Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Nouvelles réflexions morales sur Foucault

 

Réflexion dix (16 février 2010)
Normes, normalité et anormalité (bis) ...


Dans le cadre d'une vision idéal-typique de la société, l'approche de Rawls permet de déterminer une vision rêvée de la normalité sociale : un citoyen engagé dans une coopération sociale et intergénérationnelle. Il s'agit à première vue d'une notion absolue, objective ... Mais en même temps, on peut dire que cette normalité est relative au sens où elle s'entend dans un système où la coopération sociale est la norme usuelle. Si cette normalité devait être la non-coopération, le vol et la rapine, cette vision idéal-typique de la vie en société en démocratie n'aurait plus de sens ...

Ces postulats posés par Rawls pour lui permettre de décrire le fonctionnement idéal-typique d'une société démocratique correspondent-ils pour une part à la réalité ? Les citoyens engagés dans la coopération sociale constituent dans nos démocraties occidentales une proportion assez élevée de la population totale : les citoyens qui payent leurs impôts, qui déclarent leurs revenus, qui ont une activité légale déclarée, qui participent à la vie de la nation. En référence à l'approche de la normalité posée par Michel Foucault, les anormaux sont ceux qui s'écartent de la coopération sociale, qui se mettent en marge de la société et de l'organisation étatique. En même temps, les uns comme les autres peuvent s'inscrire indifféremment dans la coopération intergénérationnelle en élevant et en instruisant une progéniture.

On voit ainsi bien que malgré l'existence d'une approche objective de la normalité, elle dépend en dernier ressort de l'analyse que l'on peut faire du concept de coopération sociale. Pour peu qu'on l'appréhende comme le fait de s'intégrer à la société, de payer ses impôts, d'avoir une activité déclarée, de respecter la loi, on obtient alors une définition subjective de la normalité. Mais peut-on dire que les citoyens occupés dans des activités illégales, non déclarées, de trafic de drogue, de travail au noir, de vol divers, sont malgré tout dans le registre de la coopération sociale ? La généralisation de tels comportements ne seraient-ils pas dangereux pour la survie de la société elle-même ?

L'écart à la norme, que l'on peut appeler anormalité, pose me semble-t-il un problème théorique gravissime à la société. Ce genre de comportement n'est tolérable par la société que dans une proportion donnée relativement faible. Que ce comportement se généralise et c'est l'ensemble de l'armature de la société qui se déferait. Mais ceci n'empêche une certaine proportion de la population de se livrer à des actes répréhensibles dangereux pour la survie de la société, dans un simple calcul utilitariste de ces personnes, qu'ils savent gagnant uniquement s'il n'est pas copié par tout le monde. Si tout le monde vole ou trafique, ce genre de comportement déviant n'a plus d'utilité car il devient la norme et tout le monde vole tout le monde ...

La régulation de l'anormalité, qui est du ressort d'une force de police interne à la société, est ainsi indispensable pour le maintien de la société, même si elle est contestée par toutes les bonnes âmes qui la voient comme une force de répression sociale ... une norme imposée.

L'approche de Foucault, pourtant apparemment opérante, pose alors problème, car elle retire toute légitimité à la normalité sociale, en l'édictant soit comme le produit d'un système disciplinaire, soit comme le produit d'une distribution due au hasard de comportements humains alétoires ... 

La société humaine n'aurait pu exister que ce soit à l'origine, dans le passé ou maintenant, en l'absence de comportements de coopération sociales entre les individus la composant. Ce genre de comportements n'est pas indispensable simplement au fonctionnement d'une société démocratique dans l'absolu, mais il est indispensable à toute vie sociale, à toute société humaine ... Les autres formes d'organisations politiques reposent simplement sur des déviations du phénomène de coopération sociale dans les sphères dirigeantes ou aristocratiques de la société. Même si ces dirigeants se libèrent de leur obligation de coopération sociale, ces sociétés survivent tant qu'une majorité de la population respecte cette nécessité de coopération sociale.

D'où l'idée que seul le respect par les élites dirigeantes d'une société quelconque détermine si cette société sera démocratique ou non. Ce qui par conséquent fait ressortir l'extrême fragilité de toute démocratie, qui peut basculer dans une dictature, dans un régime fasciste, dans une aristocratie, par le simple comportement de ses élites dirigeantes.


Réflexion neuf (15 février 2010)
Normes, normalité et anormalité ...

« (...) On a donc un système qui est, je crois, exactement l'inverse de celui que l'on pouvait observer à propos des disciplines. Dans les disciplines, on partait d'une norme et c'est par rapport à ce dressage effectué par la norme que l'on pouvait ensuite distinguer le normal de l'anormal. Là, au contraire, on va avoir un repérage du normal et de l'anormal (...). On a donc là quelque chose qui part du normal et qui se sert de certaines distributions considérées, si vous voulez, comme plus normales que les autres, plus favorables en tout cas que les autres. Ce sont ces distributions-là qui vont servir de norme. La norme est un jeu à l'intérieur des normalités différentielles. C'est le normal qui est premier et c'est la norme qui s'en déduit, ou c'est à partir de cette étude des normalités que la norme se fixe et joue son rôle opératoire. » (Michel Foucault - «Sécurité, territoire, population» - page 65)

D'un côté, donc, une lecture de Michel Foucault sur les concepts de normalité et de normalisation. Cette idée que la norme n'est qu'une notion relative, mais au-delà de sa relativité, une opposition existant entre les systèmes disciplinaires et sécuritaires. « La normalisation disciplinaire consiste à poser d'abord un modèle, un modèle optimal qui est construit en fonction d'un certain résultat, et l'opération de normalisation disciplinaire consiste à essayer de rendre les gens, les gestes, les actes conformes à ce modèle, le normal étant précisément ce qui est capable de se conformer à cette norme et l'anormal, ce qui n'en est pas capable (...) » (Michel Foucault - «Sécurité, territoire, population» - page 59).

Deux visions compréhensibles et appréhendables de ce que peut être la normalité. La logique de la normalité disciplinaire ressemble au monde actuel du travail, mais également à celui du monde éducatif dans lequel nos enfants doivent se développer ... Le travailleur normal ou l'enfant normal étant celui  qui arrive à se conformer à ce que l'on attend de lui, au modèle du parfait employé ou du parfait écolier/collégien/lycéen que l'institution, et ses collègues ou condisciples, attendent de lui ... Avec cette particularité qui veut que chaque entreprise, chaque établissement scolaire, essaie d'avoir sa propre culture différente des autres entreprises ou établissements scolaires, qui le différenciera des autres, ce qui impose une culture particulière, maison à chacun de ses employés ou de ses élèves ...

