Critiques de notre temps

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Trump, Zelensky et l’illibéralisme

Que penser du combat idéologique qui se développe aujourd'hui dans les médias européens et sphères néolibérales européennes, épris de justice, de respect des droits, d'idéologie pro-ukrainienne, anti-dictatures pourvu que ces dictatures ne soient ni africaines, ni féministes, ni écologistes et ni musulmanes ? Que penser de l’illibéralisme versus la démocratie représentative ?

Des principales idées à la mode, je ne contesterai pas l'idée que les Etats-Unis sont effectivement devenus désormais un régime autocratique. Mais une surprenante autocratie : non pas l'autocratie d'un homme mais celle d'une multitude d'hommes, comme le président Trump, le vice-président Vance, le milliardaire Musk parmi des milliers d’autres. Une autocratie également issue du vote populaire, majoritairement masculin, majoritairement blanc, mais pas complètement. Trump et son colistier ont été élus par le peuple américain, avec bien plus de voix en proportion que Macron. Une autocratie enfin qui n'est considérée comme autocratique que parce qu'elle attaque frontalement les fondements mêmes de la pensée néolibérale épris de diversité, de mixité, pro-ukrainienne, anti-russe, dont l'ennemi archétypal est justement l'homme blanc hétérosexuel d'âge mûr représenté par Trump, Vance, Musk, Zuckerberg ou Bezos.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/03/02/les-debuts-de-la-presidence-trump-ont-suffi-pour-donner-au-cauchemar-de-l-amerique-virant-au-fascisme-un-amer-parfum-d-actualite_6572578_3232.html

 

Dès lors que quelques individus peuvent décider des choix d'un Etat, on peut au fond accepter la définition que nous sommes face à une autocratie.
 
S'agit-il néanmoins d'un régime de type fasciste comme le développe tant de journalistes ? Le problème c'est qu'il n'en existe pas une définition applicable au cas américain. Le problème, c'est que cette appellation est le mot 'rebutoire', repoussoir, pour éliminer toute argumentation qui ne répond pas à quelques principes fondateurs du néolibéralisme bien-pensant. Un mot repoussoir pour rendre illégitime tout argument défendant cet homme et son mouvement MAGA. Un mot repoussoir pour manipuler ses électeurs, pour leur faire changer d’avis, pour espérer pouvoir le vaincre. 

 
Si on reprend la définition qu'en donne Wikipédia :

 

«Le fascisme est un système politique autoritaire qui associe populisme, nationalisme et totalitarisme au nom d'un idéal collectif suprême. Mouvement d'extrême droite révolutionnaire, il s'oppose frontalement à la démocratie parlementaire et au libéralisme traditionnel, et remet en cause l'individualisme codifié par la pensée philosophique des Lumières».

 

Quant au terme de totalitarisme qui sert à qualifier le fascisme, Wikipédia en donne la définition suivante:

 

«Le totalitarisme est un régime ou système politique où n’existe plus qu’un parti unique, n'admettant aucune opposition organisée, et où l'État tend à exercer une mainmise sur la totalité des activités de la société. Un tel système restreint l'opposition individuelle à l'État. Il exerce ainsi un degré extrêmement élevé de contrôle sur la vie publique et privée.»

 

On ne peut raccourcir le fascisme à sa seule composante de régime d’extrême-droite ! Contrairement aux raccourcis simplistes des médias et des militants de gauche, on ne peut traiter de fasciste tout mouvement ou gouvernement d’extrême-droite sans opérer un hold-up intellectuel et criminel.

 

Pour moi, le Trumpisme n'a aucun des attributs du fascisme, si ce n'est de chercher à utiliser ce terme pour disqualifier ce mouvement et terroriser, faire peur, alerter les électeurs américains afin qu'ils ne votent surtout pas pour lui. Avec le résultat que l'on connait aujourd'hui. Le mouvement de Macron de 2017 était bien plus totalitaire que Trump en 2025, avec la soif de Macron et des siens de faire disparaître l'ancien monde politique, avec le succès que l'on observe aujourd'hui, et de disqualifier toute pensée contestataire au parlement et plus largement dans la société française, avec la réussite éclatante que l'on a connu par la suite avec notamment le mouvement des gilets jaunes.

