Critiques de notre temps

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Retour sur les mythes

Une histoire des mythes pour Noël

Par Saucratès

Saint-Denis de la Réunion, lundi 25 décembre 2023

 

En ce jour de Noël, en ce 25 décembre 2023, il me semble intéressant de revenir à l’histoire des mythes. Dans le cadre d’un État laïc comme la France, peut-on d’ailleurs parler de jour de Noël, jour qui ne doit concerner qu’une grosse fraction de l’humanité. Amusant de se dire qu’un État d’Amérique du Sud, le Paraguay ou l’Uruguay, a renommé toutes les fêtes religieuses chrétiennes par des noms laïcs. Ainsi, la fête de Noël y a été renommée ‘fête des familles’ depuis 1917 ou 1919. Mais on n’y trouve encore dans les rues et dans les magasins des sapins de Noël (oups, des sapins des familles faudrait-il dire). 
 

Les mythes. J’en avais déjà longuement parler dans un article de l’année précédente intitulé : 

https://saucrates.blog4ever.com/les-mythes-a-lorigine-de-lhumanite

 

J’y avais décris un certain nombre de mythes, de récits encore narrés de nos jours, ayant apparemment accompagné l’Humanité tout au long du peuplement du globe. 
 

- Le mythe de l’émergence primordiale

- Le mythe du corps souillé

- Le mythe de l’origine céleste de l’humanité

- Le mythe de création de l’humanité à partir de squales divins (ou coroplastie)

- Le mythe d’origine végétale de l’humanité, née d’une cucurbitacée

- Le mythe du plongeon créateur

 

Je me basais pour cela sur les travaux de l’anthropologue Jean-Loïc  Le Quellec tels que rapportés par Sciences & Vie. Il y a cependant de très nombreuses questions de ces histoires des mythes ayant accompagnés l’Humanité, probablement tout au long de son histoire, ou bien que l’on retrouve de manière assez régulière partout dans le monde. Parce que Jean-Loïc Le Quellec a recensé de très nombreux autres mythes.

 

Sur le mythe du déluge, il écrit ainsi :

 

«… Des histoires de déluge se racontent en Afrique, en Asie, en Océanie et jusqu’en Amérique du Sud, dans des variantes qui ne doivent rien à la Bible ni aux missionnaires et qui ont été recueillies auprès de groupes isolés, très peu de temps après leurs premiers contacts avec les Européens. Comment ces gens auraient-ils pu conserver le souvenir d’un événement survenu en Europe, il y a environ huit mille cinq cents ans ; c’est-à-dire plusieurs millénaires après que leurs ancêtres aient commencé de peupler l’Amerique et de rester isolés du reste du monde jusqu’aux temps modernes ?»

 

Jean-Loïc Le Quellec - «Avant nous le Déluge ! L’Humanité et ses mythes» - Éditions du  Détour - Novembre 2021 - Page 209

 

Il aborde dans cette citation la question de l’origine supposée du mythe du déluge ; la rupture lors de l’Holocène du détroit des Dardanelles et l’inondation qui en a suivi avec l’irruption des eaux de la Méditerranée dans la Mer Noire, qui serait supposée avoir fortement marqué les esprits de nos ancêtres et que se serait perpétué au fil des générations pour nous parvenir à travers le mythe du Déluge sumérien, puis babylonien puis biblique. Si l’origine de notre mythe du Déluge, pourquoi se retrouvait-il également, sous des formes différentes, presque partout dans le monde, dans les peuplades qui vivaient à des milliers de kilomètres de là, et qui s’étaient déjà séparées plusieurs millénaires ou dizaines de millénaires auparavant ? On le trouve ainsi chez des peuples aborigènes du Sud de l’Australie, en Nouvelle-Guinée et très largement en Amérique du Sud. 

 

Quelles explications donne Jean-Loïc Le Quellec de l’origine possible de ces mythes ? Il faudrait plutôt noter qu’il liste les différentes explications qui ont été données par les préhistoriens, les psychanalystes, les anthropologues …

 

https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2024/01/28/la-fascinante-enigme-du-deluge-antique-mythe-commun-a-toute-l-humanite_6213471_6038514.html

 

L’influence des missionnaires chrétiens

Peut-on supposer que le processus d’évangélisation de l’Eglise catholique romaine est à l’origine de certains mythes que l’on retrouve dans la majeure partie des terres émergées, et que l’on retrouve dans la Bible ainsi que dans les mythes de nombreux autres peuples ? Il y a un détail gênant en faveur de cette explication. Le fait que nombre de ces mythes ont souvent été récoltés justement par des missionnaires chrétiens qui rencontraient pour la première fois certains peuples. Jean-Loïc Le Quellec éliminé cette explication de diffusion chrétienne pour un certain nombre de raisons, notamment comme il l’indique dans cette citation parce ces mythes y ont «été recueillies auprès de groupes isolés, très peu de temps après leurs premiers contacts avec les Européens».

