Critiques de notre temps

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De la justice (3)

 

Réflexion vingt (12 juin 2012)
La remise en cause du harcèlement moral et du harcèlement sexuel par le conseil constitutionnel  - Parmi les premières victimes de l'innovation juridique sarkoziste de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ...

 

Le 3 mai 2012, le Conseil Constitutionnel abrogeait l'article 222-33 du code pénal concernant le harcèlement sexuel en le déclarant inconstitutionnel.

http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2012/2012-240-qpc/decision-n-2012-240-qpc-du-04-mai-2012.105618.html

 

Selon les membres du Conseil Constitutionnel (Jean-Louis Debré, Jacques Barrot, Claire Bazy Malaurie, Guy Canivet, Michel Charasse, Renaud Denoix de Saint Marc, Jacqueline de Guillenchmidt, Hubert Haenel et Pierre Steinmetz), la définition du harcèlement sexuel n'était pas assez précise : «le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle» ne définit pas précisément les éléments constitutifs du délit, ce qui méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique.

 

Le pire évidemment est que les 'sages' du Conseil Constitutionnel ont donné raison au requérant (l'ancien député Gérard Ducray âgé de 70 ans, condamné en 2010 pour harcèlement sexuel) qui contestait la légitimité de la pénalisation du harcèlement sexuel et qu'ils ont suivi ce raisonnement, «mettant fin à toutes les poursuites dans toutes les affaires non jugées définitivement à cette date». A l'heure où la garde des sceaux veut faire passer dans les plus brefs délais un nouveau texte sur le harcèlement sexuel, il ne me semble pas inutile de revenir sur cet épisode.

 

La question prioritaire de constitutionnalité est entrée en vigueur le 1er mars 2010. Elle a été introduite par la réforme constitutionnelle du 23 février 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, réforme qui avait bénéficié des voix de certains parlementaires socialistes. Elle repose sur les articles 61-1 et 62 de la Constitution. D'après un article du Monde, 207 QPC avaient été traitées par le Conseil Constitutionnel au jour de l'article.

http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/05/14/harcelement-mediator-la-question-prioritaire-de-constitutionnalite-en-debat_1700150_3224.html.

Selon l'article 61-1 de la Constitution : «Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation». Ainsi, depuis le 1er mars 2010, toute personne engagée dans une instance judiciaire peut soulever une QPC sur une disposition législative - tout texte voté par le Parlement -, si trois conditions sont réunies : la disposition contestée constitue le fondement des poursuites, ou s'applique dans la procédure ou litige en cours ; la QPC posée est jugée nouvelle et sérieuse ; la conformité de la disposition législative à la Constitution n'a pas encore été décidée par le Conseil constitutionnel. Les questions prioritaires de constitutionnalité ne peuvent être posées que devant une juridiction relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, sauf devant la Cour d'assises. La juridiction saisie examine si la QPC soulevée est recevable, avant de la transmettre au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Ce sont ces instances qui décident, dans un délai de trois mois, de saisir le Conseil constitutionnel. Ce dernier a lui aussi trois mois pour se prononcer. S'il juge la disposition législative contraire à la Constitution, celle-ci est abrogée.»

 

Pour mémoire, avant 2010 et l'introduction des questions prioritaires de constitutionnalité, seuls les parlementaires (au minimum un nombre de soixante) pouvaient saisir le Conseil Constitutionnel au sujet d'une loi avant sa promulgation (article 61 de la Constitution).

http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4-octobre-1958/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur.5074.html#titre7

J'étais pourtant extrêmement favorable à une réforme des possibilités de saisine du Conseil Constitutionnel, de façon à le transformer en Cour Suprême américaine et lui permettre de réguler et de faire évoluer le droit. Mais manifestement, cette réforme est insuffisante et va être utilisée dans un sens uniquement favorable aux plus puissants. Et surtout, il semble que la nomination et l'appartenance politique des membres du Conseil Constitutionnel ne devienne très vite un problème pour l'indépendance de la justice française, et que contrairement à la Cour Suprême des Etats-Unis, ses membres n'aient pas réfléchi à l'impact de leurs décisions, où que leurs décisions rendues ne soient que personnelles ou politiques.

