Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

De l’évolution des sociétés humaines

… Suite de mes réflexions sur l’origine de l‘État, sur l’origine de l’organisation sociale étatique, sur l’origine du pouvoir, sur l’origine de cette violence légitime qui constitue l’Etat …


Recherches sur la violence dans les sociétés

Recherches sur la violence dans les sociétés 

De la violence légitime et de l’Etat

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, mercredi 10 mai 2023

 
Une revue comme Franc Tireur peut déclarer sans crainte d’être contredite que la Biélorussie de Loukachenko a le triste privilège d’avoir un millier de prisonniers politiques emprisonnés. Qu’en est-il donc de la France ? Combien parmi les dizaines ou centaines de milliers d’opposants à Macron, de gilets jaunes, ont passé des mois en prison, ont été marqués, énucléés, condamnés, interdits de manifester, licenciés, combien ont eu leurs vies brisées ?

 

https://www.liberation.fr/checknews/2020/09/23/est-il-vrai-que-800-gilets-jaunes-sont-en-prison-depuis-le-debut-des-manifestations_1799849/

 

Aucun de ceux-ci ne sont des prisonniers politiques me direz-vous ? Seulement des prisonniers de droit commun, arrêtés pour cause de violence, de violation d’interdiction de manifester, ou d’insultes à la personne du président. Mais la violence n’est-elle pas la seule réponse possible aux attaques du gouvernement ? Claquer le Président est-il un crime face à une telle violence institutionnelle ? Affronter la police est naturel lorsque vous vous faites gazer sans discontinuer par des CRS ou des gendarmes mobiles qui vous chargent. A croire que les journalistes qui condamnent la violence des manifestants n’ont jamais manifesté face à la police et ne se sont jamais fait gazer ? Pour ma part, lors d’une manifestation où j’ai subi des violences (gazage et charges) des forces de l’ordre, j’ai été à deux doigts de monter dans la benne d’un énorme camion pour foncer sur un cordon de CRS qui nous chargeait. A deux doigts seulement … 

 

Notre société française est donc violente, mais il s’agit du problème du monopole étatique de la violence publique. Le souci, c’est que dans notre pays, comme dans nombre de pays occidentaux, cette violence publique est confisquée par une élite qui contrôle tous les pouvoirs, politiques, judiciaires, policiers, et journalistiques. Contrairement aux États dits dictatoriaux, où des fractions de ces pouvoirs osent contester les élites au pouvoir, ont le courage de s’opposer, ont l’espoir de les renverser, dans les supposées démocraties, aucune fraction n’ose s’élever contre l’ensemble de l’élite, n’ose cracher dans la soupe, à moins que cette élite ne soit capable d’éliminer toute forme de contestation, de la faire taire, de la décrédibiliser totalement. A moins qu’il n’y est nul espoir de renverser un tel régime politique, supposé démocratique.

 

Je ne conclurais pas par la question idiote de savoir si la France a des prisonniers politiques. Les médias de tous les pays occidentaux ne le reconnaîtraient jamais. Ils ne reconnaissent l’existence de prisonniers politiques, ou de prisonniers d’opinion, que dans les seuls pays dictatoriaux. Mais les médias officiels d’aucun pays au monde ne reconnaissent l’existence de prisonniers politiques dans leur propre pays. Pas plus en Russie, en Iran voire en Corée du Nord si on y trouve des médias. Ceux que nos médias appellent prisonniers politiques y sont là-bas aussi incarcérés, emprisonnés pour des crimes de droit commun, comme Nelson Mandela par le passé. Et les principaux médias des pays occidentaux ne sont rien d’autres que des médias officiels des principaux pays occidentaux, des médias appartenant aux élites occidentales, persuadés de défendre le BIEN et de combattre le MAL, l’ENNEMI. Il n’y a donc rien à en attendre.

 

Les démocraties ne sont-elles rien d’autres que des dictatures où l’ensemble des élites corrompues participent et profitent collectivement du système politique et économique ?

 

Selon Max Weber, «un Etat est une communauté humaine qui revendique le monopole de l'usage légitime de la force physique sur un territoire donné». Cette idée de Weber est utilisée par chaque gouvernement dans le monde pour légitimer son propre emploi de la violence, des forces de sécurité et de maintien de l’ordre, contre son propre peuple, et pour criminaliser l’usage d’une quelconque forme de violence en réaction de la part de leurs opposants politiques.

 

Toute violence contre l’Etat est un acte criminel! Toute violence de la part de l’Etat et des supplétifs du pouvoir de l’Etat est légitime, dès lors que cet État se présente comme une démocratie libérale (ou non)! Dans ce cas, même Adolf Hitler lui-même, même les dignitaires nazis, ont dû pouvoir être capables de criminaliser ceux qui avaient tenté d’assassiner à plusieurs reprises Hitler.

 

Il n’y a ainsi nulle possibilité de trouver une réponse, une solution dans les écrits philosophiques à la question de l’usage légitime du pouvoir et de sa limitation, et du droit à renverser un pouvoir qui manifestement abuse de son pouvoir à son bénéfice et à celui d’une caste. Les élites ont beau jeu de répondre : pas dans une démocratie comme la France, pas lorsque le suffrage universel permet au peuple de choisir et de voter pour ses dirigeants, permet de résoudre pacifiquement les conflits politiques.

 

Soyons clair, face à une clique qui contrôle tous les pouvoirs, toutes les manettes, qui occupe toutes les strates et tous les pouvoirs dans la société, face à une telle conspiration, il n’y a plus aucun espoir. Si ce n’est le devoir de RÉSISTER.
 

 

Saucratès 


10/05/2023
0 Poster un commentaire

Évolution des sociétés - La violence comme principe explicatif

Évolution des sociétés

La violence comme principe explicatif

Par Saucratès 

Saint-Denis de La Réunion, samedi 4 mars 2023


Après tous ces préparatifs (lire mes précédents articles ayant le même objet), on en arrive enfin au cœur du sujet.

https://saucrates.blog4ever.com/de-levolution-des-societes-retour-1

 

Comment peut-on expliquer les différentes formes de sociétés que l’on observe de part le monde et comment peut-on expliquer que si nous descendons tous de groupes d’homo sapiens sortis d’Afrique il y a quelques dizaines de milliers d’annees, ces groupes aient pu donner naissance à toutes ces sociétés qui se sont succédées ou qui continuent de cohabiter à l’échelle de la planète et au fil des siècles et des millénaires ? C’est forcément que quelque part, il existe un processus d’évolution qui a conduit à l’apparition de toutes les formes de sociétés qui existent aujourd’hui ou qui ont existé d’hier. Et nous sommes forcément passés d’une forme à l’autre.

 

On sera peut-être conduit à parler de certaines formes de sociétés humaines comme des impasses évolutives, comme on le dit pour la lignée des Homo sapiens, ou bien dirons-nous peut-être exactement le contraire, et ce sera peut-être notre société occidentale, en perpétuel déséquilibre, en perpétuelle transformation, qui s’avérera être une impasse évolutive ou un cul de sac évolutif. Mais ce sera dans un deuxième temps.

