Critiques de notre temps

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Retour sur la naissance de l’agriculture

Mon dernier article cherchait à relativiser l’importance de la prétendue ‘civilisation’. Derrière ce que nous, nous appelons civilisation, et dans nos relations passées avec les barbares, d’autres peuples ont pu le vivre très différemment, combattant l’esclavage et la captivité. 

https://saucrates.blog4ever.com/sur-le-principe-meme-de-civilisation

 

Qu’est-ce donc que la naissance de l’agriculture ? Et pourquoi certains hommes, certains peuples se sont-ils maintenus à l’écart du courant de la domestication de la nature ? Était-ce parce qu’ils étaient restés sauvages et non civilisés, et bien était-ce pour d’autres raisons ?

 

Quelle est l’origine de l’agriculture ? Pour reprendre le blog de Eric Birlouez, 


«Au Proche-Orient, la collecte de céréales sauvages - engrain (petit épeautre), blé amidonnier, orge - devenues localement abondantes après la dernière glaciation contribuait à la ration alimentaire des chasseurs-cueilleurs qui peuplaient la région. Cette économie de prédation a duré jusqu’au milieu du X° millénaire avant notre ère, date à laquelle certains groupes humains décidèrent de cultiver les céréales sauvages».

 
«Une découverte récente - publiée en 2015 dans la revue scientifique PLOS One - a remis en question cette chronologie. Elle a fait faire un spectaculaire bond en arrière de près de 12 000 ans par rapport à la date généralement retenue par les archéologues pour situer l’apparition de l’agriculture. Le site d’Ohalo II, sur les rives du lac de Tibériade en Israël, a livré des milliers de vestiges végétaux vieux de 23 000 ans, entre autres des grains carbonisés d’orge, d’avoine et de blé amidonnier. En les étudiant, les chercheurs ont découvert avec stupéfaction que ces céréales avaient été… cultivées.

 

Peut-on parler pour autant d’une véritable naissance de l’agriculture il y a 23 000 ans ? Selon Georges Willcox, archéobotaniste au CNRS, ce qui a été mis en évidence à Ohalo, ce sont les toutes premières tentatives de culture de céréales par des communautés humaines. Mais la vraie « révolution » agricole, c’est-à-dire la culture permanente et à grande échelle de plantes destinées à l’alimentation n’est réellement intervenue que 11 500 ans plus tard. Un événement fondateur extrêmement récent à l’échelle de l’histoire humaine.»

 

Mais «la sédentarisation, au Proche-Orient, de groupes de nomades n’a pas été la conséquence de la décision de ces derniers de devenir paysans. Certes, la culture et le stockage des récoltes sont incompatibles avec la vie itinérante. Mais l’agriculture n’a fait en réalité que conforter la sédentarisation. Cette dernière avait en effet précédé  de plusieurs siècles la mise en culture des sols et l’élevage des animaux. Dans le Croissant fertile, l’agriculture est donc née dans des villages constitués depuis longtemps, et qui présentaient (déjà) une structure sociale complexe et hiérarchisée. Ces habitats permanents avaient été créés dans des sites suffisamment riches en ressources alimentaires pour que leurs fondateurs, tout en demeurant chasseurs-cueilleurs, puissent s’affranchir des rudesses et contraintes de la vie itinérante. Ces nomades devenus sédentaires avaient su inventer des techniques de stockage et de conservation de leurs aliments sauvages (réserves de poissons, fosses à glands ou à châtaignes, silos à grains) qui leur permettaient de passer l’hiver sans souffrir de la faim.

 

Reste une question … Pourquoi ces chasseurs-cueilleurs sédentarisés ont-ils décidé, vers le milieu du X° millénaire avant notre ère, de cultiver des céréales de façon permanente et à grande échelle ? En réalité, on l’ignore toujours ! Les « essais agronomiques » menés 11.500 ans plus tôt à Ohalo montrent que ce n’était pas par manque de connaissances : observateurs très attentifs de la nature, les hommes préhistoriques connaissaient parfaitement, et certainement depuis très longtemps, les principes de la reproduction des plantes et des animaux.

 

Si les hommes du Levant furent, chronologiquement, les premiers cultivateurs et éleveurs de la planète, d’autres groupes humains ont, de manière totalement indépendante, inventé eux aussi l’agriculture dans la région du monde où ils vivaient. En dehors du Croissant fertile, on trouve des premiers paysans dans dix aires majeures de domestication des végétaux, réparties sur les continents américain et africain, ainsi qu’en Inde, en Chine et en Papouasie-Nouvelle-Guinée. S’agissant des céréales, on peut citer le maïs, domestiqué au Mexique il y a 8 700 ans, le riz (Chine, entre 8 et 10 000 ans), le millet (domestiqué il y a 6000 ans en Chine, 4500 ans en Inde et 3000 ans dans l’Afrique sahélienne), le sorgho (Afrique sahélienne, 4000 ans), le quinoa (hauts-plateaux andins de l’Amérique du sud, 3200 ans)…

 

Le fait de cultiver les céréales a peu à peu modifié leurs caractéristiques « sauvages » initiales. Au Proche-Orient, ce lent processus que l’on nomme domestication a nécessité environ mille ans (c’est la durée à l’issue de laquelle les archéologues commencent à pouvoir distinguer les grains cultivés de leurs homologues sauvages).»
 

https://ericbirlouez.fr/index.php/activites/articles/48-cereales-et-civilisations#

 
Et pourtant certains peuples sont pourtant restés à l’écart de ce mouvement de domestication des espèces végétales et animales. À l’écart de la civilisation, jusqu’à pour certains, accepter de disparaître et de s’éteindre dans la nuit, comme les Guayakis de Pierre Clastres, plutôt que d’être absorbés.

 
Eric Birlouez insiste sur le caractère sacré des céréales dans toutes les civilisations. Du lien entre le blé et Osiris dans l’Egypte antique … de la place de Démeter et de Cérès, dans la mythologie grecque ou romaine, dont le mot ‘céréale’ proviendrait … du riz cadeau des Dieux dans les Védas sacrés indiens … du pain dans les religions juives et chrétiennes, ou à Rome, aliment par excellence des civilisés par opposition aux barbares … du maïs et des trois sœurs dans les civilisations précolombiennes …

 

Aussi fondamental que puissent être les céréales et les légumineuses domestiquées dans l’histoire de l’humanité, l’agriculture représente depuis l’origine l’autre versant du contrôle étatique inhérent à nos sociétés civilisées et à l’existence et à l’entretien du pouvoir de quelques uns sur la multitude, sur tous. Ceux qui ont fuit l’Etat, la civilisation et l’agriculture cherchaient à perpétuer une autre organisation sociale non étatique, plus égalitaire, sans classe sociale. Et même aujourd’hui, le contrôle de l’alimentation et des céréales  que l’on peut consommer demeure l’alpha et l’oméga de la main mise de l’Etat sur nos sociétés. Il existe dans pratiquement chaque État un registre des semences de céréales autorisées, que ce soit en France, en Europe, au Brésil, et des législations qui interdisaient jusqu’à récemment la commercialisation, l’échange voire le don de semences non inscrites. 
 
Le contrôle étatique ou policier et les céréales semblent toujours être les deux faces du principe de la civilisation. Dans un monde où les zones encore sauvages, non encore contrôlées par des États, se raréfient de plus en plus, où plus rien ne peut plus disparaître, ou plus rien ne peut se cacher, même dans les dernières forêts vierges, même dans les derniers abysses sous-marins …

 

 

Saucratès



04/09/2025
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