 

Dans l'affaire de harcèlement sexuel à l'origine de cette QPC, l'ancien député et adjoint au maire de Villefranche-sur-Saône, Gérard Ducray, avait été condamné pour harcèlement sexuel le 18 mai 2010, sur plainte de trois employées de sa municipalité. «main sur la cuisse, commentaires sur le physique, proposition ouverte de relation sexuelle, menace de mauvaise notation en cas de refus», les faits reprochés à Gérard Ducray étaient graves selon Marylin Baldeck, déléguée générale de l'association AVFT. Comme dans toutes les affaires de harcèlement sexuel qui arrivent devant les juridictions pénales ! Les victimes sont le plus souvent détruites par les comportements des prédateurs sexuels qui se sont attaqués à elles.

http://www.lexpress.fr/actualite/societe/harcelement-sexuel-un-delit-bientot-autorise_1105523.html

 

Et il se dit que quatre de ces juges constitutionnels (sur neuf présents) connaissaient le requérant, ce qui ne paraît pas impossible puisqu'il s'agissait d'un homme politique connu.

 

C'est évidemment pour cela que je ne comprends pas la décision des 'sages' du Conseil. Cette décision est tellement lourde de conséquence pour toutes les victimes de harceleurs sexuels, et pourtant ils n'ont pas hésité à abroger la loi sur le harcèlement sexuel. Je ne peux dès lors que m'interroger, au-delà de leur compétence juridique, sur leur indépendance politique ou autre pour cette affaire. Cela fait froid dans le dos lorsque l'on pense à toutes les lois qu'ils pourraient abroger pour faire plaisir à tels ou tels autres de leurs amis, connaissances ou affidiés ! Surtout en pensant que Nicolas Sarkozy sera bientôt susceptible d'y sièger et de faire annuler toutes les lois sur la base desquelles il pourrait être poursuivi.

 

Il faut une véritable réforme du fonctionnement du Conseil Constitutionnel, et que ses membres comprennent qu'ils ont une responsabilité écrasante dans l'élaboration de la loi et dans le rendu de la justice dans le pays. Que peuvent répondre chacun de ces juges constitutionnels aux victimes de faits de harcèlement sexuel, qui ne peuvent plus être punis à ce jour, et qui ne pourront l'être que pour les actes commis postérieurement à la mise en application de la prochaine loi ! 

 

En plus, son avocate était une femme, Claire Waquet, n'ayant manifestement jamais été la victime de tels faits de harcèlement sexuel ! De même que deux des neufs juges constitutionnels ...

 

 

Réflexion dix-neuf (7 février 2011)
Justice et vengeance : une réponse à mes interrogations sur la validité de la peine de mort ...

 

Je me suis souvent interrogé sur la nécessité, sur la légitimité de la peine de mort comme sanction à l'encontre des pires meurtriers et violeurs de notre société. J'ai souvent écrit que la peine de mort me semblait la seule réponse correcte que la société devait apporter aux pires criminels.

Bien que cette position aient souvent pu choquer mes lecteurs, que certains d'entre eux aient pu me traiter de populiste, il me paraissait difficile de défendre une autre position moins extrêmiste. Le simple fait que la peine de mort ait pu être abolie dans notre pays, le pays des droits de l'homme et du citoyen, me paraissait une raison bien mince pour contrer le besoin de vengeance que je ressents à l'égard de ceux qui tuent et violent, même si je ne suis pas directement concerné. Ce qu'une loi a fait, une autre loi pourrait le défaire ! A partir du moment où je n'imagine pas assassiner volontairement ni même violer une personne, je ne me sens que peu concerner par un éventuel rétablissement de la peine de mort, même si cette réponse ne servait qu'à répondre au désir de vengeance des proches des victimes même sans effet sur les nombres d'assassinats ou de viols.

Car je me rappelle également ce qu'Edgar Poe écrivait (dans les Mystères de Paris) contre la peine de mort, selon lequel la peine de mort encourageait les crimes en poussant les meurtriers à se mesurer entre eux, à se donner en spectacle lors de leur exécution.

 

C'est en lisant ce qu'Isabel Weiss et Jean-Christophe Goddard écrivaient sur la justice à travers l'analyse qu'en faisait Hegel et Fichte que j'ai pu prendre note de leur argumentation sur la justice et réfléchir sur les natures opposées de la justice et de la vengeance.