 

Deuxièmement, parce qu’il lui semble peu probable que des missionnaires ayant tenté de diffuser les propres mythes de la Bible se seraient satisfaits de mythes très fortement divergents du mythe biblique, sur la création du monde ou sur le déluge.

 

Mais il existe indubitablement un processus de diffusion et de modification des mythes racontés. Jean-Loïc Le Quellec raconte l’expérience vécue par Karl G. Heider lors de ses séjours chez les Dugum Dani, en Nouvelle-Guinée occidentale, en 1961-1963 et en 1968. En 1963, le mythe de création de l’Humanité mentionnait que «les hommes blancs étaient sortis en premier de la grotte Huwainmo, étant habillés et portant des fusils. Puis étaient sortis les Dani, avec une gourde pour étui pénien.» Cinq ans plus tard, lors d’un nouveau passage, en 1968, le mythe mentionnait que les blancs étaient sortis en premier de la caverne en avion Cessna. «Vous les blancs, vous êtes les premiers à être sortis de la grotte dans votre Cessna, alors c’est à vous de nous dire comment c’était avant». (Pages 29-31)

 

Qu’est-ce qui est mythe ?

C’est la grande question. Peut-on parler de mythes en parlant des histoires de création du monde ou de l’homme, d’Adam ou d’Eve, racontées par la Bible ? Même moi, en l’écrivant, cela me gêne.

 

Ou pourquoi ne parlerait-on de mythes que pour les legendes racontées par les autres peuples et pas pour les histoires toutes aussi rocambolesques contenues dans la Bible ? 
 

Ainsi, en 1906, dans son ‘Dictionnaire du diable’, Ambroise Bierce pouvait écrire de manière probablement sarcastique :

 

«Coran, nom masculin. Livre que les mahométans croient sottement avoir été écrit par inspiration divine, mais que chrétiens savent être une vile imposture, en contradiction avec les saintes Écritures.

 

Ecritures, nom féminin. Livres sacrés de notre sainte religion, à distinguer des écrits faux et profanes sur lesquels se fondent toutes les autres convictions.» (page 54)

 

L’explication par la psychologie et la psychanalyse

Un certain nombre de penseurs ont cherché à donner des explications psychanalystes et psychologiques aux mythes humains, se fondant sur des sortes d’universaux fœtaux. Ainsi pour François Dor :

 

«Les mythes du monde entier ne seraient rien d’autre qu’un souvenir de la mémoire inconsciente de la vie fœtale. Fort de sa nouvelle clé de lecture, il soutient que Noé serait le fœtus embarqué dans l’arche (la membrane amniochorionique) ; l’arbre de vie figurerait les villosités du placenta ; les serpents et dragons représenteraient le cordon ombilical ; l’expulsion du Paradis serait une figure de la naissance ; le déluge représenterait la perte des eaux amniotiques ; les pyramides, ziggourats et autres s’tu pas magnifieraient le nombril de l’embryon, etc.» (pages 46-47)

 
Mais les interprétations de Carl Jung sur les mythes ne sont guère plus fondées, «d’une naïveté et d’une ignorance confondantes». 
 

Pour en revenir à notre mythe original, à savoir le déluge, les psychanalystes ont rivalisé d’imagination :

 

«Selon Géza Róheim, l’image du déluge serait né des rêves masculins, quand la pression de l’urine ou l’érection matinale suggère des images de liquide jaillissant. Pour une jungienne comme Eleanor Bertine, les flots du déluge seraient les périls de l’inconscient risquant d’inonder l’esprit, l’arche figurant alors la capacité de surmonter cette épreuve…

 

… Pour Alan Dundes, le déluge exprimerait le désir inconscient de grossesse masculine propre aux sociétés matriarcales et l’expression du mythe compenserait symboliquement l’incapacité masculine à enfanter.»

