Sur le département de La Réunion
Les sujets sur lesquels je veux écrire-3
À la demande d’un ami, Hugues, je vais écrire sur un article de l’Humanité qui traite des marges du groupe Bernard Hayot, encore appelé GBH. A ne pas confondre avec le GHB, qui est la drogue des violeurs.
L’Humanité, ce journal de gauchos d’extrême gauche, enquête sur les prix en outre-mer. Et le groupe Bernard Hayot, extrêmement puissant en outre-mer, est donc au centre de cette enquête. Et on y apprend ainsi que GBH pratiquerait des marges extraordinairement élevées en outre-mer sur les véhicules qu’ils vendent. Avec des marges selon le journal trois ou quatre fois plus élevées que ce qui est pratiqué par les concessionnaires automobiles en France métropolitaine. Et selon le cadre félon de GBH qui leur a transmis ces informations, les dirigeants de GBH masqueraient les prix et les marges qu’ils réalisent en outre-mer aux représentants des constructeurs lors de leurs visites.
Simple exemple de la prose des journalistes de l’Humanité, en conclusion de cet article :
«Pour rappel, descendant d’une famille de colons arrivés à la Martinique en 1680, héritier d’une fortune opulente bâtie sur l’exploitation de « l’or blanc » – le sucre – par l’esclavage, le béké Bernard Hayot a fait du groupe qu’il a fondé en 1960 une multinationale florissante sur le dos de ses clients. En attendant, pendant que les habitants des Antilles, de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, de la Réunion et de Mayotte peinent à subvenir à leurs besoins, GBH profite de marges qui peuvent atteindre jusqu’à 25 % de son chiffre d’affaires annuel.»
Évidemment, il faut comprendre que ce journaliste écrirait le même genre de prose, et dirait exactement la même chose s’il devait parler de la famille Mulliez, de Dassault et de tout autre groupe multinational français. Rien de nouveau en somme. Un article à charge.
On ne parle d’ailleurs pas de la même chose. Un concessionnaire en métropole, c’est un tout petit garagiste que l’on peut facilement mettre en concurrence, et on peut acheter la même voiture n’importe où en métropole s’en que cela n’ait beaucoup d’impact ni ne présente de difficultés. Ce n’est absolument pas le cas en outre-mer où le fait d’acheter ailleurs implique d’acheter un véhicule en TT (transit temporaire en métropole) ou bien de faire transiter un véhicule en métropole sachant que cela reviendra absolument aussi cher. Ou encore de faire confiance à un intermédiaire qui peut disparaître du jour au lendemain avec le chèque de votre voiture. Et il vous faut aussi vendre votre voiture en occasion. Trouver un acheteur et ne pas vous faire avoir.
Ce qui est décrit dans cet article est-il extraordinairement novateur ? On sait tous que les prix des voitures à la Reunion sont environ 30% plus chers qu’en métropole. Mais ce n’est pas le cas en Martinique où sévit également le groupe Bernard Hayot où les prix de vente des voitures neuves sont beaucoup plus proches des prix métropolitains (hexagonaux si on parle comme les martiniquais qui sont très hostiles à l’usage du mot métropole dont ils ont même interdit l’usage en France). Ce beau discours et ces exemples de marges et de prix ne concernent donc que la Réunion. Et je ne suis pas sûr que les exemples de taux d’octroi de mer cités dans l’article correspondent bien à ceux existant à la Réunion.
Cet article déforme-t-il ainsi la réalité en comparant les taux de marge à la Reunion et les taxes aux Antilles pour faire croire que ce groupe abuse de sa position dominante ? Cet article est-il fallacieux et uniquement à charge ?
Bon, ne nous y trompons pas, Hayot gagne largement de l’argent chez nous. Comme Bourbon avant eux. Il n’y a que dans l’imaginaire rêvé des communistes que les groupes capitalistes font des marges zéro. Ainsi que dans l’imaginaire des ultra-libéraux adeptes de la concurrence pure et parfaite. Dans la réalité, un capitaliste ne fait fonctionner une entreprise que pour en retirer un profit.
