Critiques de notre temps

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Bioéthique

Collection Notions - Dans une série de petits articles, j’essaierai de revenir régulièrement sur quelques notions, pour faire un point de manière régulière, une fois par an, sur certains sujets que je juge importants.

 
 

Bioéthique

 

Par Saucratès 

 

Saint-Denis de la Réunion, samedi 22 octobre 2022

 
 

Bioéthique ou éthique du vivant. Du grec ancien Bios (vie) et ethos (moeurs ou plus largement morale). En quelque sorte, on peut la définir comme «l’étude des problèmes moraux que soulèvent la recherche et les techniques biologiques, génétiques».

 

Selon le site du gouvernement français :

 

«Avec les progrès rapides des biotechnologies, la bioéthique s’est rapidement focalisée sur l’humain et, ce faisant, sur les questions éthiques soulevées par leur application à l’homme.

 

La bioéthique peut ainsi se définir comme un ensemble de recherches, de discours et de pratiques, généralement pluridisciplinaires, ayant pour objet de clarifier ou de résoudre des questions à portée éthique suscitées par l’avancement et l’application des technosciences biomédicales (Gilbert Hottois).

 

La bioéthique est née et s’est ancrée sur quatre grands principes: le respect de l’autonomie du de la personne, de la bienfaisance, de la non-malfaisance et de la justice. Ces principes, formulés dans le rapport Belmont de 1979 portant sur la recherche sur l’être humain, vont être progressivement étendus à l’ensemble de la pratique médicale sous l’influence d’un ouvrage intitulé Principles of Biomedical Ethics.»

 

https://solidarites-sante.gouv.fr/grands-dossiers/bioethique/article/5-questions-sur-la-bioethique

 

Ethique du vivant ! Mais le vivant n’a pas forcément d’éthique. Les animaux n’ont pas d’éthique. Ni les plantes. On ne considère pas non plus que homo sapiens était éthique dès son origine. Avant la Grèce antique, avant les Grecs anciens, avant les philosophes grecs, on pense aujourd’hui que les humains ne connaissaient pas l’éthique. On pense que les grecs anciens à travers la philosophie furent les premiers à réfléchir philosophiquement sur leurs actions, sur les conséquences de leurs actions. Pas les égyptiens qui les avaient précédés, ni les perses, ni toutes les civilisations proche-orientales qui s’étaient succédés depuis les cités sumériennes et akkadiennes, ni même les incas et les mayas. Ces sociétés ont inventé l’écriture, la comptabilité, mais ni la philosophie, ni la morale.

 

Les sociétés archaïques antérieures ne connaissaient pas évidemment pas non plus l’éthique, ils ne s’interrogeaient pas sur les conséquences de leurs actions ou de leur inaction. Cela ne signifie pas qu’il n’y avait pas de règles dans les sociétés archaïques anciennes ainsi que de multiples interdits. Les sociétés archaïques anciennes sont corsetées d’interdits, d’obligations imposées à tous. Mais l’éthique et les interdits ne sont donc pas une seule et même chose. Obéir à des interdits et respecter une morale ou une éthique n’a ainsi pas du tout la même signification.

 

L’homme n’a pas non plus attendu la bioéthique ou la philosophie pour toucher ou modifier l’ADN des plantes ou des animaux. Depuis 10.000 ans, L’homme a fait évoluer les plantes avec lesquels il partage cette planète. Ainsi que les animaux. Mais c’était une évolution accidentelle du génome ou de l’ADN des plantes via la domestication. Aujourd’hui, l’humanité est capable de modeler le vivant, son propre ADN, celui de ses enfants et des enfants des autres.

 

Mais s’il est facile de comprendre l’importance de la bioéthique et de sa place dans la réflexion éthique autour de la recherche et des techniques biologiques et génétiques, on peut malgré tout se demander ce que l’on entend réellement en France par les termes de bioéthique, et par ces lois sur la bioéthique ? La bioéthique correspond-elle à des principes moraux intangibles, ou bien est-elle subordonnée à la politique, à l’économie, aux nécessités concurrentielles de la lutte internationale, de la préservation de champions nationaux ou européens ? 