L'entreprise ou l'établissement scolaire à visage humain, avec une culture propre valorisable aux yeux des personnes extérieures, n'est qu'une forme de normalité disciplinaire ...

Dans la vision de la normalité sécuritaire, la norme n'est plus uniquement qu'une moyenne gaussienne de la distribution aléatoire des comportements humains. Dans la normalité disciplinaire, on sent bien déjà que la norme n'est rien d'autre qu'une construction d'une entité : la société ... et qu'elle aurait tout aussi bien pu être autrement, différente, par exemple dans le cadre d'un autre système de production économique ... Dans la normalité sécuritaire, la norme n'est même plus une construction ; elle est simplement le résultat du hasard ... On est dans la moyenne ou on est hors de la moyenne ...

Loi normale, ou loi gaussienne : loi de distribution statistique qui permet de montrer qu'une variable se distribue aléatoirement autour de sa moyenne. On parle de loi normale lorsque l’on a affaire à une variable aléatoire continue dépendant d’un grand nombre de causes indépendantes dont les effets s’additionnent et dont aucune n’est prépondérante (conditions de Borel). Les 4% d'anormaux sont alors simplement ceux qui sont distribués aléatoirement à la distance la plus éloignée de la moyenne, par rapport à la moyenne.

Dans les deux cas, nous nous trouvons ainsi face à des définitions subjectives ou aléatoires de la normalité, et on découvre que l'on a simplement, chacun d'entre nous, une certaine probabilité d'être conforme à la norme, ou au contraire, déviant par rapport à la norme.

Une autre lecture d'un autre auteur, John Rawls, dans son livre «La justice comme équité», pose une définition des conditions qu'il estime nécessaire à l'existence d'une justice ...

« (...) Je qualifie d'idées fondamentales celles que nous utilisons pour organiser et donner une structure d'ensemble à la justice comme équité. L'idée la plus fondamentale de cette conception est celle de la société considérée comme un système équitable de coopération sociale à travers le temps, d'une génération à la suivante. Nous utilisons cette idée comme l'idée centrale organisatrice qui préside à notre tentative de développer une conception politique de la justice pour un régime démocratique.

Cette idée centrale est élaborée en conjonction avec deux idées fondamentales complémentaires : l'idée des citoyens (les agents qui sont engagés dans la coopération sociale) considérés comme libre et égaux, et l'idée d'une société bien ordonnée, c'est-à-dire une société effectivement régie par une conception publique de la justice. »
(John Rawls - «La justice comme équité» - page 23)

Vision idyllique de la société ... Mais l'humanité ressemble-t-elle à cela ? Les citoyens d'un état même démocratique, par exemple les français, répondent-ils à l'idée absolue de coopération sociale à travers le temps, entre générations, considérés comme libres et égaux, dans une société régie par une conception publique de la justice ? La normalité correspondrait alors à l'idée que les citoyens s'engagent dans un processus de coopération sociale, avec les autres et à travers le temps, vis-à-vis des générations suivantes ... Une conception non plus aléatoire ni même subjective de la normalité, mais une définition objective, absolue ...

D'un côté, une vision pessimiste, sombre, mais également opératoire de la société que je retrouve sous la plume de Michel Foucault ; de l'autre, une vision magnifiée, belle mais inopérante de la société que je découvre sous la plume de John Rawls ... 
  

Réflexion huit (8 février 2010)
Le travail, le capitalisme, et la discipline ...

« (...) Chez Marx, les relations de domination paraissent s'établir, dans l'usine, uniquement par le jeu et les effets du rapport antagoniste entre le capital et le travail. Pour Foucault, au contraire, ce rapport n'aurait été rendu possible que par les assujettissements, les dressages, les surveillances produits et administrés préalablement par les disciplines.

(...) Ce ne serait donc pas la bourgeoisie capitaliste du XIXe siècle qui aurait inventé et imposé les rapports de domination ; elles les aurait hérités des mécanismes disciplinaires du XVIIe et du XVIIIe siècle, et n'aurait eu qu'à les utiliser, les infléchir, en en intensifiant certains ou en en atténuant d'autres (...)

(...) Ce ne serait donc pas le travail qui aurait introduit les disciplines, mais bien plutôt les disciplines et les normes qui auraient rendu possible le travil tel qu'il s'organise dans l'économie dite capitaliste (...) »
(Michel Foucault - « Sécurité, territoire, population » - pages 250-251 - situation du cours par Alessandro Fontana et Mauro Bertani)

Un retour à Michel Foucault en ce début d'année 2010, sur le thème de la discipline, central dans toute son oeuvre. Concept sur lequel je reviendrais plus tard ... Principe historique évident qui veut que tout groupe qui prend le pouvoir reprend le plus souvent les outils de contrôle social que leurs prédécesseurs ont laissé derrière eux, malgré le fait qu'ils en aient triomphé, et donc que ces outils de contrôle social ne sont pas parfaits ... Parfois même, l'histoire a montré que les mêmes hommes étaient maintenus à la tête de ces outils de contrôle, ou de répression, servant simplement un nouveau maître.

Approche intéressante. Idée en somme qu'en disciplinant le peuple français, la royauté et la noblesse française ont préparé l'avènement du capitalisme et in fine l'avènement du règne de la bourgeoisie. Evidemment, le capitalisme ne naît pas au XVIIe et au XVIIIe siècle. Fernand Braudel a rappelé que dès l'an mille, l'essor du capitalisme démarre. Au XVIIIe siècle apparaît simplement une nouvelle forme d'organisation du capitalisme, la manufacture, qui deviendra la forme de base du capitalisme dorénavant ... non plus le capitalisme de commerçants comme jusqu'à là, mais un capitalisme industriel, celui qui sera notamment visé par Karl Marx. La manufacture justement qui nécessite pour fonctionner correctement une discipline des corps et des esprits ...

