Critiques de notre temps

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Réflexions personnelles sur l'éthique et la morale

Saint-Denis de La Réunion, mardi 2 avril 2019

Réflexion une - Une conception collective de la morale

 

S'il est bien un sujet qui me passionne, c'est bien le sujet de l'éthique et de la morale. Pour répondre à cette question de savoir qu'est-ce qu'une vie conforme à la morale ou à l'éthique ? Ou autrement pensé, que serait une Société humaine fonctionnant conformement à l'éthique et à la morale ? 

 

Et je vais ici citer Jean-Francois Mattéi, dans «Éthique et histoire» :

 

«On pourrait aisement soutenir, sans cultiver le paradoxe, que la naissance de l'éthique dans le monde moderne à signé la mort de la morale, ou que, à tout le moins, le renouveau contemporain de la réflexion éthique, désormais appliquée à toutes les sphères de la vie sociale, s'est accompli sur les cendres de la pratique morale traditionnelle brûlée à la flamme de l'histoire. Car c'est bien la conscience historique de l'homme moderne, appréhendée sur le mode immanent d'un devenir à la recherche de son propre sens, qui a progressivement évacué les principes moraux traditionnels fondés sur des commandements ou des absolus transcendants.»

 

Je ne sais pas si j'irais jusqu'à dire, comme le fait Jean François Mattéi, que notre monde moderne ne reconnaît plus la morale, qu'il n'y a plus de morale. Les œuvres morales des plus grands philosophes de l'histoire n'ont jamais été aussi accessibles, à quelques clics de souris, certes cachées au milieu d'un amoncellement d'informations beaucoup plus populaires, mais jamais leurs pensées n'ont été aussi accessibles. Il y a aussi foison de philosophes formés dans les universités ou écoles de tous les pays, sans que je puisse dire si l'un d'entre eux aura un jour l'importance d'Emmanuel Kant, de Camus ou de Jean-Paul Sartre. 

 

Mais c'est vrai en même temps que l'on peut se demander si le monde que je vois existant autour de moi, composé de toutes ces grandes entreprises qui régissent d'un bout à l'autre nos vies, de tous ces chefs et dirigeants d'entreprises, de tous ces cadres et hauts managers prônant l'efficacité technocratique, si toutes ces entités, ces personnes, ces puissants connaissent la morale et agissent en fonction d'une morale immanente., supérieure à leur seul intérêt et à l'intérêt de leur caste ? Je pose la question mais j'en connais déjà la réponse : Non !

 

Et pourtant, dans chacune de leurs entreprises, ces dirigeants, ces chefs d'entreprise, ces puissants, ces hauts managers, ces obscurs dépendants, bénéficiaires de la charité d'un autre plus puissant qui les a intronisé comme dirigeants d'une petite parcelle de son réseau, ont édicté et imposent à leur personnel de respecter des chartes éthiques ou des codes de déontologie, qui dans la réalité correspondent à des sommes de règles idiotes, de choses à faire, surtout de choses à ne pas faire, d'interdictions aussi diverses que variées ... et quelques obligations, comme notamment d'être de bons petits soldats .... et surtout une obligation de fidélité à l'entreprise et à ses dirigeants, pendant le temps de travail mais aussi le plus souvent en dehors, pendant les temps de repos ! Même Carlos Ghosn a dû pondre de telles chartes éthiques ou codes de déontologie pour les salariés et les employés de chez Renault ou de chez Nissan, même si lui, personnellement, n'était peut-être pas un parangon de vertu et de déontologie !

 

Donc effectivement, lorsque l'on parle du «renouveau contemporain de la réflexion éthique, désormais appliquée à toutes les sphères de la vie sociale», je ne peux m'empêcher de penser à ces multiples codes éthiques qu'il est de bon ton dans les entreprises 'in' d'arborer, comme leurs dirigeants arborent la rosette de leur légion d'honneur à leur veston. On peut peut-être considérer que la moralité de ces dirigeants et de leurs entreprises est inversement proportionnelle à l'existence d'un code éthique, qui n'existe que pour permettre à ses dirigeants de contrôler et d'avoir barre sur leurs salariés et pour pouvoir trouver une raison pour les licencier lorsqu'ils en auront envie. Et tout ceci n'est en rien pour moi synonyme d'éthique ou de morale. Il ne s'agit pas tant de morale que de contrôle !

 

Ces mêmes dirigeants (et là je ne parle pas seulement de Carlos Ghosn) sont-ils moraux, agissent-ils conformément à l'éthique et à la morale (la vraie, non pas le ramassis d'interdictions qu'ils ont pondus dans leurs codes internes) dans leur vie, dans la gestion des entreprises qu'ils dirigent et dans leurs rapports avec les autres, avec leur multitude de subalternes ? Mais évidemment je dois avant tout définir ce que j'entends par «vraie morale» et «vraie éthique», sinon je risque simplement d'opposer deux conceptions différentes de l'éthique et de la morale ! 

