Critiques de notre temps

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De la nouvelle reine des Maoris et de la Nouvelle-Calédonie

S’il existe une géographie sur laquelle je ne connais rien, c’est bien de celle de la Nouvelle-Calédonie, pas plus que sur les multiples heurts, problèmes et mouvements qui y surviennent actuellement ainsi que par le passé. Ces heurts et incompréhensions proviennent-ils, s’expliquent-ils, par une idéologie colonialiste, centralisatrice de la France, incapable de reconnaître une quelconque légitimité à toute personne ou à toute institution qui ne dépend pas d’elle, qui ne relève pas d’elle ? La question polémique mérite selon moi d’être posée. Les gouverneurs, les préfets, les commissaires de la République disposent d’une autorité conférée par l’Etat, d’une légitimité reconnue par l’Etat, mais aucun autre organe n’en bénéficie aux yeux du gouvernement et de l’Etat. Les centrales syndicales sont à peine reconnues, et uniquement lorsqu’il faut désamorcer un conflit social. Mais quid des autorités coutumières ? Une reconnaissance de l’Etat réduite au néant. 
 
Les anglo-saxons ont une toute autre vision de cette question. Cette article sur la désignation de la nouvelle reine des Maoris de Nouvelle-Zélande me paraît ainsi extrêmement symptomatique du malaise colonial français.

 

https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/nouvelle-zelande-le-nouveau-souverain-maori-est-une-femme-de-27-ans-1519259.html

 

Cette souveraine se nomme Nga Wai hono i te po Paki, elle est âgée de 27 ans et elle succède à son père, le roi Tuheitia Pootatau Te Wherowhero VII, mort vendredi dernier à l'âge de 69 ans, quelques jours après le dix-huitième anniversaire de son couronnement. Elle est la deuxième reine des maoris, après sa grand-mère, la reine Te Arikinui Dame Te Atairangikaahu, qui avait précédemment occupé ce poste pendant quatre décennies, jusqu'en 2006. Le Kiingitanga, mouvement du roi maori, a été fondé en 1858 dans le but d'unir les indigènes maoris de Nouvelle-Zélande sous l'égide d'un seul souverain.

 
Il existe également des autorités coutumières pratiquement comparables en Nouvelle-Calédonie. Chaque zone coutumière, comme l’Ile aux pins, ou d’autres, disposent d’un conseil tribal et d’un grand chef, et la zone de Nouméa possède elle-aussi un conseil tribal avec à sa tête un grand chef tribal, sans que je sache si ce grand chef tribal a autorité sur l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie. 

C’est la lecture d’un article de FaceBook de Virginie Ruffenach qui m’a rappelé ce point de détail, et notamment l’une des réactions à ce message qui rappelait la nécessité de rendre préalablement visite à la grande chefferie de l’Ile aux pins avant de visiter l’île, ce que les élues molestées n’avaient pas respecté.

https://www.facebook.com/virginienouvellecaledonie/posts/966550805482566?ref=embed_post

 
La confrontation entre les valeurs et les principes de la République française et celles d’un peuple comme celui des kanaks de Nouvelle-Caledonie (ou quelque soit le nom qu’ils donnent depuis des temps immémoriaux à leur île). La confrontation entre deux légitimités ; ceux qui se croient investis d’une légitimité électorale, à la française, face à ceux qui défendent une légitimité coutumière, qui n’a rien à faire avec l’onction du suffrage populaire. On peut mettre une baffe au Président de la République ; on ne penserait pas à frapper un chef coutumier sans commettre un outrage impardonnable. 

 
On se doute évidemment qu’Emmanuel Macron, lors de son déplacement dernier, n’a probablement pas rendu hommage et rendu visite à la grande chefferie de Nouméa, pas plus que le gouverneur ou le commissaire de la république, ou quelque soit le nom que le plus haut personnage de l’Etat français porte en Nouvelle-Calédonie. 
 