 

Ainsi, pour les psychanalystes, «les mythes seraient à l’inconscient collectif ce que rêves et fantasmes sont à l’inconscient individuel.»

 

La réponse de Jean-Loïc Le Quellec à ces explications psychologiques et psychanalytiques repose sur l’absence de généralisation de tels mythes. Si ces mythes se fondaient véritablement sur un invariant psychologique propre à chaque homme, à chaque femme, on observerait ces mythes partout, chez tous les peuples. Un certain nombre de ces mythes ne seraient pas totalement absents de certaines zones de la planète, comme par exemple en Afrique, alors que l’Afrique regroupe pourtant de très nombreux mythes (au sujet des mythes du plongeon créateur ou cosmogonique que certains rapportaient à un archétype jungien).

 
Quelles autres explications ?

Pour conclure, les principaux mythes ne s’expliquent donc ni par un diffusionnisme de la mythologie chrétienne du fait des l’évangélisation des missionnaires chrétiens à compter du quinzième siècle, ni par une sorte d’explication psychanalytique se basant sur des invariants humains ou des archétypes de type jungien. Il n’existe ainsi qu’une seule autre explication au fait que l’on trouve reparti à peu près partout dans le monde un certain nombre de mythes qui se ressemblent, qui utilisent les mêmes structures narratives, qui reposent sur une sorte de même substrat.

 

Le fait que ces mythes retracent les pérégrinations des mouvements de population humaine, que les mythes aient suivi les migrations des populations. Ce qui signifie également que ces mythes aient aussi pu survivre dans les histoires racontées par les peuples, par les conteurs, depuis pratiquement 40.000 à 50.000 ans, sans disparaître, mais en évoluant parfois en s’imprégnant de certaines divinités, de certaines structures narratives. Le chiffre TROIS en Asie, le chiffre QUATRE sur le continent américain, le chiffre DEUX en Afrique. 

 

Lorsque l’on sait qu’une expérience amusante de psychologie sociale consiste à observer les déformations d’une histoire racontée au sein d’un groupe d’une vingtaine de personnes, sachant qu’au final, l’histoire racontée par la vingtième personne n’a souvent plus grand chose à voir avec l’histoire telle que racontée par la première personne, on ne peut que s’enthousiasmer et s’émerveiller que ces mythes et ces légendes aient pu survivre en gardant une même structure narrative au fil de dizaines de millénaires.

 

L’existence de très nombreux mythes et de très nombreuses variantes de ces mêmes mythes, comme la disparition et le remplacement de certains de ces mythes par d’autres mythes cosmogoniques (sur la création de la Terre, sur la création des hommes …) s’explique d’ailleurs par la succession de très nombreuses migrations qui se sont suivies au fil des millénaires, et tout particulièrement celles qui sont documentées dans l’histoire au fil des derniers millénaires. 
 

Des mythes s’écrivent encore aujourd’hui 

Les mythes ne font pas seulement partie du passé. Ils ne s’expliquent pas uniquement par la nécessité d’une pensée magique. Ils peuvent apparaître même dans un monde scientifique que le nôtre, que le monde occidental. Jean-Loïc Le Quellec donne ainsi l’exemple du mythe de la planète Gaïa en lequel un certain nombre d’écologistes, de personnes supposément savantes, d’experts, croient. Il donne l’exemple des nombreux mouvements New Age qui extrapolent autour de Gaïa. 

 

Jean-Loïc Le Quellec donne ainsi l’exemple de ce qui a été raconté autour de l’épidémie de Coronavirus. Un virus envoyé par la planète, par l’écosystème pour se venger de l’humanité, de l’homme. De ce franchissement des espèces par les virus comme sanction à l’encontre de notre folie. 

 
Que signifient donc les mythes ?

En lisant Jean-Loïc Le Quellec, on comprend ainsi que les mythes racontent plus l’histoire des migrations humaines qu’une histoire de nos origines ou de l’origine de l’homme. Les mythes nous racontent l’histoire que des sociétés se sont racontées sur leur origine, sur l’origine du Monde, sur l’origine de l’Homme, du premier homme ou de la première femme, ou du premier couple. Qu’il y ait ou non un fond de vérité dans les multiples mythes autour du déluge, il me semble que Jean-Loïc Le Quellec n’y croit pas.
 