Un règne ou un âge des manufactures et de la discipline qui n'est même pas terminé à ce jour, puisque c'est encore la forme principale d'organisation du capitalisme au niveau international, notamment dans les pays qui servent d'atelier au reste du monde (Chine, Taïwan, Indonésie ...) ... où sont fabriqués tous les biens que l'on trouve vendus dans les pays développés ... ateliers-usines où les salariés, le plus souvent des jeunes femmes travaillent et dorment en permanence, sans aucune liberté, pour un salaire de misère.

Ce sujet m'amène à une autre réflexion. Qu'est-ce qui différencie au fond, véritablement, cette forme de salariat-discipline-enfermement en ateliers-usines, en manufactures-usines, forme première et archétypale du capitalisme, de l'esclavage propre au système de plantation ? La manufacture a inventé par rapport à la plantation un nouveau système de relation maître-esclave ; le système de plantation imposant au propriétaire l'achat d'une main d'oeuvre rendu docile par l'asservissement, les fers et la violence sociale, main d'oeuvre qu'il était ensuite obligé de nourrir, de loger et d'habiller au moindre coût. Le propriétaire de manufacture n'était pas obligé d'acheter son personnel, libéré des tâches agricoles par l'exode rural, qu'il lui était simplement imposé de rémunérer au minimum vital pour qu'il se nourrisse, s'habille et se loge. Il lui était aussi imposé de le discipliner, même s'il était aider en cela pour le système de discipline sociale existant dans les sociétés modernes. A peu de choses près, il n'y a guère de différence entre le coût d'entretien de ses esclaves imposé au propriétaire de plantation, et le salaire minimum de subsistance imposé au propriétaire de manufacture au XVIIIe et XIXe siécle. Economiquement parlant, la situation du propriétaire de manufacture est plus intéressante que celle du propriétaire de plantation, obligé d'acheter ses esclaves à des négriers. Si un courant migratoire apportant d'Afrique une main d'oeuvre en nombre suffisamment important pour travailler dans les colonies européennes avait existé au XVII, XVIIIe et XIXe siècle (comme actuellement), il n'eut peut-être pas été nécessaire d'imposer le système de l'esclavage aux peuples africains !

En même temps, aujourd'hui encore, l'esclavage existe encore, à but sexuel, pour la simple raison que l'offre de femmes souhaitant vendre leur corps n'est pas suffisant par rapport aux besoins du marché et de la gente masculine.

Pour suivre Michel Foucault, l'esclavage repose sur une certaine forme d'organisation sociale, de discipline sociale, sur une société partagée en castes, séparée par les fers que portent les esclaves. Le salariat inventé par le capitalisme industriel, par différence avec le capitalisme des marchands, des colporteurs, des siècles précédents, nécessite une société aux règles disciplinaires nouvelles, évoluées, qui se développent justement en Occident au XVIIIe et XIXe siècle. Et le salariat qui accompagne désormais les ateliers-usines des pays en développement du tiers-monde repose sur une forme assez proche de discipline sociale, tout en intégrant il me semble des aspects communs à l'esclavage et au salariat.

Le fond même du salariat tel qu'on peut le lire dans la forme la forme des ateliers-usines des pays en développement pose le problème de cette liaison originaire avec le système disciplinaire, et in facto, de la violance sociale entre maîtres et serfs.

Une immense différence néanmoins entre l'esclavage et le salariat repose dans la notion de liberté inhérente au système disciplinaire et sécuritaire tel qu'il se développe en Occident au XVIIIe et XIXe siècle (j'y reviendrais plus tard). C'est ce qui explique l'évolution de la situation salariale en Occident, grâce à l'action syndicale puis à leur généralisation par le biais de la représentation politique ... évolution qui a permis l'amélioration matérielle des salariés et la différenciation d'avec l'esclavage.


Réflexion sept (23 octobre 2008)
Du peuple ...

« (...) Supposez que justement dans un marché, dans une ville donnée, les gens, au lieu d'attendre, au lieu de supporter la rareté, au lieu d'accepter que le grain soit cher, au lieu par conséquent d'en acheter peu, au lieu d'accepter d'avoir faim (...) supposez qu'au lieu de cela, d'une part ils se jettent sur les approvisionnements, qu'ils les saisissent sans même les payer (...) Eh bien, dit (Louis-Paul) Abeille, tout cela prouve que ces gens n'appartiennent pas réellement à la population.

(...) Le peuple, c'est celui qui se comporte par rapport à cette gestion de la population, au niveau même de la population, comme s'il ne faisait pas partie de ce sujet-objet collectif qu'est la population, comme s'il se mettait hors d'elle, et par conséquent c'est eux qui, en tant que peuple refusant d'être population, vont dérégler le système.

(...) Tout individu qui accepte les lois de son pays se trouve avoir souscrit au contrat social, l'accepte et le reconduit à chaque instant dans son propre comportement (...) Celui, en revanche, qui viole les lois, rompt le contrat social, devient un étranger dans son propre pays et relève des lois pénales qui vont le punir, l'exiler, en quelque sorte le tuer. »
(Michel Foucault - « Sécurité, territoire, population » - page 45)

Il est tentant d'exclure tous ceux en guerre contre la société, tous ceux en rupture avec la société, tous ceux qui refusent d'appliquer les principales lois d'une démocratie. Tentant ... Il serait tentant d'appeler peuple cette fraction de la population française qui n'accepte pas de respecter les devoirs de la citoyenneté ... ou à laquelle on n'a pas permis d'être intégrés et de les respecter ... pour les séparer de la population française elle-même, respectueuse des devoirs dus au fait d'être citoyens ... Car comment peut-on donner malgré tout les mêmes droits à cette même fraction de la population française qui n'en respecte pourtant pas les devoirs ...

Pourtant, dans cette même citation de Michel Foucault, il semble regrouper dans cette notion de peuple également les spéculateurs qui spéculeraient et accapareraient les grains en période de famine ... La notion de peuple à retenir serait alors un peu différente, puisqu'elle pourrait également comprendre tous les spéculateurs sur les marchés financiers à l'origine de la crise actuelle ...

Mais par ailleurs, le fait de refuser d'avoir faim, de ne pas pouvoir se nourrir à sa faim, lorsque l'on sait que d'autres spéculent sur la nourriture, juste à côté de nous, est-ce véritablement condamnable ? Je ne le crois pas. Le comportement du 'peuple' dans ce cas ancien (mais absolument d'actualité pour le reste du monde aujourd'hui) est naturel, comme aujourd'hui la révolte des chômeurs, des ruinés et des exclus dans le monde occidental actuel, face aux puissants qui continuent d'afficher leur richesse et le niveau de leurs revenus ...

