De la nouvelle reine des Maoris et de la Nouvelle-Calédonie
S’il existe une géographie sur laquelle je ne connais rien, c’est bien de celle de la Nouvelle-Calédonie, pas plus que sur les multiples heurts, problèmes et mouvements qui y surviennent actuellement ainsi que par le passé. Ces heurts et incompréhensions proviennent-ils, s’expliquent-ils, par une idéologie colonialiste, centralisatrice de la France, incapable de reconnaître une quelconque légitimité à toute personne ou à toute institution qui ne dépend pas d’elle, qui ne relève pas d’elle ? La question polémique mérite selon moi d’être posée. Les gouverneurs, les préfets, les commissaires de la République disposent d’une autorité conférée par l’Etat, d’une légitimité reconnue par l’Etat, mais aucun autre organe n’en bénéficie aux yeux du gouvernement et de l’Etat. Les centrales syndicales sont à peine reconnues, et uniquement lorsqu’il faut désamorcer un conflit social. Mais quid des autorités coutumières ? Une reconnaissance de l’Etat réduite au néant.
Les anglo-saxons ont une toute autre vision de cette question. Cette article sur la désignation de la nouvelle reine des Maoris de Nouvelle-Zélande me paraît ainsi extrêmement symptomatique du malaise colonial français.
Cette souveraine se nomme Nga Wai hono i te po Paki, elle est âgée de 27 ans et elle succède à son père, le roi Tuheitia Pootatau Te Wherowhero VII, mort vendredi dernier à l'âge de 69 ans, quelques jours après le dix-huitième anniversaire de son couronnement. Elle est la deuxième reine des maoris, après sa grand-mère, la reine Te Arikinui Dame Te Atairangikaahu, qui avait précédemment occupé ce poste pendant quatre décennies, jusqu'en 2006. Le Kiingitanga, mouvement du roi maori, a été fondé en 1858 dans le but d'unir les indigènes maoris de Nouvelle-Zélande sous l'égide d'un seul souverain.
Il existe également des autorités coutumières pratiquement comparables en Nouvelle-Calédonie. Chaque zone coutumière, comme l’Ile aux pins, ou d’autres, disposent d’un conseil tribal et d’un grand chef, et la zone de Nouméa possède elle-aussi un conseil tribal avec à sa tête un grand chef tribal, sans que je sache si ce grand chef tribal a autorité sur l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie.
C’est la lecture d’un article de FaceBook de Virginie Ruffenach qui m’a rappelé ce point de détail, et notamment l’une des réactions à ce message qui rappelait la nécessité de rendre préalablement visite à la grande chefferie de l’Ile aux pins avant de visiter l’île, ce que les élues molestées n’avaient pas respecté.
https://www.facebook.com/virginienouvellecaledonie/posts/966550805482566?ref=embed_post
La confrontation entre les valeurs et les principes de la République française et celles d’un peuple comme celui des kanaks de Nouvelle-Caledonie (ou quelque soit le nom qu’ils donnent depuis des temps immémoriaux à leur île). La confrontation entre deux légitimités ; ceux qui se croient investis d’une légitimité électorale, à la française, face à ceux qui défendent une légitimité coutumière, qui n’a rien à faire avec l’onction du suffrage populaire. On peut mettre une baffe au Président de la République ; on ne penserait pas à frapper un chef coutumier sans commettre un outrage impardonnable.
On se doute évidemment qu’Emmanuel Macron, lors de son déplacement dernier, n’a probablement pas rendu hommage et rendu visite à la grande chefferie de Nouméa, pas plus que le gouverneur ou le commissaire de la république, ou quelque soit le nom que le plus haut personnage de l’Etat français porte en Nouvelle-Calédonie.
La France, dans sa folie centralisatrice et colonisatrice (car nous n’en sommes pas sortis de cette folie coloniale) ne peut pas reconnaître et laisser reconnaître l’existence d’un roi ou d’une reine des mélanésiens de Nouvelle-Calédonie. Le premier-ministre néo-zélandais peut le reconnaître et traiter d’égal à égal avec ce personnage, mais pas la France. Accepter de reconnaître qu’il y aurait en France un personnage qui aurait la possibilité de parler d’égal à égal avec le Président de la République jupitérien Emmanuel Macron, qui serait donc le supérieur du plus haut personnage de l’Etat en Nouvelle-Calédonie, à savoir le préfet, est impossible pour la République française et pour les guignols qui nous dirigent. En tout cas pour ceux que Macron et avant lui Hollande ont désigné.
Car tout européen, aussi puissant soit-il, qui met le pied sur l’île de Nouvelle-Calédonie, doit se présenter devant le haut-Conseil tribal, devant la grande chefferie de Nouméa, lui offrir des cadeaux, des cigarettes essentiellement, et demander la permission de mettre le pied sur l’île. Permission qui lui sera évidemment donnée. Virginie Ruffenach l’aurait fait que les heurts subis à l’île aux pins n’auraient pas eu lieu.
Cette reconnaissance serait aussi une terrible nouvelle pour les descendants des colons, les caldoches, qui dominent l’administration de l’île. Devoir partager le pouvoir avec le peuple kanak. En même temps (mot fétiche d’Emmanuel Macron), même si je suis persuadé que la reconnaissance des autorités coutumières de l’île n’a jamais été écrite dans aucun accord, parce que cela créerait vraisemblablement un précédent terrible pour la République française, je ne pense pas qu’il y ait une autre solution, un autre échappatoire, pour la Nouvelle-Calédonie. Mais comme je l’écrivais plus haut, je n’y connais rien.
Intéressant aussi d’expliquer pourquoi il n’existe point de roi des aborigènes en Australie, à l’égal de la Nouvelle-Zélande. Il a existé une royauté en Polynésie français, ainsi qu’à Hawaï. Je ne suis pas sûr d’ailleurs qu’aucune des deux n’existe encore. La réponse pour l’Australie repose sur l’absence totale d’unité australienne des aborigènes avant l’arrivée des européens sur l’île continent. Peuple aborigène qui n’avait rien à voir avec les peuples mélanésiens ou polynésiens, parce qu’issus d’une précédente migration humaine remontant à un précédent épisode glaciaire, qui remontait probablement à 50.000 ans. Les aborigènes n’ont jamais dépassé le stade de bandes de chasseurs-cueilleurs en guerre perpétuelle (ou en relation d’échange de femmes) les unes avec les autres. Et même aujourd’hui, je ne pense pas du coup qu’il existe l’équivalent d’un haut conseil tribal au niveau de l’ensemble de l’Australie.
(ce que j’écris ci-dessus n’est pas une critique de ce peuple. On a tout à apprendre du peuple aborigène australien qui a su conserver les légendes du temps du rêve, qui sait préserver la nature et à l’aide de cérémonies magiques, la restaurer. Un peuple dont chaque tribu avait la charge de l’entretien, de la préservation et de la multiplication d’un bien, d’un végétal ou d’un animal qui était son totem, et qui savait lancer et contrôler un incendie capable de renouveler et de protéger la nature. La preuve, l’Australie est désormais confrontée à des mégas-feux qui s’étendent à l’Australie toute entière).
La France ne peut évidemment pas reconnaître l’existence d’une reine maori, comme les néo-zélandais, ou un grand chef kanak et s’incliner devant celui-ci, puisque, sinon, la France devrait aussi reconnaître et s’incliner devant le roi des français, devant les descendants des dernières familles régnantes royales ou impériales. Ce qui est impossible pour la République.
Saucratès
Suite des élections législatives : enseignements à tirer de la nomination de Barnier
Il demeure particulièrement extrêmement amusant de parler politique dans la période actuelle. Michel Barnier vient donc d’être désigné par le président de la république pour occuper le poste de premier ministre et désigner un gouvernement. Emmanuel Macron a ainsi choisi un premier ministre au sein du parti LR, un des plus petits groupes politiques au sein de l’Assemblée Nationale.
https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/09/05/les-reactions-a-la-nomination-de-michel-barnier-election-volee-pour-melenchon-tous-les-atouts-pour-reussir-selon-wauquiez_6304896_823448.html
Il y a une forme de continuité dans cette désignation, puisque son premier premier ministre, Edouard Philippe, était lui-aussi déjà issu de ce même parti politique, sauf que les candidats qu’il choisissait autrefois étaient systématiquement exclus de leurs partis politiques, mais plus maintenant.
