Critiques de notre temps

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L’Europe et la Cour constitutionnelle de Karlsruhe : l’avenir européen est en jeu

Saint-Denis de la Réunion, jeudi 14 mai 2020

 

Mettons immédiatement un bémol, une limite, à ce que je vais écrire aujourd’hui : je ne suis qu’un néophyte, un presque incompétent, en matière de droit, et encore plus en matière de droit constitutionnel . Et pourtant, en tant que citoyen, je ne peux que me sentir concerné par ce qui est en train de s’écrire actuellement au niveau européen. On s’est certainement tous parfois interrogé sur la conformité de certaines lois ou réglementations françaises avec notre Constitution. La dernière en date était évidemment le confinement. Est-il constitutionnel par exemple d’interdire les déplacements des personnes et les soumettre à l’utilisation d’une autorisation écrite, quelqu’en soit l’auteur, que ce soit soi-même comme aujourd’hui, ou les autorités militaires d’occupation nazie en 1941-1944 ? Est-il constitutionnel, voire même conforme aux traités internationaux supérieurs au droit français, d’interdire aux citoyens le droit de manifester librement, par exemple à l’occasion du premier mai 2020 ?

C’est pour cette raison que ce qui est en train de se dérouler autour de la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe me semble primordiale. La Cour constitutionnelle allemande est peu ou prou l’équivalente du Conseil constitutionnel francais, ou de la Cour Suprême américaine. C’est la plus haute juridiction judiciaire allemande. Et pour cette raison, on ne peut pas se réjouir des difficultés allemandes et du risque de voir museler les plus hautes autorités judiciaires allemandes.

 

https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/12/a-karlsruhe-des-juges-au-dessus-de-tout_6039439_3210.html

 

https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/11/apres-l-ultimatum-de-la-justice-allemande-a-la-bce-l-allemagne-face-aux-institutions-europeennes_6039309_3210.html

 

Que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe est raison ou non n’est pas le problème. Le verrou de la justice allemande a toujours été connu en matière monétaire. C’est l’extrême sensibilité des allemands pour tout ce qui peut s’écarter de l’orthodoxie monétaire, et donner naissance à un mouvement inflationniste ou d’instabilité monétaire, qui est la pierre d’angle de la construction monétaire européenne. L’Allemagne a connu des épisodes d’hyper-inflation de sinistre mémoire et extrêmement douloureux, puisque cette hyperinflation donna naissance au Troisième Reich et à l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir. C’était un fait connu que tout assouplissement des règles monétaires de l’Euro pourrait conduire à une intervention de la justice allemande. 

Avec les derniers assouplissements monétaires en réponse à la crise financière liée au covid-19, il n’est donc pas très surprenant que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe les condamne. Ce qui est plus surprenant, c’est manifestement que l’Europe s’en offusque et menace l’Allemagne de poursuites juridiques et d’infractions aux Traités européens. C’est un bras de fer mortel pour nos libertés et pour le devenir de l’Europe qui est en train de se jouer actuellement en sourdine, et au cours de transactions européennes où nous sommes représentés par des nains incompétents mais qui cherchent à se tailler des costumes churchilliens ou gaulistes. Ce qui est en train de se passer en gravissime. 

La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne était déjà une première catastrophe. L’Europe était un projet magnifique d’unité européenne, fondé par des géants politiques (de Gaulle et Adenauer) et auquel d’autres géants politiques ont apporté leur pierre à la construction de l’édifice europeen. Et aujourd’hui est arrivée l’époque des fossoyeurs et des nains. L’Europe est devenue le paradis des lobbys et des réglementations de toute sorte pour la plupart toute aussi kafkaïennes que les intérêts privés des multinationales et des technocrates qui les défendent (teneur en cacao du chocolat, autorisation des gliphosphates ...). 

 

Et aujourd’hui se pose le problème de la supériorité des plus hautes juridictions judiciaires nationales ou des autorités judiciaires de l’Union européenne. Comment une Union européenne qui peut se poser en défenseuse de l'autonomie des autorités judiciaires polonaises ou hongroises face à des pouvoirs politiques considérés comme populistes et à des législations considérées comme attentatoires à leur autonomie, peut-elle en même temps parler de poursuivre un Etat de l’Union européenne parce que ses plus hautes autorités judiciaires condamnent des décisions européennes et les jugent inconstitutionnelles à leur propre droit ? Ce grand écart des technocrates européens, des nains qui nous dirigent, cette façon de défendre une chose et son contraire, me semble inconcevable. Nous aurions tord de nous réjouir des difficultés allemandes et de cette image de l’arroseur arrosé, comme peuvent le vivre les citoyens grecs, italiens, espagnols, polonais ou hongrois. Ce qui se joue là, comme dans dans la sortie du Royaume-Uni de l’UE, c’est une certaine façon de vivre l’Europe, c’est un certain tournant de l’Europe.  Une Europe de multinationales et de lobbys, ou une Europe de justice. Aussi imparfaite qu’elle puisse être ; elle pourrait être pire. Demain, ce pourra être le droit des peuples à adopter les traités ou des États à accepter les élargissements de l’Europe qui seront foulés aux pieds. Et les autorités judiciaires nationales qui s’opposeraient à de telles violations des traités européens seraient elles aussi poursuivies et bâillonnées. 

Evidemment, il y a un débat constitutionnel en cours à avoir dans cette affaire ! Je ne m’intéresse ici qu’à l’aspect purement médiatique de cette affaire, que je pense étouffé et souterrain. Au mieux, on apprendra dans quelques semaines ou quelques mois que les brillantes interventions de notre si cher président Macron auront permis de trouver une solution diplomatique à cette crise, grâce à de brillantes tractations dont les médias nous feront pompeusement l’écho et lors desquels ils loueront la sagesse de notre si cher président ! Nous verrons bien ce que donneront les suites de cette affaire judiciaire. 


Saucratès



14/05/2020
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