 

La violence comme seule réponse à un nouveau contact 

Ma première hypothèse portera sur la forme privilégiée des contacts noués entre peuples lors d’un premier contact. On lit souvent que les archéologues s’interrogent sur la forme qu’à pu prendre les contacts entre les Homo sapiens nouvellement arrivés en Europe et les Néandertaliens anciennement installés. Contacts pacifiques, échanges de techniques ou premier génocide de l’histoire ?

 

Toutes les expériences de contacts entre bandes inconnues d’humains se sont toujours produites de la même manière, par la violence, par le rapt et par la mort.

 

Quand les espagnols débarquent dans le nouveau monde et découvrent les civilisations des indiens, leur richesse en or et en argent, et leurs légendes, ils les soumettent militairement et ils tentent de leur apporter la lumière de leur foi, de leur religion. Erreur magistrale ; les indiens n’épargnent Christophe Colomb et ses soldats qu’uniquement parce qu’ils les prennent pour des envoyés des Dieux, en raison de leurs propres légendes sur Quetzalcóatl. L’histoire leur donnera tord.

 

L’expansion de l’Islam au cours des premiers siècles de son histoire se fait par la guerre qui les conduit jusqu’au cœur de l’Europe, en Espagne et jusqu’en France. 

 

Idem pour l’expansion européenne à partir du seizième siècle sur l’ensemble des continents ; on ne négocie et on ne ruse que lorsque l’adversaire est suffisamment fort et puissant. Seul le Japon se refermera et échappera à cette emprise, et se modernisera pour concurrencer militairement l’Occident et l’Europe.

 

Lorsque Pierre Clastres décrit les indiens Guayakis, il explique qu’ils ne croisent que très rarement d’autres tribus indiennes dans la forêt amazonienne pratiquement inaccessible, mais que lorsque cela arrive, ils font systématiquement la guerre à ces tribus croisées dans leur pérégrination, qu’ils tuent les hommes et capturent les femmes et les filles et qu’ils continuent leur périple. Le terme de Guayakis signifie pour eux ‘hommes’ et les autres peuples qu’ils rencontrent ne sont pas humains.

 

Les enquêtes des ethnologues disent exactement la même chose de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, où les tribus les plus reculées, qui n’ont jamais vus la civilisation, sont des tribus de cannibales et de mœurs guerrières. Les habitants des îles Sentinelles, dernier peuple supposément à rester à l’écart de la civilisation, agissent exactement de la manière et ils ont criblé de flèches un jeune idéaliste qui voulait venir à leur rencontre.

 

Selon moi, il n’y a pratiquement pas de premiers contacts entre deux peuples qui ne se soient pas produits de manière agressive. A l’exemple des Guayakis, et de manière plus générale, chez la majorité des peuples, seuls les membres de la tribu sont reconnus comme des ‘hommes’ et les autres n’ont pas droit à cette reconnaissance d’humanité, même s’il s’agit de tribus apparentées. Les Homo sapiens ont très certainement exterminé les Néandertaliens lorsqu’ils les ont rencontré, et ce n’est que grâce à l’immensité du territoire européen, aux très faibles populations d’Homo sapiens, et aux zones extrêmement inhospitalières de l’Europe au delà des zones méditerranéennes, que les Néandertaliens ont pu survivre une dizaine de milliers d’années à la rencontre avec Homo sapiens.

 

L’histoire se répétera-t-elle avec les migrations actuelles venant d’Afrique ou du Moyen-Orient débarquant en Europe, comme aux temps des Néandertaliens ? Ma vision est pessimiste, comme s’il n’y avait aucun espoir avec l’humanité. La guerre est son seul avenir et son seul passé. De même que le génocide. 


La violence comme principe explicatif de l’évolution des sociétés humaines

La violence et la guerre ne sont pas nées avec les sociétés européennes ou occidentales modernes, comme legs ou inventions des occidentaux. La violence et la guerre existent dans toutes les sociétés humaines depuis que l’histoire existe, ou que l’homme se rappelle son histoire. On la trouve au plus profond des tribus amazoniennes ou au fin fond de l’Irian Jaya. On la trouvait en Australie avant l’arrivée des européens. On la trouve dans l’histoire de la Rome antique ou de la Grèce antique. On la trouve dans les épopées égyptiennes, assyriennes ou mésopotamiennes. Et de manière pratiquement évidente, elle n’est pas née avec l’homme moderne, historique, mais date forcément au minimum de l’histoire de l’homo sapiens, de cet homme de Cro Magnon qui découvrit dans son périple mondial d’autres branches de l’humanité comme l’homme de Neandertal ou l’homme de Denisova.

 

Cette violence, cette capacité à faire la guerre à ses voisins, à la cité voisine, est également le principe explicatif majeure de l’histoire des peuples et des civilisations, que l’on parle des Hans en Chine, de l’Islam au Maghreb et en Afrique sub-saharienne, des tribus barbares en Europe ou des invasions Mongol. Mais l’expansion de chacun de ses peuples était contrarié par les limites des moyens de télécommunications de l’époque et des moyens de transports pour approvisionner des armées ou maintenir la main mise sur des sujets éloignés. Jusqu’à la survenue des occidentaux qui ont été capables de coloniser toutes les terres habitées ou émergées. 

Les seules limites à l’expansion des empires étaient des contraintes géographiques ou physiques. Des oceans, des déserts apparemment impraticables, des forêts vierges apparemment impraticables et leur faune inquiétante, ou des montagnes inaccessibles. Ce n’est que dans ces niches géographiques ou écologiques que des peuples premiers ont pu subsister face aux peuples envahisseurs, que leurs tribus ont pu survivre à l’écart des grandes civilisations. Dans les fortes vierges d’Afrique, d’Amazonie ou de l’Irian Jaya, dans les déserts d’Afrique ou d’Australie, dans les massifs montagneux de l’Himalaya et du Tibet. 

La distance joue aussi un rôle crucial dans l’effondrement des empires. Impossible pour l’empire d’Alexandre de rester uni après son décès. Idem pour l’empire Romain avant qu’il ne se décompose. Idem pour l’empire Égyptien, pour les Phéniciens ou pour les Almoravides. Ou l’empire du Songhai. Jusqu’à la venue des européens. Même si leurs empires se sont aussi tous effondrés et que l’on trouve désormais une multitude d’Etats indépendants (Australie, Afrique du Sud, États-Unis d’Amérique, Canada, Brésil, Argentine, Indochine …).

 
Ces contraintes physiques (forêts vierges, déserts, montagnes) permettent aussi, ou gênent aussi, le développement de ses peuplades, et permettent le maintien de leurs coutumes ancestrales. En disant cela, je me place à la fois dans la suite de la réflexion de Pierre Clastres sur les indiens Guayakis et plus largement d’Amazonie, mais aussi dans les traces de Heide Goettner-Abendroth dans sa réflexion sur la survivance des sociétés matriarcales. Parce qu’aux marges des grandes aires des grandes civilisations, on trouve une multitude de sociétés qui ont réussi à faire perdurer leurs coutumes ancestrales et leurs organisations tribales., soit en se réfugiant dans des contrées inaccessibles, soit par la ruse et la dissimulation. 