Amusant parce que dès l’annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale par Macron puis l’annonce des premiers résultats des élections législatives en juin 2024, j’avais pensé que les événements à venir allaient être extrêmement intéressants. Ce qui n’a pas manqué d’être depuis début juillet 2024.
Evidemment, pour l’instant, on n’a pas connaissance des futurs membres de son gouvernement. De qui Michel Barbier s’entourera-t-il pour gouverner ? Ou bien plus probablement, quels ministres lui seront-ils imposés par le président Macron ? Si je suis la logique d’une grande coalition, on devrait trouver dans ce gouvernement des membres des principaux groupes politiques appelés à participer à une éventuelle coalition, la plus large possible. Des membres du parti présidentiel, de ses alliés, de LIOT et des républicains. Probablement pas de ministres issus du groupe Rassemblement national puisque personne ne peut se mélanger à ce groupe sans risquer d’être catalogué d’extrême-droite.
Ces derniers jours, chaque jour amenait son lot d’articles et d’analyses politiques. De rumeurs également. D’ambitions et d’ambitieux qui se dévoilaient. De gens qui s’y voyaient, qui en rêvaient en se rasant (ou en s’épilant) ... Et ces gens-là doivent être aujourd’hui extrêmement déçus. «Ils s’y voyaient déjà, en haut de l’affiche…» dirons-nous.
La gauche, la CGT, veulent en appeler au peuple, aux manifestants, pour faire plier le président Macron afin qu’il les nomme, eux, au gouvernement. C’est particulièrement démocratique et respectueux des institutions de la cinquième république. Parce que la gauche, le nouveau front populaire, est persuadé qu’il a gagné les dernières élections législatives. Ils ont certes terminé devant en nombre de sièges de députés, devant tous les autres partis politiques. Mais uniquement si on parle du NFP de manière globale. Pas si on compte de manière séparée chaque composante du NFP prise individuellement.
Pour cette raison, ils estimaient depuis le début de l’été que la première ministre devait être issue de leur rang, à savoir Mme Castets. Ils avaient eu tant de difficultés à se mettre d’accord sur un nom commun qu’ils ne pouvaient pas comprendre que le président Macron ne la nomme pas immédiatement. Le nouveau front populaire perd donc apparemment la bataille de Matignon tout comme ils avaient déjà perdu la bataille du perchoir de l’Assemblée Nationale.
Ils vont donc tenter de mettre à feu et à sang la France pour faire fléchir, pour faire tomber Macron et Barnier. Puisque sans les voix des macronistes et ceux des députés du Rassemblement national, ils ne peuvent les faire tomber au parlement. Il leur reste donc le théâtre de la rue, l’instrumentalisation de tous ceux auxquels on va farcir le cerveau de mensonges sur une victoire aux élections législatives supposément confisquée. Les menaces de Mélanchon et les appels à la violence proférés par les uns et les autres sont gravissimes dans un État démocratique.
Selon moi, personne n’a gagné les dernières législatives de cet été. Ni la gauche, ni le RN, ni le président et ses alliés. Certains ont perdu, mais moins gravement que cela n’était anticipé. Je parle du parti du président. Les autres se sont maintenus ou bien ont progressé, sans toutefois l’emporter. Et dans une Assemblée Nationale ingouvernable, dans un pays ingouvernable, la seule probabilité d’un gouvernement stable passait par cette candidature. À partir du moment où le NFP n’était pas capable d’accepter la nomination d’un candidat issu de leur rang même si ce n’était pas leur candidat, il n’y avait pas beaucoup d’autre espoir. Mais même l’ancien dernier premier ministre de François Hollande n’avait pas beaucoup de chance de survivre à une potion de censure contre lui, sans l’appui des voix des députés macronistes, sans une alliance avec Macron, sans ministre macroniste. Et de toute façon, même le NFP et jusqu’aux socialistes auraient voté la censure ! Contre un socialiste !
Le cinéma de Macron n’aurait eu aucune chance de réussir si un parti politique avait remporté ces dernières législatives. Il n’aurait pas pu chercher un candidat au poste de premier ministre différent du leader du bloc politique l’ayant vaincu. Ce qu’avait dû concéder à deux reprises François Mitterrand au RPR de l’époque, en 1986 et en 1993, en acceptant de désigner d’abord Jacques Chirac puis Edouard Balladur lorsque Chirac n’avait pas voulu rempiler. Ce qu’avait dû également concéder Jacques Chirac en 1997 en acceptant de désigner Lionel Jospin, leader de la Gauche plurielle. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui, dans une Assemblée Nationale partagée entre trois blocs de taille à peu près comparable.
L’argument d’une élection confisquée ne tient pas non plus la route. Personne n’a gagné lors de ces dernières élections législatives. Seuls, certains ont plus ou moins perdus. Le fait que tous les partis politiques qui se sont alliés dans les urnes pour battre le Rassemblement national n’aient pas réussi à se mettre d’accord pour gouverner ensemble constitue l’explication de la situation présente. Comment des gens ayant tous appelé à voter les uns pour les autres, du camp présidentiel jusqu’à LFI et parfois LR, n’ont-iIs pas été capables de se mettre tous d’accord sur un candidat unique et sur un programme de gouvernement ? Il est trop simple aujourd’hui de crier à la trahison lorsque l’intransigeance des uns et des autres à empêcher la constitution de toute alliance. Les difficultés du NFP simplement à se mettre d’accord sur le nom d’un candidat unique démontre à lui-seul la stupidité et la facticité du nouveau front populaire lui-même.
On va pouvoir désormais observer les actes du nouveau premier ministre. On va pouvoir le voir à l’œuvre. On va attendre la constitution de son gouvernement. Tout en sachant que la situation budgétaire de la France risque d’imposer des choix douloureux. Pas de hausse des rémunérations des fonctionnaires… Pas de retour de l’âge de départ à la retraite à 62 ans ou 60 ans… Pas de hausse de 15% du SMIC, et donc pas de faillites massives des entreprises françaises… Pas de grand soir fiscal… En somme, le désespoir pour tous ceux qui rêvent de la destruction de la France, notamment à LFI et au NFP.
J’étais néanmoins persuadé que Macron envisageait de laisser durer le gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal bien plus longuement ; cette désignation de Michel Barnier me surprend ainsi. Tant pis. Heureusement, je n’avais rien parié. Et il y avait le risque d’alimenter le mécontentement populaire, et le problème de la présentation et du vote du budget 2025. En somme heureusement. Il reste donc les futures manifestations et blocages de la rue, par des manifestants déconfits, spoliés d’une victoire qu’ils avaient cru acquise, à laquelle leurs représentants leur ont fait rêver, même si je n’imagine pas que ces gens puissent être si bêtes pour avoir cru à ses mensonges, pour avoir cru qu’en disposant du tiers des sièges des députés, ils avaient gagné les législatives.
Saucratès
Post scriptum sur les poncifs utilisés par Le Monde
Évidemment, le journal Le Monde n’est pas satisfait du choix de Michel Barnier au poste de premier ministre, qui ne peut satisfaire que Le Figaro. Le Monde préférait évidemment Lucie Castets, dont ils nous ont narré les aventures et les bons mots durant tout l’été. Eux qui nous indiquent qu’elle se sentait en colère. Elle, la candidate parfaite de la rupture totale avec le patriarcat, jeune femme dans un milieu d’hommes, qui de plus est lesbienne pour satisfaire les féministes de LFI et des écologistes ou des socialistes. Ce symbole était-il supposé attirer Macron? Apparemment il a préféré nommer un ‘vieil homme’ de 76 ans (personnellement, je trouve ce choix particulièrement judicieux et heureux - voilà un politique en lequel j’ai toute confiance à la différence de tous ceux que Macron ou Hollande ont pu nommer à ce poste, mais cela n’engage que moi) !
Le Monde nous narre également le ressenti d’électeurs qui estiment qu’on leur a volé leur vote. « Si c’est pour aller voter et ne pas être respecté …», disent-ils … monsieur le commissaire.