 

Je continuerais is en continuant de citer un philosophe, Jean-Pierre Ivaldi, préfaçant un ouvrage de Jean-Francois Mattéi :

 

«L'éthique s'est muée de nos jours en une science liée à la politique et à l'économie. L'économie en tant que système d'échanges de produits, de services et d'informations, est régulée par des contrats. Elle se doit de respecter les clauses et les termes du contrat. Si les contractants tentent de corrompre leurs vis-à-vis ou se laissent eux-mêmes corrompre, ils basculent dans l'immoralité.

 

Economie et politique souffrent de plus en plus de l'absence de l'éthique et des règles et préceptes qui sont les siens dans la vie sociale de la cité, à quelques pays qu'elle appartienne. Si bien que la conscience se fait mauvaise conscience. Cette absence qui n'échappe pas aux acteurs politiques et économiques, les taraudent insidieusement, car ils savent leurs manquements et le châtiment qu'ils encourent. Trop souvent le recours à l'éthique n'est-il qu'un faux semblant destiné à masquer ou travestir leurs turpitudes.»

 

Comme lui j'assimile les puissants aux mondes de la politique et de l'économie, les puissants et dirigeants des entreprises et du secteur public, ou aux élus. Comme moi, il considère les recours à l'éthique comme des faux-semblants destinés à camoufler l'immoralité de ces puissants, de ces acteurs économiques et politiques. Mais limiter l'éthique et la morale au seul respect des clauses et termes des contrats conclus me semblent désespérément réducteur !

 

«Mattéi se détourne du strict point de vue de l'éthique pour considérer qu'un système économique, des lors qu'il régit les échanges entre les hommes, n'est ni moral ni immoral ; il est efficace ou non, et l'efficacité ne relève pas de la morale. Ceci le conduit à constater que nous sommes face à deux difficultés. La première consiste à récuser l'autonomie de l'économie. La seconde tient à ce principe éthique supérieur qui permettrait de juger les systemes économiques selon une échelle de valeurs déterminée. Le servage serait moins immoral que l'esclavage, et le travail salarié moins immoral que le servage, bien que, en toute forme d'économie, l'homme soit contraint de s'adonner au travail. Les nécessités des échanges économiques sont indifférentes par nature, aux normes de la moralité qui sont d'un tout autre ordre. L'économie relève de la contrainte là où la morale relève de l'obligation.»

 

La morale en économie, dans le monde des affaires, dans le domaine politique, doit être bien plus large que le seule respect des clauses et termes des contrats, ou le respect des lois. De nos jours, ces deux mondes, ces deux sphères, sont amorales ; elles ne connaissent pas la morale. Et c'est pour cette raison que notre monde peut être dans cet état-là, rempli d'opulence pour un tout petit nombre et de misères pour le plus grand nombre, pour l'immense majorité. Parce que les puissants qui nous dirigent ne sont contraints par aucune réglementation morale, aucune obligation morale. Il n'existe qu'une seule règle : le laisser-faire moral, le culte de l'argent-roi, le tribunal de leurs seules envies ! 

 

Je citerai pour finir une une dernière fois Jean-Pierre Ivaldi :

 

«On attend de l'éthique une justification des pratiques et des institutions sociales. Ceux qui y sont soumis peuvent se rebeller contre elles et attendent de l'éthique qu'elle leur fournisse des arguments pour légitimer leur refus. Mais ceux qui les imposent attendent également de l'éthique qu'elle les justifie afin de légitimer leurs décisions. Cette convergence, pour ne pas dire, cette complicité, du recours à l'éthique, entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent, n'est jamais aussi apparente que dans le cas de l'impôt.»

 

On se retrouve ainsi à nouveau devant une opposition entre deux conceptions de la morale et de l'éthique. Et en quoi mon interprétation de la loi morale peut-elle etre supérieure à celle minimaliste des puissants et dirigeants de ce monde, qui se contentent de penser en terme d'efficacité, de respect des clauses et des termes des contrats, et de bienfaits de la libre entreprise et des marchés concurrentiels ?

 

Je conclurais de la manière suivante : puisque l'économie et la politique sont amorales, indifférentes à la morale, il faut donc soit qu'une force supraindividuelle leur impose des règles morales, qu'ils ne puissent transgresser, soit que les puissants et dirigeants de ces mondes soient moralement et éthiquement irréprochables.

 

Encore faut-il que l'amoralité et l'immoralité ne soit pas justement un trait distinctif de ces puissants et dirigeants de ce monde, la raison pour laquelle ils sont arrivés au sommet de la hiérarchie en écrasant et en éliminant tous leurs concurrents !

 

 

Saucratès



02/04/2019
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