Pierre Clastres (mais aussi Etienne de la Boétie plusieurs siècles auparavant) développait aussi l’idée que l’isolement géographique et la dangerosité du milieu naturel permettait de se protéger de l’apparition du pouvoir, de l’UN. Un chef qui voulait continuer une guerre dont le reste de la tribu ne voulait pas, et qui s’entêtait, pouvait être exclu du groupe, de la tribu, et c’était pour lui la mort assurée. Idem pour les vieillards incapables de continuer à aider la tribu ou de suivre les déplacements. De la sorte, ces sociétés sans État, sans force autonome de coercition, purent survivre au fil des siècles, perdurer, sans basculer dans la civilisation, dans l’irruption du pouvoir de certains, du pouvoir de l’UN pour reprendre mon auteur fétiche, Etienne de la Boétie.

 

La violence explique tout

La violence et la guerre explique à la fois les expansions des grands peuples civilisateurs, ou éradicateurs, mais aussi la permanence de certaines sociétés premières qui échappèrent à la civilisation, à l’apparition du pouvoir, à l’apparition de la domination des uns sur les autres. Car c’est aussi la violence des rites d’initiation marquant les corps, et rappelant que tous sont égaux car ils ont tous été marqués de la même manière par les mêmes rites, la violence intrinsèque de ces sociétés premières à l’encontre de tous ceux qui voudraient chercher le pouvoir pour le pouvoir, la richesse pour la richesse, ou simplement ceux qui violent les coutumes ou les règles.

 

Et si on réfléchit bien, on se rend compte que c’est justement la grande évolution de notre société occidentale ou moderne. Jusqu’à présent, on avait l’impression que les jeunes étaient contraints par la société, par les usages, de se couler dans le moule social qu’avait conçu les anciens, les plus âgés. Et c’est cette évolution-là, à travers le jeunisme forcené de notre société, les multiples plaintes pour harcèlement moral, sexuel ou institutionnel qui se développent, qui gangrènent notre société, nos sociétés, que l’on aperçoit et dont on aperçoit le danger. Car une société qui se détruit à chaque génération ne pourra jamais survivre. 

(nota : évidemment on peut penser la même chose de mai 68 et des grandes avancées sociales, ou reculs, obtenus par des étudiants comme Cohn-Bendit).

 

 

Saucratès

 

 

Liste des quelques livres sur le sujet évoqué dans ces articles :

 

Johann Jakob Bachofen - Le droit maternel - Recherche sur la gynécocratie de l’Antiquité dans sa nature religieuse et juridique - 1996 - Éditions L’Age d’Homme, Lausanne … Titre original : Das Mutterrecht - 1861

 

Cornelius Castoriadis - La création humaine II - Ce qui fait la Grèce - 1. D’Homère à Héraclite - Séminaires 1982-1983 - Éditions La Couleur des Idées - Seuil, Paris

  

Bernard Chapais, Aux origines de la société humaine – Parenté et évolution - 2017 - Editions du Seuil, Paris

 

Pierre Clastres - La société contre l’Etat - Recherches d’anthropologie politique - 1974 - Les éditions de Minuit - Collection Critique

 

Richard Dawkins - Il était une fois nos ancêtres. Une histoire de l’évolution - 2007 - Éditions Robert Laffont, Paris

 

Heide Goettner-Abendroth - Les sociétés matriarcales - Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde - 2019 - Éditions Des femmes - Antoinette Fouque, Paris

 

Emmanuel Guy - Ce que l’art préhistorique dit de nos origines - 2017 - Éditions Flammarion - Au fil de l’histoire, Paris

 
Etienne de La Boétie - Discours de la servitude volontaire - 1576 - Collection Mille et une nuits n°76

 

Bronislaw Malinowski - Les Argonautes du Pacifique occidental - 1967 - Gallimard, Paris

 
Lewis Henry Morgan - La société archaïque - 1971 - Éditions Anthropos, Paris … Titre original : Ancient Society - 1877

 

Alain Testart – Le communisme primitif - Economie et idéologie - 1985 - Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris

 

Alain Testart – Eléments de classification des sociétés - 2005 - Editions Errance, Paris

 

Alain Testart – Avant l’histoire – L’évolution des sociétés de Lascaux à Carnac – 2012 – Editions Gallimard NRF – Bibliothèque des sciences humaines, Paris

 
Sources orientales - Tome 1 - La naissance du monde - 1959 - Éditions du Seuil, Paris


04/03/2023
0 Poster un commentaire

Évolution de l’homme et climat - Histoire des glaciations

Évolution de l’homme et climat

Histoire des glaciations

Par Saucratès 

Saint-Denis de La Réunion, jeudi 23 février 2023


L’histoire de l’humanité et des sociétés humaines est inséparable des évolutions climatiques des derniers millénaires et des dernières centaines de milliers d’années. Je ne parle pas véritablement de l’actuel réchauffement climatique qui monopolise les réflexions de tous les militants et activistes écologistes. Même si au fond, cette préoccupation ne fait que confirmer mon assertion sur le lien entre notre histoire et le climat. 

Je parle plutôt du fait que nos sociétés humaines sont inséparables de l’actuelle période interglaciaire dont la fin remonte à 12.000 ans. On note aussi que l’histoire des migrations humaines, les diverses sorties des hommes préhistoriques d’Afrique, les migrations en Amérique ou en Australie, sont également liées aux périodes glaciaires où les possibilités de déplacement entre plaques continentales étaient plus faciles.

 

Les quatre grandes glaciations du pléistocène, de -760.000 ans BP à aujourd’hui 

Les quatre grandes glaciations du pléistocène se nomme les glaciations de Günz, de Mindel, de Riss et de Würm, du nom d’affluents du fleuve Danube. Il s’agit des noms donnés aux glaciations alpines ; dans d’autres pays, sous d’autres contrées, elles portent des noms différents mais correspondent à des périodes de temps plus ou moins comparables. Les périodes glaciaires et interglaciaires n’ont pas eu en effet les mêmes effets sur tous les continents, l’Europe et l’Amérique du Nord dans l’hémisphère Nord étant gagnées par la banquise, tandis que le continent asiatique ou l’hémisphère Sud enregistrent des climats plus agréables. L’Afrique subit aussi les conséquences de ces évolutions climatiques avec des alternances de  Sahara vert et de grand aride. Cette chronologie est par ailleurs considérée comme obsolète, remplacée par une chronologie des stades isotopiques de l’oxygène (SIO) correspondant au rapport entre l’isotope 18 de la molécule d’oxygène et son isotope 16 (O18 / O16). Néanmoins, dans l’histoire de l’humanité, on utilise encore souvent les appellations alpines de ces glaciations.

 

https://static.blog4ever.com/2010/11/447196/2990AC3D-C35D-4C78-8B03-28576D2D4C76.png
 

La plus ancienne de ces glaciations du pléistocène, dite glaciation de Günz, s’étend ainsi de -760.000 à -530.000 ans avant le temps présent (BP-before present). 

 

La deuxième période glaciaire du pléistocène, dite glaciation de Mindel, s’étend pour sa part de -475.000 à -370.000 ans BP. 