Sentiment qui est au fond totalement stupide. Dans une élection, on a d’abord une grande probabilité de ne pas voter pour la personne qui passera le premier tour et sera qualifiée pour le second tour. Ensuite, on a encore de fortes chances de voter pour la personne qui sera battue, sauf à systématiquement voter pour le favori du scrutin en se basant sur les résultats des sondages … En conséquence, une majorité d’électeurs pourraient estimer qu’il ne sert à rien de continuer à voter puisque leur candidat n’est pas élu et que leur vote n’est pas respecté ! Après, il faudrait encore que leur candidat soit choisi pour un poste de premier ministre ou de ministre pour que leur vote soit vraiment respecté, si on suit le raisonnement du Monde. Si celui-ci a raison, cela explique probablement le taux d’abstention particulièrement élevé que l’on observe en France. Qui est le plus stupide dans cette affaire, du Monde qui publie cette ânerie, du journaliste du Monde qui livre ce genre d’article ou des électeurs qui le pensent peut-être, si tout ceci n’est pas inventé, mitonné ou sollicité ?
Second post scriptum :
On entend souvent parler d’un pouvoir de vie et de mort donné au Rassemblement National auquel on a conféré le pouvoir de censurer ou de ne pas censurer le futur gouvernement. Je pense que cette vision, avancée par LFI, par Bompard, par Mélenchon, est stupide. Primo, vis-à-vis d’un gouvernement de cohabitation, le rôle pivot des élus du parti Ensemble du président de la République, et de Attal, est tout aussi primordial que celui du Rassemblement national. L’un ou l’autre peuvent faire tomber le gouvernement Barnier, tout comme les autres petites formations autour d’eux. L’article des décodeurs du Monde souligne parfaitement les équilibres actuels de l’Assemblée nationale. Il existe évidemment une majorité associant LR, Ensemble, Horizon et un appui du Rassemblement National et son allié, mais il existe une alternative allant du Parti socialiste à LR en passant par le groupe LIOT.
C’est bien l’incapacité de trouver et de chercher un compromis de la part du Nouveau front populaire qui explique l’impossibilité d’un gouvernement de gauche. Il leur fallait s’allier avec le parti présidentiel et cohabiter avec Macron, voire avec les LR, et cela, ils n’en étaient pas capables. Ils préfèrent donc aujourd’hui parler d’un hold-up démocratique plutôt que d’assumer leur intransigeance.
Pensées politiques d’un premier jour de septembre
En ce premier dimanche soir de ce mois de septembre 2024, je suis encore une fois assis à ma terrasse, devant une bière (brune évidemment), devant mon barbecue qui fait lentement des braises. Les lueurs des phares des voitures éclairent régulièrement la route de l’autre côté de ma clôture. Je suis tout à côté mais caché. De quoi vais-je vous parler ?
On ne peut désormais lancer un barbecue tout en étant un homme et se preparer à se griller une délicieuse entrecôte sans penser aux écologistes et à Sandrine Rousseau ! Savoir que l’on fait justement ce qui les foutent en boule, ce sont ils voudraient nous priver, ce qu’ils voudraient nous interdire, s’ils en avaient les moyens et la capacité. Jouissif au fond. Sauf que ces fous furieux sont capables de rejoindre le gouvernement Castets (ou un autre) et nous pourrir la vie.
Je vais donc vous parler de politique. Que peut-on écrire ou penser depuis l’Ile de la Réunion ? Un lieu idyllique à l’abri des soubresauts du monde qui nous entoure. Une île où les semaines se suivent et se ressemblent, mis à part le fait qu’il fait parfois plus frais ou plus chaud selon les saisons. Une connaissance d’une organisation syndicale opposée (CGTR) m’expliquait qu’il fallait se battre pour tous ceux qui ne pouvaient pas s’offrir une entrecôte. Mais comment aurais-je pu lui répondre que les pauvres salariés dont il me parlait avaient probablement des téléphones à plus de 1.000 euros et des forfaits de téléphone, de Canal Plus et du championnat de foot ? Comment lui répondre que tout dépendait des priorités de chaque individu ? Que ceux qui se plaignent de la cherté des prix des fournitures pour la rentrée utilisent probablement l’allocation de rentrée scolaire pour leur propre usage et pas seulement pour celui de leur enfant ?
On peut rêver d’un monde où tous les biens et les objets seraient gratuits, où chacun disposerait de biens à hauteur de ses besoins et non pas seulement à hauteur de ses moyens. Mais on a également déjà essayé ce système. C’est le communisme. À partir de 1917. Et on connaît aussi le résultat. Les pénuries et les files d’attente devant chaque commerce. Et les millions de morts. Les goulags. Les purges staliniennes. Et ce sont souvent les mêmes qui vous expliquent doctement qu’on a aussi déjà essayé l’extrême droite en France, entre 1941 et 1945.
Parlons donc de politique. De ce gendarme victime d’un refus d’obtempérer, assassiné à Mougins par un étranger en situation régulière multirécidiviste. De sa femme qui déclare que la France, que le gouvernement, que les députés de la République de LFI, écologistes, socialistes ou communistes, ont assassiné son mari.
Que vaut le silence des députés de gauche face au meurtre de ce gendarme, eux qui aboient en meute lorsqu’un gendarme fait usage de son arme face à un refus d’obtempérer et tué un délinquant ? Parole forte de cette femme qui vient de perdre son mari, mais que des parlementaires de tou bord, de gauche ou du centre, vont vilipender parce qu’elle ose s’attaquer au fond de commerce de l’extrême gauche, de la gauche et de Macron, et même de la droite, en donnant raison au discours de l’extrême droite. Comment un multirécidiviste, condamné une dizaine de fois, peut-il avoir obtenu un visa régulier pour demeurer en France. Laxisme de la justice, parce qu’il n’a jamais effectué la moindre d’emprisonnement. Parce que des juges lui ont trouvé des circonstances atténuantes. Parce qu’il est étranger. Alors que tant de pauvres d’entre nous, pour de simples soupçons, vont passer des dizaines de mois en prison ! Il ne fait pas bon être français en France, avec tous les fous furieux qui font des lois, jugent ou attribuent les logements sociaux.
La référence à 1981 de sa veuve, Mme Harmonie Comyn lorsqu’elle dit à deux reprises : «1981 n’aurait jamais dû exister», a légèrement interpelé. Pas trop néanmoins, simplement l’émotion d’une pauvre femme tant perdu son mari. Pour LFI ou la gauche, elle est certainement fautive à leurs yeux pour avoir épousé un homme gendarme. Vise-t-elle l’abolition de la peine de mort ou bien l’arrivée des socialistes au pouvoir pour la première fois ?
C’est tout le système judiciaire francais que cette veuve d’un gendarme assassiné remet en cause : «déferrement immédiat en attente de jugement, trois repas chauds par jour, aides sociales dans les geôles, là où les retraités qui ont cotisé toute leur vie de travailleur doivent potentiellement retravailler pour avoir trois repas par jour».
Deuxième fait divers qui n’intéresse aucunement Le Monde, puisque seul l’idéologie mortifère de la gauche et du centre libéral macroniste trouvent grâce à ses yeux. Une enfant de sept ans assassinée par un motard fou à Vallauris, près de Nice, fauchée sur un passage piéton, alors qu’il effectuait une roue arrière en dépassant une file de voiture.
Et en même temps, j’ai aussi peur pour ce jeune impliqué. Immédiatement présenté comme un voyou, un delinquant, un jeune sans éducation de la part de ses parents ou parentes. Pourtant, il ne s’est pas enfui, pas de délit de fuite, il ne conduisait pas un véhicule volé, il avait son permis, il était même assuré. Il ne beneficiera ainsi potentiellement d’aucune des excuses (ou circonstances aggravantes) que certains juges aiment à rechercher et à excuser.