Dans l'acceptation de Foucault, la notion de peuple ne peut-elle être comprise comme la fraction agissante de la population française, par opposition au reste de la population incapable de réagir ? N'est-ce pas justement cette fraction, ce peuple, qui est à l'origine de la Révolution française et de la démocratie française ?

Difficile toutefois de considérer la fraction délinquante de la population française que je serais tenté d'exclure de la population citoyenne française, pour la rattacher au vocable de peuple, comme la fraction agissante de la population française, sauf à imaginer la France se transformant en une nation de délinquants, à l'image de certains pays où l'illégalité et la violence règnent en maîtres, comme l'Afghanistan, l'Irak ou l'Albanie ...

Une certaine image du peuple en conséquence ... (ne vaudrait-il pas mieux parler de 'populace' ?) ...


Réflexion six (25 septembre 2008)
Du droit de vie et de mort ...

« (...) Paradoxe théorique qui doit se compléter évidemment par une sorte de déséquilibre pratique. Que veut dire, de fait, le droit de vie et de mort ? Non pas, bien entendu, que le souverain peut faire vivre comme il peut faire mourir. Le droit de vie et de mort ne s'exerce que d'une façon déséquilibrée, et toujours du côté de la mort. L'effet du pouvoir souverain sur la vie ne s'exerce qu'à partir du moment où le souverain peut tuer. » (Michel Foucault - « Il faut défendre la société » - page 214)

Michel Foucault dans ses réflexions sur le pouvoir, s'intéressait au droit de vie et de mort détenu autrefois (mais pas uniquement autrefois) par le souverain ... à l'époque où le souverain était à la fois pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire ... L'origine du pouvoir disciplinaire qu'il étudiera dans nombre de ses oeuvres ...

« (...) lorsque les individus se réunissent pour constituer un souverain, pour déléguer à un souverain un pouvoir absolu sur eux, pourquoi le font-ils ? Ils le font parce qu'ils sont pressés par le danger ou par le besoin. Ils le font, par conséquent, pour protéger leur vie. C'est pour pouvoir vivre qu'ils constituent un souverain. Et dans cette mesure-là, la vie peut-elle effectivement entrer dans les droits du souverain ? Est-ce que ce n'est pas la vie qui est fondatrice du droit du souverain, et est-ce que le souverain peut réclamer effectivement à ses sujets le droit d'exercer sur eux le pouvoir de vie et de mort, c'est-à-dire le pouvoir tout simplement de les tuer ? La vie ne doit-elle pas être hors contrat, dans la mesure où c'est elle qui a été le motif premier, initial et fondamental du contrat ? » (Michel Foucault - « Il faut défendre la société » - page 215)

Ce retour de Michel Foucault à l'époque rêvée par les philosophes des Lumières de l'état de nature, antérieure à la constitution de l'état et du souverain, antérieure à l'apparition du pouvoir d'un sur tous (comme l'appelait Etienne de la Boétie), le conduit à interroger les racines en terme de contrat primodial du droit de vie et de mort du souverain ... Lors du contrat primordial, les hommes ont-ils pu concéder à un souverain le pouvoir de les tuer ?

Dans le contrat social primordial, les hommes dans l'état de nature confient à un souverain le pouvoir de les défendre (ou de les conduire à la guerre) mais aussi celui de maintenir l'équilibre interne et externe de leur communauté ... Non seulement de protéger leur vie mais également leur possession ... Dans le cas où l'un d'entre les hommes constituant la société s'attaquait de manière interne à la société et à ses autres membres, il fallait bien que la société et son souverain aient la capacité de l'arrêter et le punir ... Le droit de vie et de mort est donc intégré dans le contrat social primordial ...

Toutefois, ce contrat n'est qu'une fiction. D'un côté des peuples qui se sont dans une situation sans pouvoir réel ni souverain ... comme dans les tribus indiennes d'Amazonie, dans les peuples d'Océanie ou chez certaines tribus africaines tels les Nuers par exemple ... Mais où ce pouvoir est détenu directement par la société et non par un seul homme ... De l'autre, des peuples et des sociétés fortement hiérarchisés, partagés entre un souverain et des sujets, où ce souverain dispose des pouvoirs de vie et de mort sur les autres hommes, avec une certaine organisation sociale de contrôle tout de même sur ses actions ...


Réflexion cinq (5 septembre 2008)
Du pouvoir tout court ...

« (...) le pouvoir, ce n'est pas une propriété, ce n'est pas une puissance ; le pouvoir ce n'est jamais qu'une relation que l'on ne peut, et ne doit, étudier qu'en fonction des termes entre lesquels cette relation joue. On ne peut donc faire ni l'histoire des rois ni l'histoire des peuples, mais l'histoire de ce qui constitue, l'un en face de l'autre, ces deux termes, dont l'un n'est jamais l'infini et l'autre n'est jamais le zéro. » (Michel Foucault - « Il faut défendre la société » - page 150)

Citation intéressante de Michel Foucault ... L'idée que le pouvoir ne doit être étudié que dans le cadre de ses manifestations réelles, de sa réalité, en tant que relations entre personnes et non uniquement sous forme de potentialités ... Drôle d'époque toutefois que nous vivons actuellement en France ... Qu'un officier de police puisse être sanctionné parce que la maison corse d'un ami proche du Président de la République française a été occupée symboliquement par des contestataires corses ... et que l'officier de police concerné n'a pas pris les mesures adéquates pour empêcher la survenue d'un tel évènement. Un gouvernement qui assure que la même sanction aurait été prononcée même si la personne concernée n'avait pas été un ami proche du Président ... Mais il nous est quand même permis d'en douter fortement ...

Qu'un nouveau fichier (Edvige, acronyme de 'Exploitation documentaire et valorisation de l'information générale') est pu être créé pour ficher (évidemment) l'ensemble des personnes ayant des responsabilités politiques, sociales, économiques, syndicales voire religieuses ... Ce n'est également pas très rassurant ... Difficile de savoir à quoi un tel fichier pourra bien servir ou comment les droits d'accès (au sens Cnil) aux informations personnelles contenues pourront être effectivement garantis ...