Pour ce qui concerne la Réunion, Hayot distribue évidemment Volkswagen, Audi, Mercedes, Skoda, Renault, Mitsubishi et probablement Dacia. Et j’en oublie certainement. Et les prix de ces voitures excèdent de 30% le marché du neuf en métropole. Mais cela ne concerne pas que le seul prix des voitures vendues par GBH. Les véhicules des marques Peugeot, Citroën, Ford, Seat, BMW, Porsche, Toyota, Lexus ou Volvo affichent également des prix dépassant de 30% les prix vendus en métropole. Et toutes ces marques ne sont pas vendues par GBH, mais par Caillé, CMM, LEAL, Soreva ou Sogecore. Alors, s’agit-il d’une entente entre tous les concessionnaires pour afficher des prix supérieurs de 30% aux prix métropolitains ? Ou bien les explications données par ce journal de l’Humanité, par ces journalistes dans cette enquête à charge, sont-elles simplement fausses ? Et leurs exemples de marges sur les automobiles fallacieux ?
Cet article doit donc être ramené à son contexte. Le combat de groupuscules révolutionnaires en Martinique contre un groupe multinational appartenant à des békés, où tous les coups sont permis. Où l’Humanité cherche à faire plier un groupe capitaliste pour permettre à des groupuscules de l’emporter. L’erreur est de croire qu’il s’agit ici d’informations alors que ce n’est que manipulations politiques.
Néanmoins, le groupe Bernard Hayot est une entreprise tentaculaire qui étend ses tentacules sur l’ensemble de l’économie réunionnaise. Ce groupe est certainement devenu trop puissant, hégémonique, et il n’y a pas beaucoup de groupes locaux aptes à les contrer. Mais de toute façon, les réunionnais n’aiment pas plus les groupes réunionnais ; il suffit de voir la manière dont les médias et les politiques parlent du groupe Urcoopa, qui est une union de coopératives appartenant à des réunionnais. Pourtant détestée par tant de monde. Du côté de GBH, il réalise certainement des profits très importants, mais ce n’est pas aux frais d’une population misérables des domiens qui se battraient pour survivre lorsque ce groupe s’enrichit outrageusement.
Il faut juste relativiser : il y a pire manipulateurs que les journaux mainstream comme Le Monde. Il y a des journaux communistes qui participent à des conflits contre des groupes capitalistes sans vérifier leurs sources et sans avoir honte de tout mélanger. Du moment que cela sert leur combat ! Le problème des prix en outre-mer et tout particulièrement à la Réunion n’est malheureusement pas aussi simple que des marges excessives d’un groupe hégémonique ou la conséquence d’un octroi de mer assassin.
Et de toute façon, a-t-on même besoin de vendre les voitures moins chères dans un département où les réseaux routiers sont déjà congestionnés ? Avec l’électrification du parc automobile et la hausse des prix qui en découle, et l’instauration de malus confiscatoire, l’objectif n’est-il pas justement de rendre la voiture inaccessible, un bien de luxe ? Abaisser leur prix en diminuant le taux d’octroi de mer ne serait-il pas contre-productif et stupide ? En espérant que mon interprétation de cet article de l’Humanité ne déplaise pas à mon ami Hugues …
Saucratès
Patriotisme économique
Un ami et lecteur avait souhaité que je vous parle du projet de vente du LUX à des investisseurs mauriciens. Sujet réunionno-réunionnais dont se faisait notamment l’écho le journal Le Monde il y a plus d’une quinzaine de jours.
Au risque de décevoir cet ami, je partage ce sentiment de la nécessité d’en appeler au patriotisme économique dans cette histoire. Au-delà du bienfondé de la motion politique votée par la commission permanente du Conseil régional, je m’interroge surtout sur l’existence de responsables politiques ou économiques qui ne seraient pas en accord avec la position de Mme Bello. Je ne pense pas que les réunionnais ne voient pas cette vente de manière négative, surtout dans les milieux économiques.