Effectivement, ce gosse a fait une monstrueuse connerie, mais qui pourrait arriver à n’importe quel motard qui remonte des files de voitures à l’arrêt parfois à plus de 100 kilomètres heures et qui estiment être dans leurs droits. Une connerie qui peut arriver à n’importe quel conducteur un peu novice, à n’importe quel chauffard un peu pressé, excédé par un conducteur un peu trop respectueux des règles du code de la route le devançant sur la route. C’est évidemment abominable, mais combien d’automobilistes respectent scrupuleusement les passages piétons et ralentissent, voire s’arrêtent, lorsqu’ils n’ont pas de visibilité pour s’assurer qu’un piéton ne va pas s’engager devant eux, qu’un piéton ne traverse pas. Et même là encore, on n’est pas totalement à l’abri de ne pas faire un jour une connerie. La route est l’endroit le plus dangereux du monde (mis à part les zones de guerre et les zones de guérillas).
Pour finir sur ces commentaires sur la politique, je ne peux éviter de parler du futur gouvernement. Je ne parlerais pas de Mme Castets et de sa femme. Même si elle veut être désignée par Macron et ne comprend pas les réticences de ce dernier à la nommer. Je parlerais plutôt des certitudes du nouveau front populaire qui est persuadé avoir gagné les dernières élections législatives, à tord. Et qui attend d’être nommé à Matignon. Ce débat me dépasse. Pour moi, il est clair que le groupe de ceux qui ont joué le front républicain ont gagné, et que c’est à eux de fabriquer une coalition, eux qui se sont tous retirés lorsque l’un d’eux (en fait tous) affrontait un candidat du Rassemblement National. À eux de s’entendre désormais pour gouverner et tenter d’apporter des réponses aux français. Et oui, il leur faut s’allier aux macronistes et gouverner avec eux, puisque de toute façon, ils ont appelé à voter les uns pour les autres, face à l’épouvantail du Rassemblement National.
Effectivement, dans trois ans, ou avant lors de la prochaine élection législative anticipée, cela risque d’être encore plus compliqué pour le front républicain. À force de marier la carpe et le lapin, à force de s’agresser à l’Assemblée mais à collaborer dans la réalité et dans les urnes, les esprits risquent se réveiller. Tout cela démontre l’impossibilité croissante de faire fonctionner le système politique français avec un parti politique exclu représentant entre 30% et 40% des électeurs sans qu’aucun de ses concurrents ne puissent s’allier avec eux. On ne peut exclure 30 à 40% des électeurs et leurs représentants. Les syndicats, les associations ne peuvent continuer à rejeter ces hommes et ces femmes parce qu’ils votent MAL selon leur idéologie.
Saucratès
L’homme est-il naturellement bon ou mauvais
L’homme est-il naturellement bon ou mauvais ?
Suite de mon article sur la violence et la guerre
Par Saucratès
Saint-Denis de la Réunion, dimanche 25 août 2024
Dans un article précédent, je m’intéressais à la question de l’ancienneté de l’origine de la guerre ; était-elle apparue récemment comme aiment à le penser les archéologues pacifistes, avec la naissance de l’agriculture et le néolithique ? Ou bien était-elle beaucoup plus ancienne, remontant aux origines de l’humanité ? La vieille question opposant la théorie de Rousseau sur l’homme naturellement bon à l’état sauvage, contre la théorie de Hobbes, sur l’homme étant un loup pour l’homme à l’état sauvage.
https://saucrates.blog4ever.com/violence-et-guerre-en-australie
Même si je m’en voudrais de donner tord à Jean-Jacques Rousseau sur ce point, j’arrivais malgré tout à la conclusion dans mon article que la guerre était inhérente ou inséparable du fonctionnement des sociétés de chasseurs-cueilleurs archaïques à peu près partout dans le monde, tout particulièrement dans les endroits préservés du contact avec les empires et l’Occident comme l’Australie mais aussi les indiens des plaines américaines. Il était ainsi extrêmement probable qu’à l’époque du paléolithique, la violence et les affrontements entre groupes étrangers devait être régulière.
La réponse des archéologues pacifistes comme Marilène Patou-Mathis («Préhistoire de la violence et de la guerre») reprenant notamment les arguments de Rousseau (exposés dans «L’État de guerre») tournent autour de la disparition de l’homme s’il avait été un être naturellement violent. Selon eux, pour leur survie au cours du paléolithique, les groupes humains devaient collaborer entre eux, échanger, pour survivre au fil des générations. Ils reprennent en ce sens les mots de Rousseau :
«Qui peut avoir imaginé sans frémir le système insensé de la guerre naturelle de chacun contre tous ? Quel étrange animal que celui qui croirait son bien attaché à la disparition de toute son espèce ! Et comment concevoir que cette espèce, aussi monstrueuse et aussi détestable, pût durer seulement deux générations ?»
Jean-Jacques Rousseau, «L’État de guerre», page 27
Cet argument brillant de Rousseau sur la généralisation à l’absurde du principe de Hobbes n’a bien sûr aucune validité. Les prédateurs territoriaux comme les lions, les panthères, les chacals ou les loups n’hésitent pas à se combattre s’ils se croisent mais n’ont pas disparu pour autant. Seul le contact avec l’homme a conduit à la disparition de la mégafaune, que ce soit en Amérique du Sud ou en Australie. Les prédateurs territoriaux ont développé des mécanismes d’évitement pour survivre séparément en évitant de se croiser et de s’affronter, et en ‘marquant’ leur territoire.
Les recherches de Testart et de Darmangeat sur les aborigènes australiens font également apparaître des mécanismes d’évitement similaires à celui des prédateurs territoriaux, avec des formes ritualisées d’affrontement avec des tribus voisines ou proches, avec la proposition éventuelle d’actes sexuels pour éviter les conflits ou la désignation potentielle de certains pour se sacrifier. La guerre et l’affrontement non rituel ne concernent souvent que des groupes éloignés géographiquement.
Parce qu’en fait, derrière tout cela, comme l’écrit Marylène Patou-Mathis, on trouve une autre question primordiale, à laquelle je semble répondre un peu comme Hobbes : l’homme est-il naturellement bon ou mauvais ? Quelle est la nature profonde de l’homme ?
À la différence de la vision optimiste de Marylène Patou-Mathis, je ne crois pas en la bonté naturelle de l’homme.
Je crois que les hommes, lorsqu’ils se croient à l’écart de la société, autant qu’il leur soit possible de se croire revenus à l’état naturel, à l’abri des regards des autres, de la société, persuadés de ne pas être découverts ou vus, se transforment en leur nature profonde, en reviennent à leur instinct de prédateurs, vis-à-vis de ceux qu’ils croisent, hommes ou femmes. Cela peut se produire dans une ruelle obscure, dans une forêt déserte et isolée, dans une foule d’anonymes où nul n’interviendra, ou en situation de guerre … Certains dans ces conditions se métamorphosent en monstres, aidés parfois par le groupe ou la meute à laquelle ils appartiennent. Parfois d’autres non, continuant à se comporter en humains civilisés.
Difficile de répondre à une telle question sur la nature profonde de l’homme. Qu’est-ce qui fait que certains se transforment parfois en monstres, en animaux, dans certaines situations, comme l’actualité nous l’apprend tous les jours, comme l’attaque du Hamas contre Israël dans les alentours de Gaza, avec des viols systématiques des femmes nous l’a rappelé atrocement ? Comment penser que l’homme est naturellement bon devant ses épisodes atroces, que sa nature profonde de l’homme n’est pas la violence, la mort et la prédation ?
Comment répondre à la question de savoir si l’homme n’est au fond qu’un singe tueur ? Les deux espèces de primates les plus proches de nous, celles dont notre ancêtre primate se serait séparé le plus récemment, sont le Chimpanzé, ou Pan troglodytes et le Bonobo, ou Pan paniscus. Le premier, le Chimpanzé, résoudra les conflits par l’agressivité et la domination, tandis que le second, le Bonobo, résoudra les conflits par la sexualité et par la désignation d’un bouc émissaire au sein du groupe. Dans le premier, les mâles dominent. Dans le second, les femelles dominent et gèrent la redistribution et l’affectation des ressources.