L'approche de Foucault dans ce cadre est intéressante. Le gouvernement Sarkozy-Fillon tente d'accroître le pouvoir qui lui a été octroyé par le biais des urnes, mais ce pouvoir n'existe que dans l'espace qui lui est donné par le peuple français ... Et c'est à ce peuple, ou à la fraction agissante de ce peuple d'agir pour contester les mesures qu'il estimerait attentatoires à ses libertés imprescriptibles s'il les estimait menacées. Ce combat ravirait évidemment les contestataires forcenés de ce gouvernement, ceux qui défendent les sans-papiers et qui rappellaient depuis longtemps que les 'agressions' policières ou judiciaires contre les sans-papiers n'étaient qu'un avant-goût de ce qui attendait tout le monde ... Nicolas Sarkozy est-il en train de leur donner raison ... Va-t-on vers une radicalisation du pouvoir de Nicolas Sarkozy et de ses séides ?

Idée également que le pouvoir n'appartient à personne en particulier, que nul ne peut donc non plus l'accaparer ... Qu'est-ce donc que le pouvoir ? Pourquoi certains en sont-ils dépositaires ? Pourquoi certains en bénéficient-ils ? Alors qu'il ne devrait appartenir à personne, et aucun être transmissible ni être accaparé par une clique ... La réponse à toutes ces questions est là, quelque part autour de nous !


Réflexion quatre (30 août 2008)
De la Guerre ...


Les évènements récents d'Afghanistan avaient conduit un certain nombre de blogueurs ou de politiques français à considérer que les armées occidentales présentes en Afghanistan et plus largement en Irak ou ailleurs devaient être considérés comme les véritables barbares de notre époque moderne.

Pour répondre valablement à ces personnes, il semble indispensable de revenir sur le concept même de 'guerre'. Michel Foucault, dans ses écrits de 1976, rappelle que l'on peut analyser la guerre comme une rupture de l'ordre légal de la société ... « cet épisode de rupture qui suspend le droit et le bouleverse (...) » (Michel Foucault - « Il faut défendre la société » - page 138)

Ce n'est évidemment pas la seule et unique approche possible de la guerre et de ses effets sur l'ordre de la société, ni pour Michel Foucault, ni pour l'ensemble des philosophes. Et pourtant, cette approche de la guerre semble tout à fait compatible avec l'ensemble des faits de guerre passés observés ... A chaque guerre, on observe en effet une rupture de l'ordre légal, de l'application des lois, et les soldats de chaque partie en conflit trangressent toutes les règles de civilisation qui s'appliquent normalement le reste du temps en société. Possibilité de tuer les soldats ennemis au cours des combats ou dans les embuscades, viols des femmes par les soldats, assassinats, vols et rapines ... Faut-il rappeler tous les actes commis par les hommes lorsqu'ils sont au milieu d'une guerre, ces travers terrifiants de barbarisme dans lesquels pratiquement tous les hommes replongent lorsqu'ils ont des armes dans les mains et le droit de s'en servir pour tuer ou terrifier ?

De tels actes ont été commis au cours de pratiquement toutes les guerres du passé, depuis que l'homme a inventé la société, et certainement bien avant, depuis que l'homme est homme. Les guerres plus récentes, de ce vingtième siècle, dérogent pas à cette règle. Les massacres civils de la première et de la seconde guerre mondiale, menés par les forces occupantes allemandes ... Les exactions des soldats américains au cours de la guerre du Vietnam ... Les exactions des soldats français en Indochine et pendant la guerre de libération de l'Algérie ... Les massacres ou faut-il plutôt parler de génocide au Rwanda entre Tutsis ou hutus ... L'ensemble des exactions menées par les soldats africains ou les mercenaires étrangers dans les guerres africaines du vingtième siècle ... Les massacres observés à Madagascar lors des affrontements ayant conduit à son indépendance, du fait des français ou des malgaches ... L'histoire du vingtième siècle est pleine de ces morts, de ces familles massacrées par des soldats adverses, de ces femmes et de ces fillettes violées puis assassinées par ces soldats pire que des bêtes ... Le sang des innocents ruissellent à travers l'histoire, à travers les guerres menées par l'homme ...

L'histoire des guerres correspond ainsi parfaitement à cette vision de rupture de l'ordre social ... La seconde guerre mondiale apportera même une novation dans l'ordre de la guerre, dans l'ordre de l'horreur, dans l'ordre de la rupture. Du côté des nazis allemands, avec la solution finale, l'extermination de la race juive et tous les déviants (par rapport à l'idéal nazi du bon arien), il y a l'apparition de cette notion d'extermination d'un peuple ... Même si la conquête des Amériques pouvait déjà s'analyser comme une guerre d'extermination d'une autre race, mais par des moyens 'naturels' ... famine et maladies ... Les nazis industrialiseront l'extermination de l'autre ...

La seconde guerre mondiale amènera également une deuxième novation : l'apparition des armes de destruction massive et leur utilisation à l'encontre des civils étrangers. Les alliés et tout particulièrement les américains utiliseront ainsi les bombardements massifs de cibles civiles (Dresde) puis l'arme atomique contre des populations civiles (Hiroshima et Nagasaki) ... Dans ces deux cas, les moyens utilisés pour vaincre l'adversaire apparaissent évidemment en rupture par rapport aux relations normales entre états ou à l'égard de peuples étrangers. Il faut noter que l'utilisation de tels moyens de faire la guerre n'ont pas pour l'instant fait l'objet d'un jugement puisque les américains furent les vainqueurs de la seconde guerre mondiale. Au mieux, l'utilisation de l'arme atomique économisa la vie de centaines de milliers de GI's américains.

Les conflits les plus récents, notamment ceux faisant intervenir les fondamentalistes islamistes, feront apparaître une troisième novation dans l'ordre de la guerre, avec l'utilisation d'attentats meurtriers visant principalement des populations civiles de même nationalité que les terroristes (Algérie, Afghanistan, Irak ...). Je distingue cette guerre terroriste des autres utilisations de l'arme terroriste, comme dans le cas des basques, des bretons ou des corses français (qui visent essentiellement des symboles de l'état français, ou de l'occupation de leur territoire par les étrangers), dans le cas des français pendant l'occupation nazie ou des palestiniens à l'encontre de l'état d'Israël (qui visent principalement l'occupant étranger). La guerre terroriste lancée par les fondamentalistes islamistes représente une nouvelle rupture avec l'ordre social ; la mort aveugle de compatriotes considérés comme ennemis étant une fin en soi ... Quel jugement sera porté sur ces agissements de ces terroristes dans le futur par leurs descendants ?