Évidemment, les investisseurs étrangers au département ne partagent pas la même opinion sur la nécessité d’en appeler au patriotisme économique, qu’ils soient antillais ou mauriciens. De même, on peut s’interroger sur les réactions des autorités préfectorales et des milieux administratifs, qui agissent dans le département comme des mercenaires envoyés par Paris comme s’ils étaient dans un département limitrophe de Paris, sans néanmoins oublier de bénéficier de tous les avantages d’une vie d’expatriation.
Pour tous les chefs d’entreprises ayant été confrontés au marché mauricien ou à une implantation à Maurice, ceux-ci savent les multiples embûches qui leur sont dressées.
- impossibilité d’acheter un terrain puisque toutes les terres appartiennent à l’Etat mauricien
- règles différentes qui s’appliquent aux mauriciens et aux entreprises réunionnaises (ou étrangères),
- obligation d’avoir un actionnaire majoritaire mauricien pour ne pas devoir appliquer des règles discriminantes,
- législation changeante au gré des intérêts de leurs concurrents.
Et ces derniers investisseurs mauriciens devraient pouvoir acheter un bien foncier stratégique dans notre département sans que personne n’y trouve rien à redire ? Tant que Maurice n’appliquera pas des règles équitables aux réunionnais, il n’y a pas de raisons que ces derniers bénéficient à La Reunion d’un traitement équitable.
C’est le principal problème des États de droit comme la France face à des États comme la Chine ou Maurice qui appliquent des législations discriminatoires contre les investisseurs étrangers tout en cherchant parfois à les attirer pour capturer un savoir-faire ou une compétence, et pouvoir demain concurrencer nos propres entreprise. C’est un problème qui revient régulièrement dans les discours des entrepreneurs réunionnais même si celui-ci est inaudible pour nos dirigeants nationaux ou pour les mercenaires expatriés à la préfecture ou dans les autres administrations. Ceux-ci ne savent parler que d’ouverture et de concurrence lorsque les chefs d’entreprises réunionnaises savent pertinemment que la réciproque n’est absolument pas vraie.
Il existe néanmoins quelques éléments à relever. La commune où est implanté cet hôtel aurait effectivement pu se porter acquéreur du bien en le préemptant, ce qu’elle n’a pas fait. Le coût financier de cette opération est également particulièrement élevé : 28 millions d’euros pour 6,8 hectares représente un coût faramineux, même pour la Région Réunion, coût qui n’est pas à la portée de groupes privés réunionnais. Mais sur ce point, je ne donne pas tort à la présidente du Conseil régional sur la nécessité de mettre fin à la captation de l’économie réunionnaise par des groupes étrangers au département.
Le patriotisme économique est l’angle mort de nos dirigeants politiques nationaux, de leurs séides locaux qui jouent les mercenaires dans les administrations réunionnaises, et plus largement de l’Europe elle-même. Celle-ci serait capable de subventionner ou de favoriser des entreprises mauriciennes ou de la zone Océan Indien pour s’installer sur le marché européen, et en premier lieu à la Réunion, par idéologie ultralibérale. Selon l’Europe, ce qui est bon pour le consommateur est bon pour l’économie, quelqu’en soit le coût pour les entreprises européennes elles-mêmes et leurs millions de salariés. Avec des conséquences parfois néfastes pour les consommateurs eux-mêmes comme le démontre la privatisation et la libéralisation du marché de l’électricité en Europe.