Comme si notre espèce était un croisement de ces deux groupes, comme si nous étions un mélange des traits sociaux de ces deux espèces proches. Les usages sociaux des Chimpanzés semblent reproduire les usages de la société patriarcale, alors que les usages sociaux des Bonobos semblent plus se rapprocher de notre idée du fonctionnement des sociétés matriarcales (idéalisé puisqu’elles ont pratiquement disparu). La manière notamment dont j’ai présenté le fonctionnement des sociétés aborigènes australiennes, sociétés humaines restées les plus préservées de tout contact avec d’autres peuples au cours des 50.000 dernières années, semblent intégrer à la fois des éléments des Bonobos (sexualité, bouc émissaire) dans leurs relations avec d’autres groupes, avec un fonctionnement interne plus patriarcal et une capacité de violence dans les relations avec d’autres groupes relevant du registre des Chimpanzés.
Comme le fait aussi Marylène Patou-Mathis, on peut s’interroger sur la place de l’empathie et de la morale dans cette réflexion autour de la nature fondamentalement bonne ou mauvaise de l’homme. Les archéologues pacifistes voient des signes préhistoriques d’empathie dans le fait que des fossiles présentent la preuve que des hommes préhistoriques comme Neandertal s’occupaient de leurs blessés ou d’enfants trisomiques. Cette façon de chercher à tout extraire de fossiles n’est-il pas excessif ? Ne trouve-t-on pas déjà de signes d’empathie de la sorte dans le fonctionnement des sociétés Bonobo, ne s’occupent-elles pas déjà de leurs blessés et de leurs mourants ? J’ai personnellement vu une scène susceptible d’être considérée comme de l’empathie chez mes propres chats, tous regroupés autour de leur mère sur le point de mourir après avoir été écrasée par une voiture. Alors qu’elle s’éteignait, mes cinq autres chats étaient tous en cercle autour d’elle, sans rien dire, semblant la veiller.
L’empathie n’est pas une invention de l’homme anatomiquement moderne, mais une constante animale. Ce qui semble plus problématique, c’est la capacité de l’être humain, de l’homme, à oublier cette empathie naturelle pour tuer, violer et assassiner son prochain ou sa prochaine. Cette capacité à haïr et à tuer. Comme en témoignent toutes les guerres ou l’attaque du Hamas dans la bande Gaza.
C’est plus là que l’on trouve l’aberration. Cette obligation de l’homme de créer et de penser une morale afin de suppléer la disparition des contraintes naturelles de l’homme qui font désormais de lui le pire des animaux, le pire des prédateurs, insensible pour certains à l’empathie et à la modération, oubliant notre humanité commune.
Saucratès
Nota bene : Ne pas oublier de prendre en compte l’autre vision théorique de l’homme défendue par les archéologues pacifistes, les philosophes et les anthropologues. L’homme est évidemment un animal social qui naît et vit dans des groupes, des bandes ou des tribus humaines depuis des millions d’années. Il n’existe ainsi pas d’hommes ou de femmes qui vivent à l’état de nature, seuls, hors de relations sociales depuis des millions d’années, depuis qu’il est devenu primate. L’état de nature tel que le discute ainsi Hobbes ou Rousseau ne concerne donc pas véritablement l’homme préhistorique mais le mammifère ancestral avant qu’il ne devienne primate.
Au sein de ces groupes, bandes ou tribus dans lesquels l’être humain naît et vit, le groupe a inventé des règles d’exogamie et d’exclusion permettant l’évitement de l’inceste, qu’ils prennent la forme d’exclusion du groupe des jeunes mâles ou des jeunes femelles, qu’ils prennent la forme de moitiés ou de clans créant des interdits de sexualité ou qu’ils prennent la forme d’échange entre tribus voisines de jeunes femmes ou de jeunes hommes. Il existe au fond une continuité entre les règles d’évitement de l’inceste chez les primates, fondées sur l’exclusion du groupe des jeunes mâles conduits à rejoindre d’autres groupes ou à affronter d’autres mâles pour prendre leur place chez certains primates ou certains prédateurs sociaux, et les règles et rites d’exogamie mis en place par de nombreux peuples humains.
Ces groupes ont aussi inventé une une explication mythique du monde et de leur existence à un moment quelconque de leur histoire, qu’ils se sont transmis et qu’ils ont fait évoluer au fil des générations, de générations en générations. Au gré des travaux de Loic Le Quellec, on sait ainsi que ces mythes se sont transmis depuis plus de 100.000 ans pour les plus anciens, que l’on parle des mythes de l’émergence de l’humanité depuis une caverne ou des mythes par le biais du plongeon créateur.
https://saucrates.blog4ever.com/retour-sur-les-mythes-1
https://saucrates.blog4ever.com/les-mythes-a-lorigine-de-lhumanite
On ne peut évidemment pas déterminer les traces des plus anciens mythes (ceux antérieurs aux plus anciens mythes retrouvés, à savoir celui de l’émergence primordiale datant de 100.000 ans), ni même si ces mythes s’expliquent véritablement par des événements marquants survenus dans ce passé très ancien. Ces mythes se retrouvent inscrits sur les parois des grottes depuis quelques dizaines de milliers d’années en Australie et probablement ailleurs. L’Australie nous enseigne le temps du rêve, et on peut se demander si ce temps du rêve ne prend pas sa source dans les temps antérieurs à la migration des aborigènes en Australie, si le temps du rêve n’était pas commun à l’humanité sortie d’Afrique.
Cela ne signifie cependant pas que les premières traces d’une quelconque légende remonte à 100.000 ans avec le mythe de l’émergence primordiale. Cela signifie simplement qu’on ne peut faire remonter aucun mythe avant ce mythe, qu’aucun mythe plus ancien ne se soit transmis jusqu’à nos jours. Ce que l’on sait, c’est qu’il y a environ 100.000 ans, chez les ancêtres du peuple Khoisan, on se racontait des mythes, des histoires sur l’origine de l’homme, mythes qui se sont répandus jusqu’à nos jours, de la même manière que le temps du rêve des australiens s’est racontée jusqu’à nos jours. Il y a 100.000 ans, les hommes se racontaient déjà des mythes sur leur origine. Ils cherchaient déjà à expliquer leur origine et ce qui les entourait. Il y a 100.000 ans, la culture humaine existait.
Bibliographie :
Johann Jakob Bachofen - Le droit maternel - Recherche sur la gynécocratie de l’Antiquité dans sa nature religieuse et juridique - 1996 - Éditions L’Age d’Homme, Lausanne … Titre original : Das Mutterrecht - 1861
Cornelius Castoriadis - La création humaine II - Ce qui fait la Grèce - 1. D’Homère à Héraclite - Séminaires 1982-1983 - Éditions La Couleur des Idées - Seuil, Paris
Bernard Chapais, Aux origines de la société humaine – Parenté et évolution - 2017 - Editions du Seuil, Paris
Pierre Clastres - La société contre l’Etat - Recherches d’anthropologie politique - 1974 - Les éditions de Minuit - Collection Critique
Pierre Clastres - Recherches d’anthropologie politique - 1980 - Editions du Seuil
Pierre Clastres - Archéologie de la violence - La guerre dans les sociétés primitives - 1997 - Editions de l’Aube
Richard Dawkins - Il était une fois nos ancêtres. Une histoire de l’évolution - 2007 - Éditions Robert Laffont, Paris
Christophe Darmangeat - Justice et guerre en Australie aborigène - 2021 - Smolny, Toulouse
Heide Goettner-Abendroth - Les sociétés matriarcales - Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde - 2019 - Éditions Des femmes - Antoinette Fouque, Paris
Emmanuel Guy - Ce que l’art préhistorique dit de nos origines - 2017 - Éditions Flammarion - Au fil de l’histoire, Paris
Etienne de La Boétie - Discours de la servitude volontaire - 1576 - Collection Mille et une nuits n°76
Bronislaw Malinowski - Les Argonautes du Pacifique occidental - 1967 - Gallimard, Paris
Lewis Henry Morgan - La société archaïque - 1971 - Éditions Anthropos, Paris … Titre original : Ancient Society - 1877
Marylène Patou-Mathis - Préhistoire de la violence et de la guerre - 2013 - Éditions Odile Jacob, Paris
Jean-Jacques Rousseau - L’Etat de guerre - 2000 (rédigé en 1756-1757) - Babel
Alain Testart – Le communisme primitif - Economie et idéologie - 1985 - Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris
Alain Testart – Eléments de classification des sociétés - 2005 - Editions Errance, Paris
Alain Testart – Avant l’histoire – L’évolution des sociétés de Lascaux à Carnac – 2012 – Editions Gallimard NRF – Bibliothèque des sciences humaines, Paris
Sources orientales - Tome 1 - La naissance du monde - 1959 - Éditions du Seuil, Paris
Violence et guerre en Australie
Les observations réalisées en Australie ou ailleurs sont-elles généralisables à l’époque paléolithique ?