En clair, pourquoi utilise-t-on les termes galvaudés de bioéthique puisqu’au final ce sont des impératifs non-moraux, amoraux, économiques, politiques, ou concurrentiels qui priment sur les principes éthiques et moraux qui devraient prévaloir ?

 

Et je voudrais en revenir à ma comparaison initiale avec les sociétés archaïques qui ignoraient, qui n’avaient pas encore découvert la réflexion philosophique, morale et éthique. La bioéthique aujourd’hui se comprend comme une somme d’interdits, d’interdits évolutifs puisque les interdits d’hier ne sont plus les interdits d’aujourd’hui, parce que, quelque part dans le monde, une équipe a réussi à braver les interdits éthiques et que toutes les équipes, toutes les nations veulent pouvoir les suivre, veulent pouvoir les imiter. Le docteur Josef Mengele n’avait qu’un siècle d’avance sur la médecine moderne et sur la bioéthique. 

Les expériences sur les fœtus humains, sur les embryons transgéniques et sur les chimères humain-animal ont ainsi été interdites mais les avancées potentielles de ces techniques ont ensuite impliqué de les autoriser par le biais de loi d’août 2021. La bioéthique n’a d’éthique que son nom. Elle n’est ni intangible, ni réflexion sur elle-même et sur son objet ; elle n’est qu’une somme d’interdits que chacun, chaque équipe de recherche, cherche à contourner, à repousser pour continuer toujours plus loin vers un homme parfait, immortel, augmenté, ou dénaturé. Il faut lire l’article du Monde Diplomatique d’octobre 2022 sur la bioéthique de Jacques Testart. 

https://www.monde-diplomatique.fr/2022/10/TESTART/65153

 
« Les perspectives ouvertes par les ciseaux génétiques genre Crispr-Cas9 ont favorisé l’essor d’un tourisme médical où l’argent règne en maître, et ont contribué à étendre la structure du biopouvoir à l’échelon international en réunissant les acteurs de l’édition du génome des principaux pays occidentaux. Si l’on peut se réjouir des interventions de l’OMS pour que la bioéthique décide enfin du licite et de l’interdit à l’échelle internationale, l’institution accompagne plus qu’elle ne devance ces évolutions, comme en témoignent ses ‘Recommandations sur l’édition du génome humain pour faire progresser la santé publique’ (communiqué de presse du 12 juillet 2021). Quelques mois plus tôt (19 mars 2021), le Groupe européen d’éthique publiait, à Bruxelles, un document sur le même thème (Ethique de l’édition génomique) à l’adresse des européens, en faisant fi des nombreuses publications scientifiques qui documentent l’absence de maîtrise de ces technologies et pointent les dommages irréversibles qu’elles pourraient infliger au génome. »

 

La bioéthique, enfin, échoue totalement à protéger le monde, l’humanité, la nature, de la stratégie d’accaparement du capitalisme humain, du processus de captation du vivant par les puissants, par le capitalisme, par les États. Bien au contraire, la bioéthique n’est qu’un paravent ayant pour objectif de faire croire que l’Etat cherche à protéger ses concitoyens alors qu’il ne cherche réellement qu’à protéger les intérêts de ses industries et de sa recherche.

 

Les industriels peuvent ainsi breveter le vivant, les semences, rendre leurs produits stériles pour s’assurer que leurs utilisateurs continueront à acheter de nouvelles semences, de nouvelles graines les années suivantes. Cette stratégie d’accaparement de la nature, du vivant, a un nom : le capitalisme. Ce système capitaliste qui contrôle tous les rouages de l’Etat, des États, à travers cette collusion entre les élites capitalistes qui les dirigent et les élites administratives qui contrôlent l’Etat et la Commission européenne, entre ceux qui utilisent les lois et ceux qui fixent les lois et les règlements. Et au milieu de tout cela, le citoyen qui se croit protéger par un corpus de lois, par des lois bioéthiques qui, en fait, changent en fonction des intérêts des uns et des autres, de l’avancée de la science, à des années-lumière de ce que devrait être l’éthique du vivant.

 

Comme le questionnait le groupe des Faucheurs volontaires : 

 

«Peut-on fonder une société humaine sur la transgression perpétuelle par la technique des limites éthiques ?» 


Citation par Jacques Testard, Le Monde Diplomatique

 

 

Saucratès 



22/10/2022
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