Lorsque les Etats-Unis sont capables d’imposer des droits de douanes de 100% sur les véhicules électriques chinois pour protéger leur industrie automobile, sous le règne des démocrates (même pas sous l’administration Trump), l’Europe avance quant à elle à reculons sur une taxation des importations chinoises de véhicules électriques qui pourra atteindre 33%, reposant sur les aides perçues par les constructeurs en Chine. Parce que les ultra-libéraux en poste à Bruxelles et dans les capitales européennes, à la Banque centrale ou même dans les médias bien-pensants (comme le prouve l’article suivant du Monde) n’accordent aucune importance au patriotisme économique et à la sauvegarde des emplois.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/08/ue-taxer-les-vehicules-electriques-chinois-et-apres_6346679_3232.html
Le leitmotiv ultra-libéral est persuadé que le marché résoudra tout, que la concurrence apporte emplois et richesses, et que les éventuelles mauvaises entreprises incapables de faire face à la concurrence étrangère seront remplacées par des entreprises vertueuses efficientes. Et tant pis pour l’emploi ou pour les salariés. Cette idéologie nous a déjà emmené dans la grande dépression et la misère dans les années 1930. Ces gens-là ne savent pas apprendre de l’Histoire, du passé. Juste à perpétuer leur oligarchie.
Saucratès
Quelques autres réflexions sur le développement de la Réunion
Quel développement possible pour le département de la Réunion
Réflexion deux - Quelques enseignements tirés d’un échec
Par Saucratès
Saint-Denis de la Réunion, jeudi 21 mars 2024
Dans mon précédent diagnostic, je me permettais de décrire la Réunion comme une économie livrée en pâture, pillée par de grands groupes étrangers, qu’ils soient antillais ou métropolitains. Si on était capable de fabriquer une balance des paiements de l’économie réunionnaise, on découvrirait probablement une balance des transferts de dividendes très fortement déséquilibrée, avec des centaines de millions, voire un milliard d’euros, de dividendes sortant du département, et de très faibles flux rentrants. Le signe d’une économie en développement, pillée par des grands groupes étrangers ne s’intéressant pas à son développement.
On pourrait dire qu’il manque aujourd’hui à la Réunion un grand industriel richissime et visionnaire, l’équivalent de ce que le groupe HAYOT représente pour l’économie martiniquaise, même si les martiniquais n’en voient que les aspects sociaux problématiques liés à la toute-puissance des industriels békés.
Pourtant, la Réunion a eu un tel groupe industriel visionnaire et dominant par le passé. Il s’agissait du groupe BOURBON de Jacques de Chateauvieux. Il y a très longtemps, dans les années 1980-1990, ce groupe était particulièrement puissant dans le département, s’étendant de la grande distribution alimentaire avec les magasins SCORE, à l’industrie du sucre avec l’une des dernières usines sucrières, en passant par des participations dans de nombreuses entreprises ou industries (Armements des Mascareignes, CILAM …) ou dans l’immobilier (BOURBON disposait de plus de 3.000 hectares de terrain à mettre en valeur).
Mais le groupe BOURBON de Jacques de Chateauvieux a fait le choix de se développer à l’international, devenant un grand capitaine d’industrie français, reconnus par ses pairs, en acquérant la compagnie de secours en mer Les Abeilles, puis en se spécialisant dans le transport maritime. Pour cela, BOURBON cédera toutes ses filiales réunionnaises, de la grande distribution cédée à Casino, aux usines sucrières cédées à Beghin Say, qui deviendra par la suite TEREOS. Il devint l’une des rares groupes réunionnais cotés en bourse sur la place parisienne, sur le premier marché, rejoignant les valeurs admises au règlement mensuel. L’actualité récente lui aurait donné raison, avec l’envol des coûts du transport maritime, mais ses banques créancières lui avaient déjà volé le contrôle de Bourbon puis de sa holding JACCARD.