Par Saucratès
Saint-Denis de La Réunion, samedi 17 août 2024
Je vais revenir sur un sujet qui me passionne, moi comme de nombreux autres auteurs, archéologues ou anthropologues: la place de la violence et de la guerre dans les sociétés archaïques ou paléolithiques.
J’ai déjà plusieurs fois traité de ce sujet dans mes écrits antérieurs. Vous en trouverez un échantillon à la fin de cet article. Mais je m’intéresserais ci-dessous à un concept que j’ai peu évoqué jusqu’à présent, à savoir la guerre dans ces sociétés archaïques. J’ai souvent évoqué la violence interne aux sociétés, mais plus rarement le concept de guerre.
Le concept de guerre dans le cadre des sociétés archaïques est un sujet extrêmement polémique ; un grand nombre de chercheurs, penseurs, archéologues et théoriciens rejettent la violence et la guerre dans les sociétés archaïques du paléolithique. Pour la grande majorité des théoriciens, ils estiment que les guerres ont été inventées par nos sociétés modernes, que les sociétés humaines du paléolithique et les sociétés primitives étaient des sociétés pacifiques et qu’au pire elles pouvaient tuer certains de leurs membres ou des étrangers dans des buts rituels. Ils se situent notamment dans la lignée de la vision idyllique de Rousseau et son mythe du bon sauvage.
«Tant que les hommes ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant ; mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre ; dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisît, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.»
Jean-Jacques Rousseau, «Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes»
Ma vision des sociétés archaïques du paléolithique est extrêmement pessimiste, se fondant sur les écrits des uns et des autres sur les sociétés aborigènes observées sur différents continents, que ce soit de Clastres ou de Testard. On tue pour des droits sur des femmes, pour venger des morts, pour venger des offenses fussent-elles imaginaires, pour prélever de la graisse surrénale très valorisée, et on mange les cadavres, de la famille, des ennemis. Chouettes sociétés. Nul besoin de richesses pour s’entretuer. Thèse de Testart : toutes les sociétés du paléolithique ressemblaient à la société aborigène. Et la toute première des richesses, ce sont les femmes. Le féminisme en prend un coup. Et les thèses matriarcales originelles. Sauf à supposer que la société australienne ne serait qu’une orientation des sociétés parmi d’autres, une déviation de l’histoire ! À supposer qu’il ait existé des sociétés matriarcales organisées pour y remettre en cause la valeur de la femme en tant que possession.
J’ai lu récemment deux livres défendant des positions opposées sur ce point. D’un côté, le livre de Christophe Darmangeat intitulé «Justice et guerre en Australie aborigène», datant de 2021, où il s’appuie sur toute la littérature coloniale disponible pour décrire les différentes formes de conflits, de violences et de guerres dans les nombreuses sociétés aborigènes australiennes rencontrées au début de la colonisation de l’Australie par les colons anglais. De l’autre, le livre de Marylène Patou-Mathis, intitulé «Préhistoire de la violence et de la guerre», datant de 2013, où l’auteur défend l’opinion inverse d’une absence presque complète de violence guerrière avant la néolithisation.
L’un des principaux arguments utilisés par Marylène Patou-Mathis repose sur l’absence presque totale, à de rares exceptions, de traces archéologiques de violence et de blessures ayant causé la mort sur les squelettes du paléolithique:
«Que pouvons-nous conclure à partir de ces données ? Il ressort que si une forme de violence existait déjà au travers des rites cannibales, aucune preuve archéologique n’atteste de la pratique de la guerre au paléolithique. Alors pourquoi et comment les peuples ‘pacifiques’ du paléolithique se sont-ils mués en sociétés guerrières ?»
Marylène Patou-Mathis, «Préhistoire de la violence et de la guerre», page 44
Cet argument a souvent été dénoncé et combattu par Alain Testard tout comme par Christophe Darmangeat, qui argumente sur le traitement potentiel probable différent des morts à la guerre par rapport aux morts de cause naturelle faisant l’objet de rites d’enterrement, sur la difficulté de conservation de squelettes selon les terrains, qui expliquerait le faible nombre de témoins archéologiques retrouvés. Il faut des sols et des conditions d’enterrement très particuliers pour que les traces archéologiques nous parviennent. Et les traces archéologiques du néolithique sont beaucoup plus proches de nous que celles du paléolithique, et la densité démographique ne devait pas être comparable. Et enfin, les processus de glaciation et de déglaciation survenus avant le néolithique ont encore dû faire disparaître de potentiels traces archéologiques de telles violences.
On ne retrouve par ailleurs en Australie aucune trace archéologique des violences commises avant le dix-neuvième siècle alors qu’elles sont pourtant patentes et documentées. C’est un peu comme si on remettait en cause les guerres d’Azincourt, de Waterloo, d’Austerlitz ou de Verdun ou de la campagne napoléonienne de Russie sous prétexte que l’on ne retrouverait pas archéologiquement les squelettes des combattants décédés lors de ces guerres et de ces combats. L’absence de traces archéologiques de violences guerrières au paléolithique peut simplement signifier que les conditions d’inhumation de ces décès n’ont pas permis leur conservation archéologique jusqu’à nous. En déduire comme ils le font (Patou-Mathis et les archéologues pacifistes) que les hommes du paléolithique étaient pacifiques n’a aucun validité.
En Australie, en Amazonie, en Nouvelle-Guinée, en Afrique ou chez les Inuits, on tue et on assassine pour prendre des femmes, pour venger des crimes réels ou imaginaires, pour venger des morts, pour des rites d’initiation, pour prouver qu’on est un homme ou juste parce qu’on est ennemi. Au début du vingtième siècle, Shapera Isaac décrit ainsi de la manière suivante les San !Kung, archétype d’un peuple supposément totalement parfaitement pacifiste :
«Les relations entre bandes voisines ne sont pas toujours amicales. Les homicides, les intrusions, le vol, l’adultère et le vol de femmes suscitaient des querelles et des conflits qui prenaient généralement la forme d’un feud (expédition vengeresse) et qui pouvaient même parfois conduire à des guerres.»
Christophe Darmangeat, «Justice et guerre en Australie aborigène», page 242
Mais ce que ces peuples nous apprennent, c’est surtout les manières dont ils ont également réussi à ritualiser ces conflits pour en réduire la létalité. En Australie, il existe ainsi des batailles régulées, qui s’arrêtent au premier sang versé, impliquant des nombres précis de guerriers et qui servent à vider des querelles. Dans le cadre de raids de représailles, lorsque des guerriers sont repérés autour des camps, le groupe envoyait des femmes aux guerriers adverses afin d’éteindre le conflit. S’ils rejetaient les faveurs sexuelles, on était assuré de leurs intentions bellicistes.
«Inclure des femmes dans une délégation chargée de présenter des griefs constituait donc le pendant de la pratique déjà évoquée consistant, à l’approche d’une troupe menaçante, à lui proposer des rapports sexuels avec les femmes du campement afin d’éteindre le conflit. Cette coutume est attestée chez les Jaitmathang, ainsi que chez les Dieri et les Arabana, sur lesquels on dispose de détails significatifs. Ainsi, pour aller discuter avec les tribus voisines, on s’efforçait de choisir des femmes qui en étaient originaires. Elles étaient accompagnées de leurs maris, qui se chargeaient de présenter les demandes à la tribu visitée. Ils laissaient alors les femmes seules à quelque distance du camp.
Si les membres du groupe hôte décident de se conformer à leur demande, tous les hommes de ce groupe, quelle que soit leur classe matrimoniale, ont accès aux femmes ; mais si l’on décide de ne pas y donner suite, on ne rend pas visite aux femmes. Accepter ces faveurs sans satisfaire les demandes de ceux qui les offrent constituerait une grossière violation de la coutume tribale.»