Au plan international, il faut également remettre en cause le regard manichéen des médias européens (ou français) sur la politique américaine de Trump et Vance. Il n'y a pas d'un côté le camp du BIEN et le camp du MAL. L'Europe ne défend pas le BIEN et Trump le MAL. L'Europe change tout autant les orientations de sa politique étrangère internationale que l'Amérique ! L'administration Trump/Vince a une politique pro-israélienne affichée à l'instant même où l'Europe se détache d'Israël, probablement par opposition à la politique américaine. Et en même temps, Trump a réussi à imposer un cessez le feu à Israël et au Hamas, ce que son prédécesseur avait échoué à obtenir. De qu’elle manière Trump a-t-il pu imposer aux israéliens et au Hamas une trêve dont ils ne voulaient pas tout en appuyant aussi vigoureusement Israël ?
 
Et inversement, l'administration Trump joue un dialogue avec les russes et Poutine sur le conflit ukrainien lorsque l'Europe promeut l'extension du conflit avec la Russie et l’intervention des troupes européennes en soutien de Kiev. Mais l'ex-communion de Poutine et des russes est le mantra de la politique internationale européenne car toute la construction de l'effort financier pour aider l'Ukraine et Zelensky repose sur la confiscation des biens et des avoirs russes. Autant les Etats-Unis veulent se faire payer en minerais ukrainiens, autant les européens et les ukrainiens veulent se faire payer avec les avoirs russes confisqués.


L'un serait-il plus recommandable que l'autre, serait-il plus juste que l'autre ? Question de point de vue selon moi. Le remboursement de la dette coloniale colossale de la France vis-à-vis de Haïti, de ses ex-colonies africaines ou asiatiques pourraient donc être réalisées en confisquant l'ensemble des avoirs des entreprises et des oligarques français et des réserves de change de la France au niveau international, sans que cela ne nous pose problème ? C'est une vision des choses reposant comme d'habitude sur le simple droit du plus fort. Nul n’oserait confisquer les avoirs étrangers de la France et des oligarques français alors que cela semble naturel s’agissant de la Russie ! Simple question de droit du plus fort, avantage d’appartenir au club des pays occidentaux qui ne permettraient jamais que cela se produise.

 

Sauf que l'Europe est-elle vraiment plus forte que la Russie, les Etats-Unis et la Chine associés ? On peut nous parler de risques accrus de guerre en Europe, mais ne sont-ce pas justement nos gouvernements qui nous y précipitent sachant qu'ils n'en paieront jamais l'addition ? Que ce seront nos enfants et nos jeunes qui en paieront le prix fort ! Comme Zelensky, eux continueront gaiement à se pavaner de capitales en capitales et suspendront les élections démocratiques chez eux pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir.

L'analyse qui nous est donné des échanges entre Trump, Vance et Zelensky me semble également interprétable de différente manière. Ce n'est évidemment pas la lecture que Le Monde ou les dirigeants européens en ont fait. Bien évidemment. Ils parlent de tension inouie, d'agression subie par le courageux dictateur ukrainien. Chacun se fera sa propre opinion. L’affrontement a d’ailleurs plutôt lieu entre Vance et Zelensky plutôt qu’avec Trump, et Zelensky y sous-entend quand même que l‘armée américaine ou les américains pourraient souffrir de problèmes dans le futur. Osé et téméraire lorsque la menace émane d’un nain politique reçu à la Maison Blanche dans le Bureau Ovale.

https://www.lemonde.fr/international/video/2025/02/28/video-une-scene-d-une-tension-inouie-entre-donald-trump-et-volodymyr-zelensky_6570247_3210.html
 
La dernière des interrogations que l'on peut avoir, porte sur ce que l'on appelle l'illibéralisme. Qu'est-ce que l'illibéralisme ? Le Monde, d'une certaine façon, en donne une excellente présentation plutôt qu'une définition :


«On peut le résumer ainsi : la souveraineté de l’Etat-nation est primordiale et ne peut être limitée par des lois ou des institutions supranationales ; la société ne peut fonctionner sans autorité morale, et cette autorité peut conduire à des formes d’autoritarisme à l’encontre des institutions démocratiques si celles-ci sont jugées dysfonctionnelles ou capturées par les élites woke ; les lois doivent être faites pour la majorité, non pour les minorités ; les sociétés doivent être culturellement homogènes, les étrangers peuvent s’y intégrer en acceptant l’assimilation, mais non en demandant le multiculturalisme ; les individus ne sont pas des cartes blanches en termes d’identité, mais sont pétris d’histoire et de géographie, des marqueurs identitaires qui doivent être protégés et valorisés ; les normes culturelles en matière de famille, de sexe et de genre ne peuvent évoluer rapidement.»