 

Entre les deux, la période de temps appelée «interglaciaire Günz-Mindel» correspondant ainsi aux années -530.000 jusqu’à -475.000 ans BP, qui présente des températures plus élevées et un réchauffement climatique planétaire.

 

La troisième période glaciaire du pléistocène se nomme glaciation de Riss. Elle s’étend de -350.000 à environ -120.000 ans BP, ce qui laisse la place pour une période interglaciaire dite Mindel-Riss entre -370.000 ans et -350.000 ans BP.

 

La dernière période glaciaire qui nous concerne plus précisément, est la glaciation dite de Würm (~Wisconin/Wechselien/Valdaï), qui s’étend de -115.000 à -11.700 ans BP. La période interglaciaire dite Mindel-Würm (aussi appelé Eémien) s’est étendue pour sa part de -120.000 à -115.000 ans BP.

 

Evidemment, chaque période glaciaire s’accompagne de phases de glaciation plus forte et de phases de moindre glaciation. La glaciation de Würm est ainsi divisée en quatre phases : Würm-I de -115.000 à -70.000 ans BP où les températures sont moyennement froides, Würm-II de -70.000 à -57.000 ans BP où les températures deviennent glaciales, Würm-III de -57.000 à -30.000 ans BP où les températures deviennent plus clémentes (à noter de -47.000 à -45.000 ans BP se trouve une brève période de réchauffement climatique dite interstade du Groenland 12), et enfin Würm-IV de -30.000 à -11.700 ans BP qui correspond au maximum glaciaire.

 

La période récente, le Dryas

Au sein de cette dernière période de la glaciation de Würm et de Würm-IV, la période s’étendant de -16.500 à 11.700 ans est appelé le Dryas (du nom d’une fleur, la Dryas octopetala) qui pousse dans les Alpes).

 

- Le Dryas ancien qui s’étend de -16.500 à -14.600 ans BP est une phase froide

- L’interstade Bölling qui s’étend de -14.670 à -14.000 ans BP enregistre un net réchauffement des températures

- Le Dryas moyen correspond à une brève phase glaciaire entre -14.000 et 13.900 ans BP.

- L’interstade Alleröd qui s’étend de -13.900 à -12.900 ans BP enregistre une moindre remontée des températures.

- Le Dryas récent s’étend de -12.900 à -11.700 ans BP et enregistre une chute drastique des températures (-7 degrés dans l’hémisphère nord).

- Le Dryas jeune s’étend enfin de -10.800 à -10.100 ans BP, marqué par une nouvelle période de refroidissement climatique.

 

À noter qu’à partir de -11.700 ans BP, on bascule dans l’holocène, qui s’accompagnera d’une remontée des températures et des océans de près de 120 mètres. 

 

L’évolution du climat africain pendant les glaciations

À noter que l’Afrique est affectée différemment par ces périodes glaciaires, même si elle est non concernée par l’évolution des glaciers, mais évidemment affectée par les abaissements et les remontées des océans. L’ensemble du quaternaire s’accompagne de phases arides et d’autres humides. Ainsi, au cours des derniers milliers d’années de la glaciation de Würm et du Dryas récent, la période africaine de -30.000 à -20.000 ans BP correspond à une phase humide, tandis que la période de -20.000 à 12.000 ans BP correspond à une phase d’extrême aridité (avec une phase extrême entre -16.000 et -14.000 ans BP). Les dunes du Sahara s’étendent très largement au-delà de leurs limites actuelles et «il est certain que, pendant plusieurs millénaires, le Sahara élargi a constitué une barrière autrement plus hostile pour l’homme que l’actuel Sahara». (Source: «Histoire générale de l’Afrique - Tome 1 - Méthodologie et préhistoire africaine», éditeur Présence africaine / Edicef / Unesco)

 

A partir de -12.000 ans BP, «les régions sahariennes de l’Afrique ont connu une extraordinaire extension des lacs depuis les côtes de l’Atlantique jusqu’à celles de la Mer Rouge». On observe ensuite des alternances de phases arides suivies de phases humides d’environ 1.000 à 1.200 ans. Ainsi, vers -8.000 ans BP, «le Sahara se couvre à nouveau de végétations et de multiples lacs s’y créent. Les troupeaux de grands herbivores quittent les zones tropicales où les forêts s'étendent, pour se diriger vers les savanes apparues dans les déserts du Nord et du Sud. Ils sont suivis par une population humaine de chasseurs-cueilleurs qui laissent des peintures et des gravures rupestres dans le Sahara. Le retour ultérieur du désert, à partir -5.000 ans BP jusqu’à -3.000 ans BP contraint cette population à migrer sur les rives du Nil, donnant naissance à l’Egypte antique. (Source Wikipédia).

 

Les diverses sorties d’Afrique des populations d’homo sapiens sont historiquement datées. Aux alentours de -100.000 ans BP ainsi que vers -50.000 ans BP, soit pour les deux au cours de ce que l’on appelle la glaciation de Würm.

 

La sortie du Dryas récent, vers -11.700 ans BP, correspond pour sa part à la construction supposée de Göbekli Tepe en Turquie, tandis que la fin du Dryas jeune correspond à peu près à son abandon également supposé vers -10.000 ans BP.

 

https://static.blog4ever.com/2010/11/447196/3555E339-ACBE-462D-8BB5-800E4D0BA9EB.jpeg

 

Récapitulatif : frise historique

Je retracerai dans la frise historique ci-dessous les principales dates évoquées précédemment :

 

de -760.000 à -530.000 ans BP, glaciation de Günz

de -530.000 à -475.000 ans BP, interglaciaire Günz-Mindel

de -475.000 à -370.000 ans BP, glaciation de Mindel

de -370.000 à -350.000 ans BP, interglaciaire Mindel-Riss

de -350.000 à -120.000 ans BP, glaciation de Riss

de -120.000 à -115.000 ans BP, interglaciaire Mindel-Würm (ou Eémien)

de -115.000 à -11.700 ans BP, glaciation de Würm

de -115.000 à -70.000 ans BP, Würm-I

de -70.000 à -57.000 ans BP, Würm-II

de -57.000 à -30.000 ans BP, Würm-III

de -30.000 à -11.700 ans BP, Würm-IV

de -30.000 à -20.000 ans BP, phase humide africaine

de -20.000 à -12.000 ans BP, phase d’extrême aridité

de -16.500 à -14.600 ans BP, Dryas ancien

de -14.670 à -14.000 ans BP, interstade Bölling

de -14.000 à 13.900 ans BP, Dryas moyen

de -13.900 à -12.900 ans BP, interstade Alleröd

de -12.900 à -11.700 ans BP, Dryas récent

à partir de -11.700 ans BP, Holocène 

à partir de -12.000 ans BP, phase humide saharienne

de -10.800 à -10.100 ans BP, Dryas jeune

 

Nota : Le graphique suivant (source Wikipédia) retrace les périodes glaciaires au cours des 450.000 dernières années, sur la base de prélèvements en Antarctique de stade isotopique de l’oxygène (Épica, projet européen de datation Antarctique - Vostok, projet russe).