Il existe une autre possibilité d'approche de la guerre, au sein de l'ordre social même de la société. Pour reprendre une nouvelle fois Foucault, c'est la guerre qui explique les stratifications au sein de la société entre dominants et dominés. La politique ne serait rien d'autre que la guerre poursuivie par d'autres moyens. L'ordre social pourrait également être le résultat d'une guerre interne permanente au sein de la société, de la sorte que les puissants en seraient les vainqueurs et les dominés et les pauvres en seraient les perdants.

Pour en revenir à la guerre elle-même, la guerre représente bien une rupture dans l'ordre normal de la société, dans tous ces cas envisagés ; l'utilisation de tous moyens de guerre demeurant par ailleurs le plus souvent impuni, sauf à appartenir à la partie vaincue. Et pourtant, les plus récents conflits s'inscrivent dans un ordre d'idées différent. Les dernières guerres ayant impliqué les armées occidentales ont fait apparaître que ces dernières étaient tenues de respecter des règles d'engagement et les lois de leur pays. Il ne leur est plus possible de tuer sans s'en expliquer ou être jugé ... plus possible de violer sans crainte de poursuites judiciaires ... L'histoire des prisons irakiennes, des prisonniers irakiens humiliés et des soldats américains condamnés par la justice de leur pays prouvent suffisamment que la guerre a cessé d'être considérée par les pays occidentaux comme un moment de rupture des règles, comme ce lieu d'ensauvagement vécu précédemment ... La guerre demeure régi désormais en Occident par nos lois et nos règles, donc par des droits.

Ce qui est donc aberrant dans la position d'Anna et des autres blogueurs qui se retrouvent en accord avec sa position, c'est que ce sont justement ces soldats occidentaux, tenus à des règles strictes d'engagement militaire et de respect des droits des populations étrangères ... qu'ils considèrent comme des barbares, et non pas les talibans qui continuent de s'inscrire dans la vieille forme guerrière de la rupture, et qui n'ont aucun compte à rendre sur les actions, les morts qu'ils causent et les bombes qu'ils posent ou font exploser. Pour ces internautes, pour ces politiques, le barbare n'est pas le terroriste aveugle, le taliban obéissant aveuglement à des règles religieuses d'un autre âge conférant à la femme musulmane un rôle d'esclave domestique, encagée et emprisonnée, mais le soldat occidental, qui défend l'installation d'un régime démocratique, certes imparfait mais certainement améliorable, et le désarmement d'une région en guerre, confronté à des adversaires invisibles et couards se cachant au sein d'une population civile ... et contreint à respecter les lois et les règles de son pays ... D'un côté, les bombes et les embuscades ... de l'autre un armement dernier cri et un appui tactique aérien, faisant défaut aux talibans ou aux irakiens ... L'équilibre par la terreur des deux côtés.

Evidemment, la guerre demeure accompagnée de morts de civils, pudiquement appelés 'dommages collatéraux'. C'est cela la guerre ... La mort de civils et de soldats ... Le fait de reconnaître l'existence de droits aux civils et aux militaires étrangers et ennemis représente cependant une évolution marquante dans l'histoire de la guerre, par différence avec la situation ancienne où la guerre était une zone de non-droit, de rupture des règles et des équilibres anciens, le retour de la part animal de l'homme. Ce qu'elle est encore pour les intégristes islamistes qui ont déclaré la guerre à l'Occident et aux gouvernements des pays musulmans qu'ils accusent de pactiser avec l'Occident ...


Réflexion trois (14 août 2008)
Pouvoir et légitimisation ...


Chaque personne dépositaire d'un pouvoir est souvent persuadée de la légitimité de son pouvoir, de son droit à l'exercer sur les autres. On peut dire même de manière plus générale que nos sociétés occidentales sont construites sur le culte de la légitimité du pouvoir. Cette légitimisation se rencontre à tous les échelons de la société.

Aux plus hauts sommets de nos sociétés, nos dirigeants, les ministres, les parlementaires, bénéficient de la légitimité de leur mode de désignation par la voie d'un scrutin libre et démocratique ... même si on peut aussi questionner la façon non démocratique dont ces personnes ont été désignées comme candidat des plus grands partis ... Leur légitimité démocratique étant acquise, peu importe ensuite la façon dont ils nous dirigent, les lois qu'ils votent ou les groupes de pression qu'ils avantagent ... De la même manière, on reconnaît tous aussi une certaine légitimité à nos interlocuteurs, qu'ils soient médecins, chirurgiens, avocats, enseignants ou autres ... en fonction des compétences qu'on leur suppose ou qu'ils affichent, et des nôtres. Dans le domaine professionnel également, on reconnaît aussi une certaine légitimité aux personnes qui nous dirigent ou qui ont été désignées pour nous diriger, en fonction de leurs diplômes, de leur niveau de formation, ou de leur expérience professionnelle ...

Au delà de cette légitimité reconnue, il faut aussi noter que cette légitimité est surtout intériorisée par ces personnes qui bénéficient de certaines formes de pouvoir. Combien de chefs de service, de dirigeants, s'interrogent sur leur légitimité à diriger d'autres personnes, à disposer du quelconque pouvoir sur les autres ? Ce qui me semble aberrant, c'est la capacité de ces personnes à être certaines de leur légitimité à disposer d'un pouvoir et d'être autorisées à en user et à en abuser.

Car évidemment, nous n'acceptons pas tous la légitimisation des pouvoirs de ceux qui nous entourent. Que ce soit la légitimité de nos dirigeants ou de nos parlementaires à faire les lois, la légitimité des uns ou des autres sous prétexte que c'est leur métier, la légitimité des dirigeants dans le domaine professionnel, ou les autres formes de légitimité, notamment concédées par la loi dans les domaines de l'administration, de la police ou de la justice.