 

«(...) Concevoir la peine comme une simple rétorsion, par laquelle on répondrait mécaniquement à une première violence par une seconde violence, revient à confondre la réciprocité positive librement contractée et volontaire, en quoi consiste le droit - et que la législation pénale vise à établir - avec la fausse réciprocité néfaste, proprement automatique (non libre), où s'origine le cercle infini de la vengeance. (...) Vouloir annuler la violation du droit de l'agressé par la violation du droit de l'agresseur revient à vouloir réaliser le droit par sa destruction.

 

(...) La peine sera alors le moyen pour l'état de sanctionner le crime tout en conservant au criminel ses droits. Elle fera que le criminel ne devienne pas 'hors la loi'. La peine est donc, pour ainsi dire, toujours de substitution ; elle substitue toujours à l'exclusion définitive hors de la communauté, par laquelle le criminel perdrait ses droits à la garantie de sa sécurité (serait rendu à la vie sauvage), une expiation grâce à laquelle, malgré son crime, il demeure intégré à la société et voit sa sécurité garantie. (...) Seul un tel droit à obtenir de l'état (c'est-à-dire de tous) ce que l'on a soi-même détruit peut inverser le cercle de la vengeance.»

Jean-Christophe Goddard, «Législation criminelle et justice sociale chez Fichte» in «La justice», VRIN

 

Réflexion dix-huit (22 janvier 2011)
La nécessité de la justice naît-elle de l'observation de l'injustice (suite) ...

 

Cette proposition, reprise d'une lecture de la philosophe Isabel Weiss discourant sur Hegel, semble un bon début pour étudier la justice. Elle paraît surtout extrêmement vraisemblable en regard de ce que nous dicte notre vécu éventuel. C'est l'existence d'injustices observables, vécues, qui donne l'envie de les combattre, d'obtenir réparation, et de mettre en oeuvre les moyens de les combattre judiciairement, en mettant éventuellement en place des mécanismes de réparation des injustices, des mécanismes de justice ...

 

On peut facilement vivre une telle situation dans une entreprise, dans une organisation quelconque, face à ou dans une administration, et face à l'injustice, on a effectivement envie de mettre en oeuvre ou d'utiliser des mécanismes judiciaires susceptibles de mettre fin à l'injustice, ou au minimum d'en obtenir réparation.

 

Il est alors tentant de généraliser ce genre de situation à une société entière qui ne connaîtrait pas encore de mécanismes judiciaires organisés, de système judiciaire, d'une justice ... et de supposer que face à l'injustice, les membres de cette société primitive sans justice auraient envie d'inventer une forme de justice ... 

 

Néanmoins, j'en suis arrivé précédemment à la conclusion que l'on ne peut considérer une chose, un fait comme une injustice, on ne peut vouloir obtenir réparation, condamnation, d'une injustice, que si on a préalablement conscience que cette chose est injuste, anormale, contraire à ses droits, que si on a conscience d'avoir des droits ... 

Ce qui ressort de notre vécu n'est donc pas adaptable à une société primitive sans justice ni droits préalables. Il faut alors en revenir comme Nietzsche dans son livre 'Généalogie de la morale' où il s'intéresse à l'histoire originaire des communautés humaines, à penser aux premiers pas d'une société sans justice ...

«Partout où s'exerce la justice, où l'on maintient la justice, on voit une puissance plus forte qui cherche, eu égard à de plus faibles qui lui sont subordonnés (...) des moyens de mettre un terme à la rage absurde du ressentiment aux mains de la vengeance, en partie en substituant à la vengeance le combat contre les ennemis de la paix et de l'ordre, en partie en inventant, en proposant, le cas échéant en imposant des arrangements, en partie en élevant certains équivalents de dommages au rang de normes à laquelle le ressentiment se trouve désormais renvoyer une fois pour toutes.»
Freidrich Nietzsche, «La généalogie de la morale»

Cette citation ressitue un élément de cette réflexion. Au temps des monarchies européennes comme dans l'exemple des monarchies africaines, il existait déjà des lieux où s'exerçait la justice, auprès de chaque seigneur dans la féodalité française, à laquelle pouvait s'adresser le vassal ou le serf. Il est ainsi très rare qu'une société ne connaisse pas la justice, même dans une société très primitive. Il y a très vraisemblablement un lieu de justice et des crimes punis. C'est le principe de l'injustice qu'il est extrêmement difficile de situer et surtout de généraliser.