Si l’aventure de BOURBON se conclue comme un échec, Jacques de Chateauvieux aura néanmoins été proche de transformer un groupe industriel né dans des plantations de cannes dans le département de la Réunion, en un pure player du transport maritime, l’un des leaders mondiaux de cette activité. Mais trahi par les Banques, trahi par les crises financières s’étant succédées depuis 2007, le groupe BOURBON lui échappera et la fin de cette aventure ruinera également de nombreux petits actionnaires. Quant à l’économie réunionnaise, elle aura perdu dès le début de cette aventure un important investisseur et elle aura vu plusieurs secteurs clefs de son économie partir dans l’escarcelle de groupes étrangers à la Réunion.
Gageons que les aventures boursières de BOURBON et ses déboires judiciaires serviront de leçons aux groupes réunionnais qui seraient tentés de se développer au plan national et international. Gageons qu’ils apprendront éventuellement à se méfier des méfaits d’un endettement excessif et de se désinvestir des l’économie du département. Le groupe CAILLE a également été dans une situation financière difficile après les années 2007-2009 mais il lui a survécu. Sur une île comme la nôtre, on ne liquide pas des groupes comme CAILLE ou APAVOU représentant des milliers d’emplois, comme les banques ont pu le faire dans le cas du groupe BOURBON.
Saucratès
Post scriptum : Dans les faits, dans les années 1990, le groupe BOURBON de Jacques de Chateauvieux avait aussi un autre puissant concurrent, notamment le groupe QUARTIER FRANÇAIS, ou Sucrerie du Nord-Est, de Xavier Thieblin. Allié au groupe BOURDILLON, le groupe QUARTIER FRANÇAIS semble avoir également préféré rester à l’écart de toutes ces grandes aventures capitalistes voire également se retirer de notre département pour se repositionner sur son cœur de métier. Mais pas plus que BOURBON, le groupe QUARTIER FRANÇAIS n’a pas choisi de devenir le parrain et le protecteur du système industrmiel et capitaliste réunionnais. Mais comment leur en vouloir, dans ce monde de requins de la finance, où pour survivre, il vaut mieux vivre caché.
Quelques réflexions sur le développement de la Réunion
Quel développement pour le département de la Réunion
Réflexion une - Un état des lieux
Par Saucratès
Saint-Denis de la Réunion, samedi 9 mars 2024
Quel diagnostic peut-on faire de notre département de la Réunion, à notre petite mesure ? Aujourd’hui, des pans entiers de notre économie, de nos industries, de notre tissu commercial, se trouvent entre les mains d’investisseurs et de groupes non originaires de notre département.
Cela a-t-il une quelconque importance ? Est-ce que cela peut avoir une quelconque conséquence sur le développement de notre département, sur le développement de notre île ? Pour ma part, je pense que c’est le cas, que cela a une importance. Sinon, pourquoi la constitution et la défense de champions nationaux aurait-il de l’importance pour la France, pour la Chine, pour les Etats-Unis ou pour Maurice ?
Aussi, la prise de contrôle de pans entiers de l’économie réunionnaise par le groupe martiniquais Hayot, qui contrôle le secteur de l’automobile (Renault, Volkswagen, Audi, Mercedes), de la réparation automobile, des pneumatiques, des magasins de bricolage, de la grande distribution, des loueurs automobiles, ne peut pas être neutre et sans conséquences. De même, l’implantation d’entreprises mauriciennes doit aussi interroger. Sans oublier évidemment toutes les entreprises ou les banques contrôlées par des grands groupes nationaux, dont tous les bénéfices remontent vers les maisons mères cotées en bourse. Mais on pourrait aussi parler de la distribution de l’eau, de l’assainissement ou du ramassage des ordures contrôlés également par des grands groupes nationaux, ou bien du tourisme. Ou bien de la téléphonie mobile ou fixe. Et on oublie certainement d’autres secteurs économiques dans cette description.
Quels enseignements peut-on tirer de ce panorama ? Le premier enseignement que l’on peut en tirer est que cette prise de contrôle vise essentiellement le secteur du commerce et des services, pas celui de l’industrie et de la production. Tout ce qui a trait à l’agriculture et à la transformation des produits agricoles est majoritairement sous le contrôle d’entreprises réunionnaises, à l’exception toutefois de l’industrie sucrière accaparée par TEREOS. Quelques groupes nationaux ont peut-être installé des filiales dans le département (Danone) mais l’industrialisation via l’import-substitution des années 1960 et 1970 a permis la constitution de champions départementaux et d’entreprises pérennes.
