ce grand patronat et les élites gouvernementales ou technocratiques explique une bonne partie de cette faute, de cette responsabilité. Lorsque les ministres deviennent les patrons de grandes entreprises ou inversement, ou sont choisis pour diriger la Banque de France ou d’autres grandes institutions, comment s’étonner de cette absence de recherche de responsabilité. Un ouvrier aurait fait de telles erreurs dans son entreprise qu’il aurait déjà été licencié. Mais on parle là d’une élite formée à l’Ena ou aux Mines qui se protègent et s’appuient les uns les autres, administrant de manière croisée l’ensemble des grandes entreprises du CAC 40.

 

La gestion des entreprises et des industries en Allemagne repose par contre sur ce que l’on appelle la co-gestion à l’allemande, obligeant les industriels et les patrons allemands à prendre en compte età obtenir l’accord des syndicats et des salariés. Impossible à mettre en œuvre en France ? Surtout, l’ensemble de nos dirigeants, en politique, dans les ministères ou dans les entreprises, sont évidemment totalement opposés à une telle évolution qui les priverait de leur pouvoir, qui les obligerait à rendre compte réellement de leurs décisions, à laisser les salariés et leurs représentants décider également des choix des entreprises. Même à la tête de certains syndicats, on retrouve ces mêmes personnes appartenant à ce même réseau.

 

Appliquer la co-gestion en France, imposer une parité dans les conseils d’administration entre représentants du patronat et salariés, et non pas les limiter à 1, 2 ou 3 administrateurs salariés auxquels on demande de quitter la séance lorsqu‘on aborde des sujets financiers ou stratégiques, que l’on essaie au mieux d’acheter ou au pire que l’on ignore ou qui amuse ? Médias, gouvernement, politiques élus, chefs d’entreprise, syndicalistes vendus au patronat, dénonceront sans vergogne l’utopie d’une telle absurdité si le sujet venait à émerger. Et comment pourrait-il même émerger ? 

 

Mais le résultat industriel et économique est là. Du côté de la France, la prise en compte uniquement des profits à très court terme au bénéfice des seuls possédants, des seuls patrons, a conduit à une désindustrialisation presque totale de notre pays, et un développement massif des services, que l’on peut désormais aussi massivement externaliser, délocaliser, pour gagner encore quelques millions ou milliards d’euros à très court terme, toujours dans le seul intérêt des patrons et parfois pour préserver l’emploi de quelques poignées d’ouvriers que l’on prend en otages, que l’on manipule …

 

Et de l’autre, du côté de l’Allemagne, on trouve un tissu industriel très fourni qui permet à l’Allemagne d’être l’usine de l’Europe, un champion de l’exportation, la grande gagnante de la mise en place de l’€uro. Mais cela n’a rien à voir avec l’€uro ; juste à voir avec une vision industrielle des politiques, des patrons d’entreprise et des syndicats et des salariés qui sont associés à toutes les décisions dans les entreprises.

 

Evidemment, Macron voudra aussi nous faire croire que sa réforme du dialogue social dans les entreprises (les ordonnances Macron) ont apporté une réponse à ce débat. C’est évidemment faux, cette réforme n’ayant visé qu’à détruire la représentation du personnel, à la priver des maigres droits acquis entre 1981 et 1995, au cours des années Mitterand, voire jusqu’aux années 2002. C’est une réforme ultra-libérale du dialogue social, et le fait que la CFDT ait pu être prête à signer le projet d’ANI à l’origine des ordonnances Macron n’est qu’un signe de la compromission de la CFDT avec les élites qui nous gouvernent.

 

Il est évidemment tellement plus simple de mettre la faute sur l’€uro, sur une sorte de fatalité qui veut que les termes de l’échange aient été désavantageux pour la France, sans mettre en cause la responsabilité de ceux qui nous dirigent, qui dirigent la France, qui contrôlent tout.

 

Oui, ceci est un plaidoyer pour la co-gestion à l’allemande, pour ce système qui pourrait être appliqué en France très facilement, même si les salariés et les syndicats mettraient du temps à en prendre la juste mesure, à se voir reconnaitre par les patrons le droit de participer aux décisions, ou justement de ne pas y participer et d’y mettre leur véto, tant que les intérêts légitimes des salariés et de leurs emplois ne seraient pas pris en compte.  

 

 

Saucratès 



06/01/2022
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