Critiques de notre temps

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Une Histoire de l’Afrique

Le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy de 2007, image du regard européen sur l’histoire africaine ?

 

Quelle est l’histoire de l’Afrique ? L’Afrique a-t-elle eu une histoire ? L’Afrique a-t-elle eu des civilisations extraordinaires qui ont marqué les mémoires de ces habitants, qui ont marqué l’histoire de leur empreinte ?

 

Il est trop souvent raconté que l’Afrique n’a pas eu d’histoire, que l’Afrique n’a pas eu de grandes civilisations. C’est évidemment totalement faux. Et dans cet ordre des choses, le discours de Dakar du président de la République française Nicolas Sarkozy est une abomination ou plutôt relève d’une stupidité abyssale. Pour ceux qui l’ont oublié, voici la partie du discours du président Nicolas Sarkozy incriminé :

 

«Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.»

 

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2007/11/09/le-discours-de-dakar_976786_3212.html

 

Le reste du discours de Nicolas Sarkozy pouvait être à peu près acceptable ; le drame de Nicolas Sarkozy, le drame de ce discours, c’est ce passage. La rencontre de la petite et de la grande histoire. Le paysan africain tout comme le paysan européen ont toujours vécu au fil des saisons et vivent probablement encore aujourd’hui, probablement même dans les fermes industrielles, au fil des saisons. L’harmonie avec la nature et l’éternel recommencement des tâches, c’est le propre de la vie agricole, de la vie à la campagne, et cela correspond tout autant au paysan africain qu’au paysan européen ou au paysan chinois. Il s’agit même désormais de l’idéal de tout citadin voulant revenir vivre à la campagne en communion avec la nature.

 
L’idée de ne pas être suffisamment rentré dans l’histoire énoncée par Nicolas Sarkozy a probablement trait à la faible présence de traces de grandes civilisations en Afrique. De l’absence de murs ou de constructions cyclopéennes probablement, à l’exception de la civilisation égyptienne. Mais le plus humoristique dans cette vision européenne de l’histoire africaine, c’est que la mémoire de la grande civilisation grecque, fondement de la culture européenne, et des écrits de ces grands philosophes et penseurs, n’est pas un héritage européen. L’Europe doit d’avoir retrouvé cette mémoire et cette connaissance à la civilisation islamique et à ses penseurs arabes et africains le plus souvent. 
 
Les autres traces ou constructions cyclopéennes européennes ne sont d’ailleurs pas considérées comme des traces de civilisations. Les mégalithes celtes, les tumulus, les menhirs dressés ou couchés, le site de Göbekli Tepe, ne constituent probablement pas, aux yeux de Nicolas Sarkozy comme aux yeux de tous ceux qui pensent comme lui, de traces de grandes civilisations ayant marqué l’histoire. Au fond, à leurs yeux, seules la Grèce antique et Rome ont marqué l’histoire, et sans la civilisation musulmane, sans l’Arabie, sans l’Afrique, sa signification réelle et la connaissance de son écriture et de son histoire aurait disparu. Seuls des ruines de châteaux-forts, des hautes murailles encerclant des villes et des citadelles représentent la civilisation. Le reste n’est rien à leurs yeux.
 
Ainsi, au fond, qu’est-ce que l’histoire européenne ? Quelques grandes constructions datant du sixieme et du cinquième siècle avant notre ère, il y a 2.500 à 2.600 ans, et qui a perduré quelques siècles ? L’histoire de l’Europe se serait-elle éteinte après le milieu du sixième siècle après notre ère, avant cette période obscure dont ne subsiste que des châteaux forts et des murailles ? L’histoire construite par l’Europe, c’est une histoire officielle construite par des gouvernements successifs depuis le dix-huitième ou le dix-neuvième siècle, dans un but d’abord scolaire et patriotique. Si l’Afrique n’a pu le construire, c’est d’abord à cause de ceux qui l’ont colonisé et qui ont cherché à détruire le souvenir de leur passé. De la même manière que les européens ont détruit la mémoire et le souvenir des peuples américains, mayas, incas, aztèques …

 

Pour échapper à cette vision restrictive sur l’histoire africaine, il serait bon de rappeler la véritable histoire africaine, pour ce que l’on en connaît. Mes sources se baseront sur les huit volumes de l’Histoire générale de l’Afrique, publié par le Comité scientifique international pour la rédaction d’une Histoire générale de l'Afrique, sous l’égide de l’UNESCO.