 

https://static.blog4ever.com/2010/11/447196/8BA0FC8D-050F-4EAE-AF41-5D788A67CD28.png


24/02/2023
0 Poster un commentaire

Evolution des sociétés - Retour

De l’évolution des sociétés 

Retour sur ce que je cherche à démontrer, à prouver, à découvrir

Par Saucratès 

Saint-Denis de La Réunion, mardi 21 février 2023

 

Puisque vous me lisez sur ce blog, on est donc d’accord que l’origine de l’homme et des sociétés humaines est le secret le plus intéressant de notre monde, de notre histoire, de nos origines. Il s’agit de l’énigme la plus stupéfiante que nous n’aurons jamais à percer. Tout le reste, l’économie, les crises financières, les modèles de développement, la psychologie, la physique ou les mathématiques ne sont que de simples sujets de recherche. Mais l’origine de l’homme et des sociétés humaines est une énigme.

 

Comment est-on passé de la bande de primates il y a quelques millions d’années, de la horde de cueilleurs-chasseurs il y a quelques dizaines de milliers d’années, errant dans une nature trop grande, trop violente, que l’on retrouve encore apparemment inchangée dans les dernières forêts vierges ou dernières zones désertiques inaccessibles de notre planète, pour en arriver aux diverses sociétés organisées que l’on n’a pu observer, et comment en est-on arrivé aux sociétés occidentales ou asiatiques actuelles, devenues trop grandes, trop violentes pour une nature trop fragile pour elles ?

 

Ce sont ces questions qui m’obsèdent depuis des décennies, nourries au lait des lectures des livres de Pierre Clastres, de Karl Polanyi, de Max Weber ou d’Alain Testard.

 

J’ai déjà abordé un certain nombre d’aspects de ces questions par le passé. Par exemple, dans mon premier écrit sur le sujet du 15 juillet 2022, je cherchais à délimiter un certain nombre de notions, de principes (méthodes de datation, systèmes de parenté, relativisme historique).

https://saucrates.blog4ever.com/de-levolution-des-societes-introduction

 

Dans mon écrit suivant, datant de début août 2022, je m’intéressais à un certain nombre d’autres pistes de réflexion sur les premières organisations sociales humaines, comme par exemple le site de Göbekli Tepe, en Anatolie centrale, dont la construction est contemporaine de la dernière glaciation du quaternaire que l’on nomme «Dryas récent», soit remontant à 12.000 ans BP (before present). Comme je l’indiquais, bizarrement, il semble n’exister aucune autre trace archéologique massive, hors de Turquie, pendant les 6.500 années qui vont suivre, puisque les premières cités attestées archéologiquement datent de l’occupation sumérienne il y a 5.500 ans. 

https://saucrates.blog4ever.com/de-levolution-des-societes-suite

 

Cette présentation fait d’ailleurs apparaître qu’il me manquait une présentation des successions de glaciations et de déglaciations qui se sont succédées au cours des dernières centaines de milliers d’années. En effet, l’histoire non pas des sociétés humaines, mais de l’humanité elle-même, est étroitement corrélée aux glaciations et déglaciations qui ont ponctué et accompagné son histoire et ses migrations au travers de l’ensemble du globe, jusqu’en Australie et en Terre de Feu à l’extrémité des Amériques. 
https://saucrates.blog4ever.com/evolution-de-lhomme-et-climat-histoire-des-glaciations

Dans deux autres articles, je m’intéresse aux mythes et légendes sur l’origine de l’homme. Ces mythes parlent tous soit d’un Grand Déluge et du sauvetage d’un couple originel, ou parfois de la création de l’homme. L’idée que l’homme a été créé ex-nihilo par un Dieu tout puissant, par un créateur, ou par une race supérieure, est-elle au fond plus aberrante que d’autres théories ou fables présentées par certains chercheurs ? Y aurait-il un fond de vérité dans les mythes et légendes ou dans les religions monothéistes ?

https://saucrates.blog4ever.com/de-levolution-des-societes-lhomme-prehistorique 

 

À noter que je ne suis pas le seul à chercher une explication à ces différents mythes racontés par l’ensemble des peuples sur l’ensemble du globe. Il existe même une méthode scientifique basée sur les outils de la phylogénétique pour analyser les mythes en les décomposant en unités narratives appelées ‘mythèmes’ («c’est-à-dire la plus petite partie insécable d’un mythe») et remonter de la sorte à l’arbre évolutif du récit lui-même. J’y reviens ainsi sur les travaux et écrits de Jean-Loic Le Quellec, qui fait remonter l’origine «le mythe de l’émergence primordiale» en Afrique du Sud, parmi les mythes du peuple khoïsan, il y a au moins 100.000 ans.

https://saucrates.blog4ever.com/les-mythes-a-lorigine-de-lhumanite


Dans un autre écrit, un intermède (écrit fin août 2022), j’ai indiqué un certain nombre de limites à toute réflexion sur l’organisation et sur l’évolution des sociétés humaines, qui tiennent en premier lieu en la personnalité mais aussi au sexe de l’observateur. J’avais en effet a priori beaucoup de peine à admettre une vision matriarcale des sociétés humaines, ou d’une présentation des sociétés humaines en les analysant comme des sociétés patriarcales. Mais je dois désormais reconnaître qu’il a existé des sociétés humaines dont l’organisation sociale était matriarcale et que ces sociétés ont été détruites, étouffées, par les sociétés patriarcales qui sont aujourd’hui devenues nos sociétés modernes développées, occidentales, chinoises, russes ou africaines. Les sociétés matriarcales ne survivent désormais qu’aux frontières, aux marges, dans les interstices de nos sociétés. 

https://saucrates.blog4ever.com/de-levolution-des-societes-intermede-un-1

 

Dans un de mes plus récents écrits, datant de décembre 2022, je m’intéresse à l’idée d’évolutionnisme. Peut-on réellement parler d’évolution des sociétés humaines ? Y a-t-il un lien entre les sociétés sans État an-historique décrite par Pierre Clastres et nos sociétés occidentales modernes ? 

https://saucrates.blog4ever.com/de-levolution-des-societes-intermede-deux 

 

Enfin, dans un autre article, daté du 6 septembre 2022, je m’intéresse à la démocratie antique athénienne, et au principe dit ‘graphè paranómōn’ (en grec ancien γραφὴ παρανόμων). «Cette expression grecque signifie poursuite contre des projets de lois illégaux. Il s’agissait d’une action publique, portant sur un acte présumé contraire à l’intérêt général.» Cornelius Costariadis en parlait de la manière suivante : «tout citoyen athénien peut proposer une loi à l’Assemblée du peuple, et celle-ci peut éventuellement l’approuver ; mais n’importe quel autre citoyen peut ensuite traîner le citoyen auteur de la proposition devant un tribunal et le faire condamner pour avoir poussé le corps souverain, l’ekklèsia, l’assemblée du peuple, à voter une loi injuste : voilà la graphè paranómōn

https://saucrates.blog4ever.com/de-la-democratie-ou-du-principe-de-graphe-paranomon

 

