Critiques de notre temps

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Du syndicalisme

Collection Notions - Dans une série de petits articles, j’essaierai de revenir régulièrement sur quelques notions, pour faire un point de manière régulière, une fois par an, sur certains sujets que je juge importants.

 
 

Du syndicalisme

Ou des différences entre les mouvements syndicaux et le droit syndical en Europe

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, dimanche 6 novembre 2022

 
Le droit syndical, l’organisation du mouvement syndical, diffèrent largement d’un État européen à un autre, même pour ceux qui sont normalement très proche en terme d’institutions juridiques. Pour une grande partie des français, même l’organisation des organisations syndicales françaises doit être une parfaite inconnue, de même que le droit syndical voire même simplement le droit du travail. Dans ce cas, ceux qui savent comme fonctionnent ces institutions, à quoi correspond ce droit syndical ou le droit du travail en Angleterre, en Allemagne, en Italie ou en Belgique sont forcément encore plus rares. 

 

Pour l’immense majorité des citoyens de tout pays, les syndicats et les syndicalistes sont des empêcheurs de tourner en rond, des bloqueurs d’entreprises ou de route, voire de stations service. Ceci de manière très synthétique. Et pourtant, chaque pays européen applique des règles très différentes les concernant. L’article suivant du Monde Diplomatique de novembre 2022 offrait ainsi une analyse succincte et intéressante du droit syndical britannique. 

 

https://www.monde-diplomatique.fr/2022/11/LENORMAND/65271

 

On y apprend ainsi qu’une législation antisyndicale y a été «mise en place sous Margaret Thatcher et John Major, maintenue par les travaillistes puis encore renforcée par les conservateurs à partir de 2010». «Elle exclut le blocage des lieux de travail, les grèves de solidarité ou les revendications de portée générale comme la défense des acquis en matière de retraite. Y contrevenir expose les salariés à des licenciements et les syndicats à des poursuites».


«La cessation de l’activité devient une action qu’il incombe aux organisations de travailleurs d’organiser et d’encadrer. S’imposent notamment la consultation des adhérents, le vote de plus de la moitié des inscrits, l’obtention de 50% des voix en faveur de la cessation du travail.»

 

«Le taux de syndicalisation de la population active britannique, qui s’élevait à 23,1% en 2021, masque une différence majeure : si un peu plus de la moitié des travailleurs des services publics sont syndiqués, moins de 13% de ceux du privé le sont.»

 

Cela m’a ainsi rappelé les différences fondamentales avec ce que l’on observe en France. En France aussi, le blocage des lieux de travail est interdit de même que les grèves de solidarité. Par exemple, les salariés français et les syndicats français ne peuvent pas lancer de mouvements de grève pour contester le licenciement de membres du personnel ou de collègues. Quant au taux de syndicalisation en France, il est bien plus bas qu’en Angleterre, puisqu’on estime qu’il s’élève aux alentours de 7% de la population active. Et comme en Angleterre, ce sont les administrations et les grandes entreprises publiques qui en représente l’essentiel. Les deux tiers des syndiqués appartiennent ainsi à la population des fonctionnaires et salariés des grandes entreprises publiques ou nationales (Éducation nationale, des Finances, de l’Équipement, hôpitaux publics, organismes de sécurité sociale, fonction publique territoriale, SNCF, EDF, GDF, RATP, Aéroports de Paris, Arsenaux, La Poste, France Télécom).

 

Les deux tiers du tiers restant des salariés du secteur privé appartiennent essentiellement aux secteurs des grandes banques et des assurances, des entreprises de l’aéronautique, du pétrole, de la chimie, du Livre et de la communication, les services aux collectivités. Les autres secteurs d’activité représentant plus de 15,5 millions de salariés, soit la moitié de la population active totale, ne représenterait qu’un neuvième (1/9) des syndiqués. Ainsi, le taux de syndicalisation sur le secteur public et les grandes entreprises nationales serait plutôt proche de 17%, tandis qu’il ne s’élèverait qu’à 3,2% des salariés syndiqués pour l’ensemble du secteur privé, et à peine 1,3% des salariés pour l’immense majorité des entreprises françaises hors banques, assurances, aéronautique, pétrole, chimie, etc.