 

«L’Histoire générale de l’Afrique (HGA) est un projet en deux temps entrepris dès 1964 et qui se poursuit aujourd’hui. Durant sa treizième session, la Conférence générale de l’UNESCO a appelé l’institution à entreprendre cette initiative à la suite du vif besoin ressenti par les États membres africains récemment indépendants de reconquérir leur identité culturelle, de remédier à l’ignorance généralisée sur le passé du continent africain et enfin de se libérer de la lecture coloniale de leur histoire.» Source Wikipédia 

 

Une approche de l’histoire africaine, afin que l’on cesse de dire de l’Afrique qu’elle n’eut pas d’histoire avant sa colonisation par l’Europe

Il faut lire ce post sur l’histoire africaine de cette manière, comme une tentative de contredire, de prendre le contrepied de tous ceux qui disent, pensent et écrivent que l’histoire africaine est en jachère, que l’Afrique n’a pas eu d’histoire. Bien sûr, on peut rappeler que l’Europe n’eut guère plus d’histoire que l’Afrique et le reste du monde, si on excepte la permanence des grandes civilisations chinoises, indiennes et japonaises. De toutes ces cultures, seule la civilisation japonaise et dans une moindre mesure la civilisation chinoise, échappèrent à la colonisation européenne. Le reste du monde fut conquis et leur population parfois totalement remplacée par la population descendante des européens (Australie, Amérique, Océan Indien…).

 

L’histoire européenne est inséparable des temps obscurs, médiévaux où la barbarie semble régner en maître. L’histoire de l’Europe se perd elle-aussi dans une brume historique où émergent ici et là quelques dates et événements probablement reconstruits. Elle n’est pas différente de l’histoire africaine à cette différence près que des états africains ne surent pas reconstruire cette histoire nationale autour du dix-neuvième siècle puisqu’ils n’existaient plus, colonisés qu’ils étaient. 
 

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1. La Nubie, l’Egypte et l’Ethiopie

Evidemment, nul historien ne nie l’importance de l’Egypte pharaonique dans l’histoire du monde, avec les traces gigantesques des tombeaux de ses pharaons, où les merveilles de la ville d’Alexandrie comme son phare ou sa bibliothèque qui ont malheureusement disparu. On parle moins de la Nubie, autre versant de la culture monumentale égyptienne, de cette Nubie qui conquit l’Egypte et qui gouverna pendant plus d’un siècle l’Égypte et qui donna naissance à une dynastie de pharaons nubiens. La civilisation nubienne apparut dès -3100 avant notre ère et se perpétua jusqu’à notre ère avec l’empire de Koush puis le royaume de Méroé. 
 
A partir des premiers siècles de notre ère, le royaume nubien de Méroé s’effondre mais son histoire rejoint alors l’histoire du royaume chrétien d’Axoum en Éthiopie, dont l’histoire s’étend du premier siècle jusqu’au septième siècle. Mais l’effondrement du royaume d’Axoum ne signifie pas la fin d’un royaume chrétien en Afrique noire puisque le royaume d’Ethiopie des Salomonites lui succéderont jusqu’à notre époque. 

2. Carthage puis Rome

Carthage est fondée en -814 avant notre ère. Il s’agit d’abord d’un comptoir phénicien, à l’égal de Cadix ou d’Utique. Elle devient autonome à partir du quatrième siècle avant notre ère. D’abord en conflit avec les cités grecques de Sparte et de Syracuse, Carthage deviendra l’ennemi de Rome au cours des guerres puniques. Elle sera rasée et son site sera déclaré maudit aux alentours de -146 avant notre ère. Principal adversaire de Rome et de la Grèce, ces deux cultures feront tout leur possible pour éliminer toute trace de Carthage et la présenteront de la pire manière. 