Mais je crains qu’il ait manqué depuis les années 1980 d’une réflexion sur quelle industrialisation nous souhaitons et comment elle peut permettre la pérennisation et le développement de groupes locaux et par effet d’entraînement du développement du département dans son ensemble.
Certains me demanderont peut-être qu’elles conséquences cela peut bien avoir pour les citoyens réunionnais ? Quel intérêt peut bien avoir le fait de savoir si l’entreprise appartient à Pierre, Paul ou Jacques ? Pierre le martiniquais, Paul le métropolitain, ou Jacques le réunionnais. Les salariés réunionnais sont-ils mieux traités dans un cas ? Y a-t-il plus d’effets favorables induits au niveau de l’économie dans son ensemble lorsque c’est Pierre, Paul ou Jacques ? Tout ceci doit être questionné. La seule réponse que j’ai, ce sont les flots de dividendes qui remontent vers les maisons-mères et qui representent des centaines de millions d’euros chaque année, des centaines de millions d’euros ponctionnés sur les consommateurs réunionnais qui ne seront ni consommés, ni investis dans le département, mais qui nourrissent les projets de développement internationaux, européens, antillais, mauriciens des actionnaires extérieurs.
On pourra me rétorquer que les dizaines de milliers de véhicules automobiles produits à l’extérieur du département et achetés chaque année par les consommateurs réunionnais doivent également represent plusieurs dizaines de millions d’euros et que cela n’a peut-être pas plus d’effets favorables pour l’économie, voire même un effet environnemental défavorable majeur. Mais au moins, on reçoit en retour des biens matériels ! On ne reçoit pas rien de ces flux financiers. Quel est notre retour sur les flux financiers des dividendes pour les actionnaires étrangers ? Strictement aucun.
On pourra aussi me rétorquer que ces prises de contrôle ou ses implantations nous permettent d’éviter des gabegies. Certains donneront l’exemple de la distribution de l’eau. Ces groupes internationaux permettent une meilleure gestion des réseaux parce «qu’ils savent faire». C’est très vraisemblablement vrai. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en France et en Navarre, ils remplacent des régies municipales, et que dans les pays en développement ou même dans de grands pays industriels, ils récupèrent aussi la distribution d’eau ou l’assainissement parce qu’ils savent très bien le faire. Donc effectivement, c’est un argument expliquant la main mise des grands groupes nationaux sur ces secteurs, comme partout ailleurs.
Mais cela n’explique pas tout. Cela n’explique pas la main mise d‘Hayot sur le commerce. A-t-on fait rentrer le loup dans la bergerie et s’en est-on aperçu trop tard, alors qu’il avait ingurgité la moitié des brebis et des moutons ? Cela explique aussi la main mise d’Orange et de SFR sur la téléphonie mobile, même si les premiers investisseurs étaient réunionnais, mais comment refuser l’offre de rachat très généreuse qui leur a été proposée ou imposée ? Mais cela n’explique pas par contre la main mise sur le système bancaire de l’île. Dans ce dernier cas, ce sont les obligations prudentielles imposées par les autorités monétaires françaises puis européennes, comme par exemple de disposer d’un actionnaire de référence, de dirigeants notoirement connus pour diriger ces établissements, qui expliquent cette main mise. Il y a une histoire monétaire de notre département à écrire et une interprétation à en réaliser.
https://www.iedom.fr/IMG/pdf/note_iedom_-_70_ans_de_systeme_bancaire_a_la_reunion.pdf
Toutes les banques du département appartiennent à de grands groupes nationaux, ou internationaux. Même les banques dites mutualistes ou populaires appartiennent à des groupes et transfèrent leurs résultats à leurs organes centraux. En a-t-il toujours été de même ? A son origine en 1853, la Banque coloniale de la Réunion appartient à des propriétaires, planteurs, commerçants ou industriels réunionnais, mais sa cotation en bourse sur la place de Paris à partir de 1878 introduit le loup dans la bergerie. Et en 1955, elle passe sous le contrôle du Crédit Lyonnais tout en fusionnant avec sa concurrente sudiste, la «Société bourbonnaise de crédit de la Réunion».