L’un de mes tous derniers articles publiés, traitant du livre de Lewis Henry Morgan, aborde aussi cette même interrogation sur l’évolution des institutions humaines, en se basant uniquement sur l’évolution des noms des gentes (ou organisation gentilice) des différents et multiples tribus indiennes qui se sont répandus dans l’ensemble de l’Amérique du nord. La question que je n’y pose pas, c’est de savoir s’il existe une autre explication à la généralisation des mêmes noms de gentes, même si les langues parlées ont tellement évolué que les noms de ces gentes n’ont plus rien de commun. La généralisation de la gente ‘Loup’ pourrait-elle s’expliquer par le fait que le loup (ou l’ours, ou la tortue de mer) sont des animaux extrêmement communs dans les grandes plaines nord-américaines et qu’il est normal qu’un peuple que se donne des noms de clans ou de gentes basés sur un animal choisisse le loup, l’ours, ou la tortue de mer pour se nommer ?

https://saucrates.blog4ever.com/ancient-society-de-lewis-henry-morgan 

 
Je conclurais sur un dernier article, un peu plus ancien (octobre 2022), qui se focalisait sur la société contre la violence. En écrivant cela, je me réfèrais à la fois à Jacqueline de Romilly, mais aussi et surtout à Pierre Clastres et son livre fondamental, «La société contre l’Etat». La question que je m’y posais était de savoir si «La société humaine a-t-elle donc été créée pour faire refluer la violence à l’intérieur des groupes ou bien pour les protéger de la violence des groupes étrangers ou des membres extérieurs ? (…) Mais en disant cela, je m’interroge. Comment peut-on dire une chose pareille pour les temps actuels ? Croit-on vraiment que la violence reflue dans nos sociétés organisées modernes ?»

https://saucrates.blog4ever.com/la-societe-contre-la-violence

 

Voilà en quelque sorte où j’en suis arrivé de mes réflexions sur l’évolution des sociétés. Le point récapitulatif à partir duquel je vais pouvoir continuer à réfléchir sur cette possibilité de parler d’une évolution des sociétés humaines …

 

 

Saucratès

 

 

Liste des quelques livres sur le sujet évoqué dans ces articles :

 

Johann Jakob Bachofen - Le droit maternel - Recherche sur la gynécocratie de l’Antiquité dans sa nature religieuse et juridique - 1996 - Éditions L’Age d’Homme, Lausanne … Titre original : Das Mutterrecht - 1861

 

Cornelius Castoriadis - La création humaine II - Ce qui fait la Grèce - 1. D’Homère à Héraclite - Séminaires 1982-1983 - Éditions La Couleur des Idées - Seuil, Paris

  

Bernard Chapais, Aux origines de la société humaine – Parenté et évolution - 2017 - Editions du Seuil, Paris

 

Pierre Clastres - La société contre l’Etat - Recherches d’anthropologie politique - 1974 - Les éditions de Minuit - Collection Critique

 

Richard Dawkins - Il était une fois nos ancêtres. Une histoire de l’évolution - 2007 - Éditions Robert Laffont, Paris

 

Heide Goettner-Abendroth - Les sociétés matriarcales - Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde - 2019 - Éditions Des femmes - Antoinette Fouque, Paris

 

Emmanuel Guy - Ce que l’art préhistorique dit de nos origines - 2017 - Éditions Flammarion - Au fil de l’histoire, Paris

 
Etienne de La Boétie - Discours de la servitude volontaire - 1576 - Collection Mille et une nuits n°76

 

Bronislaw Malinowski - Les Argonautes du Pacifique occidental - 1967 - Gallimard, Paris

 
Lewis Henry Morgan - La société archaïque - 1971 - Éditions Anthropos, Paris … Titre original : Ancient Society - 1877

 

Alain Testart – Le communisme primitif - Economie et idéologie - 1985 - Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris

 

Alain Testart – Eléments de classification des sociétés - 2005 - Editions Errance, Paris

 

Alain Testart – Avant l’histoire – L’évolution des sociétés de Lascaux à Carnac – 2012 – Editions Gallimard NRF – Bibliothèque des sciences humaines, Paris

 
Sources orientales - Tome 1 - La naissance du monde - 1959 - Éditions du Seuil, Paris


21/02/2023
0 Poster un commentaire

Les mythes à l’origine de l’humanité

Les mythes à l’origine de l’humanité
A partir des travaux de Jean-Loic Le Quellec

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, samedi 7 janvier 2023

 

C’est un sujet de Science & Vie de janvier 2023 intitulé : «On a retrouvé le mythe originel - La nouvelle théorie issue de l’art pariétal», qui m’a conduit à prendre connaissance d’une partie des théories de Jean-Loic Le Quellec, contenues dans son livre «L’origine de l’humanité selon les mythes - Variations sur l’histoire de l’humanité».

 

M. Le Quellec s’est intéressé, aux côtés d’autres chercheurs en anthropologie, en archéologie et en linguistique, à recenser les différents mythes sur l’origine de l’humanité et à les analyser avec les outils de la linguistique et de la biologie. 

 

https://www.researchgate.net/publication/327670818_2018_-_L'Origine_de_l'humanite_selon_les_mythes_Variations_sur_l'histoire_de_l'humanite_Preface_Yves_Coppens_Paris_La_Ville_Brule_p_13-37

 

https://www.researchgate.net/publication/302499087_Peut-on_retrouver_les_mythes_prehistoriques_L%27exemple_des_recits_anthropogoniques


Ce n’est bien sûr pas la première fois que certains nous parlent de certaines de ces théories. Je pense notamment à certaines présentations des mythes de l’origine de l’humanité à partir d’une cucurbitacée qui nous avaient été présentées sur ZINFOS, mais que je n’ai pas retrouvées dans les courriers des lecteurs. Impossible de rendre à Caesar ce qui est à Caesar. Mais il s’agissait certainement soit de M. Maugis, soit de l’association Energie Environnement.

 

Les recherches de Jean-Loic Le Quellec permettent notamment de démontrer que cette théorie de l’origine végétale de l’humanité est extrêmement peu développée, selon les analyses de M. Jean-Loic Le Quellec, et qu’elle ne s’est diffusée que dans quelques rares régions du monde, essentiellement en Asie du Sud-Est dans la région de la Thaïlande, et sporadiquement en Afrique ou en Amérique du Sud.

 
Le mythe originel de l’émergence primordiale

Par contre, dans les études réalisées par M. Jean-Loic Le Quellec, je trouve beaucoup plus intéressant son analyse du mythe originel de l’émergence primordiale, dont il note la très forte diffusion sur l’ensemble des continents. Il en note près de 700 occurrences dans les mythes d’un très grand nombre de peuples, distribués à peu près partout, sauf en Europe où ce mythe aurait, toujours selon lui, été remplacé par le mythe du corps souillé.

 

Qu’est-ce donc que le mythe de l’émergence primordiale ? Ci-dessus le mythe des indiens Hopi.