Christophe Darmangeat, «Justice et guerre en Australie aborigène», page 228
La société aborigène australienne est-elle pour autant une abominable société patriarcale, une évolution supposément ratée à mille lieux des sociétés paléolithiques que les pacifistes imaginent matriarcales. Probablement non. Chaque homme et chaque femme des sociétés aborigènes australiennes est enserré dans un ensemble d’obligations auxquelles il ne peut échapper. Obligations matrimoniales à vie des hommes vis-à-vis de leur belle-mère et de leur beau-père, obligations d’accepter la justice aborigène qui peut à tout moment les déclarer responsable d’une mort ou d’une vengeance, obligations de se marier avec des personnes appartenant à une catégorie particulière, choisies par les générations précédentes, obligation de se marier avec l’homme choisi par leurs parents ou grands parents … et donc obligations sexuelles pour les femmes pour apaiser les conflits, conséquence de l’obligation de se soumettre aux décisions du groupe, aux décisions prises par les anciens du groupe.
Au sein des autres formes de ritualisation des conflits mises en œuvre par les sociétés archaïques, on peut retenir les simulacres d’enlèvements et de razias que représentent certaines fêtes de mariages chez des peuples comme les touareg, ou bien les marchandages dont Claude Levi-Strauss se faisait l’écho et qui l’ont conduit à considérer que les guerres n’étaient que des négociations autour d’échanges de femmes qui avaient mal tourné, qui avaient échoué. De la même manière, on retrouve sous la plume de Pierre Clastres la description de coutumes des indiens Yanomami permettant à des jeunes gens de prendre femme dans des tribus avec lesquels ils sont ennemis acharnés.
«Le lendemain à l’aube, départ pour une visite aux Patanawateri… Pourquoi cette expédition ? La mère d’un jeune coéquipier habituel de Lizot (Hebewe) est originaire de ce groupe, bien que mariée dans un autre. Depuis plusieurs semaines, elle se trouve en visite chez sa parenté. Son fils veut aller la voir. (En fait, ce désir filial se double d’un désir tout différent. On y reviendra). La chose se complique un peu de ce que le groupe du fils (ou du père) et le groupe natal de la mère sont ennemis acharnés. Or le jeune homme, en âge de faire un bon guerrier, risque tout simplement de se faire flécher s’il se présente là-bas. Mais le leader Patanawateri, oncle maternel du garçon, a fait en quelque sorte savoir aux guerriers : malheur à celui qui touchera au fils de ma sœur ! Bref, on peut y aller.»
Pierre Clastres - Le dernier cercle - Recherches d’anthropologie politique - Page 9
Même les raids sont ritualisés d’une manière ressemblante, ce qui nous conduit à noter des similarités troublantes entre des descriptions des Yanomami et celles d’aborigènes australiens, malgré l’éloignement géographique et temporel entre ces peuples qui se sont séparés il y a au moins 50.000 ans.
«Ils (les hommes de la tribu Patanawateri) sont tous partis à la guerre contre un groupe ennemi, les Hasubueteri. Une guerre yanomami, c’est un raid surprise, on attaque à l’aube, quand les gens sont encore endormis, on largue toutes les flèches par dessus le toit. Les blessés, les rares tués, le sont le plus souvent par hasard, au gré de la chute des flèches. Les attaquants s’enfuient alors à toute allure, car les autres passent sans tarder à la contre-attaque.
… Le jour de notre arrivée, Hebewe a parlé longuement avec sa mère. Il l’interrogeait sur sa parenté, voulant savoir qui étaient ses cousins. Mais le bougre se soucie peu d’enrichir son savoir généalogique, ce qu’il tient à connaître, c’est avec qui il n’est pas parent, c’est-à-dire qu’elles sont les filles avec qui il peut coucher. En effet, dans son propre groupe - les Karohiteri - il est parent avec presque tout le monde, toutes les femmes lui sont interdites. Il lui faut donc aller les chercher ailleurs…»
Pierre Clastres - Le dernier cercle
La ressemblance est ainsi troublante. Vous remplacez simplement les flèches des Yanomami par les sagaies et les lances des aborigènes australiens (qui se sont séparés du reste de l’humanité avant l’invention de l’arc et ne l’ont ni inventé, ni assimilé par la suite lors de contacts par le détroit de Florès), les bananes comme nourriture par les plantes australiennes, et le système matrimonial yanomami par le système des moitiés australiennes.
Je m’inscris ainsi en faux avec les thèses développées par Marylène Patou-Mathis sur l’absence de guerres et de conflits armés pendant le paléolithique. Son livre présente l’intérêt de documenter le cannibalisme au paléolithique, que ce soit chez Cro-magnon ou bien chez Néandertal. On le retrouve d’ailleurs de la même manière chez les aborigènes australiens, à la fois pour les cadavres de leurs ennemis chez certaines tribus, ou pour leurs proches dans d’autres tribus.
Les observations sur la guerre, les conflits et les raids que l’on a pu réaliser chez les aborigènes australiens au moment du contact peuvent être considérées comme une survivance des comportements des humains au cours du paléolithique ancien. Un peuple resté pratiquement à l’écart des évolutions du reste de l’humanité, dont les rares contacts eurent lieu via le canal de Florès avec la Papouasie Nouvelle Guinée. L’Australie est un cas unique. Les autres peuples vivant à l’écart, comme les San !Kung, les Guayakis du Paraguay voire les indiens des îles Sentinelles vivent peut-être à part du reste du monde, isolés, se croyant les seuls humains au monde, et tuant toute tribu ou tout étranger qu’ils croiseraient, mais aucun de ces peuples n’est réellement resté à l’écart du reste de l’humanité. Les indiens des îles Sentinelles furent déportés dans un passé ancien, de même que les Guayakis appartenaient à un peuple beaucoup plus nombreux décimé par les conquistadors espagnols lors de la Conquête des Amériques par les espagnols et les portugais. Et les San !Kung furent rejetés vers les terres inhospitalières de l’Afrique du Sud à mesure de l’avancée des peuples bantous puis des anglais et des afrikaners.
L’image que l’Australie nous renvoie du paléolithique aux alentours de 50.000 ans avant nos jours est ainsi particulièrement sombre. Une conflictualité de plus en plus marquée à l’égard des peuples et des tribus habitant de plus en plus loin, alors que les relations entre tribus voisines sont plus ritualisées, cherchant à être moins létales. Certains ont argumenté que l’espèce humaine se serait éteinte si elle n’avait pas été pacifiste, si l’humanité n’avait pas collaboré et partagé les ressources dont elle disposait ou dont elle avait besoin.
L’exemple aborigène australien démontre que l’inverse est possible. Les aborigènes ont pu survivre 50.000 ans sur ce continent et le peupler presque totalement, malgré leurs guerres et leurs conflits armés incessants. Ce qui semble certains, c’est que ces conflits incessants ont empêché tout développement social et économique de la société aborigène australienne. Les conflits et raids incessants, la place laissée aux anciens, détenteurs des droits sur les femmes, de la sorcellerie et de la connaissance du temps du rêve, ont permis d’éviter la survenue de puissants guerriers et de puissants chefs au sein de ses sociétés. L’absence de tout développement social a conduit à la stagnation des armements, des techniques, dans une société n’assimilant pas facilement de nouvelles techniques. Ni l’arc, ni la fumaison de la nourriture, ni la conservation, ni le stockage. Mais grâce à eux, on a aussi pu redécouvrir l’art des boomerangs ou bâtons de jets, qui avaient il me semble disparus ailleurs dans le monde.
Effectivement, dans le reste du monde, à un quelconque moment de notre histoire au cours du paléolithique, au cours des 50.000 dernières années, les circonstances ont évolué et l’humanité a quitté cette forme forme d’organisation sociale pour accepter le changement, changement qui donna lieu à tout ce qui permis le monde moderne : stockage alimentaire, agriculture, élevage, domestication animale, chefferie, esclavage, richesse et différence de richesse. Cela s’est produit à un moment quelconque au cours des cinquante derniers millénaires, voire avant si ces changements s’étaient produits avant dans d’autres branches de l’humanité avant qu’elle ne se sépare pour donner naissance aux aborigènes australiens.