Il existe de multiples formes de légitimité du pouvoir, et il existe de multiples formes de pouvoir. Et nous en contestons peut-être tous certaines formes. Par exemple, je n'interroge pas la légitimité des lois et de l'administration à appliquer les lois, même lorsque c'est à mon désavantage, que ce soit sur la route, en matière d'impôts ... D'autres, qui respectent aveuglement les pouvoirs établis, ne respectent aucunement pourtant les lois et les obligations appliquées par l'administration, trichant avec les lois sur la route, avec le fisc, avec les allocations, avec la sécurité sociale ... D'autres enfin, même très hauts placés, ne respectent pas la légitimité de la justice à surveiller leurs agissements (ainsi la lutte de Silvio Berlusconi en Italie contre les juges pour échapper aux condamnations pénales et aux jugements).

A certains niveaux, selon Michel Foucault, nous sommes tous dépositaires et agents d'un certain pouvoir. Nul n'est vraiment esclave du pouvoir dans nos sociétés. Est-ce vrai ? Mais sommes-nous tous aveuglés par le pouvoir dont nous disposons et par notre droit de l'exercer, sans nous interroger sur notre légitimité parfois totalement farfelue d'en disposer ?

J'aurais notamment tendance à penser que la domination qui s'exerce dans le domaine professionnel est la moins légitime qui soit ... ce qui ressort des recherches de Michel Foucault.

« (...) Cette théorie (de la souveraineté), et l'organisation d'un code juridique centré sur elle ont permis de superposer aux mécanismes de la discipline (l'une des grandes inventions de la société bourgeoise) un système de droit qui en masquait les procédés, qui effaçait ce qu'il pouvait y avoir de domination et de techniques de domination dans la discipline et, enfin, qui garantissait à chacun qu'il exerçait, à travers la souveraineté de l'état, ses propres droits souverains (...) » (Michel Foucault - « Il faut défendre la société » - page 33)



Réflexion deux (11 août 2008)
Du rapport entre pouvoir et économie ...

« (...) L'analyse du pouvoir peut-elle ou l'analyse des pouvoirs peut-elle, d'une manière ou d'une autre, se déduire de l'économie ? (...) » (Michel Foucault - « Il faut défendre la société » - page 14)

Les liens entre le pouvoir et l'économie m'ont toujours intéressé au plus haut point, car le pouvoir trouve notamment à s'accomplir dans le cadre des nombreuses organisations gravitant autour et au sein de l'économie ? C'est en effet essentiellement dans ce milieu que nous observons de nos jours son existence et que nous en mesurons ses effets. Mais j'allais écrire que c'était l'endroit où le pouvoir s'exprimait le mieux ... C'est évidemment totalement faux ... C'est dans la guerre, dans les armées, au cours des combats et pendant les occupations militaires que le pouvoir s'exerce à son paroxysme ... Pas dans le domaine économique ... Et nous avons d'une certaine façon, nous autres occidentaux actuels, l'immense avantage de ne connaître le pouvoir que dans le seul domaine économique ... (et accessoirement dans les quelques lieux d'interactions humaines que sont l'administration, l'école et la famille) ... et non dans sa forme la plus hideuse qui soit ... lorsqu'il peut s'appuyer sur la pire forme de coercition qui lui soit accessible ... le droit de vie ou de mort ... comme les générations qui nous ont précédés avaient pu le découvrir.

Ceci n'est cependant pas exactement l'approche de Foucault sur le pouvoir puisqu'il veut justement en interroger la pertinence. L'interrogation finale de Foucault, à cette partie de son cours (janvier 1976), repose sur l'idée que « (...) la politique, c'est la guerre continuée par d'autres moyens (...) »

« (...) Sous le thème (...) que le pouvoir a en charge de défendre la société, faut-il entendre, oui ou non, que la société dans sa structure politique est organisée de manière que certains puissent se défendre contre les autres, ou défendre leur domination contre la révolte des autres, ou, simplement encore, défendre leur victoire et la pérenniser dans l'assujetissement ? (...) »

Questionnement fondamental. Qu'est-ce que la politique ? Que représente le gouvernement ? Est-ce une émanation du peuple ? Ou bien la politique n'est-elle qu'une organisation visant à maintenir l'assujetissement du peuple à une classe de possédants et de puissants (comme semblerait le faire croire la première année de présidence de Nicolas Sarkozy), les précédents vainqueurs d'une quelconque ancienne guerre ? L'idée que la politique puisse être la guerre faite autrement semble aujourd'hui difficilement envisageable. Le monde politique français s'est pacifié, semble s'être ouvert, de même que le monde de l'économie, même si en même temps, la société française a rarement été aussi bloquée, en matière d'ascension sociale.

Foucault rappelait la vision de l'apparition du pouvoir des philosophes du dix-huitième siècle ... l'idée du contrat social, d'une construction juridique, d'un abandon ou d'un transfert de droits ... A l'inverse, pour les marxistes, le pouvoir serait la reconduction économique d'un rapport de domination de classe. A ces deux visions, il oppose l'idée que le pouvoir est avant tout un rapport de force. Mais en continuant sur la piste des origines, pour La Boétie, le pouvoir naissait de l'acceptation par tous de la domination d'un seul. Une fois acceptée cette domination initiale, il était alors impossible de revenir en arrière. Pour poursuivre la réflexion de Pierre Clastres, on peut aussi penser que seule la guerre, en permettant la création de groupes humains suffisamment étendus, a pu initialement faire apparaître le pouvoir d'un homme ou d'un groupe sur les autres. Combat perdu d'avance pourrait-on penser à la suite de La Boétie, puisque dès qu'un quelconque réussissait à être accepté comme maître par les autres, ce groupe ne pouvait pas revenir à la situation antérieure à l'apparition du pouvoir. Il manquait peut-être aussi à ces groupes qui donnèrent naissance au pouvoir tel qu'on le connaît aujourd'hui un milieu naturel suffisamment hostile pour qu'une personne abandonnée par le groupe ne puisse survivre seul (puisque Clastres indiquait qu'un chef de guerre refusant l'arrêt des hostilités et voulant maintenir son groupe dans un état de guerre sans l'accord de son groupe pouvait être abandonné hors du groupe, en pleine forêt amazonienne).