 

«Au début, les Hopi vivaient sous terre, de même que les Paiute et les Pueblo. Un jour, ils entendent des bruits de pas au-dessus d’eux. Ils envoient trois oiseaux qui reviennent exténués sans avoir rien trouvé, mais le quatrième trouve un passage conduisant vers le monde supérieur. Il y rencontre Masau’u (« Squelette » — la divinité de la mort) qui dit vivre là pauvrement et déclare qu’il accepterait volontiers de cohabiter avec des nouveaux-venus. Le chef du village sort d’abord, en montant le long d’un roseau, et il est suivi d’un grand nombre d’habitants du monde inférieur. Ayant peur qu’ils soient trop nombreux à le suivre, le chef retira le roseau, et beaucoup de gens retombèrent en bas.»

 

 Ou bien celui des Xhosa 

 

«Vers l’Est se trouve une caverne appelée Ilhanga, de laquelle l’humanité et les animaux sont sortis : leurs traces se voient encore sur les rochers des alentours. Le bétail émergea d’abord, puis l’humanité, et enfin les autres animaux et les oiseaux …»

  
On trouve aussi le mythe Chthonien des Mandans

 

«Toute la nation résidait dans un grand village sous le sol près d'un lac souterrain. Une vigne étendait ses racines jusque chez eux, et ils voyaient un peu de lumière en sa direction. Quelques aventureux grimpèrent le long de la racine, furent ravis de voir la lumière à la surface, et furent heureux de voir que la Terre était couverte de bisons et de toute sorte de fruits. Ils redescendirent avec les raisins qu'ils avaient cueillis, les firent goûter à leurs compagnons d'en bas et toute la nation décida de quitter l'obscurité souterraine. Hommes, femmes et enfants grimpèrent le long de la racine et environ la moitié avait atteint la surface quand le poids d'une femme corpulente causa la rupture de la racine, ce qui ferma l'accès du reste de la nation à la lumière du soleil.» (Lewis & Clark, 1902: 148-149)

 

https://static.blog4ever.com/2010/11/447196/37A730D1-6BD3-43E2-A844-BD89A11FC88F.png
Figure 1. Il s’agit de la carte de répartition géographique des mythes d’émergence primordiale élaborée par M. Le Quellec. L’utilisation de cette forme de planisphère, centrée sur le pôle nord, permet de visualiser plus facilement les lieux de passage ou de diffusion de ces mythes. Dans ses cartes récentes, M. Le Quellec utilise une autre forme de dessin des côtes représentant les niveaux des mers et des océans lors de la dernière glaciation, époque à laquelle ces mythes ont émergé et se sont diffusés.

 

Comment en arrive-t-on à comparer et à classer des mythes ? En décomposant les mythes en unités narratives appelées ‘mythèmes’, «c’est-à-dire la plus petite partie insécable d’un mythe», on peut utiliser les outils de la phylogénétique pour découvrir l’arbre évolutif du récit lui-même.

 

Pour reprendre les termes de l’article de Science & Vie mais également de M. Le Quellec, «le mythe de l’émergence primordiale serait né en Afrique du Sud (les mythes khoïsan) il y a au moins 100.000 ans. Il aurait ensuite suivi les voies migratoires récemment mises au jour : sorti d’Afrique via la Corne, il se serait répandu en Eurasie, puis en Australie, et il aurait même atteint l’Amérique du Sud via le détroit de Béring il y a entre 16.000 et 30.000 ans, avant que ce pont naturel entre continents ne disparaisse. Sa présence parmi les cultures amérindiennes l’attesté : ce mythe était narré au Paléolithique.»

 

Que l’on puisse par le biais de la phylogénétique estimer si précisément l’ancienneté d’un mythe et son origine en pleine Afrique australe, au sein du peuple Khoisan, me semble extraordinaire. Que ce mythe puisse être également aussi généralisé, aussi répandu sur l’ensemble des continents me semble également extraordinaire. 

 

Reste bien sûr enfin à expliquer comment l’ensemble des peuples concerné peuvent se raconter que l’humanité et les animaux ont pu sortir, naitre d’une caverne, à l’origine de la vie, à l’origine des temps, il y a à peu près 100.000 ans, est par contre un peu difficile à comprendre. 100.000 ans, c’est aussi le goulet d’étranglement de la population génétique humaine, cette époque où l’humanité est passée tout près de l’extinction, époque à laquelle la population humaine est passée par un minimum de quelques milliers d’individus.

 

Si un jour le monde était victime d’un apocalypse nucléaire, si une partie de l’humanité devait se réfugier dans des abris antiatomiques souterrains pendant plusieurs siècles, et qu’ils en sortaient un jour, je pense que c’est ce même genre de mythes que leurs descendants se raconteraient plusieurs générations plus tard, et c’est aussi ce qui resterait de ce mythe, de cette histoire, 100.000 ans plus tard.

 

Mais faut-il donner une explication littérale à des mythes d’origine de l’humanité ? Ces mythes signifient-ils réellement quelque chose de tangible ou ne sont-ils que des tentatives mythiques d’expliquer l’origine de l’homme ? Les mythes du déluge nous parlent-ils vraiment d’un déluge ? Ou bien ne sont-ce que des allégories de quelques esprits à peine éveillés, et les déluges et cavernes ne serait-ils que des tentatives d’explication psychologique des épisodes de la naissance et de l’enfance. 

 
Existence d’autres mythes recensés et présentés par M. Le Quellec

L’article de Science & Vie se limite à ce seul mythe explicatif et cet article se focalise sur l’explication de l’art pariétal, à savoir expliquer les raisons pour lesquelles les hommes préhistoriques s’enfonçaient dans des cavernes pour y dessiner des animaux et des signes. On oublie évidemment que ce mythe de l’émergence primordiale a été effacé en Europe, remplacé par le mythe de la souillure originelle ou celui du plongeon créateur. Ce mythe y existait-il donc à l’époque des grottes ornées d’Europe ? Pourquoi l’absence d’êtres humains dans ces dessins alors que ce mythe est sensée raconter l’origine de l’humanité et des animaux? Tout ceci n’est pas si simple. Tout ceci n’est pas encore si évident à comprendre.

 

Les mythes du corps souillé

Un premier de ces autres mythes présentés par M. Le Quellec est donc celui du corps souillé ou de la souillure originelle. C’est en gros celui du serpent de la Bible alias le Diable qui contamine Adam et Ève. Ce mythe «raconte que le créateur a formé les premiers humains - un homme et une femme - à partir d’argile. Mais alors que le créateur avait le dos tourné, le diable en a profité pour cracher sur les deux statuettes - une souillure à l’origine des maladies et de notre mortalité.» (d’après Science & Vie)

 
Ainsi le récit Tatar de création des hommes :

 

«Quand le grand Pajana forma les premiers hommes, il ne put leur procurer l’esprit vivifiant, ce qui l'obligea à aller chercher l'âme au ciel. Pendant son absence, il laissa un chien pour protéger l'homme. Entre temps, survint Erlik qui dit au chien encore nu à ce moment : Tu n'as pas de poils, mais je te donnerai une toison en or si tu m'abandonnes ces hommes sans âme. La proposition d'Erlik agréa au chien qui lui remit les créatures confiées à sa garde. Quand Erlik se fut emparé des hommes, il les souilla de sa salive, puis il prit la fuite au moment ou le dieu revenait pour les animer. Quand le dieu vit qu'Erlik avait souillé le corps des hommes, il tourna leur extérieur sali vers l'intérieur. C'est pourquoi les intestins humains contiennent encore aujourd'hui de la salive et de la saleté.» (Harva, 1959: p.83)

 

https://static.blog4ever.com/2010/11/447196/96028CED-1810-4CE0-80CC-C41CB42E9233.png

Répartition mondiale des mythes du corps souillé. Tiré de ‘L’origine de l’humanité selon les mythes’ de Jean-Loic Le Quellec.