De la même manière, le «Crédit foncier de Madagascar» installé à la Réunion à partir de 1927 passe sous le contrôle de la «Banque nationale pour le commerce et l’industrie» en 1955 et prend le nom de BNCI-OI pour devenir aujourd’hui la Bnp Paribas Réunion. Même sujet pour la BFCOI contrainte par la réglementation bancaire à se rattacher à un grand réseau comme la Société Générale. Même si évidemment, la BFCOI a toujours appartenu à des sociétés financières comme INDOSUEZ. Ou pour la SODERE, société de développement régionale créée en 1964, qui sera absorbée en 2001 par la SOFIDER, avant toutes deux d’être cédées et absorbées par la BRED Banque Populaire. Dernier exemple de tentative de création de banques réunionnaises détenues par des réunionnais pour des réunionnais, le Crédit maritime créé en 1974 mais absorbé en 2015 par la BRED Banque populaire.
Derrière ces histoires, il y a des hommes qui pensaient au développement de la Réunion, qu’il s’agisse de M. Trimaille de la SODERE, de M. de Cambiaire au Crédit Agricole … parmi de nombreux autres personnages. Les technocrates qui dirigent aujourd’hui les grandes banques, qui pilotent en terme de performance et de ratios leurs équipes, n’ont plus rien à voir avec ces hommes et ces femmes qui oeuvraient pour le développement de la Réunion. Aujourd’hui, il n’y a plus rien que le profit et la rentabilité qui comptent.
Mais cette même histoire pourrait être racontée pour de nombreux autres grands secteurs d’activité, comme par exemple l’industrie sucrière. On est ainsi passé de plus d’une centaine d’usines sucrières dans les années 1900 appartenant à toutes les familles de planteurs, dont il ne reste plus que quelques traces dans les mémoires (Beaufond à Saint Benoit, Quartier Français, Savannah, Pierrefonds, Isautier…) représentant les dernières usines survivantes, à un seul et unique sucrier appartenant à un grand groupe international (TEREOS) qui contrôle désormais toute la filière.
Saucratès
Cyclone Belal - Infantilisation et moralisation préfectorale
Cyclone Belal - Infantilisation et moralisation préfectorale
Par Saucratès
Saint-Denis de la Réunion, vendredi 19 janvier 2024
Privé pendant plus d’une journée d’électricité (et d’eau accessoirement), j’ai eu tout loisir d’écouter les journalistes de RFO à la radio ainsi que les allocutions du préfet. Certes, les décisions de ce préfet étaient applaudies par les journalistes, les spécialistes de toute sorte et même nombre de téléspectateurs ou auditeurs de RFO. Je n’ai pas lu la presse locale mais je parierais qu’ils ont tous applaudi aux décisions si judicieuses de ce préfet miraculeux.
J’ai un autre regard sur cette affaire. La miraculeuse alerte violette est vraisemblablement une absurdité qui a retardé de plusieurs dizaines d’heures le rétablissement de nombre de services publics, voire est responsable de la mort de ses sans domicile fixe qui ont été abandonnés sans possibilité de secours pendant les pires heures de ce cyclone. Ils avaient refusé d’être mis à l’abri ? Pourquoi ce besoin de souligner ce point chaque fois que le préfet ou les journalistes parlent de ces décès ? Pour s’exonérer de toute responsabilité ? Il suffit donc que quelqu’un passe vous voir et vous conseille et demande de quitter votre domicile pour que vous soyez responsable de votre propre mort ?
