Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

De la justification des inégalités

Saint-Denis de La Réunion, dimanche 22 septembre 2019

 

Qu'est-ce que recouvre la notion d'inégalités? 

 

Je me baserais sur les premières lignes écrites de l'introduction du dernier livre de Thomas Piketty. 

 

«Chaque société humaine doit justifier ses inégalités : il faut leur trouver des raisons, faute de quoi c'est l'ensemble de l'édifice politique et social qui menace de s'effondrer. Chaque époque produit ainsi un ensemble de discours et d'idéologies contradictoires visant à légitimer l'inégalité telle qu'elle existe ou devrait exister, et à décrire les règles économiques, sociales et politiques permettant de structurer l'ensemble. De cette confrontation (...) émergent généralement un ou plusieurs récits dominants sur lesquels s'appuient les régimes inégalitaires en place.» 

Thomas Piketty, «Capital et idéologie»

 

Sacré programme ouvert par une telle introduction. C'est l'objet du dernier livre de Piketty. Et c'est également, sous une forme différente, l'objet de cet article de mon blog. Premièrement, il en ressort que la France, comme les Etats-Unis, comme autrefois l'URSS, comme aujourd'hui et hier la Chine communiste, comme les anciens empires antiques, étaient ou sont effectivement des régimes inégalitaires. Foin de démocraties, foin de devises frappées aux frontispices de nos temples et de nos églises laïques modernes, comme «Liberté, égalité, fraternité» ; notre société française moderne n'est qu'un vulgaire régime inégalitaire où les inégalités sociales, financières et de position, se perpétuent. 

 

Il y a d'un côté le discours officiel, teinté de méritocratie, de chances égales, de labeur et de travail, et il y a le discours officieux, le système de réseautage, d'appuis souterrains et masqués, qui structurent réellement notre monde, notre société, notre système économique et politique. Il n'est pas suffisant de travailler à l'école, pendant ses études ... de jouer le jeu pour gravir les échelons des entreprises, des sociétés ou de l'administration ... il n'est même pas suffisant de passer par les bonnes écoles, de faire les bonnes prépas scientifiques ou littéraires ... car au final, ce qui l'emporte, ce sont de connaître les bonnes personnes, de disposer des bons réseaux, qui seront autant d'accélérateurs de croissance et de carrière. Le principal tord d'Emmanuel Macron, c'est d'avoir mis en lumière la puissance de ces réseaux souterrains, capables de faire venir au pouvoir un total inconnu, un absolu avatar de la politique, dont l'on devine très vite que son élection n'est pas du tout naturelle, est illogique, est contraire à toute logique démocratique. 

 

L'élection d'Emmanuel Macron a ruiné toute la justification démocratique de notre pays, de La France. Elle a ruiné toute la justification des inégalités existant en France et acceptées par les français. Même si tous ne s'en rendent pas compte, le mouvement des gilets jaunes, la colère populaire contre ses élites et contre ses politiques à pour origine, pour révélateur cette élection incompréhensible. Comment un type ayant décidé un an auparavant de devenir président de la république et ayant lancé les premières bribes de son Parti politique a-t-il pu être élu et peut-il disposer d'une majorité à l'Assemblée nationale ? Il n'y a que deux possibilités : soit le jeu était truqué, depuis très longtemps sans que personne au sein du peuple ne s'en soit aperçu, soit le peuple français est bête, idiot, abruti. Et dans ce dernier cas, il est également à la merci de bons médias, des bons réseaux d'influence. Dans les deux cas, cette élection présidentielle nous a démontré que notre système démocratique est complètement verolé, faux, contrôlé par des groupes privés dont l'intérêt personnel prime absolument sur l'intérêt commun/collectif. 

 

L'introduction de Thomas Piketty présente un principe idéalisé des sociétés humaines. Un système dans lequel les inégalités seraient justifiées par un discours fondateur. Dans il existerait une justification des écarts de considération, de richesse, de pouvoir entre les membres de la société. La société communiste parfaite de l'ex URSS prévoyait que tous étaient égaux, que tous devaient recevoir en fonction de leurs besoins. Et pourtant, dès la chute de l'URSS, des apparatchiks sont devenus les nouveaux maîtres de la Russie. Membres des services secrets, directeurs de grandes entreprises, l'URSS elle-même était traversée de fausses justifications et de vraies élites souterraines. En France, on veut nous faire croire que l'ENA est l'antre de la reproduction de nos élites, une école fondée à la libération pour doter la République d'une haute-fonction publique compétente et intègre, une école dans laquelle on entre au mérite. Mais il n'en est rien. Les enfants de hauts fonctionnaires ont bien plus de chance d'intégrer l'ENA que le commun des mortels. Les hauts fonctionnaires se reproduisent de générations en générations. Le milieu social et les réseaux y comptent bien plus que le travail, le mérite et le talent.

 

La France en est arrivée à cette extrémité : la justification des inégalités existantes ne reposent plus sur aucun discours explicatif. Il y a un groupe de députés, de ministres disposant de l'ensemble du pouvoir politique mais sans aucune possibilité de légitimisation de leur pouvoir, si ce n'est de parler d'un ancien monde honni et d'un nouveau monde  ! Il y a des très riches, des immenséments riches, qui contrôlent des pans entiers de l'économie française, qui laissent entrer les puissants qu'ils souhaitent, qui font élire ceux qu'ils souhaitent à la présidence de la République francaise ... Ils étaient déjà faiseurs de rois dans les économies bananières ... Ils le sont maintenant en France, à moins que la France ne soit devenue une économie bananière comme les autres. 

 

Comment sortir de ces inégalités, et de quelle manière ? Ce n'est pas si simple. Qu'est-ce d'ailleurs qu'une inégalité ? Le fait d'avoir une maison, un chez soi, par rapport à ceux qui n'en ont pas, qui se noient dans la Méditerranée comme l'indique T. Piketty, est-ce cela l'inégalité ? Mais les puissants de ce monde, de la finance comme notre président Macron, n'ont plus vraiment de chez eux. Ce n'est pas cela qui définit leur pouvoir, leur richesse, leur puissance. Ils ne nous contrôlent pas parce qu'ils possèdent quelques maisons ! Ceux qui ont encore un chez eux sont la petite classe moyenne que ce nouveau monde veut faire disparaître, veut paupériser. Les puissants, est-ce ceux qui se saignent aux quatre veines pour que leurs enfants fassent des études ? Et pourtant c'est une forme d'inégalité, entre ceux qui ont pu faire des études et ceux qui ne le peuvent pas, parce que leurs parents n'en voyaient pas l'utilité, parce qu'ils n'en voyaient pas l'intérêt, ou parce qu'ils n'ont pas pu en faire ! La question derrière le discours sur la justification des inégalités, c'est leur légitimité. Les inégalités de richesses, de considération, de pouvoir, sont-elles légitimes en France, dans les pays occidentaux, et de quelles manières peut-on les remettre en cause puisqu'elles ne sont plus légitimes. A toutes ces questions, T. Piketty y répond peut-être dans ce livre.

 

https://www.telos-eu.com/fr/societe/la-derive-egalitariste-de-thomas-piketty.html

 

 

Saucratès



22/09/2019
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