Il critique toutes les théories selon lui abracadabrantes qui tentent d’expliquer ses mythes par une sorte d’histoire mythique originale, qu’il s’agisse d’extraterrestres, de continent perdu, ou autre. Il contredit les diverses théories psychanalytiques avancées comme listé ci-dessus. Il rit aussi du terme de pluies diluviennes ayant accompagné le déluge, en rappelant que dans des zones équatoriales, il pleut effectivement quarante jours de suite régulièrement, voire bien plus que quarante jours de suite. 
 

https://www.researchgate.net/profile/Jean-Loic-Le-Quellec/publication/342420933_2019_-_L%27intarissable_flot_de_theories_du_deluge_Le_Monde_des_Religions_32_50-53/links/5ef3794892851c35353bdb75/2019-Lintarissable-flot-de-theories-du-deluge-Le-Monde-des-Religions-32-50-53.pdf

 
Mais il ne répond pas pour moi à la question primordiale. N’y a-t-il pas eu dans un passé très lointain un événement si cataclysmique qu’il a marqué l’histoire d’un peuple si profondément, que cette histoire s’est transmise de générations en générations, puis a été raconté sous forme de mythe, d’histoire, de légende ancestrale, et qu’elle a suivi ce peuple tout au long de ses pérégrinations, de ses migrations, d’Afrique en Asie, d’Asie en Australie et en Indonésie, d’Asie en Afrique et d’Asie en Amérique. 
 

Ne serait-ce pas ce qui risquerait d’arriver si un hiver nucléaire éclatait aujourd’hui ? Les rares survivants d’un conflit atomique ne se raconteraient-ils pas encore dans plusieurs dizaines de milliers d’années l’enfer des explosions nucléaires, le feu qui envahit le ciel, les nuées qui masquent le soleil pendant des générations, la végétation et les animaux qui s’éteignent peu à peu, et les rares survivants qui quelques siècles plus tard, sortiront enfin de leur caverne pour reconquérir les ruines de notre monde, les ruines de nos cités d’acier, les ruines de notre civilisation technologique disparue ? Et si les mythes nous racontaient qu’une apocalypse de la sorte s’est déjà produite par le passé ? Parce qu’il existe des mythes approchants :

 

«Il y a longtemps, les trois tribus Miao ont créé un grand chaos, alors le Ciel a chargé Yu de les détruire. Le Soleil est apparu la nuit et, pendant trois jours, il a plu du sang. Un dragon est né dans le temple ancestral, et des chiens ont hurlé sur la place du marché. La glace se formait en été, la terre se fissurait et les sources jaillissaient. Toutes sortes de céréales poussaient sous des formes anormales, et les gens étaient terrifiés. Dans le palais noir, Gao Yang a donné l’ordre que Yu prenne personnellement le bâton d’autorité en jade du Ciel afin de lancer une expédition contre les Miao. Alors que des éclairs brillaient tout autour, un esprit au visage d’homme et au corps d’oiseau descendit avec un bâton de jade pour attendre Yu. Une flèche frappa le commandant des Miao, et leur armée fut plongée dans le chaos. Ils furent alors éliminés. Après avoir conquis les trois tribus Miao, Yu sépara ensuiet les montagnes et les rivières, sépara le haut du bas et traça clairement les quatre extrémités directionnelles du monde. Dès lors, ni les esprits ni les hommes ne violèrent les lois et le monde entier fut en paix.»

 

Mythe chinois du déluge de l’empereur Yu le grand, fondateur de la première dynastie Xia, d’après le cinquième chapitre du Mo zi (page 222-223).

  
Joyeux mythe de Noël à vous toutes et à vous tous … Et bonnes fêtes de fin d’année si je n’écris rien d’ici fin décembre 2023.

 

 

Saucratès

 

 

Bibliographie :

 

Jean-Loïc Le Quellec - Avant nous le Déluge ! L’Humanité et ses mythes - Éditions du  Détour - Novembre 2021

 

L’origine de l’humanité selon les mythes - Variations sur l’histoire de l’humanité - Yves Coppens - Ada Ackerman - Ugo Bellagamba - José Braga - Claudine Cohen - Laurent Genefort - Évelyne Heyer - Roland Lehoucq - Jean-Loïc Le Quellec - Marie-Christine Maurel - Marylène Patou-Mathis - Brigitte Senut - Jean-Sébastien Steyer - Nicolas Teyssandier - Valéry Zeitoun - La Ville Brûle - Octobre 2018

 

https://saucrates.blog4ever.com/les-mythes-a-lorigine-de-lhumanite 



25/12/2023
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