La non moins miraculeuse alerte téléphonique pour nous avertir à longueur de journée des alertes rouges et violettes me semble tout aussi stupide. C’est donc le nouveau jouet du préfet. Il en a usé et abusé à longueur de temps dimanche, lundi et mardi. Alerte orange, alerte rouge, alerte violette, et maintien de l’alerte rouge à deux reprises. Je crains que cet usage immodéré des alertes téléphoniques via nos GSM ne soit maintenant utilisé à tout va par nos responsables politiques et préfectoraux. N’oubliez pas d’aller voter ! Interdiction de participer à des émeutes ! Catastrophes en tout genre. On n’est pas prêt d’arrêter de voir nos GSM sonner pour un oui ou pour un non !
Le maintien de l’alerte rouge jusqu’au mardi midi, alors que la majeure partie de la Réunion était à l’abri de l’influence du cyclone depuis au minimum le lundi soir, voire le lundi midi pour la zone de Saint-Denis, est une autre aberration de cet épisode cyclonique. L’alerte rouge sert à protéger la population d’un risque mortel avéré lié à l’activité cyclonique. Quel risque mortel courrait-on la nuit de lundi à mardi, ou le mardi matin ? Aucun. Les routes étaient certes impraticables, mais rien n’empêchait les réunionnais de secourir leurs voisins, d’aller faire quelques courses chez le chinois ou la superette. Le maintien de cette alerte rouge jusqu’au mardi midi n’avait aucun sens si ce n’est d’alimenter l’activité répressive des gendarmes et les commentaires délatoires de la populace.
Le pire est certainement les commentaires des censeurs journalistiques. Faites ci, faites ça, respectez les consignes, facilitez le travail des secours … J’ai retrouvé pendant cet épisode cyclonique la même palette de censure et d’infantilisation que j’avais entendu pendant la période du confinement du coronavirus.
Aussi insupportables, les discours moralisateurs du préfet pour présenter le passage en alerte orange (allez faire vos courses, allez acheter de l’eau, sécurisez vos logements …), pour présenter le passage en alerte rouge (ne bougez pas de chez vous, enfermez-vous …), pour avertir de la fin de l’alerte rouge (aidez vos voisins, faites ci, faites ça …). Tout ceci m’a profondément fatigué et écouter ce préfet discourir pendant presqu’une heure «sur ce que je devais faire» et «sur ce que je ne devais pas faire» était désagréable sachant que je n’avais que la radio pour avoir des informations sur ce qui se passait, ni rien d’autre à faire dans le noir.
Pour terminer, peut-on parler de la date de la rentrée scolaire de lundi prochain ? À nouveau, les autorités préfectorales et le rectorat avancent la rentrée scolaire de janvier d’une bonne semaine. À mon époque, dans les années 1980, la rentrée scolaire avait lieu aux alentours du 15 février et les vacances scolaires de l’été austral duraient deux mois, du 15 décembre au 15 février, respectant les périodes des plus grandes chaleurs australes. Il y a peu, la rentrée scolaire survenait plutôt fin janvier. Une nouvelle fois, cette année, la rentrée scolaire est avancée d’au moins une semaine. Il y a quelque années, les jeunes s’étaient massivement mis en grève pour protester contre la volonté de ramener la rentrée scolaire sur les dates métropolitaines. Gageons que notre si merveilleux préfet a déjà prévu la solution pour désamorcer la grogne des etudiants … Peut-être faire venir des centaines d’étudiants métropolitains pour remplacer les futurs grévistes …
Donc effectivement, je ne suis pas d’accord avec les appréciations dithyrambiques des journalistes, auditeurs et spécialistes sur les actions et la gestion merveilleuse de ce préfet. Mais tant qu’il est apprécié à Matignon et Place Beauvau … rien d’autre ne compte.
Saucratès