La France, dans sa folie centralisatrice et colonisatrice (car nous n’en sommes pas sortis de cette folie coloniale) ne peut pas reconnaître et laisser reconnaître l’existence d’un roi ou d’une reine des mélanésiens de Nouvelle-Calédonie. Le premier-ministre néo-zélandais peut le reconnaître et traiter d’égal à égal avec ce personnage, mais pas la France. Accepter de reconnaître qu’il y aurait en France un personnage qui aurait la possibilité de parler d’égal à égal avec le Président de la République jupitérien Emmanuel Macron, qui serait donc le supérieur du plus haut personnage de l’Etat en Nouvelle-Calédonie, à savoir le préfet, est impossible pour la République française et pour les guignols qui nous dirigent. En tout cas pour ceux que Macron et avant lui Hollande ont désigné. 
 
Car tout européen, aussi puissant soit-il, qui met le pied sur l’île de Nouvelle-Calédonie, doit se présenter devant le haut-Conseil tribal, devant la grande chefferie de Nouméa, lui offrir des cadeaux, des cigarettes essentiellement, et demander la permission de mettre le pied sur l’île. Permission qui lui sera évidemment donnée. Virginie Ruffenach l’aurait fait que les heurts subis à l’île aux pins n’auraient pas eu lieu.
 
Cette reconnaissance serait aussi une terrible nouvelle pour les descendants des colons, les caldoches, qui dominent l’administration de l’île. Devoir partager le pouvoir avec le peuple kanak. En même temps (mot fétiche d’Emmanuel Macron), même si je suis persuadé que la reconnaissance des autorités coutumières de l’île n’a jamais été écrite dans aucun accord, parce que cela créerait vraisemblablement un précédent terrible pour la République française, je ne pense pas qu’il y ait une autre solution, un autre échappatoire, pour la Nouvelle-Calédonie. Mais comme je l’écrivais plus haut, je n’y connais rien.

 
Intéressant aussi d’expliquer pourquoi il n’existe point de roi des aborigènes en Australie, à l’égal de la Nouvelle-Zélande. Il a existé une royauté en Polynésie français, ainsi qu’à Hawaï. Je ne suis pas sûr d’ailleurs qu’aucune des deux n’existe encore. La réponse pour l’Australie repose sur l’absence totale d’unité australienne des aborigènes avant l’arrivée des européens sur l’île continent. Peuple aborigène qui n’avait rien à voir avec les peuples mélanésiens ou polynésiens, parce qu’issus d’une précédente migration humaine remontant à un précédent épisode glaciaire, qui remontait probablement à 50.000 ans. Les aborigènes n’ont jamais dépassé le stade de bandes de chasseurs-cueilleurs en guerre perpétuelle (ou en relation d’échange de femmes) les unes avec les autres. Et même aujourd’hui, je ne pense pas du coup qu’il existe l’équivalent d’un haut conseil tribal au niveau de l’ensemble de l’Australie. 
 
(ce que j’écris ci-dessus n’est pas une critique de ce peuple. On a tout à apprendre du peuple aborigène australien qui a su conserver les légendes du temps du rêve, qui sait préserver la nature et à l’aide de cérémonies magiques, la restaurer. Un peuple dont chaque tribu avait la charge de l’entretien, de la préservation et de la multiplication d’un bien, d’un végétal ou d’un animal qui était son totem, et qui savait lancer et contrôler un incendie capable de renouveler et de protéger la nature. La preuve, l’Australie est désormais confrontée à des mégas-feux qui s’étendent à l’Australie toute entière).

 
La France ne peut évidemment pas reconnaître l’existence d’une reine maori, comme les néo-zélandais, ou un grand chef kanak et s’incliner devant celui-ci, puisque, sinon, la France devrait aussi reconnaître et s’incliner devant le roi des français, devant les descendants des dernières familles régnantes royales ou impériales. Ce qui est impossible pour la République.

 
 
Saucratès



07/09/2024
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