Critiques de notre temps

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La promotion des emplois péi par la Région Réunion - Enjeux et pertinence

Saint-Denis de la Réunion, samedi 1er août 2020


La Région Réunion redécouvre apparemment les vertus du développement de l’emploi péi, si on en croit le magazine du Conseil régional de la Réunion qui écrit autour de ce concept pour le numéro de ce mois de juillet. Ce magazine titre en pleine page : «Local lé vital - Nout’ tout ansamb pou l’emploi péï».

 

On pourrait penser qu’il s’agit d’une sorte d’effet bénéfique de la pandémie de coronavirus, ou plutôt de la crise économique qui est en train de découler de la manière dont le gouvernements français, et plus largement, la majeure partie des gouvernements de la planète, ont géré et ont répondu à cette pandémie. À savoir par le confinement. Pour cette même raison, peut-on se plaire à imaginer, le gouvernement français entend également mettre en avant les productions relocalisées (autre nom des produits locaux), et surtout la production de ceux qui sont considérés comme étant de première nécessité : masques, certains médicaments indispensables ...

Une question se pose donc : défendre l’emploi péi et défendre la relocalisation de certaines productions, est-ce comparable et est-ce également utile ? La grande question est déjà de savoir si cette théorie de la relocalisation de certaines productions va véritablement être mise en oeuvre au niveau national, pour autre chose que des broutilles ? Il nous a ainsi été expliqué par le gouvernement que la simple relocalisation de la production d’un produit comme le paracetamol va demander trois ans pour être effectif ! Mais dans ce cas, il va falloir plusieurs siècles pour rapatrier en France la production de l’ensemble des médicaments indispensables aux soins de première urgence ou indispensables au traitement des principales maladies !!! Sans tenir compte du fait qu’il peut se passer des centaines de crises ou de révolutions médicales ou technologiques pendant ses siècles, voire même pendant les trois prochaines années. Vu que le gouvernement impose à tous le port obligatoire du masque pour écouler la production relancée de masques, il y a également à craindre que le gouvernement impose à tous la prise obligatoire d’un cachet de paracetamol matin midi et soir lorsque cette production aura été rapatriée en France. Avec établissement d’une auto-attestation sur l’honneur certifiant que l’on n’a bien pris notre cachet journalier ?... Amen. Et amende pour ceux qui n’auront pas sur eux leur auto-attestation ! Vive la république et vive la France !

 

Sera-t-il donc plus simple et plus utile de défendre l’emploi péi ? Premièrement, le fait de promouvoir l’emploi péi n’est pas né de cette crise, ni d’ailleurs de l’invention il y a de nombreuses années des produits «nous la fé». C’est un projet qui est à l’œuvre depuis au moins le début des années 1970 et le développement des filières d’import-substitution. Elles ont donné naissance à Mauvillac, à Edena, à Solpak, aux limonades Cot. Elles ont également été mis à l’œuvre dans toutes les filières agricoles, avec la coopérative des producteurs de porcs, de la Sicalait, de la Sica Révia, ou des salaisonniers. Elles ont aussi conduit à la création de la Cilam, à celles de l’Urcoopa et à des centaines d’autres industries d’import-substitution. Et des fromageries ...

 

Donc cette volonté n’est pas nouvelle. Alors au fond, ce nouveau slogan de la Région Réunion, n’est-ce pas juste un slogan publicitaire, pour inciter les consommateurs réunionnais à consommer local plutôt que de consommer des produits importés, en les sensibilisant sur la conséquence en terme d’emplois péi de leur consommation ?

 

Parce que l’on est déjà aujourd’hui allé très loin en terme d’import-substitution. À part les voitures, les pièces détachées, les pneumatiques, les télévisions, frigidaires et autres téléphones que l’on peut difficilement fabriquer sur place (et puis en matière de téléphone, ce qu’une large fraction de la population souhaite, c’est un smartphone dernière génération de grande marque, fabriqué pour quelques dollars en Chine et vendu à un prix dépassant plusieurs centaines d’euros par un géant de la téléphonie) ... tout le reste pratiquement peut être fabriqué localement. Le prix de cette production locale est bien souvent supérieur aux prix des produits importés comparables et il existe heureusement l’octroi de mer pour renchérir le prix des produits importés afin que les produits locaux soient compétitifs. Produire dans des usines pour 800.000 consommateurs ou produire pour plusieurs centaines de millions de consommateurs européens ou africains n’est évidemment pas comparable et ne fait pas apparaître les mêmes coûts unitaires de revient ! Les investissements nécessaires ne sont pas proportionnels. Ni d’ailleurs les marges que l’on peut dégager. 

 

Evidemment, nos choix de consommation individuelle ont un impact sur l’ensemble des emplois disponibles à La Réunion. Plus chacun d’entre nous consommera des produits transformés ou fabriqués à La Réunion, plus nous aurons d’emplois disponibles ! Il n’est pas inutile de le rappeler et d’en prendre conscience. Plus on consomme de produits locaux, plus il y a d’emplois, normalement, toute chose restant égale par ailleurs ...

 

Après, la majeure partie de ces emplois sont des emplois d’ouvriers ou de manœuvres, rarement des emplois de cadres ou d’ingénieurs pour nos jeunes. Il est donc tout autant important de mettre en avant le partage et l’attribution des emplois d’encadrement ou hautement qualifiés, plutôt que d’insister uniquement sur la promotion des emplois péi. Ce qui pose aussi problème, c’est que les emplois les mieux rémunérés sont régulièrement attribués en fonction de préférence affinitaire ou grâce au réseautage. Gare à ceux qui n’appartiennent pas ou dont les parents ne font pas partie des bons réseaux, loges maçonniques ou des familles influentes. Est-ce normal ? 

 

Pour conclure, ce sujet est sensible. On déborde vite sur le slogan «donne créole travail». Des syndicats comme l’UIR CFDT s’y sont essayés il y a quelques années (avec la préférence régionale) mais chacun des adhérents avait évidemment sa petite expérience d’un chef expatrié hautain et notoirement incompétent, sa petite haine, sa petite rage. Et cela a vite dérapé. Et puis, quelle différence existe-t-il alors avec les slogans du Front National au sujet de la préférence nationale chère aux Frontistes ? On ne peut être frontiste (Rassemblement national aujourd’hui) et adhérent à la CFDT ou à la CGT, mais ces syndicats peuvent par contre utiliser le même discours et les mêmes slogans racistes ? La préférence régionale n’est-elle pas désormais une forme d’impensée des syndicats réunionnais ?

 

Ce sujet de l’emploi péi est effectivement dangereux, car il peut déboucher rapidement sur la xénophobie. Les réunionnais sont humains et la haine des autres et la jalousie ne sont jamais loin. Mais l’enjeu de l’emploi péi est malgré tout important lorsqu’il faut trouver du travail pour 800.000 habitants et plus d’une dizaine de milliers de jeunes chaque année !

 

Si on veut que nos enfants trouvent un travail à La Réunion, il faut évidemment promouvoir l’emploi péi, mais pas seulement ... Il faut aussi promouvoir la juste répartition de ses emplois hors des influences des réseaux et des liens affinitaires, et se lancer dans les créations d’entreprises, dans les secteurs porteurs de la biotechnologie et de l’ingénieurie. 

 

Saucratès



31/07/2020
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