 

https://www.istravail.com/11258-en-france,-combien-de-salariés-sont-ils-syndiqués.html

 

Le système juridique et syndical anglais, qui affiche ainsi un taux de syndicalisation très supérieur à celui de la France, présente aussi une autre grosse différence avec notre système. L’obligation dans certaines entreprises ou secteurs d’activité de n’embaucher que des salariés syndiqués auprès d’un syndicat, sans possibilité d’embaucher des salariés non syndiqués. Inversement, en France, une telle obligation serait impossible et illégale ; l’absence de toute forme de discrimination à l’embauche étant la norme légale. Mais on comprend facilement qu’en Angleterre, de telles dispositions favorisent fortement l’implantation syndicale et le nombre d’adhérents des organisations syndicales. En Angleterre tout comme aux Etats-Unis, il existe une autre disposition qui limite la possibilité de bénéficier des accords signés par une organisation syndicale aux seuls adhérents de ce syndicat.

 

En France inversement, la non-discrimination implique deux conséquences :

 

—> un fonctionnement des salariés dans les entreprises basé sur le système du passager clandestin. Pourquoi se syndiquer et se battre syndicalement et faire grève puisqu’au final, tout le monde, grévistes ou non-grévistes, syndiqués ou non-syndiqués, profitent des retombées et des avantages des accords syndicaux. Ils ont tous les avantages de la grève, mais également des avantages de ceux qui ne font pas grève et qui ne sont pas syndiqués (avancements plus rapides que les grévistes)


—> des syndicats encouragés à faire de la surenchère syndicale. Si leurs syndiqués ne disposaient d’aucune avancée financière tant que des syndicats comme la CGT ne signaient pas d’accords, ces syndiqués feraient pression sur leurs représentants pour arriver à des avancées et pour les signer. Mais en France, un syndicat comme la CGT peut sans problème aucun tenir un rôle extrémiste, refusant toute signature d’accord, sans que cela ne pose problème à leurs adhérents qui bénéficient malgré tout des avancées négociées par les autres syndicats. 

Comment définir le système syndical français ?

La France dispose ainsi d’un certain nombre de grandes centrales syndicales, pour lesquelles il existait un désaccord en terme de calcul et de reconnaissance de la légitimité. 5 grandes organisations syndicales bénéficiaient par le passé d’une présomption irréfragable de représentativité du fait de leur comportement exemplaire au cours de la seconde guerre mondiale.

 

Mais les organisations syndicales fondées après les années 1970 n’en bénéficiaient pas et il n’existait aucune possibilité pour ces organisations d’être reconnues au niveau national, et de grandes difficultés pour être reconnues dans les entreprises. Les cinq premières organisations syndicales qui bénéficiaient d’une représentativité irréfragable était la CGT, la CFDT, la CFTC, CGT-FO et la CGC. Les autres organisations dont la représentativité était plus difficile à prouver étaient notamment les SUD et les UNSA.

 

Mais on est passé en 2017 à un régime où la présomption irréfragable de représentativité a été abolie, grâce a un accord entre la CFDT et la CGT, et où chaque organisation syndicale est désormais obligée de prouver sa représentativité, dans les élections des entreprises, de la fonction publique, dans les PME ou au niveau prudhommal. Grande avancée ? Pour les SUD et les UNSA peut-être. Sauf que la CFDT et la CGT ne l’ont fait que dans le but que des petites organisations syndicales comme FO ou la CFTC soient rayées de la carte, et leurs adhérents obligés de rejoindre leurs deux grandes confédérations syndicales. Mais il n’en a rien été. 