 
https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/02/24/l-illiberalisme-de-j-d-vance-ne-se-contente-pas-de-critiquer-les-valeurs-liberales-et-progressives-il-avance-un-projet-politique-reel_6561493_3232.html

 

Au fond, je suis totalement d'accord ; voilà une excellente définition de ce que devrait être une Nation plutôt que l’illibéralisme. C'était d'ailleurs probablement une très bonne définition de la France des années 1960-1970 sous le général de Gaulle, d'une France patriarcale même si en terme d'égalité des sexes, cette France passéiste serait aujourd'hui choquante. Et pourtant, on ne disait pas autrefois de la France qu'elle était illibérale, que le général de Gaulle était un autocrate ou un dictateur. Ou bien si, mais du seul côté d’une minorité de la gauche de cette époque-là, du côté de Miterrand après qu'il est basculé du soutien aux vichyistes au socialisme. Son livre sur le coup d’état permanent qu’il oubliera totalement une fois installé au pouvoir, entre 1981 et 1995. La France était pourtant considérée comme une démocratie.
 
Comme quoi, les interprétations médiatiques autour de l'autocratie, de l'illibéralisme de certains régimes politiques, n'ont rien de dogmatique, de stable, de gravé dans le marbre. Ces interprétations évoluent en fonction des personnes qui font l'opinion publique, de ceux qui écrivent dans les médias, de ceux qui décident de l'orientation idéologique des principaux médias. Soyons bien d'accord, ces interprétations ne varient pas en fonction de l'opinion publique, mais seulement en fonction de ceux qui cherchent à fabriquer cette opinion publique. Aux Etats-Unis, une large fraction de l'opinion publique est du côté de Trump même si les médias chercheront à nouveau à les influencer dans un autre sens. L'opinion publique française est de son côté partagée en trois blocs presque égaux (quatre en comptant les abstentionnistes). Et notre regard sur l'illibéralisme de l’Italie ou la Hongrie nous est donné par des médias occidentaux et libéraux.


Alors effectivement, je me retrouve véritablement dans cette présentation de la politique, de l'idée d'une Nation. Bien plus que dans un régime comme le libéralisme politique actuel, où tout est accessoire, et tout ce qui est nouveau est célébré, présenté comme extraordinaire, phénoménal, novateur, enrichissant. Où les valeurs traditionnelles de la famille, du père et de la mère et du catholicisme, de la France fille aînée de l’Eglise catholique, sont foulées au pied par des barbares sans foi ni loi.

 

Par opposition, en inversant la définition donnée par Le Monde, on peut esquisser ce qu’est sensé être une démocratie libérale, représentative, démocratique :

  • la souveraineté de l’Etat-nation est accessoire et les lois de l'Europe prime sur toute souveraineté
  • la société doit fonctionner sans aucune autorité morale,
  • il est merveilleux que les institutions démocratiques soient capturées par les élites woke,
  • les lois doivent être faites pour les minorités et surtout pas pour les hommes hétérosexuels blancs qui doivent rendre des comptes aux membres des minorités de genre ou de couleur qu’ils ont discriminées,
  • la société ne doit surtout pas être culturellement homogène, et les étrangers doivent y bénéficier de plus de droits que les nationaux,
  • les individus doivent avoir carte blanche en termes d’identité et de genre,
  • les normes culturelles en matière de famille, de sexe et de genre doivent évoluer le plus vite possible, tant qu'elles s'opposent aux valeurs traditionnelles


Au fond, Le Monde permet dans cet article de resituer un combat de civilisation entre deux visions du monde absolument opposées : un monde moral que représente pour eux l'illibéralisme, et un monde où toute atteinte à la célébration des idées progressistes est criminalisée, où l'idéal de la démocratie autorise toutes les compromissions et les renoncements dès lors que ces renoncements visent à permettre au système progressiste de se maintenir au pouvoir, de l'emporter démocratiquement.
 
Et tant pis si pour cela, l'Europe viole ses idéaux démocratiques puisque la démocratie n'existe à leurs yeux que pour permettre l'élection de dirigeants néolibéraux qui appliqueront les mêmes politiques partout en Europe. Peu importe que les gouvernements soient de droite, du centre ou de gauche pourvu qu'ils appliquent tous et partout le même programme politique.

 
Mis à part une minorité de jeunes ou moins jeunes barbares, de féministes et d’extrémistes, nous sommes tous au fond des illibéraux!

 

 

Saucratès



04/03/2025
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