Critiques de notre temps

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Patriotisme économique

Un ami et lecteur avait souhaité que je vous parle du projet de vente du LUX à des investisseurs mauriciens. Sujet réunionno-réunionnais dont se faisait notamment l’écho le journal Le Monde il y a plus d’une quinzaine de jours.
 

https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/09/16/a-la-reunion-la-presidente-de-la-region-s-insurge-contre-la-vente-par-l-etat-d-un-hotel-de-luxe-a-des-investisseurs-etrangers_6320468_823448.html

 

Au risque de décevoir cet ami, je partage ce sentiment de la nécessité d’en appeler au patriotisme économique dans cette histoire. Au-delà du bienfondé de la motion politique votée par la commission permanente du Conseil régional, je m’interroge surtout sur l’existence de responsables politiques ou économiques qui ne seraient pas en accord avec la position de Mme Bello. Je ne pense pas que les réunionnais ne voient pas cette vente de manière négative, surtout dans les milieux économiques.
 
Évidemment, les investisseurs étrangers au département ne partagent pas la même opinion sur la nécessité d’en appeler au patriotisme économique, qu’ils soient antillais ou mauriciens. De même, on peut s’interroger sur les réactions des autorités préfectorales et des milieux administratifs, qui agissent dans le département comme des mercenaires envoyés par Paris comme s’ils étaient dans un département limitrophe de Paris, sans néanmoins oublier de bénéficier de tous les avantages d’une vie d’expatriation.


Pour tous les chefs d’entreprises ayant été confrontés au marché mauricien ou à une implantation à Maurice, ceux-ci savent les multiples embûches qui leur sont dressées.

  • impossibilité d’acheter un terrain puisque toutes les terres appartiennent à l’Etat mauricien
  • règles différentes qui s’appliquent aux mauriciens et aux entreprises réunionnaises (ou étrangères),
  • obligation d’avoir un actionnaire majoritaire mauricien pour ne pas devoir appliquer des règles discriminantes,
  • législation changeante au gré des intérêts de leurs concurrents.

 

Et ces derniers investisseurs mauriciens devraient pouvoir acheter un bien foncier stratégique dans notre département sans que personne n’y trouve rien à redire ? Tant que Maurice n’appliquera pas des règles équitables aux réunionnais, il n’y a pas de raisons que ces derniers bénéficient à La Reunion d’un traitement équitable.

 

C’est le principal problème des États de droit comme la France face à des États comme la Chine ou Maurice qui appliquent des législations discriminatoires contre les investisseurs étrangers tout en cherchant parfois à les attirer pour capturer un savoir-faire ou une compétence, et pouvoir demain concurrencer nos propres entreprise. C’est un problème qui revient régulièrement dans les discours des entrepreneurs réunionnais même si celui-ci est inaudible pour nos dirigeants nationaux ou pour les mercenaires expatriés à la préfecture ou dans les autres administrations. Ceux-ci ne savent parler que d’ouverture et de concurrence lorsque les chefs d’entreprises réunionnaises savent pertinemment que la réciproque n’est absolument pas vraie.

 

Il existe néanmoins quelques éléments à relever. La commune où est implanté cet hôtel aurait effectivement pu se porter acquéreur du bien en le préemptant, ce qu’elle n’a pas fait. Le coût financier de cette opération est également particulièrement élevé : 28 millions d’euros pour 6,8 hectares représente un coût faramineux, même pour la Région Réunion, coût qui n’est pas à la portée de groupes privés réunionnais. Mais sur ce point, je ne donne pas tort à la présidente du Conseil régional sur la nécessité de mettre fin à la captation de l’économie réunionnaise par des groupes étrangers au département. 
 

Le patriotisme économique est l’angle mort de nos dirigeants politiques nationaux, de leurs séides locaux qui jouent les mercenaires dans les administrations réunionnaises, et plus largement de l’Europe elle-même. Celle-ci serait capable de subventionner ou de favoriser des entreprises mauriciennes ou de la zone Océan Indien pour s’installer sur le marché européen, et en premier lieu à la Réunion, par idéologie ultralibérale. Selon l’Europe, ce qui est bon pour le consommateur est bon pour l’économie, quelqu’en soit le coût pour les entreprises européennes elles-mêmes et leurs millions de salariés. Avec des conséquences parfois néfastes pour les consommateurs eux-mêmes comme le démontre la privatisation et la libéralisation du marché de l’électricité en Europe. 
 

Lorsque les Etats-Unis sont capables d’imposer des droits de douanes de 100% sur les véhicules électriques chinois pour protéger leur industrie automobile, sous le règne des démocrates (même pas sous l’administration Trump), l’Europe avance quant à elle à reculons sur une taxation des importations chinoises de véhicules électriques qui pourra atteindre 33%, reposant sur les aides perçues par les constructeurs en Chine. Parce que les ultra-libéraux en poste à Bruxelles et dans les capitales européennes, à la Banque centrale ou même dans les médias bien-pensants (comme le prouve l’article suivant du Monde) n’accordent aucune importance au patriotisme économique et à la sauvegarde des emplois.
 
https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/08/ue-taxer-les-vehicules-electriques-chinois-et-apres_6346679_3232.html
 
Le leitmotiv ultra-libéral est persuadé que le marché résoudra tout, que la concurrence apporte emplois et richesses, et que les éventuelles mauvaises entreprises incapables de faire face à la concurrence étrangère seront remplacées par des entreprises vertueuses efficientes. Et tant pis pour l’emploi ou pour les salariés. Cette idéologie nous a déjà emmené dans la grande dépression et la misère dans les années 1930. Ces gens-là ne savent pas apprendre de l’Histoire, du passé. Juste à perpétuer leur oligarchie.
 
 
Saucratès



08/10/2024
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