 

Les sociétés féodales étaient ainsi des sociétés de justice mais non des sociétés de droit, puisqu'elles respectaient parfaitement la vision de Nietzsche sur la justice lorsque cette dernière s'efface devant les différences de puissance. On ne pouvait demander à un suzerain de se condamner lui-même devant sa propre justice (alors que l'on peut aujourd'hui attaquer l'état français devant ses propres tribunaux ... ou bien devant les tribunaux européens ...). Il fallait nécessairement demander justice devant la justice du suzerain de son seigneur (la justice royale).

J'en arrive alors à une dernière approche. Au-delà de la reconnaissance d'une injustice par celui qui la subit, il n'y a injustice pour une société que s'il y a violation d'un droit reconnu et reconnaissable. Dans ce cadre là, la personne pourra en obtenir condamnation et réparation auprès des instances judiciaires de cette société. A défaut, il n'y aura pas d'injustice puisqu'il n'y aura pas de droits reconnus violés.

 

Réflexion dix-sept (20 janvier 2011)

La nécessité de la justice naît-elle de l'observation de l'injustice ?

 

A partir de cette simple phrase, peut-on fonder une recherche sur l'origine de la société et de l'état ? Je vais essayer d'y parvenir à partir de cette idée, reprise d'une lecture de la philosophe Isabel Weiss discourant sur Hegel.

 

Qu'entend-on d'abord par injustice ? La définition du dictionnaire sera de peu d'intérêt, puisque selon celui-ci, il faut entendre par 'injustice' le «caractère de ce qui est injuste». Une description différente que je me propose de donner de cette notion d'injustice correspondrait ainsi à une violation des droits d'une personne au sein d'un groupe, d'une société, sans que cette personne ne puisse obtenir réparation de cette injustice, de cet acte ou de cette action injuste, au sein de son groupe ou de sa société.

 

Mais pour cela il faut d'abord que cette personne soit capable de déterminer quels sont ces droits au sein de son groupe, au sein de sa société, pour ensuite pouvoir comprendre que ses droits ont été violés ! La reconnaissance et l'existence de droits au sein d'un groupe ou d'une société implique un minimum de notions juridiques ...

 

Je prendrais pour cela deux exemples. Dans une société de chasseurs-cueilleurs dite archaïque, l'absence d'existence de toute forme de possession personnelle exclut presque automatiquement toute possibilité de vol et donc d'injustice. Dans certaines sociétés amérindiennes de chasseurs-cueilleurs (les Guyakis), la forme même d'organisation et de fonctionnement de la société pourrait passer de l'extérieur par une injustice : le fait que le chasseur qui ramène une bête qu'il a tué ne puisse pas manger de sa chair, et ne puisse manger que la chair d'un animal tué par un autre chasseur. Aucun de ces chasseurs-cueilleurs ne s'estime pourtant victime d'injustice.

 

Autre exemple : dans de nombreuses sociétés africaines, le roi y était supposé pouvoir confisquer les biens de tout sujet qui devenait plus riche que lui, ou qui devenait particulièrement riche. Il ne faut pas oublier que cela a également été observé en France sous l'Ancien Régime, notamment sous le règne de Louis XIV, qui confisqua les biens (et notamment le château de Vaux-le-viconte) de son sur-intendant des finances Nicolas Fouquet et le fit emprisonner ... Mais cela ne peut être appréhendé comme une injustice que si ce genre de comportements ne paraît pas être normal, et donc être légal à défaut d'être juste.

 

Ce sera la Révolution française, ces débordements (notamment la Terreur) et l'adoption des droits de l'Homme et du citoyen qui nous conduiront à appréhender ces faits comme une injustice, à les interpréter comme le règne de l'arbitraire, par opposition à un régime de droit, dit démocratique. Ce moment révolutionnaire était lui-même né des réflexions des philosophes des Lumières, elles-mêmes influncés par le Bill of Rights des anglais de 1689.

 

Appréhender un acte comme injuste nécessite donc l'existence d'une réflexion sur la détention par tout un chacun d'un certain nombre de droits ... Ce qui invalide soit ma réflexion et mon hypothèse («la nécessité de la justice naîtrait de l'observation de l'injustice»), soit ma définition donnée d'une 'injustice' ... 

 



Saucratès


Ecrits précédents sur la justice :
1.https://saucrates.blog4ever.com/blog/lire-article-447196-2005084-de la justice 1.html 

2.https://saucrates.blog4ever.com/blog/lire-article-447196-2005089-de la justice 2.html



12/06/2012
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