Le Maghreb sera par la suite conquis par l’empire romain ainsi que l’intérieur des terres, où les romains construiront aqueducs, théâtres et thermes, et municipalités. Cette occupation durera quatre ou cinq siècles, soit autant de temps qu’en Gaule romaine. En 429 de notre ère, les Vandales, peuple germanique, installés en Espagne, traversent le détroit de Gibraltar et conquièrent les provinces romaines du Constantinois, de Carthage, puis des îles de Méditerranée occidentale. À partir de +533, l’empire byzantin éliminera en trois mois l’autorité vandale, puis rétablira les structures administratives romaines, au prix d’une insécurité chronique et de schismes dogmatiques religieux. L’occupation byzantine de l’Afrique romaine tiendra un siècle et demi, avant la conquête musulmane.

 
3. Les masques de la culture Nok

La culture Nok est essentiellement connue pour ses gigantesques masques en terre cuite retrouvés au cours de fouilles. Cette culture apparaît dans le centre du Nigéria vers -1500 ans avant notre ère et disparaît juste avant notre ère. Elle decouvre la céramique dès -1500 et entre dans l’âge du fer à partir de -1000 ou -800 avant notre ère. Elle constitue la première culture agricole sur les marges de la forêt vierge de l'Ouest africain. Cette culture n’a pas laissé de grandes constructions urbaines, semblant vivre en petits villages familiaux. 

 

4. Les ruines du Grand Zimbabwé

Le Grand Zimbabwe fut bâti au cours d'une période se situant entre le onzième et le quinzième siècle de notre ère, par le peuple bantou ou shona, capitale d’un royaume s’étendant sur le Zimbabwé actuel et le Mozambique. Lorsque les portugais le visitent les premiers, au seizième siècle, le Grand Zimbabwé n’est déjà plus que ruines. Ruines de murailles et de tours de pierre inscrites aujourd’hui au patrimoine mondial de l’humanité. 

Le terme Zimbabwé serait notamment la contraction de «dzimba dza mabwe» qui signifie «grandes demeures de pierre» en langue Shona. À noter que les européens chercheront d’abord à prouver que ces ruines ne peuvaient être d’origine africaine mais que ces ruines provenaient forcément de peuples du pourtour européen, phéniciens ou juifs.

 

5. L’empire des Almoravides

Si un peuple africain a marqué l’histoire de l’Europe, c’est bien l’empire des Almoravides (de l’Arabe ‘al-morabitoun’), né de tribus berbères sahariennes qui nomadisaient entre le sud du Maroc et le fleuve Sénégal. Partis du Sénégal et de la Mauritanie, ils conquirent la plus grande partie du Maghreb à partir de 1040 jusqu’en Andalousie en Espagne. L’empire des Almoravides s’effondrera en 1144 remplacé par celui des Almohades, qui s’effondrera lui-aussi à son tour au treizième siècle.
 
Accessoirement, la carte affichée au début de cet article ne mentionne aucun de ces deux empires qui représentent pourtant la conquête par des peuples berbères du Maghreb et d’une partie de l’Espagne. L’empire des Almoravides est surtout un souvenir encore présent en Afrique occidentale, et notamment à Dakar. Mon enfance scolaire y a notamment été rythmé par le récit de leurs prouesses guerrières et de leurs guerriers et dirigeants. 

 
6. Les empires du Mali, Songhaï et du Ghana

L’empire du Ghana a existé entre le troisième et le treizième siècle de notre ère. Il s’effondrera à partir du onzième siècle, d’abord envahi par les Almoravides, et finalement par l’empire du Mali. L’empire du Ghana comme celui du Mali auront pour capitale Ouagadougou puis Tombouctou. En 1324, l’empereur du Mali, Mansa Moussa, fera un pèlerinage fastueux jusqu’à La Mecque, soit un périple de près de 6400 kilomètres pendant deux ans, pendant lequel il distribuera plus d’une dizaine de tonnes d’or, dont l’histoire se rappelle encore. À son retour, il fera notamment construire la grande mosquée de Djingareyber à Tombouctou. Mais il s’agit de constructions en terre, nécessitant un entretien et un ravalement permanent, plus fragiles que des constructions en pierres cyclopéennes. 

 
https://www.rfi.fr/fr/podcasts/afrique-mémoires-d-un-continent/20240830-en-1324-le-fastueux-pèlerinage-à-la-mecque-de-mansa-moussa

 

  

Saucratès



14/04/2025
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