Là où Marylène Patou-Mathis et Rousseau ont raison, c’est que la néolithisation n’explique pas à elle seule ce changement. Tout cela ne peut pas s’expliquer seulement par la domestication animale et la récolte puis la domestication de nouvelles céréales servant à l’alimentation humaine ou animale que l’on peut stocker pour permettre la sédentarisation de la tribu. Avant cela, il a fallu que les structures sociales mutent. Mais avant cela, il n’est pas possible d’imaginer que la rencontre entre les Homo sapiens sapiens et les homos néandertaliens se fasse de manière pacifique. Que ce soit au Moyen-orient ou en Europe, les deux populations d’homos ne durent probablement pas cohabiter pacifiquement mais je suis persuadé que leur rencontre s’accompagna de la première extermination de masse de l’histoire de l’humanité moderne et conduisit à l’extinction de l’une des dernières familles de l’humanité. Une quelconque parmi les multiples guerres et massacres qui accompagna l’évolution de l’humanité vers le monde que nous connaissons aujourd’hui ! Ce qui est l’inverse des théories à la fois de Marylène Patou-Mathis et des pacifistes qui comme elle idéalise l’humanité paléolithique.
Saucratès
Nota bene - Liste de mes précédents écrits sur des sujets approchants
L’un de mes écrits le plus complet sur la violence dans les sociétés dites primitives date de novembre 2023. J’y décrivais un ensemble de constatations autour de l’exercice du pouvoir dans ces sociétés. J’y indiquais que l’absence de pouvoir coercitif étatique a pour conséquence une violence exacerbée entre ses membres.
https://saucrates.blog4ever.com/les-societes-primitives-et-le-pouvoir
En août 2023, j’avais déjà écrit sur l’exercice du pouvoir dans les sociétés amazoniennes et sur la pensée de l’anthropologue Pierre Clastres, qui ne présente pas les sociétés qu’il étudie comme des sociétés sans pouvoir coercitif, contre l’Etat, comme des sociétés auxquelles il manque quelque chose, le pouvoir coercitif, mais bien au contraire, comme des sociétés où il y a quelque chose de différent, quelque chose de différent, en plus, où toute la société est construite pour s’opposer à l’apparition du pouvoir.
https://saucrates.blog4ever.com/nouvelles-reflexions-sur-le-pouvoir
J’y concluais que «la différence entre les sociétés contre l’Etat amazonienne et nos sociétés modernes occidentales, ou celles qui les ont précédées, ne repose peut-être pas tant sur des différences fondamentales, mais plutôt sur l’idée que les dirigeants de ces sociétés différentes ont réussi à institutionnaliser leur fonctionnement pour permettre à certains chefs de se maintenir et de consolider leur pouvoir, par des artifices institutionnels.»
Dans un autre article de novembre 2023, je m’intéressais au sujet de la protohistoire, ou histoire des sociétés antérieures à l’invention de l’écriture, et notamment sur cette période antérieure de 9.000 ans avant le présent, où, en plusieurs endroits du globe, partout pratiquement à la même époque, en Chine, en Égypte, en Mésopotamie, en Turquie, dans la vallée de l’Indus, dans les Andes en Amérique, des peuples inventent l’agriculture, la domestication végétale et animale, ce que l’on a appelé le phénomène de ‘néolithisation’.
https://saucrates.blog4ever.com/questions-sur-la-protohistoire
J’y revenais une nouvelle fois sur l’énigme de Göbekli-Tepe, contemporain de ce que l’on appelle la fin du Dryas récent, cette période de 1.200 ans s’étendant de -12.850 ans à -11.650 ans avant le présent (soit de -10.900 ans à -9.700 ans avant notre ère), qui représente la dernière oscillation froide de la dernière période glaciaire avant l’Holocène. Pourquoi les hommes ont-ils eu besoin de construire Göbekli-Tepe dès la sortie de ce dernier épisode glaciaire ?
En juillet 2023, j’effectuais aussi une nouvelle description de la situation ethnologique australienne, l’histoire d’un peuple isolé (pratiquement) du reste de la marche de l’humanité pendant les 50.000 dernières années, l’histoire de la cérémonie d’Intichiuma, c’est-à-dire un rite de multiplication et de réparation de la nature qui peut nous intéresser, dans notre monde où la nature est tellement exsangue, où la réflexion écologique (mais non extrémiste) prend une telle importance, où un tel rite aurait une très forte signification et une très forte urgence … Et enfin, j’y abordais les pratiques matrimoniales.
https://saucrates.blog4ever.com/quelques-donnees-ethnologiques-sur-laustralie
Enfin, un peu précédemment, en mars 2023, je m’intéressais à la violence comme principe explicatif de l’évolution des sociétés.
Ma première hypothèse portait sur la forme privilégiée des contacts noués entre peuples lors d’un premier contact. Contacts pacifiques, échanges de techniques ou génocide ? J’y exprimais que toutes les expériences de contacts entre bandes inconnues d’humains se sont toujours produites de la même manière, par la violence, par le rapt et par la mort. Cela concerne tous les peuples premiers ou aborigènes, qu’ils soient amazoniens, australiens, de Papouasie-Nouvelle-Guinée ou des zones reculées d’Afrique.
https://saucrates.blog4ever.com/evolution-des-societes-la-violence-comme-principe-explicatif
J’y concluais enfin que la violence expliquait tout. «La violence et la guerre explique à la fois les expansions des grands peuples civilisateurs, ou éradicateurs, mais aussi la permanence de certaines sociétés premières qui échappèrent à la civilisation, à l’apparition du pouvoir, à l’apparition de la domination des uns sur les autres. Car c’est aussi la violence des rites d’initiation marquant les corps, et rappelant que tous sont égaux car ils ont tous été marqués de la même manière par les mêmes rites, la violence intrinsèque de ces sociétés premières à l’encontre de tous ceux qui voudraient chercher le pouvoir pour le pouvoir, la richesse pour la richesse, ou simplement ceux qui violent les coutumes ou les règles.»
Bibliographie :
Johann Jakob Bachofen - Le droit maternel - Recherche sur la gynécocratie de l’Antiquité dans sa nature religieuse et juridique - 1996 - Éditions L’Age d’Homme, Lausanne … Titre original : Das Mutterrecht - 1861
Cornelius Castoriadis - La création humaine II - Ce qui fait la Grèce - 1. D’Homère à Héraclite - Séminaires 1982-1983 - Éditions La Couleur des Idées - Seuil, Paris
Bernard Chapais, Aux origines de la société humaine – Parenté et évolution - 2017 - Editions du Seuil, Paris
Pierre Clastres - La société contre l’Etat - Recherches d’anthropologie politique - 1974 - Les éditions de Minuit - Collection Critique
Richard Dawkins - Il était une fois nos ancêtres. Une histoire de l’évolution - 2007 - Éditions Robert Laffont, Paris
Christophe Darmangeat - Justice et guerre en Australie aborigène - 2021 - Smolny, Toulouse
Heide Goettner-Abendroth - Les sociétés matriarcales - Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde - 2019 - Éditions Des femmes - Antoinette Fouque, Paris
Emmanuel Guy - Ce que l’art préhistorique dit de nos origines - 2017 - Éditions Flammarion - Au fil de l’histoire, Paris
Etienne de La Boétie - Discours de la servitude volontaire - 1576 - Collection Mille et une nuits n°76
Bronislaw Malinowski - Les Argonautes du Pacifique occidental - 1967 - Gallimard, Paris
Lewis Henry Morgan - La société archaïque - 1971 - Éditions Anthropos, Paris … Titre original : Ancient Society - 1877
Marylène Patou-Mathis - Préhistoire de la violence et de la guerre - 2013 - Éditions Odile Jacob, Paris
Alain Testart – Le communisme primitif - Economie et idéologie - 1985 - Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris
Alain Testart – Eléments de classification des sociétés - 2005 - Editions Errance, Paris
Alain Testart – Avant l’histoire – L’évolution des sociétés de Lascaux à Carnac – 2012 – Editions Gallimard NRF – Bibliothèque des sciences humaines, Paris
Sources orientales - Tome 1 - La naissance du monde - 1959 - Éditions du Seuil, Paris