La guerre, toujours la guerre. Mais dans quel objectif ? Pour la possession de biens, de femmes et d'esclaves. Et pour le prestige et le pouvoir ... Et hors des moments de guerre, il ne reste plus comme signes de ces origines, que des différences économiques et de rapport de domination, et les relations de pouvoir entre dominants et dominés ... Et en ce sens, notre système politique est-il différent ? Les dominants de notre système politiques sont-ils différents de ce qu'ils seraient dans un régime monarchique, directement héritier des anciens rapports de domination féodaux existants avant 1789 ou 1848.


Réflexion une (1er octobre 2007)
Du pouvoir ... entre Foucault et Chomsky ...

« (...) Si on entend par démocratie l'exercice effectif du pouvoir par une population qui n'est ni divisée ni ordonnée hiérarchiquement en classes, il est parfaitement clair que nous en sommes très éloignés. Il est tout aussi clair que nous vivons sous un régime de dictature de classe, de pouvoir de classe qui s'impose par la violence, même quand les instruments de cette violence sont institutionnels et constitutionnels (...) » (Débat de 1971 entre Noam Chomsky et Michel Foucault - reproduit dans le livre d'entretien « De la nature humaine : justice contre pouvoir » - page 67)

Trente-cinq années après ce débat, je me suis découvert une forte similarité de vue avec ce qu'exprime Michel Foucault. Je ne connaissais de ce philosophe que ces écrits sur la prison et la folie. Et j'ai donc découvert les cours qu'il a réalisé au Collège de France, entre la décennie 1970 et 1980 ... et qui ont été publiés depuis en livres ...

Trente-cinq années plus tard, la démocratie n'a pas véritablement changé d'essence. La démocratie n'est toujours pas l'exercice effectif du pouvoir politique par l'ensemble d'une population. La démocratie telle qu'elle nous est imposée fonctionne toujours comme le pouvoir d'une classe possédante, par une violence toujours masquée.

« (...) Il me semble que dans une société comme la nôtre, la vraie tâche politique est de critiquer le jeu des institutions apparemment neutres ; de les critiquer et de les attaquer de telle manière que la violence politique qui s'exerçait obscurément en elles soit démasquée et qu'on puisse lutter contre elles (...) » (page 69).

Evidemment, il ne s'agit içi que d'une introduction, quelques idées échangées au cours d'un débat ancien. Ces idées sont véritablement détaillées dans l'ensemble des écrits de Michel Foucault, elles traversent l'ensemble de son oeuvre, leur apportant des réponses et des approches variées. D'une certaine façon, on voit évoquer içi un projet politique ou moral que Michel Foucault traitera longuement, cette impérieuse nécessité de critiquer les institutions de l'état présentées comme apparemment neutres, et leur discours soi-disant technique et objectif.

... La justice comme enjeu de pouvoir ... « (...) Il me semble que l'idée de justice est en elle-même une idée qui a été inventée et mise en oeuvre dans différents types de sociétés comme un instrument d'un certain pouvoir politique et économique, ou comme une arme contre ce pouvoir. Mais il me semble que, de toute façon, la notion même de justice fonctionne à l'intérieur d'une société de classe comme revendication faite par la classe opprimée et comme justification du côté des oppresseurs (...) » (pages 90-91).

La justice comme arme du pouvoir ou comme arme contre le pouvoir ? A moins que ce ne soit les deux à la fois. En disant cela, il y a tant d'années, Michel Foucault ne faisait qu'exposer les deux possibilités offertes à la justice actuelle ... voire les trois ... Etre du côté des opprimés, être neutre (si cela est possible ...) ou être du côté des puissants ... Potentialités entre lesquelles chaque juge, dans son for intérieur, doit arbitrer, avec sa conscience et ses normes ... Potentialités que chaque système judiciaire national résout différemment, et où les lignes de partage entre puissants et opprimés peuvent changer ... Où les pauvres opprimés peuvent varier ... ainsi comme dans nos sociétés occidentales actuelles (de manière différente par rapport aux années 1970 où se déroulait ce dialogue entre Chomsky et Foucault) où les opprimés ne sont plus simplement comme autrefois les pauvres travailleurs, mais les minorités exclues ou stigmatisées (certains groupes ethniques, les jeunes, les sans-abris, les sans-papiers ...).

... La conclusion de Foucault face à Chomsky, dans laquelle il expose leur principale divergence ... « (...) Vous ne pouvez m'empêcher de croire que ces notions de nature humaine, de justice, de réalisation de l'essence humaine sont des notions et des concepts qui ont été formé à l'intérieur de notre civilisation, dans notre type de savoir, dans notre forme de philosophie, et que, par conséquent, ça fait partie de notre système de classes, et qu'on ne peut pas, aussi regrettable que ce soit, faire valoir ces notions pour décrire ou justifier un combat qui devrait bouleverser les fondements même de notre société (...) ».

Les justifications d'une révolution ne peuvent donc pas se trouver dans la justice de la société antérieure, mais uniquement dans les fondements de cette révolution elle-même ? Mais existe-t-il des préceptes moraux supérieurs (tel « tu ne tueras point ») ou bien une telle morale n'est-elle rien d'autre que la morale de notre monde particulier, de notre organisation sociale ? Les conséquences d'une telle hypothèse ne sont-elles pas terribles et catastrophiques, cautionnant par exemple les actes barbares de Hitler ou de Staline, si on peut accepter l'idée que dans le cadre d'une révolution, les référents moraux antérieurs n'ont plus à s'appliquer ?


Réflexion zéro
Nouvelles réflexions sur la Politique et la Morale ... tirées des cours de Michel Foucault ...


De la légitimité d'une telle réflexion sur la Politique et la Morale ?... Pour répondre à ce questionnement, j'utiliserais une citation de Foucault tirée du livre d'entretien avec Noam Chomsky reproduisant un débat de 1971 - « De la nature humaine : justice contre pouvoir ».

Pourquoi s'intéresser à la politique ? ... «Quelle cécité, quelle surdité (...) auraient le pouvoir de m'empêcher de m'intéresser au sujet sans doute le plus crucial de notre existence, c'est-à-dire la société dans laquelle nous vivons, les relations économiques dans lesquelles elle fonctionne, et le système qui définit les formes régulières, les permissions et les interdictions régissant régulièrement notre conduite. (...) Aussi je ne peux que vous répondre en vous demandant pourquoi je ne devrais pas être intéressé.»



Saucratès



23/11/2010
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 49 autres membres