 

Les mythes de l’origine céleste de l’humanité

Les mythes traitant d’une origine céleste de l’humanité sont très proches des mythes de l’origine chthonienne de cette même humanité. Simplement, au lieu d’émerger d’une grotte, les humains seraient descendus d’un monde supérieur, ils auraient découvert un passage vers un nouveau monde, et ils y seraient descendus également à l’aide d’une racine ou d’une corde.

 

Ainsi le mythe des indiens Warao de Guyane 

 

«Les ancêtres vivaient au ciel. Là-haut, l'un d'eux, nommé Okonoroté, était un fameux chasseur. Une fois, il poursuivit un oiseau pendant plusieurs jours sans pouvoir trouver l'occasion de le flécher. À la fin, il réussit, et sa flèche perça bien l'oiseau, mais celui-ci tomba dans un trou profond, et il était apparemment perdu. Okonoroté, regardant dans ce trou, vit qu'il y avait de la lumière au fond, et bientôt il discerna tout en bas un pays sur lequel marchaient de nombreux animaux. Avec l'aide des autres membres de sa tribu, il fit pendre une longue corde végétale par cet orifice, et l'utilisa pour descendre. En bas, il chassa beaucoup de gibier, puis grimpa à la corde pour retourner chez lui, riche d'une abondante venaison. Les Warao qui étaient restés au ciel, n'ayant jamais connu de viande aussi goûteuse, l'apprécièrent tellement qu'ils se décidèrent à descendre eux aussi au pays d'en bas. Un grand nombre d'entre eux réussit à le faire, mais une femme-enceinte selon les uns, obèse selon les autres -resta bloquée dans le trou du ciel, et malgré que ceux du bas la tiraient pendant que ceux du haut la poussaient, il fut impossible de la sortir de là. C'est pourquoi les Warao qui étaient déjà sur Terre y sont restés, et que ceux qui étaient encore au ciel y demeurent encore.» (Thurn, 1883 : page 377) 
 
 
   https://static.blog4ever.com/2010/11/447196/44ACA344-CDF6-4B98-9D9C-7E6285F7E8DB.png

Répartition mondiale des mythes d’origine céleste de l’humanité. Tiré de ‘L’origine de l’humanité selon les mythes’ de Jean-Loic Le Quellec. 

 

Les mythes de création de l’humanité à partir de squames divins (ou par coroplastie).

Une très grande partie des mythes de création de l’humanité recensés par M. Le Quellec font ainsi remonter l’origine du monde ou celle des humains à des squames ou déchets du corps divin du créateur. 

Ainsi le mythe des Blaans des Philippines 
 
«Melu, un être si grand que rien ne peut lui être comparé; il était blanc, avec des dents d'or, se tenait assis sur les nuages et occupait tout l'espace au-dessus de ceux-ci; il était obsédé par sa propreté et se frottait sans cesse le corps avec les mains pour assurer la blancheur de sa peau, déposant à côté de lui les squames de peau morte qui, en s'accumulant, finirent par faire un tel amas qu'il en fut gêné; pour s'en débarrasser, il en fit la Terre et, comme il était content du résultat, il décida d'utiliser le reste pour créer deux petits êtres lui ressemblant, mais beaucoup plus petits: c'était le premier couple humain.» (Cole 1913 : p.135)
   

https://static.blog4ever.com/2010/11/447196/69975901-36CB-4B0C-9DF4-7F8D63F823DC.png
Répartition mondiale des mythes de création de l’humanité par coroplastie. Tiré de ‘L’origine de l’humanité selon les mythes’ de Jean-Loic Le Quellec.

 

Les mythes d’origine végétale de l’humanité (ou née d’une cucurbitacé)

On en arrive ainsi aux mythes donnant une origine de l’humanité à travers une cucurbitacé. Certains de ces mythes nous ont ainsi déjà été présentés par quelques Zinfonautes. 

 

«Selon d'autres récits, les premiers humains sont issus de végétaux. Ainsi, un mythe noté en Afrique australe, chez les Sandawe, veut que l'ancêtre de ces derniers, dénommé Matunda, soit issu de l'arbre à pain: en l'ouvrant, Matunda permit à la hyène de sortir, suivie des moutons, puis d'une femme avec deux enfants, et enfin de Wangu, l'homme qui épousa la sœur de Matunda, alors que ce dernier épousait celle de Wangu (Baumann 1936: 144).

 

Ou bien, chez les Apinaye du Plateau brésilien, Soleil et Lune, premiers occupants de la Terre, firent une plantation de courges, et, lorsqu'elles furent mûres, ils les mirent dans l'eau sous le petit pont qui franchissait le plus proche cours d'eau, et là elles se changèrent en êtres humains (Nimuendaju, 1939: 163).»

  

https://static.blog4ever.com/2010/11/447196/8749D434-E1E0-4AE6-A5DD-552C7D640F90.png
Répartition mondiale des mythes d’origine végétale de l’humanité (et non pas uniquement issue d’une cucurbitacé). Tiré de ‘L’origine de l’humanité selon les mythes’ de Jean-Loic Le Quellec. 

 

Les mythes du plongeon créateur

Toujours selon M. Le Quellec, les mythes du plongeon créateur, extrêmement présents dans toute la moitié nord de l’Eurasie et en Amérique du Nord, auraient remplacé l’ancienne mythologie de l’Emergence primordiale dans le contexte de la reconquête des territoires septentrionaux après le dernier maximum glaciaire.

 

Dans ces mythes, l’origine de l’humanité et des terres s’explique par le plongeon d’un être ou d’un animal primordial qui ramène du fond de l’océan ou de la mer de la boue à partir de laquelle le créateur compose les continents et l’homme.

  
https://static.blog4ever.com/2010/11/447196/1C01829D-75D0-409B-B5E1-8D2F08BA6230.png
Répartition géographique des mythes du plongeon créatif. Tirée de ‘Peut-on retrouver les mythes préhistoriques? L'exemple des récits anthropogoniques’ de Jean-Loic Le Quellec


(Nota : consulter les versions des articles de M. Le Quellec pour observer les schémas originels de la répartition géographique de ces divers mythes sur l’ensemble des continents. M. Le Quellec utilise des cartes géographiques centrées sur le pôle Nord permettant de mieux comprendre les phénomènes de diffusion spatiale des mythes. Dans ces travaux récents, et dans Science & Vie, M. Le Quellec utilise des planisphères datant de la dernière période glaciaire, permettant d’observer les côtes telles qu’elles étaient à l’époque du paléolithique).
 
 

Saucratès


08/01/2023
2 Poster un commentaire