 

Je garde une préférence marquée pour la présomption irréfragable de représentativité qui existait jusqu’à dans les années 2010, même si la référence, l’explication, la raison étaient anciennes et peut-être obscures (un comportement exemplaire pendant la période de l’occupation nazie de la France !). Évidemment, je ne vois pas comment le président Macron aurait pu tolérer une telle survivance anachronique, lui qui a annihilé les formes historiques de la représentativité collective du personnel dans les entreprises, qui remontaient aussi à ces mêmes années d’après-guerre !

 
Les différences entre pays européens en matière de taux de syndicalisation s’expliquent essentiellement par une législation privant les syndicats français de toute prérogative sociale 

Alors que certains pays européens comme l’Islande affichent des taux de syndicalisation de près de 80%, que dans les pays nordiques comme la Suède, la Finlande ou la Belgique, 
les allocations de chômage et d’autres prestations sociales sont versées par le syndicat et affichent du coup des taux de syndicalisation compris entre 50 et 70%, que l’Allemagne repose sur un système de co-gestion offrant un partage égale des postes d’administration dans les entreprises entre syndicats et patronat, offrant une puissance importante aux grands syndicats, comme IG Metal par exemple, et explique l’existence d’un taux de syndicalisation relativement élevé, proche de 30%.

 

https://www.clesdusocial.com/les-taux-de-syndicalisation-en-europe

 
Le libéralisme de nos élites technocratiques explique-t-il la faiblesse des syndicats français ?

On ne peut pas déconnecter les discours tenus sur les syndicats et les taux de syndicalisation et le droit du travail et le droit syndical, sur les pouvoirs et les responsabilités des organisations syndicales, et sur toute l’organisation de la société. On ne peut pas, du côté du gouvernement, du côté de la présidence de la République, du côté du patronat, critiquer la faiblesse de la syndicalisation à la française, et vouloir maintenir le plus grand libéralisme possible, consistant à priver les syndicats de tout pouvoir et de toute influence dans les entreprises et dans la société française. L’importance de la syndicalisation dans les autres pays européens s’explique avant tout par leur influence dans la société, que ce soit par leur capacité à gérer les entreprises, à permettre l’embauche dans certains secteurs clés ou certaines entreprises ou administrations, à permettre le versement du chômage ou d’avantages sociaux, ou à bénéficier des dispositions des accords signés. 
 
La France se signale semblerait-il par une protection exorbitante du droit commun de ses représentants syndicaux ou des élus du personnel, dont le licenciement est pratiquement impossible, totalement entre les mains de l’administration et de la justice. La France se signale également par la difficulté de licencier les salariés des entreprises ou les fonctionnaires.

 

Pour quelles raisons la France a-t-elle choisi de priver les syndicats de toute influence sociétale, les maintenant dans un rôle contestataire qui leur est même désormais refusé, sauf pour contrebalancer l’influence des mouvements sociaux extrémistes comme les gilets jaunes. C’est l’ensemble de la représentation sociale de notre société qu’il faut réformer, pour mettre fin à la libéralisation croissante de nos institutions que nos élites poursuivent, et la technocratophilie de nos institutions. C’est à une révolution que notre société française doit se préparer.

 
Ne nous trompons pas, le libéralisme pousse nos gouvernements à vouloir assouplir les règles de licenciement, à sécuriser (comme Macron l’a indiqué) les licenciements en plafonnant les indemnités dues en cas de licenciement, en restreindre les nombres d’élus protégés, avant de chercher à fragiliser cette protection exorbitante du droit commun, bien plus qu’à étendre le principe même de co-gestion a l’Allemande, qui impliquerait que la moitié des postes d’administrateurs dans les entreprises soient occupés par des syndicalistes ou des salariés. En France, on fait encore sortir le ou les deux administrateurs salariés des réunions de CA lorsqu’on doit aborder les sujets de rémunération des dirigeants, comme s’ils étaient des sous-administrateurs.

 

 

Saucratès 



06/11/2022
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